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Revue | Cahiers du monde russe |
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Numéro | volume 58, no 4, octobre-décembre 2017 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- Realizatsiia Idei Sud´I‑Sledovatelia V Mirovoi Iustitsii Dorevoliutsionnoi Sibiri - Evgenii A. Krest´Iannikov p. 555-588 Faire en sorte que la justice soit plus proche de la population et, ce faisant, améliorer sa qualité comptent au nombre des tâches les plus importantes de la réforme judiciaire de 1864. Ce sont les juges de paix, eux-mêmes institués au cours de la réforme et qui, initialement, ne traitaient exclusivement que les affaires judiciaires, qui en eurent la charge. Petit à petit, ces institutions furent soumises aux changements dictés par la victoire des forces conservatrices, auxquelles le libéralisme était étranger et que les mesures rétrogrades n'effrayaient pas. Dans cet article, l'auteur présente une innovation introduite pendant les années de contre‑réforme et mise en place dans les régions éloignées du centre qui consistait à intégrer les fonctions d'instruction à la justice de paix. La mise en œuvre de cette mesure en Sibérie au tournant du xxe siècle a fait la preuve de son inadéquation : favorisant la bureaucratie, entraînant la baisse qualitative des procédures judiciaires et la chute du prestige du service et de l'autorité des juges de paix aux yeux de la population, elle fut l'une des principales causes de la crise du système judiciaire dans la région.Bringing justice closer to the population and increasing its quality was one of the major tasks of the judicial reform of 1864. In many respects, this task was carried out by the magistrates' courts established during the reform and originally exclusively engaged in lawsuits. Over time, they began to be exposed to changes dictated by the victory of conservative forces alien to liberalism and unabashed about implementing retrograde measures. The article investigates an innovation taking root in the years of counter‑reforms, the combination of the functions of justice of the peace and examining magistrate, implemented in the regions remote from the center. The use of this procedure in Siberia at the turn of the twentieth century demonstrated its inadequacy: it contributed to red tape, decline in the quality of justice and a drop in the prestige and authority of the courts in the public eye, and was one of the main causes of the crisis of the judiciary in the region.
- Between Science, Politics and Propaganda : Emmanuel de Martonne and the debates on the status of Bessarabia (1919‑1920) - Svetlana Suveica p. 589-614 Cet article étudie l'apport du géographe français Emmanuel de Martonne dans la clarification du statut de la Bessarabie, l'une des régions frontalières est‑européennes disputées après la Première Guerre mondiale, qui vit d'abord son détachement de l'Empire russe puis, en 1918, son annexion à la Roumanie. L'auteure étudie la double activité de de Martonne vis‑à‑vis de la région : d'une part en tant que géographe expert de la commission territoriale des affaires roumaines et yougoslaves, au sein de laquelle il a exposé de façon argumentée le caractère roumain de la région et, de l'autre, en tant qu'universitaire pleinement investi dans la vie publique, au sein de laquelle la possible propagation du bolchevisme était perçue comme un sujet sensible. Le géographe a soutenu les intérêts roumains dans la région, tout en soulignant le rôle de la Roumanie dans le combat anti‑bolchevik. De Martonne maintenait des contacts étroits avec les officiels roumains et bessarabiens : il les conseillait sur les stratégies à prendre pour contrer la propagande anti‑roumaine qui était menée avec succès à Paris et ailleurs aussi par les Russes blancs et les émigrés bessarabiens. La polémique médiatique entre de Martonne et Aleksandr N. Krupenskij, chef de la « délégation de Bessarabie » à Paris, s'entremêla au débat sur le statut de la Bessarabie qui opposait acteurs russes et acteurs roumains et dans lequel la propagande jouait un rôle crucial. Cette polémique, qui illustre bien le caractère et la trajectoire du débat, déployait des arguments de toutes sortes, géopolitiques aussi, étayés par des cartes et des statistiques. De Martonne faisait appel à la presse pour aborder des questions qui n'étaient pas explicitement mentionnées dans ses rapports d'expertise à la commission territoriale, mais qui plaisaient au public français. Revendiquant le discours d'un universitaire objectif et neutre, il recourait néanmoins à son statut de scientifique pour recentrer l'attention sur lui et imposer son point de vue. Ceci tend à prouver que la ligne entre science, politique et propagande était aisément franchissable. L'épisode polémique a permis de mieux comprendre l'ampleur et la complexité du débat sur cette région, débat qui impliquait des acteurs secondaires, tant à Paris que dans la région même, et qui témoigne de la mesure du retentissement du débat dans la région.
The article discusses the contribution of the French geographer Emmanuel de Martonne to the clarification of the status of Bessarabia—one of the contested post‑World War I East European borderlands that detached from the Russian Empire and in 1918 united with the Romanian nation‑state. The author explores de Martonne's dual activity with regard to the status of the region: first, as an expert geographer within the Territorial Commission for Romanian and Yugoslavian affairs, where he articulated arguments about the Romanian character of the region; second, as a scholar who took on an active role in public life, in which the possible spread of Bolshevism was a sensitive issue. The geographer supported Romania's interests in the region, simultaneously emphasizing Romania's role in the anti‑Bolshevik fight. De Martonne kept close contact with Romanian and Bessarabian officials, whom he advised on strategies to counter anti‑Romanian propaganda, which was being carried out successfully in Paris and elsewhere by Russian Whites and Bessarabian émigrés. The press polemic between de Martonne and Aleksandr N. Krupenskii, the head of the so‑called “Bessarabian delegation” in Paris, became entangled into the debate on the status of Bessarabia between Russian and Romanian actors, in which propaganda played a crucial role. In this polemic, which illustrates well the character and trajectory of the debate, arguments based on maps and statistics, as well as geopolitical and other arguments were used. De Martonne used the press to raise issues that were not explicitly stated in his expert reports to the territorial commission, but appealed to the French public. Claiming a discourse of an objective and unbiased scholar, he, nevertheless, resorted to his status as a scientist in order to garner recognition and establish the authority of his opinion. This shows that the line between science, politics and propaganda was easily crossed. The polemic episode deepens the understanding of the scale and complexity of the debate on the contested borderland that involved secondary actors from both Paris and the region, as well as how the debate echoed back to the region. - Forecasting Fisheries : Prediction and the planned economy in the Interwar Soviet Union - Gregory Ferguson‑Cradler p. 615-638 Prenant pour exemple le bassin de la mer Caspienne, cet article étudie l'évolution des pratiques de la science halieutique soviétique à la fin des années 1920 et dans les années 1930. Ce qui est nouveau dans les années 1930 n'est pas tant une importance accrue donnée à la pêche industrielle ou encore le besoin de science pratique, celle‑ci a toujours fait partie intégrante de la science halieutique. Ce qui est nouveau, c'est le glissement marqué vers la prévision en tant qu'objectif majeur de la production de savoirs pour répondre aux exigences de l'économie planifiée. Ce glissement a des conséquences substantielles dans les pratiques de la science halieutique et pour le poisson en tant qu'objet de recherche. Les nouvelles priorités de recherche poussées par la nécessité de planifier l'économie de la pêche impliquent plusieurs façons de voir et de représenter la ressource halieutique et le temps.
This essay looks at how the practices of Soviet fisheries science, focusing on the Caspian Sea region, changed in the late 1920s and 1930s. What was new in the 1930s was not so much increased emphasis on industrialized fisheries or the need for practical science, which had always been present in fisheries science. What stood out most, instead, was the marked shift to prediction as the preeminent goal of scientific activity driven by the concrete needs of a planned economy. The shift had important consequences for the practices of fisheries science and fish as scientific objects. New research priorities pushed by the need to plan economies of fishing entailed different ways of seeing and representing both fish and time. - Legitimation through Self‑Victimization : The Uzbek cotton affair and its repression narrative (1989‑1991) - Riccardo Mario Cucciolla p. 639-668 Le scandale du coton, qui a bouleversé l'Ouzbékistan après 1983 et impliqué des milliers de cadres du gouvernement et du parti, a eu pour effet d'entacher la mémoire de Rashidov et s'est soldée par une importante vague de purges au sein de l'ancienne élite dirigeante. La campagne massive de moralisation qui lui est associée devint un événement crucial de l'époque soviétique tardive, provoquant la désaffection de l'élite ouzbèke à l'égard de l'empire et nourrissant le récit sur le trauma postcolonial qui sous‑tend l'indépendance de l'Ouzbékistan et l'identité postsoviétique. Le changement idéologique impulsé par Karimov (1989‑1991) vit le PC de l'Ouzbékistan passer d'une orthodoxie communiste loyale à l'indépendance et à une rupture idéologique nationaliste. Dès ses débuts, la république d'Ouzbékistan nouvellement indépendante déclara avoir été sous la tutelle coloniale de Moscou (et de ses marionnettes locales), ceci illustré par « l'affaire ouzbèke », tout comme par la monoculture du coton et le désastre écologique qui s'est ensuivi dans le bassin de la mer d'Aral, générant ainsi un thème identitaire sensible de résistance contre le pouvoir soviétique. Les événements clés sont ici identifiés : qu'il s'agisse de l'âpre rhétorique politique en cours en Ouzbékistan à la fin des années 1980 (dont le discours était ponctué des termes « colonial », « purge », « nouvelle terreur », « retour de 1937 », « génocide ouzbek »), qu'il s'agisse de la ferme condamnation de « la chasse aux sorcières » contre le peuple ouzbek ou de « la descente rouge (kranyj desant) » anti-ouzbèke, toutes deux perpétrées par le PCUS, qu'il s'agisse encore de l'amnistie générale des personnes persécutées ou de la réhabilitation de Rashidov au rang de « héros national ». Ces événements ont joué un rôle majeur dans la reconstruction de l'« ouzbékité », cette perception postsoviétique d'une identité ouzbèke unique.The cotton affair, which overwhelmed Uzbekistan after 1983 and involved thousands of state and party cadres, resulted in Rashidov's memory being stained and in extensive purges of the former ruling elite. This massive moralization campaign became a crucial event in late Soviet history, provoking disaffection with the empire among the Uzbek elite and providing a postcolonial trauma narrative undergirding Uzbekistan's independence and post‑Soviet identity. Karimov's ideological shift (1989‑1991) saw the CPUz move from loyal communist orthodoxy towards independence and a nationalist ideological split. Right from birth, the newly independent Republic of Uzbekistan claimed to have been under the colonial tutelage of Moscow and its local ‘puppets,' as exemplified by the Uzbek affair—as well as the cotton monoculture and the related ecological disaster in the Aral basin, creating a sensitive identity theme of resistance against Soviet power. The major events are here identified: in the harsh political rhetoric of the late 1980s – characterized by such terms as “colonial,” “purge,” “new terror,” “renewed 1937,” “Uzbek genocide”; the witch‑hunt against the Uzbek people and anti‑Uzbek krasnyi desant by the CPSU; the general amnesty of the prosecuted people, and the rehabilitation of Rashidov as a “national hero.” These events played a major role in reshaping ‘Uzbekness,' that post‑Soviet sense of a unique Uzbek identity.
- Realizatsiia Idei Sud´I‑Sledovatelia V Mirovoi Iustitsii Dorevoliutsionnoi Sibiri - Evgenii A. Krest´Iannikov p. 555-588
Comptes rendus
- Steven Sabol, The Touch of Civilization: Comparing American and Russian Internal Colonization - Alexander Morrison p. 672-674
- Florent Mouchard, La maison de Smolensk : Une dynastie princière du Moyen Âge russe, 1125‑1404 - Pavel Vladimirovič Lukin p. 675-680
- Olga Medvedkova, éd., Pierre le Grand et ses livres : Les arts et les sciences de l'Europe dans la bibliothèque du Tsar - Pierre Caye p. 681-684
- Andreas Schönle, Andrei Zorin, Alexei Evstratov, éds., The Europeanized Elite in Russia, 1762–1825: Public Role and Subjective Self - Константин Д. Бугров, Михаил Киселев p. 685-694
- Tatyana V. Bakhmetyeva, Mother of the Church: Sofia Svechina, the Salon and the Politics of Catholicism in Nineteenth‑Century Russia and France - Laura Pettinaroli p. 694-696
- Nick Baron, ed., Displaced Children in Russia and Eastern Europe, 1915‑1953: Ideologies, Identities, Experiences - Olga Kucherenko p. 697-699
- Olga Kucherenko, Soviet Street children and the Second World War: Welfare and Social Control under Stalin - Dorena Caroli p. 699-703
- Le procès Schwartzbard et le métier d'historien - Thomas Chopard p. 703-707
- Ksenya Kiebuzinski, Alexander Motyl, éds., The Great West Ukrainian Prison Massacre of 1941 - Thomas Chopard p. 707-710
- James Harris, The Great Fear: Stalin's Terror in the 1930s - Gábor T. Rittersporn p. 710-714
- Catherine Gousseff, Échanger les peuples : Le déplacement des minorités aux confins polono‑soviétiques (1944‑1947) - Mayhill C. Fowler p. 714-718
- Larry Holmes, Stalin's World War II Evacuations: Triumph and Troubles in Kirov - Juliette Denis p. 718-721
- Christian Ingrao, La promesse de l'Est : Espérance nazie et génocide, 1939‑1943 - Christian Gerlach p. 721-723
- Jeffrey S. hardy, The Goulag After Stalin: Redefining Punishment in Khrushchev's Soviet Union, 1953‑1964 | Michael David‑Fox, ed., The Soviet Goulag: Evidence, Interpretation and Comparison - Alain Blum p. 724-730
- Edward Cohn, The High Title of a Communist: Postwar Party Discipline and the Values of the Soviet Regime - Juliette Cadiot p. 731-733
- Brian Lapierre, Hooligans in Khrushchev's Russia: Defining, Policing and Producing Deviance during the Thaw - Juliette Cadiot p. 733-735
- Geneviève Piron, Lada Umstätter, éds., L'Utopie au quotidien : La vie ordinaire en URSS, 1953‑1985 - Olga Medvedkova p. 735-737
- Fabien Bellat, Amériques URSS : Architectures du défi - Vincent Hecquet p. 737-741
- Slava Gerovitch, Soviet Space Mythologies: Public Images, Private Memories & the Making of a Cultural Identity - Grégory Dufaud p. 742-744
- Liliane Hilaire‑Pérez & Larissa Zakharova, éds., Les techniques et la globalisation au xxe siècle (Préface de Patrick Fridenson) - Isabelle Gouarné p. 744-748
- Andy Bruno, The Nature of Soviet Power: An Arctic Environmental History - Stéphane Frioux p. 748-751
- Molly Brunson, Russian Realisms, Literature and Painting, 1840‑1890 - Cécile Pichon‑Bonin p. 751-754
- Irina Paperno, Tchernychevski et l'âge du réalisme : Essai de sémiotique des comportements - Gábor T. Rittersporn p. 754-757
- Michael Kunichika, « Our Native Antiquity »: Archeology and Aesthetics in the Culture of Russian Modernism - Ioulia Podoroga p. 757-760
- Elitza Dulguerova, Usages et utopies : L'exposition dans l'avant‑garde russe prérévolutionnaire (1900‑1916) - Cécile Pichon‑Bonin p. 760-762
- Erika Wolf, Aleksandr Zhitomirsky: Photomontage as a Weapon of World War II and the Cold War - Juliette Milbach p. 762-764
- Valerie A. Kivelson, Ronald Grigor Suny, Russia's Empire - Étienne Peyrat p. 765-767
- Matthew P. Romaniello, Tricia Starks, eds., Russian History through the Senses: From 1700 to Present - Magali Delaloye p. 768-770
- Livres reçus - p. 777-778