Contenu du sommaire : Smart city : 'fiction' et innovation stratégique

Revue Quaderni Mir@bel
Numéro no 96, printemps 2018
Titre du numéro Smart city : 'fiction' et innovation stratégique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • ‪Smart City :"fiction" et innovation stratégique ‪ : Avant-propos - Cynthia Ghorra-Gobin p. 5-15 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce dossier de Quaderni sur la smart city (ville intelligente) se situe à l'intersection de différentes approches de sciences humaines et sociales. Il a pour objectif de questionner le slogan ‘smart city' utilisé non seulement par des ingénieurs des techniques numériques mais aussi par des responsables politiques, des professionnels de l'aménagement urbain et des chercheurs. Il tente de répondre à l'interrogation suivante : la ‘smart city' relève-t-elle d'un récit de « fiction » (e-democracy au-delà de e-government) au service d'une innovation technique – qui tout compte fait se limite à l'optimisation de services urbains (grâce aux capteurs, aux objets connectés et à Internet) – proposée par des entreprises privées ou faut-il plutôt l'interpréter comme une innovation majeure autorisant la fluidité de la ville en cours de recomposition spatiale, sociale et économique sous l'effet de la mondialisation et de la révolution numérique ?
      ‪This special issue of Quaderni on the smart city (ville intelligente) lies at the intersection of different social science approaches. It questions the buzzword smart city not only used by engineers of the digital revolution but also by political officials, planners and researchers. It tries to answer the following interrogation: Does the smart city belong to a “fiction” storytelling (e-democracy beyond e-government) used for a technical innovation – which is actually limited to the optimization of urban services – offered by private firms? Or does it stand up as a major innovation enabling the fluidity of the city involved in a process of spatial, social and economic reconfigurations linked to globalization and the digital revolution?‪
    • La smart city pour voir et concevoir autrement la ville contemporaine - Jean-Marc Offner p. 17-27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au-delà des légitimes critiques adressées à la rhétorique de la smart city, le développement du numérique dans les systèmes urbains peut contribuer à un utile changement de regard sur les villes, dans leurs mutations métropolitaines.Nouveaux services individuels ou collectifs, meilleure connaissance des pratiques et des rythmes urbains, la smart city permet une intelligence des usages. Elle fournit matière à une explicitation des contours de la ville évènementielle, de la ville servicielle, loin de la doxa urbanistique focalisée sur la morphologie des villes.Couteau suisse du citadin métropolitain, le smartphone active des territorialités faites de liens autant que de lieux. La géolocalisation associe le proche et le lointain, la contiguïté et la connexité. Processus de mise en réseau des territoires, la métropolisation trouve ainsi son outil du quotidien des vies mobiles. Les espaces publics y trouvent de nouvelles vocations.Portée tant par les traditionnels gestionnaires des services en réseau que par de grandes et petites entreprises du numérique, la smart city rend visible l'importance de la technique dans l'aménagement et le développement des villes. Ce que les macro-systèmes techniques urbains, protégés par l'opacité des boîtes noires et des réseaux, n'avaient pas rendu possible est paradoxalement encouragé par l'évidence technologique de la smart city. Des infographies urbaines restent à imaginer, qui rendent visibles les métabolismes urbains.Ainsi s'esquisse la métropole contemporaine, dans un enrichissement lexical majeur : le hard, l'objet, la forme laissent place au soft, à l'usage, au métabolisme. L'articulation entre stocks et flux, bâtis et circulations, sédentarités et mouvements, devient ou redevient l'enjeu majeur des gouvernances métropolitaines à inventer.
      ‪While we can legitimately criticise the rhetoric swirling around the smart city, increased use of digital technology in urban systems really can lead to positive changes in how we look at major cities and population centres.Smart cities can provide intelligent new individual and collective services, and provide a better under¬standing of how, when and why we use our cities. They allow us to view and understand the city as a space for events and services, a step away from traditional town planning focused on urban morphology.The smartphone has become a tool for the modern city-dweller, a Swiss-army knife which combines physical places and virtual links to carve out new neighbour¬hoods. Thanks to GPS, the line between near and far, friend and neighbour, has blurred. Smartphones are now becoming a core tool to connect districts, neigh¬bourhoods and people, offering a new lease of life to existing public spaces.Riding on the backs of traditional network service providers and digital service companies of all sizes, smart cities are casting light on the importance of technology in urban planning and development. Where technical urban macro-systems failed, hidden by the cloak of black boxes and networks, smart cities are, paradoxically, succeeding. Now all we need is a clear graphical representation of our urban spaces to show us exactly how they live and breathe.This is the future of the modern metropolis, where the changes are felt deep in the very language we use: the hard, the object and form, is giving way to the soft, the uses and the city's metabolism. The connections between stocks and flows, buildings and traffic, still¬ness and movement are becoming (some not for the first time) the new key issues for metropolitan autho-rities to address.‪
    • ‪La Ville intelligente : objet au cœur de nombreuses controverses‪ - Emmanuel Eveno p. 29-41 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les « Villes intelligentes » sont encore assez largement des objets curieux autant que de curiosité au sein des sciences sociales. Elles ont du mal à s'imposer comme des objets d'étude parce qu'elles ne constituent pas une catégorie facile à identifier et à objectiver. Une des raisons principales de cette difficulté tient au fait que, en même temps que ce sont de proto-objets scientifiques, ce sont aussi des produits commerciaux. Rien là de très inhabituel, c'est souvent le cas des questions nouvelles lorsqu'elles cherchent à s'imposer et avant que ne se mette en place le processus de circulation des idées entre les différents acteurs impliqués soit directement soit indirectement dans la conception des politiques publiques. Nous ne proposons pas ici de définition scientifique de la « Ville intelligente », nous nous efforçons de mettre en lumière à quelles questions scientifiques renvoie cette émergence et ce en quoi elle propose d'éventuelles réponses. Peu importe que l'expression « Ville intelligente » s'implante ou non, elle cristallise pour le moment une part significative des questions émergentes dans le développement urbain contemporain : la place des mégadonnées, la modernisation/transformationˮ des services urbains, le statut d'acteurs-discrets des habitants/citoyens…
      ‪‟‪‪Smart citiesˮ are still largely curious objects as much as curiosity in the social sciences. ‪They have difficulty in establishing themselves as objects of study because they are not an easy category to identify and objectify. One of the main reasons for this difficulty is that, along with scientific proto-objects, they are also commercial products. This is not unusual: it is often the case with new questions when they are trying to impose them¬selves and before the process of circulation of ideas between the different actors involved either directly or indirectly in the design of public policies. We do not suggest here a scientific definition of the ‟smart cityˮ, we try to highlight to what scientific questions this emergence refers and in what it suggests possible answers. Regardless of whether or not the term ‟smart cityˮ is being implemented, it is currently capturing a significant share of emerging issues in contemporary urban development: the place of big data, the moder-nization / transformation of urban services, the status of discrete actors of the inhabitants / citizens…
    • ‪De l'audace technique à la conformation politique ? Quelques hypothèses de retour de la Silicon Valley‪ - Stève Bernardin p. 43-57 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Écologie, rentable et sûre : la « ville intelligente » apparaît aujourd'hui comme une panacée. Ses promoteurs les plus enthousiastes en font une évidence : les technologies numériques constituent un remède idéal face aux problèmes présents et futurs des villes contemporaines. Leurs détracteurs dénoncent un discours technocratique, porté par des élites économiques ne tenant pas compte des réalités politiques et sociales. Le présent article vise à prendre au sérieux les deux perspectives, en interrogeant les conditions de production du discours des industriels du secteur numérique. Quelle en est la genèse économique et sociale ? Qui le porte concrètement, et comment ? Des hypothèses fortes se dessinent avec une première enquête exploratoire menée au cœur de la Silicon Valley, en Californie. Elles invitent à ne pas céder trop rapidement aux facilités de la dénonciation technocratique, pour souligner un travail plus subtil de définition et de légitimation politique et sociale des problèmes publics auxquels est censé répondre l'avènement de la ville intelligente. À partir de l'ethnographie d'une conférence de professionnels du secteur, l'analyse témoigne plus précisément des contraintes autant que des ressources propres aux industriels en venant à porter leurs demandes en public. Elle amène finalement à interroger l'hypothèse d'une conformation de leurs porte-parole à un jeu politique dont ils cherchent aujourd'hui à maîtriser toutes les règles.
      ‪To their promoters, « smart cities » are clean, safe, and sober. They come as an obvious remedy for some of the most critical problems of the cities worldwide. Their opponents do not share such optimism. They do not want of a technocratic discourse held by economic elites. To them, digital devices and sensors won't solve any political or social problems in the cities. This paper calls for a detailed analysis of both approaches. More precisely, it is an invitation to analyze the core sources of the current discourse on smart cities. Under which circumstances was it created? Who are its main pro¬moters? How do they push now for their own agenda? The hypotheses presented here were developed after a series of interviews and ethnographical research in California, in February 2016. They shed light on a process through which social issues became a priority for some key actors of the digital economy. It led to a profound redefinition of the technocratic ideal of the smart city, to overcome some initial resistances expressed by local bureaucrats. The analysis not only puts the emphasis on the institutional constraints faced by the economic actors of the digital industry. It also underlines the key resources they now try to use to conform to what they perceive as the rules of the political field.‪
    • ‪Grenoble et la « Smart City ». Entretien avec Éric Piolle, maire de Grenoble‪ - Kevin Brookes p. 59-70 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Éric Piolle a été élu maire de Grenoble en 2014 à la tête d'une coalition rassemblant des écologistes, des membres de « La France Insoumise » et de diverses associations citoyennes. Dans cet entretien, réalisé en septembre 2017, il nous expose ses critiques vis-à-vis d'une conception trop technophile et élitiste de la «  Smart City  ». Ce vocable polysémique est souvent utilisé pour faire du maire un gestionnaire central d'un certain nombre de flux (énergétiques, économiques, etc.). Sans rejeter l'intérêt que présentent certaines innovations technologiques pour l'administration des communes, il oppose à cette démarche verticale une démarche alternative. Les technologies doivent être mises au service d'un projet émancipateur pour des citoyens informés et capables d'arbitrer entre leur intérêt individuel et l'intérêt général. Ceci passe notamment par leur implication plus grande dans le débat public, mais également par leur participation à des instances de gestion énergétique. Cette vision n'est pas empreinte de certaines ambiguïtés, particulièrement quant à la place des entreprises privées. Elles sont considérées par Éric Piolle comme des alliées, mais avec lesquelles il faudrait une relation critique car elles incarnent des intérêts particuliers parfois en tension avec les projets de la ville.
      ‪Éric Piolle was elected mayor of Grenoble in 2014 as a leader of a coalition of ecologists, members of “La France Insoumise” (left), and various associations of citizens. ‪In this interview conducted in September 2017, he presents his criticisms of an elitist and technophile vision of the “Smart City.” This fuzzy concept is often used to consider the mayor as a central manager of a certain number of flows (energetical, economical etc…). However, Eric Piolle does not fully reject the benefits of some technological innovations for the good management of cities. Against the top-down approach of the “Smart City” he offers an alternative and bottom-up approach. For him, technologies must be put to work for the benefit of an emancipating project for citizens who would become more informed to rule between their personal and the public interest. This implies that they get more involved in the public debate, but also in local bodies of energy management. This vision is not free from several ambiguities, especially as far as the place of private firms are concerned. They are considered as allies, but it implies a critical and distant relationship at the same time because of the tension between their vested interest and the projects of the city.
    • ‪Smart City : quelle intelligence pour quelle action ? Les concepts de John Dewey, scalpels de la ville intelligente‪ - Marc Chopplet p. 71-86 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      John Dewey (1859-1952), philosophe de l'école pragmatique nord-américaine propose des définitions de l'intelligence, des données, de la connaissance orientées vers l'action que l'on retrouve dans les problématiques de la Smart City. Cet article confronte les discours et les conceptions de la ville intelligente à cette clé de lecture. Cette approche, décentrée par rapport aux travaux habituels sur la Smart City, permet une analyse des convergences comme des écarts où se jouent les questions de l'agir créatif, de la démocratie, de la technologie et les stratégies des différents acteurs publics et privés.

      ‪John Dewey (1859-1952), a philosopher of the North American pragmatic school, offers definitions of intelligence, data, and knowledge oriented towards action close to those of the Smart City. ‪This paper confronts the discourses and conceptions of the Smart City with this key of reading. Decentralized compared to the usual work on the Smart City, this approach allows an analysis of similarities and gaps by questioning the strategies of different public and private actors, the place and orientations of digital technologies as the underlying conceptions of democracy.
  • Politique

    • ‪Fake news et post-vérité. De l'extension de la propagande au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France‪ - Patrick Troude-Chastenet p. 87-101 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le phénomène des fake news a commencé a polarisé l'attention des observateurs en 2016 dans le cadre de la campagne référendaire au Royaume-Uni portant sur le Brexit et lors de l'élection présidentielle aux États-Unis. La combinaison d'informations trompeuses et de prétendus faits alternatifs nous a-t-elle fait basculer imperceptiblement dans une nouvelle ère de la communication connue sous le nom de post-vérité ? Si cette situation n'est pas totalement inédite et rappelle opportunément que la propagande ne se conjugue ni au passé, ni exclusivement au-delà de nos frontières elle comporte sa part de spécificité. Elle atteste de l'ambivalence de l'internet capable d'encourager l'expression de la démocratie participative tout autant que les formes d'extrémisme, de complotisme et de populisme. Elle ruine également l'illusion communicationnelle consistant à croire que l'on démocratiserait l'information – donc la démocratie elle-même – en accroissant la masse des contenus et en multipliant le nombre et la vitesse de ce que l'on appelait naguère « les autoroutes de l'information ».
      ‪The phenomenon of fake news began to draw observers' attention in 2016, during the UK referendum campaign on Brexit and the US presidential election. Has the combination of misleading information and so-called alternative facts tipped us imperceptibly into a new, “post-truth” era of communication? Even if this phenomenon is not totally unprecedented, and serves to remind us that propaganda exists not only in the past or in other countries, it has its own unique aspects. It demonstrates the internet's ambiguity in encouraging the expression not only of participatory democracy but also of extremism, populism, and conspiricism. It also destroys the illusion that if we increase the volume of information, and the speed at which it is delivered on what was formerly called “the information superhighway” we will democratize information – and therefore democracy itself. ‪
    • ‪Algorithme, management, crise : le triptyque cybernétique du gouvernement de l'exception permanente‪ - Baptiste Rappin p. 103-114 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Michel Foucault a montré comment la compréhension du pouvoir et de ses mécanismes ne pouvait se limiter à la seule souveraineté ; c'est la raison pour laquelle il introduisit la notion de biopouvoir, dans sa double dimension de discipline et de biopolitique. Agamben s'inscrit dans les pas du philosophe français mais opère un retournement : il montre en effet que la gouvernementalité repose moins sur la norme que sur l'exception. Notre article vise à poursuivre cet effort en établissant que la cybernétique constitue la matrice du gouvernement contemporain de l'exception permanente. Sont alors passées en revue les trois modalités de ce nouveau pouvoir : le gouvernement algorithmique, le gouvernement managérial, le gouvernement critique.
      ‪Michel Foucault showed that the understanding of power and of its mechanisms cannot be restricted to sovereignty; that's why he introduced the notion of biopower, in its double dimension of discipline and biopolitcs. Agamben continues the French philoso-pher's work, but proceeds to a turnaround: indeed, he establishes that governmentality is less based on norms than on exception. Our article aims at comple-ting this effort by showing that cybernetics constitutes the matrix of contemporary government of permanent exception. We then go through the three forms of that new power: algorithmic government, managerial government and critical government.‪