Contenu du sommaire : États, nations, communautés
Revue | Confluences Méditerranée |
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Numéro | no 105, été 2018 |
Titre du numéro | États, nations, communautés |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier - États, nations, communautés
- Introduction - Jacques Huntzinger p. 9-11
- L'Empire ottoman : retour sur la gestion politique d'un espace pluriel - François Georgeon p. 13-22 L'empire ottoman a été d'une diversité considérable sur le plan ethnique et religieux. La gestion de ce pluralisme s'est d'abord opérée de façon inégalitaire mais apaisée avant qu'une réorientation politique s'opère au XIXe siècle. La perspective d'une égalité citoyenne a semblé déboucher avec la révolution de 1908. Entre-temps, un changement de contexte au sein même de l'empire et sur son voisinage avait commencé à déstabiliser l'édifice ottoman qui s'est finalement effondré. Revenir sur la gestion de la diversité par les Ottomans demeure nécessaire quand il s'agit aujourd'hui de penser des sociétés plurielles.
- États et communautés en Iran hier et aujourd'hui - Yann Richard p. 23-35 Le système impérial iranien contenait des règles de respect des minorités soumises. L'arrivée de l'islam, au 7e siècle, a créé des minorités « protégées » dont les droits ne pouvaient pas être égaux à ceux des musulmans. Les injustices ont été encore plus grandes envers les Bahâ'is, dont la religion est née à la fin du 19e siècle. Et la création d'un régime constitutionnel en 1906 a transformé les minorités « reconnues » en communautés de seconde catégorie, séparées de la nation. L'unanimisme révolutionnaire a encore plus accentué cette aliénation malgré la reconnaissance explicite de droits politiques aux minorités « reconnues ».
- Les chiites et les Ottomans : histoire d'une non-reconnaissance - Pierre-Jean Luizard p. 37-46 Contrairement aux chrétiens et aux juifs, les chiites ottomans n'eurent jamais de reconnaissance officielle de la Sublime Porte. Cette non-reconnaissance était d'ailleurs mutuelle. Toutefois, les relations entre les autorités ottomanes et les chiites dépendirent largement des aléas de la vie politique interne comme extérieure, au premier rang desquels les relations avec la Perse voisine.
- La confrontation Sunnites-Alevis en Turquie : l'impossible reconnaissance - Thierry Zarcone p. 47-63 La reconnaissance de l'islam des Alévis, qui constitue un groupe à part en raison de ses croyances singulières, à côté des importantes composantes sunnite et chiite de cette religion, constitue un enjeu majeur pour la Turquie contemporaine. Le parti AKP de Recep Tayib Erdoğan, au pouvoir depuis 2002, s'emploie, en effet, à essayer de trouver une place et juridique, et religieuse à cette mouvance mais son conservatisme place des obstacles théologiques insurmontables. Il est, en conséquence, impossible à l'AKP de reconnaître les alévismes tels quels, leurs croyances et leurs rites étant inacceptables s'ils ne sont pas réinterprétés, remodelés ou corrigés conformément aux normes du sunnisme auquel le parti est lié, ou du chiisme qu'il reconnaît.
- Les alaouites dans l'histoire du Proche-Orient moderne : une intégration inachevée - Bruno Paoli p. 65-77 L'histoire des alaouites de Syrie est celle d'une minorité musulmane chiite méprisée et persécutée dont l'intégration à son environnement social, économique et politique a tardé à se faire et reste encore inachevée. La politique de l'Empire ottoman, alternant coercition et volonté d'intégration, permit toutefois de former, au tournant du xxe siècle, et malgré la résistance des élites citadines sunnites, des personnalités alaouites qui jouèrent un rôle de plus en plus actif dans la vie sociale, économique et politique de la région, puis, à l'époque du Mandat français, dans celle de la Syrie naissante. Ils contribuèrent, ce faisant, à un début d'émancipation de la communauté qui, à l'indépendance du pays et jusqu'au coup d'État de 1963, fut malheureusement classée sans suite par les élites citadines sunnites qui monopolisaient le pouvoir.
- Les alaouites au Liban : entre appartenance nationale et allégeance au régime syrien - Carine Lahoud Tatar p. 79-96 L'étude de la communauté alaouite au Liban suscite un intérêt croissant en raison des développements dramatiques de la guerre en Syrie et de ses débordements au Liban. Perçue à tort ou à raison comme une alliée naturelle du régime de Damas en raison des liens informels et formels séculaires qui la rattachent à son hinterland syrien, elle opère dans un environnement socio-politique façonné par un régime communautaire et un système confessionnel, et par trente années de tutelle syrienne. La remise en question de la pax syriana depuis 2005 imposée par le « grand frère » dans le cadre de sa stratégie de stabilisation du Liban au lendemain de la guerre civile de 1975-1990, puis le conflit en Syrie qui a éclaté en 2011, sont autant de contraintes qui pèsent sur la communauté, et lui imposent un repositionnement stratégique et une redéfinition de ses relations avec l'État libanais, avec les différentes communautés religieuses nationales et avec le régime de Bachar al-Assad.
- Irak, épicentre de l'affrontement entre sunnites et chiites : de l'État arabe sunnite au tandem chiito-kurde - Pierre-Jean Luizard p. 97-111 À plus de 80 années de distance, les pays occidentaux (Grande-Bretagne puis États-Unis) ont projeté sur l'Irak les valeurs et les principes qui étaient les leurs au moment de leur occupation militaire du pays. État-nation arabe en 1920 au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, fédéralisme en 2005 au nom d'une démocratisation annoncée du Moyen-Orient. Chaque expérience s'est soldée par un échec, emprisonnant la société irakienne dans un système de domination ethnique (Arabes et Kurdes) et confessionnel (chiites et sunnites). Au monopole du pouvoir par des élites arabes sunnites a succédé un tandem branlant chiito-kurde. Ces systèmes communautaristes successifs ont engendré leur lot de répressions et de guerres internes et extérieures.
- Les Kurdes d'Irak : une difficile formule politique - Adel Bakawan p. 113-130 De la chute de Bagdad en 2003 à la chute de Kirkuk en 2017, le Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) est passé par plusieurs phases dans ses relations avec Bagdad. En 2003, les Kurdes s'engagent massivement dans la reconstruction de l'Etat irakien. Pour la première fois dans l'histoire de l'Etat irakien, un Kurde devient Président de la République et un autre ministre des affaires étrangères. Toutefois, suite à l'échec du projet de l'« irakisation » des Kurdes, le GRK organise un référendum pour son indépendance et le « Oui » obtient 92,7 % des voix. Percevant cette initiative comme une « désobéissance », la communauté internationale impose au GRK une « punition relative » qui lui fait perdre le contrôle de toutes les zones disputées entre Erbil et Bagdad, notamment la ville de Kirkuk, que les Kurdes considèrent comme leur « Jérusalem ».
- Les Yézidis, entre reconnaissance de l'identité et émigration - Shivan Darwesh p. 131-139 Le génocide des Yézidis par Daech constitue le point d'orgue d'une persécution quasi permanente par l'islam. Les Yézidis ont beau croire en un seul Dieu, leur religion n'a jamais été reconnue digne de considération par l'islam au même titre que les religions dites du Livre. Ainsi, les tenants de l'islam ont cherché à convertir les Yézidis. Devant leur refus, de nombreuses campagnes militaires ont été menées depuis des siècles et ce jusqu'à aujourd'hui afin de les soumettre par la force. Elles ont souvent débouché sur des massacres de masse. Pour échapper à leurs bourreaux, les Yézidis survivants se sont cachés dans des régions montagneuses et isolées afin de rester hors d'atteinte des lois islamiques et de ne pas être enrôlés de force dans les armées ennemies. Le fait d'exercer leur religion dans le secret a renforcé la conviction chez les musulmans que les Yézidis sont les « adorateurs du diable », justification toute trouvée pour continuer d'ordonner leur anéantissement. On compte aujourd'hui, selon les sources, environ un million de Yézidis dans le monde. Leur nombre n'a fait que diminuer depuis des siècles à cause des massacres répétés. La majorité d'entre eux ne vit plus dans ses territoires d'origine. Forcés d'émigrer, ils se sont réfugiés dans les pays de l'ex-URSS, de l'Arménie et de l'Europe. Les revendications des chefs yézidis auprès des autorités musulmanes par la médiation diplomatique européenne pour cesser ces massacres ont été vaines.
- Syrie : la confessionnalisation politique n'est pas une fatalité - Bassma Kodmani p. 141-150 La société syrienne est fragmentée et menacée de division non pas tant en raison de la diversité des communautés qui la composent mais du fait d'une stratégie de confessionnalisation du système politique et de l'appareil sécuritaire que la famille Assad a instaurée en près de cinquante ans. La manipulation de la diversité par le pouvoir semble avoir détruit les bases du vivre ensemble. Pourtant les Syriens continuent de planifier leur avenir dans un État unitaire et rejettent le partage du pouvoir sur des bases communautaires sur le modèle du Liban ou de l'Irak.Syrian society is fragmented and its unity is threatened. This is not due to its ethnic and sectarian diversity per se but rather to a strategy of sectarian organization of the political and security system led by the Assad family for almost 50 years. This policy seems to have destroyed the foundations of coexistence between the various communities of the country. Yet Syrians continue to plan their future within a unitary State and are opposed to a power-sharing system on sectarian bases along the models of Lebanon or Iraq.
- Gérer le multi-communautarisme au Liban : comment la loi électorale s'y prend-elle ? - May Maalouf Monneau p. 151-167 Abordée dans un contexte social hétérogène, la loi électorale pour les législatives peut constituer un véritable défi. S'appuyant sur le terrain libanais, notre article met en exergue les subtilités aussi bien constitutionnelles que politiques, inhérentes à l'orchestration du multi-communautarisme du pays. Il démontre que la nouvelle loi électorale de juin 2017, mise en œuvre pour la première fois lors des élections législatives de mai 2018, peut difficilement préparer le terrain à l'objectif constitutionnel d'une représentation parlementaire non confessionnelle.
Variations
- Déconstruire la radicalisation : implications et limites de la notion - Marie Dumoulin p. 171-181 La notion de radicalisation s'est imposée dans le débat public mais sa définition continue de faire l'objet de débats qui témoignent de la relative imprécision des phénomènes qu'elle est censée décrire. Elle est en fait, par elle-même, porteuse d'au moins trois illusions d'optique : elle conduit à centrer le débat sur la place de l'élément religieux dans les phénomènes de radicalisation, donc à rendre au fond impossible une réflexion apaisée sur ces sujets ; elle suppose une forme de similitude entre les phénomènes qu'elle décrit, quel qu'en soit le contexte politique, social ou culturel, et occulte du même coup les dynamiques locales spécifiques et les profondes différences d'appréciation de ce que recouvre la « radicalité » d'une société à l'autre ; enfin elle présuppose une linéarité donc une nécessité dans le parcours des individus radicalisés, faisant de la récurrence de certains éléments de leurs profils des facteurs de causalité de leur engagement djihadiste. Mais la notion de radicalisation est aussi porteuse d'une conception du rapport entre la croyance et l'action qui tend à nier le caractère volontaire de l'engagement radical, faisant de l'individu le jouet d'idées qui lui seraient inculquées de l'extérieur – et pourraient par conséquent être combattues par un contre-discours, conçu comme l'antidote au poison radical. Ces limites implicites et impensées de la notion de radicalisation doivent inciter à définir et nommer précisément les phénomènes contre lesquels les politiques publiques peuvent et doivent intervenir.
- Le djihadisme européen, les acteurs, les actrices et la structure urbaine - Farhad Khosrokhavar p. 183-198 Le djihadisme sous l'Etat islamique (2013-2016) a introduit une césure par rapport au passé qui se manifeste en particulier par la diversité des profils des candidats, eu égard au genre (10 % des femmes sur les 5000 Européens qui sont partis en Syrie et en Irak), à l'âge (une fraction d'adolescents et d'adolescentes allant jusqu'à 10 % et plus selon les pays européens), aux classes sociales (une minorité significative de classes moyennes, probablement entre le tiers et le quart), des psychopathes (un nombre beaucoup plus significatif que durant la période précédente 2000-2013), des convertis (entre 8 et 20 % selon les pays européens)… Cette diversité d'acteurs et d'actrices n'existait pas auparavant. Des zones urbaines spécifiques (surtout les banlieues, les quartiers enclavés et pauvres peuplés de migrants, mais aussi une minorité de quartiers de classes moyennes) donnent l'image de « l'urbain djihadogène » en Europe. La constitution d'un Etat apocalyptique (Daech), la mise en œuvre de technique de pointe pour amadouer les jeunes sur la Toile ainsi que l'absence d'utopie et de vocation dans les sociétés européennes ont été à l'origine de cet engouement. Jihadism under the Islamic State (2013-2016) has introduced a break with the past, which manifests itself in particular by the diversity of the profiles of the candidates, with regard to gender (10 % of women out of the 5,000 Europeans who left for Syria and Iraq), age (a fraction of teenagers up to 10 % or more depending on European countries), social classes (a significant minority of middle classes, probably between one third and quarter), psychopaths (a much more significant number than in the previous period 2000-2013), converts (between 8 and 20 % depending on the European countries)... This diversity of actors did not exist before. Specific urban areas (especially the suburbs, remote and poorly populated neighborhoods of migrants, but also a minority of middle-class neighborhoods) give the image of the “jihadogenic urban structure” in Europe. The constitution of an apocalyptic State (Daech), the implementation of cutting-edge technology to coax young people on the Web and the lack of utopia and calling in European societies have been at the origin of this craze.
- Le djihadisme français, avatar sinistre du voyage en Orient et produit monstrueux de la modernité - Louis Blin p. 199-210 La radicalisation djihadiste repose sur une conception manichéenne de la dichotomie entre Orient et Occident, qui constitue l'un des fondements de notre culture comme de la propagande de Daech. Elle caricature inconsciemment le voyage en Orient, genre façonné en art et en littérature par besoin de définir l'identité française en référence à l'Autre. Le voyage du djihadiste français en Orient répond à des préoccupations religieuses en apparence, qui recouvrent en fait une soif de renaissance exotique. Les djihadistes instrumentalisent l'islam comme l'Occident joue avec l'Orient. Leur islam imaginaire ne s'apparente pas davantage à la religion musulmane que l'Orient fantasmé de nos voyageurs ne ressemblait à l'Orient réel
- Hommages à Pierre Milza, Konstantin Mitsotakis et Kostas Vergopoulos - Christophe Chiclet p. 211-219
- Déconstruire la radicalisation : implications et limites de la notion - Marie Dumoulin p. 171-181