Contenu du sommaire : Garder les morts vivants

Trois mois après l'attentat du 11 mars 2004 à Madrid, un dispositif informatique relié à un site internet fut installé dans les gares frappées par les terroristes afin de recueillir les messages de condoléances et de solidarité destinés aux victimes. Visant à transposer sur un plan virtuel les mémoriaux populaires qui s'étaient formés dans ces gares, il resta en place trois ans. Fondé sur plusieurs centaines d'heures d'observation menée dans la gare d'Atocha au cours de cette période, cet article rend compte des usages de ce dispositif qui reste à ce jour inédit. Il montre en particulier en quoi ils peuvent être analysés à la fois comme des actes d'écriture collectifs et des rituels de solidarité. Cette analyse permet ainsi de mettre en perspective le contenu des messages enregistrés via ce dispositif en même temps qu'elle peut se lire comme une contribution plus générale à l'étude des pratiques mémorielles post-attentats.

À travers une cartographie de la médiatisation des décès de personnalités, cet article rend compte des façons dont les médias fabriquent la célébrité post mortem et esquissent des régimes de valorisation et de reconnaissance de certaines vies et de certaines morts. Il s'agit d'abord, par une analyse quantitative et qualitative de la médiatisation des décès de l'année 2012, d'interroger les processus journalistiques d'allocation de valeur à ces disparitions et de repérer ce qui, dans les vies et les morts de personnalités, mérite d'être traité et récompensé. L'objectif est ensuite de montrer dans quelle mesure la médiatisation des décès de personnalités constitue un moment de catégorisation journalistique, conduisant à la célébration de certaines identités au détriment d'autres.

Cet article rend compte de la manière par laquelle un travail émotionnel peut être opéré à l'occasion du décès d'un utilisateur ou d'une utilisatrice sur Facebook, au travers des pratiques d'écriture qui prennent place sur les pages profil de personnes décédées et sur les pages « groupe » à visée commémorative créées après le décès. L'objectif est d'abord, par une analyse des conditions générales d'utilisation de ce site de réseautage social, des outils d'écriture, et des publications qui prennent place sur 44 pages profil se rapportant à 42 personnes décédées immédiatement après leur décès, de cerner les actes d'instauration d'autres modes d'existence possibles pour les personnes défuntes sur Facebook. L'objectif est ensuite, par l'analyse de l'ensemble des pratiques d'écriture qui se déploient sur ces pages après le décès, de sept entretiens et d'une observation flottante du phénomène, de comprendre comment les « communautés émotionnelles » se constituent autour de la « production » du défunt ou de la défunte sans toutefois être exemptes de conflictualité. L'objectif est enfin, par la comparaison de ces pratiques d'écriture avec celles qui se déploient sur 34 pages « groupe » à visée commémorative se référant à l'une ou l'autre de ces 42 personnes décédées, de mettre au jour la manière par laquelle Facebook rend possible la production de défunts ou de défuntes « métonymiques », c'est-à-dire représentant l'ensemble des personnes décédées d'une manière analogue, ainsi que l'élargissement des communautés émotionnelles de ces personnes, et avec quelles conséquences.

Être sur internet, c'est exister comme un être de données constituant des profils qui doublent l'existence des individus physiques et leur survivent. À l'avenir, internet est donc appelé à contenir plus de données post mortem que de données personnelles relatives à des personnes vivantes. Quel sort réserver à ces données ? Pendant longtemps, le droit était resté muet sur cette question, le droit des données personnelles s'arrêtant à la mort de la personne. L'analyse comparée de l'évolution du droit aux États-Unis et en France permet de déceler une différence de conception entre une approche basée sur le référentiel du droit à la vie privée et à la protection des données, et celle qui s'inspire du régime successoral et patrimonialise les données post mortem.

Dès les années 1970, une partie de la jeune communauté des ingénieurs en informatique, tournée vers les technologies étatsuniennes, travaille à importer en France des solutions de réseau de données contrastant avec les modèles en vigueur dans les télécommunications. Le réseau FNET, branche locale française d'une infrastructure de réseaux liant les États-Unis à l'Europe via le nœud central EUNET aux Pays-Bas, est une de ces solutions, fondée sur le protocole UUCP. Réseau international de « machines Unix », il est parmi les premiers, les plus actifs et les plus larges à connecter les milieux de la R&D informatique, et préfigure les premières liaisons internet en Europe. Reposant sur une organisation collective et autogérée, ce projet non planifié se développe à la faveur de liens associatifs scientifiques et industriels horizontaux. Cultivant un esprit d'indépendance face aux institutions, il déploie un imaginaire pionnier mais repose, de facto, sur des infrastructures de recherche et de télécommunications publiques. L'histoire des réseaux Unix dans l'Europe des années 1980 permet de réinterroger les utopies autonomistes célébrées par les récits sur l'histoire des réseaux informatiques à l'aune des conditions institutionnelles dans lesquelles ils ont pris place.

La mesure de placement au titre de l'assistance éducative sépare enfant et parent au nom du danger pour l'enfant. Les droits de visite, d'hébergement et de correspondance décidés par le juge et attribués aux parents assurent le maintien du lien familial. Parallèlement, la correspondance numérique familiale ouvre un champ des possibles dans la continuité des liens et une autonomie relationnelle pour les enfants, les fratries, les parents… Interrogeant à la fois les formes de correspondance familiale et les catégories sociojuridiques de la protection, l'article s'intéresse à l'émergence d'un droit de correspondance numérique spontané et vise à mettre en perspective les principes juridiques avec les pratiques des acteurs familiaux et professionnels dans le contexte spécifique de la protection de l'enfance.