Contenu du sommaire : Les savoirs militants
Revue | Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique |
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Numéro | no 138, 2018 |
Titre du numéro | Les savoirs militants |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Le mot de la rédaction - Anne Jollet p. 5-8
DOSSIER
- Introduction : Ce que l'engagement fait aux savoirs, ce que les savoirs font à l'engagement - David Hamelin, Jérôme Lamy, Laurent Willemez p. 11-14
- Savoirs militants - Jérôme Lamy p. 15-39 Les savoirs militants rassemblent une large gamme de connaissances élaborées, mobilisées et diffusées pour contrarier et combattre des processus de domination. Trois grands ensembles de façon d'articuler le savoir et le politique aux fins d'une émancipation universelle ont été repérés par les historiens et les sociologues. Les savoirs populaires correspondent à des modalités discrètes de contestation des frontières instaurées par la science académique. Les savoirs amateurs, profanes ou citoyens, renvoient à des processus de politisation très généraux : ce sont les qualités nécessaires au bon fonctionnement démocratique qui sont requises. Les savoirs en lutte correspondent davantage à une mobilisation immédiate et pratique de connaissances pouvant directement servir un combat politique. Si la politisation des savoirs entre, a priori, en contradiction avec l'autonomie du champ scientifique, c'est en fait la poursuite de l'idéal émancipateur des Lumières que les savoirs militants peuvent poursuivre, en y adjoignant un degré supplémentaire de réflexivité qui fasse droit à des formes moins normatives de connaissance.
- James Guillaume et l'usage des statistiques : un savoir au service de l'émancipation - Jean-Charles Buttier p. 41-58 James Guillaume a été l'un des dirigeants des internationalistes suisses dans les années 1860-1870, au sein de la Première Internationale puis de la Fédération jurassienne. Travailleur intellectuel, il s'est investi dans les débats de l'AIT sur l'usage de la statistique. Exilé en France à partir de 1878, il a ensuite concouru à l'élaboration des outils intellectuels qui ont accompagné la naissance de l'école républicaine, aux côtés de Ferdinand Buisson. Il a continué de s'intéresser à l'usage de ces savoirs de computation et plus particulièrement à la statistique historique, en particulier celle de l'école révolutionnaire. Cet article analyse le transfert qui s'est opéré d'un usage militant des statistiques dans le cadre de l'Internationale à un usage officiel de la statistique scolaire sous la Troisième République. Il suivra pour cela le parcours d'un intellectuel qui s'est engagé dans ces deux entreprises politiques de natures très différentes et pour lesquelles il a fait un usage militant de la statistique.
- La difficile acquisition de la « science de son malheur » - David Hamelin p. 59-79 La construction et le développement du syndicalisme français à la Belle Époque s'accompagnent de l'exigence partagée de construire des savoirs militants. Ils doivent faciliter la compréhension des mécanismes de domination auxquels sont confrontés les travailleurs et permettre de légitimer le rôle du syndicalisme incarné par la toute jeune CGT. Cette exigence, qui s'illustre de différentes façons (statistiques du marché du travail, enseignement, enquêtes ouvrières…) n'en est pas moins limitée par la modestie des moyens dont le syndicalisme dispose, par le manque d'intérêt des syndiqués eux-mêmes, mais aussi par la concurrence avec la force publique, qui déploie parallèlement ses propres outils d'observation et d'encadrement du monde social.
- De la formation à la coopération aux pédagogies coopératives : le rôle de l'Office central de la coopération à l'école dans l'entre-deux-guerres - Olivier Chaïbi p. 81-98 Cet article revient sur les origines de l'OCCE (Office central de la coopération à l'école) créée par le mouvement des coopérateurs dans l'entre-deux-guerres dans le but de faire des écoliers français de futurs coopérateurs. Le projet, porté initialement par des cadres de l'Instruction publique, des universitaires et des militants de la coopération, croise les dynamiques locales initiées par les militants des pédagogies « nouvelles ». Au-delà des querelles idéologiques et des aléas économiques, il en résulte la création d'une structure pédagogique qui n'a cessé de croître tout au long du XXe siècle, tout en restant en permanence tiraillée entre son souci d'efficacité financière (assurer des revenus complémentaires aux écoles) et ses objectifs militants (initier les enfants à la vie coopérative et aux valeurs de l'économie sociale).
- La Bibliothèque des arts graphiques : être utile (1929-1983) - Marie-Cécile Bouju p. 99-113 La Bibliothèque des arts graphiques (BAG) a été créée en 1929, à la suite du don de la bibliothèque du typographe et journaliste Edmond Morin à la Ville de Paris en 1918. Cette collection était l'aboutissement des engagements syndicaux et professionnels de Morin. Cet engagement était aussi révélateur de l'importance de la documentation et des bibliothèques privées dites « populaires » dans les pratiques culturelles et sociales au XIXe siècle. Si la BAG devint une bibliothèque spécialisée de la Ville de Paris, elle n'en conserva pas moins un fonctionnement proche des bibliothèques populaires, de type associatif. Mais cette identité de « bibliothèque populaire » heurtait les militants de la lecture publique, dont un des objectifs était la professionnalisation des pratiques et des personnels. Ceci conduisit à une marginalisation de la BAG après la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 1970, où elle intégra réellement le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris, au prix de l'abandon d'un fonctionnement qui reposait sur le bénévolat.
CHANTIERS
- Le rôle du comité d'entreprise de la Régie nationale des usines Renault dans le développement des clubs de canoë : sociabilités et territoires - Antoine Marsac p. 117-135 À la Libération, la Régie nationale des usines Renault (RNUR) a encouragé la création d'associations sportives. Regroupant des salariés portés par le développement du comité d'entreprise (CE), les représentants syndicaux se sont appliqués à promouvoir le sport comme creuset de sociabilité des travailleurs. Dans ce contexte, il s'agit de montrer en quoi, à travers l'histoire des clubs, les rapports entre loisir et territoire marquent les relations ambivalentes entre ces associations et la direction de la RNUR. En effet, les dirigeants de la firme insufflent une forme de « paternalisme sportif ». Le soutien à la compétition révèle les conflits entre la direction et le syndicat majoritaire, la CGT, porteuse d'idéaux en tension avec la logique de performance. Mais en dépit de conflits et de crises, employés et ouvriers ont cohabité à la faveur de l'action du CE.
- Le rôle du comité d'entreprise de la Régie nationale des usines Renault dans le développement des clubs de canoë : sociabilités et territoires - Antoine Marsac p. 117-135
MÉTIERS
Aux sources de l'histoire
- Chez l'habitant, ou… de l'URSS à la Russie (1990-2015) - Dominique Thoirain p. 139-149 Un étranger ne pouvait louer un appartement chez un particulier à Moscou ou dans les autres villes du pays jusqu'au milieu des années 1980. C'est devenu possible lorsque la libéralisation économique amorcée par les réformes de Mikhaïl Gorbatchev, plus connues sous le nom de perestroïka (1986-1991), a permis de développer ce type de pratique. Logeant chez l'habitant, j'ai pu comprendre les mutations du quotidien des Moscovites dans la période de bouleversement politique et économique qui a suivi.
- Chez l'habitant, ou… de l'URSS à la Russie (1990-2015) - Dominique Thoirain p. 139-149
Transmettre l'histoire
- Rolande Trempé, une historienne dans l'histoire - Michel Pigenet p. 151-156
DÉBATS
- Ce que fait la littérature - Dinah Ribard p. 159-173 Cet article présente une approche historienne de la littérature, qui consiste à la regarder en tant que fait d'histoire et en s'interrogeant sur ce qu'elle fait aux sociétés dans lesquelles elle est présente. Les pratiques d'écriture particulièrement poétiques des ouvriers permettent de mesurer cette action de la littérature : l'apparition, au XVIIe siècle, du premier auteur ouvrier célébré comme tel par tous les littérateurs de son temps et suivi, au XIXe siècle, par d'autres figures de poètes ouvriers, a profondément modifié ces pratiques en faisant du poète une exception extraordinaire, miraculeusement capable d'échapper à l'impossibilité, pour un ouvrier, de faire de la littérature. Le cas d'un joaillier presque contemporain de ce premier poète ouvrier, totalement ignoré bien qu'il ait fait imprimer un recueil de poèmes, est ici confronté à celui du Menuisier de Nevers pour voir la littérature à l'œuvre.
- Ce que fait la littérature - Dinah Ribard p. 159-173
LIVRES LUS
- Foulques de Cambrai, La fondation de l'abbaye de Vaucelles - Jérôme Lamy
- Roland Saussac, L'École centrale du département de la Loire à Roanne (1796-1803) ; Collèges de Lyon, Institut de Lyon, École centrale du département du Rhône (1789-1803) - Pierre Crépel
- Jacques Bidet, Marx et la Loi travail. Le corps biopolitique du Capital - Jérôme Lamy
- Agnès Sinaï, Walter Benjamin face à la tempête du progrès - Jérôme Lamy
- Frédéric Lordon, Les affects de la politique - Jérôme Lamy
- David Porter, Eyes to the South. French Anarchists & Algeria - Selim Nadi
- « Sexualités en révolutions, XIXe–XXIe siècles » - Thierry Pastorello
UN CERTAIN REGARD
- Comme des lions - Nicolas Nivet p. 205-208
LES CAHIERS RECOMMANDENT...
- Les Cahiers recommandent… - Anne Kienast, Frank Noulin, Claude Robinot, Jean-François Wagniart p. 209-221