Contenu du sommaire : Le travail procréatif
Revue | Recherches Sociologiques et Anthropologiques |
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Numéro | vol. 48, no 2, 2017 |
Titre du numéro | Le travail procréatif |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Présentation - Marie Mathieu, Lucile Ruault p. 1-27
- “Désir d'enfant - devoir d'enfant” - Charlotte Debest, Irène-Lucile Hertzog p. 29-51 À partir de deux enquêtes de terrain en sociologie, l'une portant sur les personnes volontairement sans enfant et l'autre sur l'articulation de la vie professionnelle des femmes avec leur parcours d'assistance médicale à la procréation, l'article s'attache à interroger le rôle de l'État et de l'institution médicale dans la mise en place de la pression sociale à procréer dont les femmes paient le prix fort. Socialement, symboliquement, économiquement, identitairement, elles ont à répondre de l'absence d'enfant. S'intéresser aux discours des femmes qui ne sont pas mères, que cela relève d'un choix ou de difficultés à procréer, permet d'éclairer d'un jour nouveau que les enfants – que ceux-ci soient présents, absents, désirés, fantasmés – restent une “affaire de femmes”. Puisque la maternité continue d'être pensée comme une étape constitutive de la féminité, tout concourt à ce que celles qui ne sont pas mères soient reléguées socialement ou prises en charge médicalement.Based on two field surveys in sociology, one studying people who are voluntarily chil- dless and the other on the interrelationship of women's professional lives with their re- course to medically assisted reproduction, the article attempts to question the role of the State and institutionalized medicines in exerting a social pressure to procreate that women bear the brunt of. Socially, symbolically, economically, and identitarily, they have to answer for the absence of a child. Focusing on the discourses of women who are not mothers, whether that results from a choice or reproduction difficulties, allows us to see afresh that children – whether they be present, absent, desired or dreamt of – remain a “woman's affair”. Since maternity continues to be thought of as a constituti- ve stage in femininity, every circumstance contributes to those who are not mothers being relegated socially or taken charge of medically.
- Accoucher de manière “alternative” en France et en Italie - Chiara Quagliariello, Lucile Ruault p. 53-74 La grossesse et la naissance telles qu'elles ont lieu dans les espaces médicaux d'Europe occidentale ont fait l'objet d'analyses et d'expérimentations résolument critiques depuis “les années 68”. L'article engage un dialogue entre deux études empiriques examinant les accouchements dits “alternatifs” introduits en France et en Italie au cours des années 1970 : l'une se focalise sur “l'accouchement naturel” au sein d'une maternité italienne pionnière en la matière ; l'autre sur la réalisation d'accouchements à domicile par des militantes de l'avortement libre et gratuit en France. La mise en perspective de tentatives intra et extra-institutionnelles d'appropriation profane de l'enfantement vise à rouvrir le questionnement problématique du rapport entre féminisme et maternité. Si l'on se donne la peine d'en analyser le sens politique – à savoir les croyances investies dans des pratiques situées à la marge des préoccupations féministes –, leur portée protestataire face aux dispositifs médicaux, et ce au profit d'une répartition inédite du travail procréatif, ces scénarios marginaux éclairent et questionnent la culture ordinaire de l'engendrement à l'aune du pouvoir médical et patriarcal.Pregnancy and birth as they take place in the medical spaces of Western Europe have been the object of analyses and resolutely critical experimentations since the “68 era”. The article engages a dialogue between two empirical studies examining childbirth ter- med “alternative” that were introduced in France and Italy during the 1970's : one focuses on “natural childbirth” under the auspices of a pioneer Italian maternity clinic ; the other on home births by militant advocates of free and cost-free abortion in France. Placing these intra and extra-institutional attempts at a non-professional assumption of childbirth into perspective is a way of reopening a problematical questioning of the re- lationship between feminism and maternity. If we take the time to analyse their politi- cal meaning – namely the beliefs attached to practices located on the margins of femi- nist concerns –, their protest value vis-à-vis medical facilities, with that introducing an unprecedented redistribution of procreative work, those marginal scenarios clarify and challenge the ordinary culture of reproduction as measured by medical and patriarchal power.
- Travail parental et bien être de l'enfant - Julie Landour, Lorraine Odier p. 75-93 À partir de la mise en perspective de deux enquêtes conduites en milieu associatif sur les Mompreneurs en France et l' “École des Parents de Genève” en Suisse, cet article propose une esquisse des formes contemporaines du “bien-être de l'enfant”, tout en analysant la manière dont celles-ci se traduisent pour les parents – et tout spécifiquement les femmes – en termes de travail parental. Il montre ainsi que la préoccupation des mères et des professionnel·le·s de l'enfance pour l' “équilibre affectif” des enfants enjoint les mères à se rendre toujours plus disponibles pour leur(s) enfant(s). Cette disponibilité parentale – pensée prioritairement au féminin –, en faveur de la valeur suprême de l'enfant, n'est toutefois pas uniquement source de mise au pas des femmes. L'engagement parental intensif constitue aussi pour certaines femmes un capital social distinctif, dont nous proposons de penser le potentiel de hiérarchisation entre divers groupes sociaux et ethniques.Beginning by placing in perspective two investigations carried out in associative mi- lieux on the Mompreneurs in France and the “School of Parents of Geneva” Switzer- land, this article offers a sketch of contemporary forms of “children's well-being”, while at once analysing what they mean for parents – and quite specifically the wom- en – in terms of parental work. It thus shows that the concern of mothers and childhood professionals for the “emotional balance” of children has enjoined mothers to make themselves increasingly more available for their child/children. This parental availability – thought prioritarily in the feminine –, in favour of the supreme value of the child, is nonetheless not the only source of “bringing women into line”. For certain women, intensive parental engagement also constitutes a distinctive social capital, in regard to which we propose thinking through the potential for hierarchisation between various social and ethnic groups.
- Avorter et accoucher autrement - Mathieu Azcué, Marie Mathieu p. 95-116 Cet article est issu de la réunion inédite de deux corpus d'entretiens menés avec des femmes ayant accouché en France ou ayant avorté au Québec au sein d'institutions valorisant une prise en charge “alternative” de ces différents temps des trajectoires procréatives, ainsi qu'avec des professionnel·le·s travaillant en ces lieux. La mise en commun de ces terrains de recherche nous a permis de révéler des continuités et des discordances dans la définition et la mise en pratique de l' “alternativité”, notamment de la démédicalisation appliquée à deux épisodes ordinaires de la vie des femmes : l'arrêt de grossesse et l'enfantement. En effet, les praticien·ne·s travaillant au sein de ces espaces de “résistance”, tout en portant une même contestation de l'injonction à l'encadrement thérapeutique du travail procréatif – plus spécifiquement du processus physiologique de la grossesse et de deux de ses issues possibles –, sont amené·e·s à participer à une construction différenciée de ces actes et à pérenniser selon des modalités originales l'opposition traditionnelle entre enfantement et arrêt volontaire de grossesse.This article results from the unprecedented meeting of two corpora of interviews car- ried out with women having given birth in France or having aborted in Québec in in- stitutions fostering an “alternative” care during these various times of reproductive tra- jectories, as well as with professionals working in those institutions. Pooling these re- search resources has enabled us to reveal continuities and discordances in the defini- tion and practical application of “alternativity”, notably regarding the demedicalisation applied to two ordinary episodes in the women's lives : the termination of pregnancy and childbirth. Indeed, the practitioners working within these spaces of “resistance”, while sharing the same dispute as to the injunction to therapeutic accompaniment of procreative work – more specifically of the physiological process of pregnancy and two of its possible outcomes –, are led to participate in a differentiated construction of these acts and, by means of original methods, to perpetuate the traditional opposition between childbirth and voluntary termination of pregnancy.
- Comment ne pas faire d'enfants ? - Cécile Thomé, Mylène Rouzaud-Cornabas p. 117-137 La “crise de la pilule” de 2012-2013 a contribué à remettre en cause la prédominance de la pilule contraceptive en France, sans pour autant que l'imputation aux femmes de leur responsabilité en matière de contrôle des naissances ne soit remise en cause. Cet article s'intéresse aux mécanismes de domination, en particulier médicaux et de genre, qui fondent et maintiennent les différentes dimensions ordinaires et invisibilisées du travail qui découle de cette responsabilité. Il s'agit d'abord de montrer comment, du fait de la médicalisation de la contraception, la responsabilité du contrôle des naissances est progressivement devenue féminine et comment, dans le même temps, le travail lié à cette responsabilité est demeuré caché. Cette invisibilisation du travail féminin passe par la naturalisation de la contrainte que représente l'observance contraceptive, et en particulier de la charge mentale afférente. C'est aussi de la contradiction entre une injonction au choix et un panel limité de méthodes effectivement disponibles pour les femmes que naît la nécessité d'une autre forme de travail contraceptif : un travail cognitif. Enfin, l'utilisation d'une méthode de contrôle de la fécondité implique, en particulier s'il s'agit d'une méthode hormonale, de faire face à des effets secondaires minorés voire niés. Là encore, c'est une forme de travail invisible – un travail sur soi – que cet article vise à dévoiler.The “crisis of the pill” of 2012-2013 contributed to challenging the predominance of the contraceptive pill in France, yet without the ascription to women of their responsi- bility for birth control being called into question. This article chooses to focus on the mechanisms of domination, particularly medical and gender, which found and main- tain the various ordinary and invisibilized dimensions of the work resulting from this responsibility. Due to contraception's medicalisation, this first of all involves showing how responsibility for birth control gradually became female and how, at the same time, the work related to that responsibility remains hidden. This invisibilisation of fe- male work results from naturalizing the constraint contraceptive observance represents and, particularly, the related mental effects. Then too the need for another sort of con- traceptive work is born from the contradiction between an injunction to choice and the limited range of methods really available to women : a cognitive work. Lastly, using a fertility control method implies, and particularly involving a hormonal method, dealing with minimalized, or even denied, side effects. There too, is a form of invisible work – a work on oneself – which this article aims to reveal.
- La maternité et le “travail reproductif” en questions - Marie Mathieu, Pauline Rameau, Lucile Ruault p. 139-163 Cette ultime section du dossier réunit les propos recueillis lors d'entretiens menés avec quatre chercheuses spécialisées en sociologie, en études féministes et en histoire qui ont étudié la maternité au sens large dans des sociétés francophones, durant un temps de leur carrière universitaire. Questionnées sur la manière dont elles en sont venues à travailler sur les enjeux de la procréation, leurs influences alors, leur familiarité avec la notion de travail reproductif, les raisons de sa marginalisation dans les sciences humaines et sociales et la pertinence de la remobiliser aujourd'hui, Anne-Marie Devreux, Francine Descarries, Françoise Thébaud et Louise Vandelac livrent de précieux conseils et mises en garde pour penser aujourd'hui la maternité et les tâches qu'elle sous-tend.This last section of the issue brings together the remarks collected during talks carried out with four researchers specializing in sociology, feminist studies and history who have studied maternity in the broad sense in French-speaking societies during a part of their university career. Questioned on what brought them to work on procreation is- sues, what influenced them then, their familiarity with the concept of reproductive work, the reasons for its marginalization in the social sciences and the relevance of re- mobilizing it today, Anne-Marie Devreux, Francine Descarries, Françoise Thébaud and Louise Vandelac deliver invaluable advice and caveats/warnings for thinking ma- ternity and the tasks it involves today.
Articles isolés
- Avocat un jour, avocat toujours ? - Claire Dupuis-Surpas, Olivier Cléach p. 165-183 Les auteurs s'intéressent à des bifurcations dans une profession établie : les avocats. À travers une enquête sociologique qualitative et la mise en exergue des éléments caractéristiques de ce métier, l'article montre que les changements de parcours professionnel qui pourraient apparaître comme singuliers, suivent en fait un processus social en trois grandes étapes : un renoncement à la profession et à ses attributs, une phase de transition, de recherche, d'interrogation, de construction de sens… et enfin, une étape d'investissement, d'engagement dans un nouveau métier. Plus particulièrement, dans cette dynamique de mobilité professionnelle, les auteurs portent leur attention sur le processus de prise de décision aboutissant à un passage à l'acte (changement de métier), dans un contexte donné. En mobilisant les principaux travaux sur la question, cet article apporte des connaissances sur les implications sociologiques de l'expression triviale “il a sauté le pas !” et permet d'entrevoir certaines transformations actuelles à l'œuvre dans les mondes du travail. Il explique pourquoi des personnes décident, à un moment donné de leur parcours professionnel, de quitter une profession établie bénéficiant d'un certain prestige social, de se reconvertir dans un champ social différent, au risque de connaître, dans un contexte d'emploi peu favorable, un déclassement social.The authors are interested in bifurcations in an established profession : lawyers. Through a qualitative sociological investigation and in highlighting the elements char- acteristic of this profession, the article shows that changes in professional paths which might seem singular, in fact follow a social process involving three major stages : a re- nunciation of the profession and its attributes, a transition phase, of research, question- ing and a construction of meaning… and finally, a stage of investment, of engagement in a new profession. More particularly, in this dynamic of professional mobility, the authors turn their attention to the decision-making process leading to a passage to act (a change of profession), in a given context. In availing themselves of principal works on the question, this article increases our knowledge of the sociological implications of the commonplace expression “he took the leap !” and provides us a glimpse of cer- tain present-day transformations at work in the worlds of work. It explains why at a gi- ven time along their professional paths, people decide to leave an established profes- sion benefiting from a certain social prestige to reconvert themselves in a different so- cial field, with the risk of experiencing a social downgrading in an unfavourable em-ployment context.
- Avocat un jour, avocat toujours ? - Claire Dupuis-Surpas, Olivier Cléach p. 165-183
A propos de livres
- Luc Boltanski, Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise - Mohamed Nachi p. 186-190
- Jean-Yves Frétigné (dir.), Antonio Gramsci. Vivre, c'est résister - Gilles Ferréol p. 190-191
- Éric Perera, Emprise de poids. Initiation au body-building - Cindy Louchet p. 192-194