Contenu du sommaire : L'éducation du regard
Revue | A contrario |
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Numéro | no 26, 2018/1 |
Titre du numéro | L'éducation du regard |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- S'étonner de ce que nous avons sous les yeux - Yves Érard, Francis Mobio, Maude Reitz p. 3-22
Articles
- Apprendre à reconnaître : de l'éducation des adultes à l'éducation du regard - Yves Érard p. 23-51 Cet article entend tirer parti de ce que Wittgenstein nous apprend de la perception de l'aspect dans la deuxième partie des Recherches philosophiques et de ce que Cavell nous enseigne du rôle des films dans la sensibilisation à notre expérience dans La projection du monde. Dans une conversation sur des exemples vidéos d'enfants à qui on transmet le langage, il est question de notre difficulté à reconnaître ce que nous avons toujours eu sous les yeux et de notre capacité à apprendre de l'autre. Ce refus de ça-voir a besoin d'une provocation qui seule peut transformer notre manière de voir l'autre et le monde. Passer volontairement d'un voir comme à un autre voir comme s'avère être une éducation du regard dans ce qui ressemble à une interprétation de ce qui importe à mes yeux.This paper receives its inspiration from what Wittgenstein teaches us in the second part of the Philosophical Investigations about the aspect seeing and from what Cavell tells us about how films can sharpen our experience in World View. Through a conversation about what is to see in videos with children learning to speak, raise the issue of the difficulty to recognize what we always have before our eyes and our capacity of others' view acknowledgment. This refusal of seeing and knowing needs a provocation in order to transform our way of seeing both the other and the world. Changing intentionally our way of seeing things as something or something else appears to be an education of seeing things that have much to do with the interpretation of what matter to my eyes.
- Travail de deuil, philosophie et expérience cinématographique - Hugo Clémot p. 53-68 L'essai expose les étapes d'un raisonnement par analogie qui lie ce que Freud décrit comme le travail de deuil à la conception que Wittgenstein se fait de la philosophie et à l'une des vertus que Cavell attribue à l'expérience cinématographique. Il s'appuie notamment sur des éléments d'une lecture du film Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Gondry, 2004).This essay outlines a reasoned reckoning by means of analogy of the linkage between what Freud describes as mourning work with Wittgenstein's conception of philosophy as well as with one of the virtues Cavell finds in the filmic experience. Elements of the film Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Gondry, 2004) are used as the principal illustration of this reading.
- Catastrophe, silences et voix dans quelques films post-Fukushima : de l'aveuglement à l'éducation de notre regard - Élise Domenach p. 69-93 Cet article propose de considérer un ensemble de films réalisés à la suite de la triple catastrophe de Fukushima comme des œuvres qui nous éduquent et nous permettent de reconnaître le danger nucléaire que nous oublions ou nions dans nos vies quotidiennes. Face à cet aveuglement dont le cinéma se rend parfois complice, l'éducation du regard pourrait se muer en éducation par la perception des voix de cinéma qui nous parlent, par leurs silences parfois, de ce qui dans nos vies ordinaires est atteint par le risque nucléaire. Par-delà le regard, des voix de cinéma jouent un rôle central dans la perception morale à laquelle nous invitent ces films.This paper aims at taking in view a number of films shot after the 3.11 triple catastrophe in Fukushima and at showing that these films educate us and enable us to acknowledge the nuclear danger we tend to forget or to deny in our daily lives. In front of such blindness, to which films are sometimes participating, the education of our eye turns into the education to perceive the voices that speak to us in films, sometimes through silence, about what the nuclear threatens in our ordinary lives. Beyond our eye, the film voices play a central part in the moral perception to which films invite us.
- La cinéphilie comme éducation de soi - Sandra Laugier p. 95-113 Dans son article, Sandra Laugier explore à partir de Stanley Cavell les rapports entre philosophie et cinéma. Elle entend nous montrer combien des films peuvent contribuer à changer notre regard sur ces moments où notre vie change. L'expérience cinématographique en vient ainsi à faire partie de notre expérience. Le cinéma nous aide à voir ce qui est important, ce qui compte, si nous entretenons avec les films « une compagnie intime », ni privée, ni personnelle, qui perfectionne nos souvenirs des films en les partageant avec les nôtres, avec nos amis, avec notre monde privé. Les films que nous voyons deviennent alors ce que Sandra Laugier appelle un « laboratoire de la conversation ». Cette projection à plusieurs en même temps que cette description du film à plusieurs est ce qu'il faut entendre par « éducation du regard ». Ce qui compte devient le réel et, comme l'écrit l'auteure, « être réaliste, c'est alors simplement accepter que des choses, des moments, des gens s'inscrivent en nous ». La philosophie devient une aventure quotidienne à la fois conceptuelle et sensible dans laquelle notre expérience, parce qu'elle est spontanée, est une pensée et, parce qu'elle est vulnérable au réel, est une réceptivité. Active et passive, l'éducation du regard s'élabore en même temps qu'elle se reconnaît dans le cinéma.In her paper, Sandra Laugier explores the relationship between philosophy and cinema. Through a reading of Stanley Cavell, she shows how movies may transform our way of seeing the changing moments of our existence. The cinematographic experience, which is neither personal nor private, becomes thus part of our life. If we are with movies in an intimate relationship that sharpens our remembering of them, they help us to see what is important, what counts in our existence and invite us to share our memories with our family, our friends, our private world. Movies tend then to be what Sandra Laugier calls a “conversation laboratory”. The commun projection as well as the common description of a film can be understood as an “education of the sight”. What counts is the real and in Sandra Laugier's words “being realistic simply means to accept that things or moments or people make an impression on us”. In that sense, philosophy becomes a daily adventure, at the same time conceptual and sensible. An adventure in which our experience, being spontaneous, is a thought, and being vulnerable to what is real, is a way of receiving things. Active as well as passive, the “education of the sight” is elaborated by the cinema and recognizes itself in the cinema.
- Le secret comme ordinaire : Le Bureau des légendes et la modification du regard - Pauline Blistène p. 115-133 Cet essai examine la façon dont la série télévisée Le Bureau des légendes (LBDL, Canal+, 2015-…) modifie le regard que l'on porte sur les services secrets français. Dans la série, l'apparent ordinaire du renseignement se conjugue au quotidien singulier de l'agent clandestin. Pourtant, si LBDL participe à la démystification des services de renseignement, elle ne banalise pas pour autant leurs activités. Au contraire, LBDL nous en dévoile les logiques d'exception sous-jacentes : la permanence d'une certaine violence en politique et la nécessité d'une part secrète de l'État, et ce, en dépit des principes de transparence et de publicité que les démocraties occidentales ont elles-mêmes érigés. Ainsi, en révélant cette ambivalence, la série permet une réelle « trans-formation » individuelle et collective, qui passe par la modification du regard que l'on porte sur les régimes démocratiques.This paper examines the different ways in which the television series The Bureau (Canal+, 2015-…) changes our perception of the French intelligence services. Throughout the series, the ordinary life of a regular bureaucrat goes hand-in-hand with the unique actions of clandestine agents. But if the show successfully demystifies the intelligence services, it does not normalize their activities. Instead, The Bureau unveils their exceptional nature: the persistence of violence in politics and the necessity of state secrecy despite the principles of transparence and publicity democracies have given themselves. By revealing this ambivalence, the series therefore enables a real individual and collective “trans-formation” through a modification of the way we look at democratic regimes.
- Panser et repenser une expérience ethnographique - Francis Mobio, Maude Reitz p. 135-142 Ce texte a été rédigé sous la forme d'un entretien autour du film Ciné-cures réalisé par Francis Mobio. Il s'agit d'un court documentaire à caractère ethnographique et réflexif réalisé en 2008, dans la ville de Mexico. Ce film a pour sujet une recherche de terrain effectuée en collaboration par une équipe de quatre chercheurs dont les travaux portaient, au départ, sur l'utilisation institutionnalisée des états dits « altérés de la conscience ordinaire ». Ce texte est la retranscription de ce que nous pourrions appeler une communication-performance présentée en juillet 2017, à l'Université de Lausanne, durant une école d'été intitulée : « L'éducation du regard : philosophie du langage ordinaire, anthropologie visuelle et cinéma ». L'objectif de la démarche était de rejouer une conversation qui a eu lieu entre les deux auteurs avant leur présentation et de poursuivre cette conversion avec le public après la projection d'un large extrait du film Ciné-cures.This script was written in the form of an interview about the film Ciné-cures directed by Francis Mobio. This is a short ethnographic and reflective documentary made in 2008 in Mexico City. The subject of this film is a field research carried out in collaboration by a team of four researchers whose work initially focused on the institutionalized use of so-called “altered states of ordinary consciousness”. This text is the transcription of what we could call a keynote performance presented in July 2017, at the University of Lausanne, during a summer school entitled “L'éducation du regard : philosophie du langage ordinaire, anthropologie visuelle et cinéma”. The objective of this staging was to replay a conversation that took place between the two authors before their presentation and to continue this conversion with the public after the screening of a large excerpt from the film Ciné-cures.
- Mettre en scène les langues - Joëlle Zask, Christophe Rulhes, Julien Cassier p. 143-159 La philosophe Joëlle Zask échange avec le metteur en scène Christophe Rulhes et le chorégraphe Julien Cassier au sujet de la pièce Lenga qu'ils ont créée avec leur collectif le GdRA, au Théâtre Vidy-Lausanne en novembre 2016. Joëlle Zask insiste sur les notions de présence, d'expérience et de performance liées à la production des images et à la pluralité des langues au sein de cette mise en scène. Elle souligne leurs vertus éducatives et parle de la notion d'enquête. Christophe Rulhes raconte le rapport que les images entretiennent avec le deuil au sein du GdRA, tandis que Julien Cassier décrit le dispositif scénographique de la pièce. Tous rappellent que l'expérience de l'enquête menée au sein du théâtre anthropologique du GdRA fut ici un lieu d'apprentissage pour les membres de la création.Philosopher Joëlle Zask talked over Lenga–the Gd
RA's latest play, created at Théâtre Vidy-Lausanne, Switzerland, in November 2016–with stage director Christophe Rulhes and choreographer Julien Cassier. Joëlle Zask insisted on the notions of presence, experience and performance in the way they relate to the production of images and the plurality of languages in this mise-en-scène. She underlined their educational virtues and discussed the notion of investigation, as well. Christophe Rulhes talked about the relationship between images and bereavement for the GdRA while Julien Cassier described the scenographic device conceived for the play. Everyone reminded that experiencing the investigation carried out within the GdRA's anthropological theatre was also a learning experience for all the people who took part in this creation.
- Apprendre à reconnaître : de l'éducation des adultes à l'éducation du regard - Yves Érard p. 23-51