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Revue | Travaux de linguistique |
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Numéro | no 76, 2018 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Bateau phare, magasin phare : composés [N1N2]N et séquences syntaxiques N1+N2 à N2 adjectivé - Pierre Arnaud p. 7-26 Le français a une classe de noms composés subordinatifs comme bateau-phare. Il existe également des séquences occasionnelles comme magasin phare, projet phare, dans lesquelles le second élément, « épithète », a une intension réduite par rapport à celle du substantif correspondant et manifeste un effet qualificatif. Après une discussion du statut des composés et de la notion d'adjectivité qui distingue les emplois en modificateur de composé et en épithète, un ensemble de 29 substantifs fréquents en emploi épithète est examiné par rapport à 7 paramètres d'adjectivité en utilisant la Toile comme corpus. Les paramètres sont synthétisés en un score d'adjectivité qui permet de classer les unités et montre que, si certaines sont pratiquement entièrement adjectivées, d'autres restent cantonnées aux emplois en épithètes. Les modalités du passage du substantif à l'adjectif sont discutées en termes de réanalyse.Bateau phare, magasin phare: [N1N2]N compounds and syntactic N1+N2 sequences with adjectivized N2 in FrenchFrench has a class of subordinative compound nouns like bateau phare ‘boat lighthouse = lightship'. Other N+N sequences like magasin phare ‘store lighthouse, i.e. flagship store' or projet phare ‘project lighthouse, i.e. flagship project' can be found, in which the attributive second element has a reduced intension compared with that of the corresponding noun and displays a qualifying effect. After a discussion of the status of compounds and the notion of adjectivity, distinguishing uses as compound modifiers and as attributive modifiers in NPs, a group of 29 nouns frequently found in attributive use are examined relative to 7 parameters of adjectivity using the Web as corpus. The parameters are synthesized into a score of adjectiveness which makes it possible to classify the units and shows that, whereas some are almost fully adjectivized, others remain limited to their qualifying attributive uses. The noun to adjective change is discussed in terms of reanalysis.
- La cooccurrence du tabou et de l'euphémisme ou les conditions de la synonymie - Montserrat López Díaz p. 27-42 On dit en général que l'euphémisme en tant qu'atténuation du dire se substitue au tabou ou dysphémisme pour l'effacer du discours. Or, dans les textes de presse on peut constater également que le mot euphémique ne bannit pas forcément le mot tabou, tant s'en faut, puisqu'ils peuvent se trouver tous les deux à proximité et être éventuellement interchangeables sur l'axe syntagmatique. Étant donné que les deux formes sont à coup sûr divergentes, il faut estimer si elles peuvent être considérées comme des synonymes et puis si elles se contrecarrent, se bloquent l'une l'autre dans la masse du discours ou bien si elles conservent leur autonomie d'occurrences à valeur forte et faible.The competition between taboo word and euphemism or the conditions of synonymy
It is generally said that euphemisms, as a mitigating device, replace taboo words or dysphemisms. However, in the journalistic register we see that the euphemistic word does not necessarily ban the taboo word, since they can appear next to each other and they are possibly interchangeable on the syntagmatic axis. Since the two forms are somehow divergent, one may ask oneself whether they can be considered synonyms and whether they counteract each other, block each other in discourse, or if they maintain their high and low force. - Les paradoxes du manque. Sémantique et syntaxe du verbe manquer - Danièle Van de Velde p. 43-70 Ce travail décrit les deux principaux usages du verbe français manquer. Dans le premier, manquer est un prédicat existentiel, intensionnel négatif à deux arguments : un possesseur / lieu et un thème. Il combine le concept d'absence (insuffisance) avec une négation et une modalité, elle-même relative à une fin (en gros, quelque chose est absent qui devrait être là pour qu'une certaine entité, ou un ensemble, soit complet). Dans ce premier usage, manquer peut apparaître dans deux structures syntaxiques distinctes correspondant chacune à un sens légèrement différent. En examinant les propriétés de ces deux structures, on découvre que le sens du verbe dans cet usage est loin d'être totalement négatif : en réalité, il signifie qu'il y a quelque chose qui ne suffit pas, l'absence n'étant que le cas limite de l'insuffisance, les deux constructions différant seulement en ce que l'une mesure l'insuffisance, que l'autre ne mesure pas. Dans son second usage, le verbe est un prédicat psychologique à deux arguments dont l'un au lieu d'être un possesseur / lieu est un expérienceur, l'autre toujours un thème. Il dénote un état psychologique dans lequel l'absence de quelque chose ou de quelqu'un affecte négativement quelqu'un. Le référent du thème devant alors être bien défini, l'usage du verbe n'est plus existentiel mais prédicatif. Les deux usages de manquer mettent en jeu les mêmes composants conceptuels, mais la question de savoir s'il faut dériver l'un de l'autre ou y voir deux emplois d'emblée distincts est laissée ouverte.Some Paradoxes and Perplexities about the French Verb manquer (‘lack')This work describes the two main uses of the French verb manquer ‘lack' : in the first use, manquer is an existential intensional negative predicate with two arguments : a possessor / place, and a theme. It combines the concept of absence (or insufficiency) with modality, the modality itself being relative to an end (roughly speaking, something is missing that ought to be there for a certain entity, or a set, to be complete). Under this first use, manquer can appear in two distinct syntactic structures, each corresponding to a slightly different meaning. Scrutinizing the properties of these two structures, we discover that manquer is far from being totally negative (rather, it points to the fact that there is something that does not suffice – the absence being only the borderline case of insufficiency), and that the two structures the verb enters in differ only in their providing or not providing the measure of the insufficiency they express. In its second use, the verb is a psychological predicate denoting a state caused in someone by the absence of something. It has two arguments as well: an experiencer, and the theme, whose absence affects him / her and has to be denoted through a definite NP – resulting in the fact that the structure is not existential anymore. Although the conceptual ingredients of the two uses of the verb remain roughly the same, the question of the link between them, namely the question of a possible lexical derivation of one from the other, as opposed to the existence of two equally ‘basic' uses, is left open.
- L'expression de la finalité dans le discours oral - Laurence Rouanne p. 71-90 Dans cette étude, on établira dans un premier temps les critères syntaxiques et sémantiques nécessaires à l'expression de la finalité, sur la base – mais non exclusivement – des travaux de Fradin (1989) et Cadiot (1990). La notion de but ou de signification finale est complexe et recouvre une catégorie qui laisse une ample part à l'interprétation. On donnera donc une série de critères linguistiques objectifs et opérants pour l'identification du but. Les propositions finales seront ensuite analysées dans le cadre de discours oraux : on sera alors en mesure de dire quelles sont les prépositions ou les locutions de but les plus employées à l'oral. On verra, entre autres, que pour est non seulement le marqueur le plus utilisé mais également le plus ambigu. L'analyse du corpus permettra d'affiner l'analyse des conditions discursives qui sont propices ou nécessaires à une lecture finale.The expression of goal in oral discourse
In this paper, we will first establish the syntactic and semantic criteria necessary to express purpose, starting with, but not limiting ourselves to, the work by Fradin (1989) and Cadiot (1990). The notion of purpose, or the expression of an aim, is complex and leaves ample room for interpretation. We will present, therefore, a series of objective and operational linguistic criteria to identify an aim. Clauses expressing purpose will be analysed in the framework of oral discourse: we will then be in a position to indicate which are the most widely used prepositions or phrases conveying purpose in the oral expression. We will see that pour ‘for', inter alia, is the most frequently used preposition but also the most ambiguous one. Analysing the corpus will allow us to fine-tune the speech conditions conducive or necessary to a final understanding. - La notion d'inchoatif en linguistique française - Filip Verroens p. 91-111 Cet article traite de la notion d'inchoatif en français moderne qui semble poser problème à plus d'un titre. Une première partie présente les significations fondamentales du concept et leurs réalisations linguistiques correspondantes. Nous distinguerons deux grandes approches : l'une sémantico-syntaxique et l'autre historico-morphologique. Dans la deuxième partie, nous examinerons la possibilité d'une typologie intégrée des catégories inchoatives, à savoir « l'inchoatif ingressif » et « l'inchoatif progressif ». Après avoir passé en revue, et écarté, diverses analyses précédemment proposées dans la littérature, il est démontré que la plupart des propriétés (la structure logico-sémantique, la télicité, le type de procès, la transition, la conceptualisation en termes de mouvement) n'appuient pas une vision intégrée de l'inchoatif en français.Inchoativity in French Linguistics
This article deals with the notion of inchoativity in modern French which seems to be problematic in more than one way. A first, descriptive, part reviews the core meanings of the concept and their corresponding linguistic realizations. It is divided into two main approaches: one semantic-syntactic and the other historico-morphological. In the second part, we will examine the possibility of an integrated typology of the inchoative categories « ingressive inchoative » and « progressive inchoative ». After having reviewed, and discarded, various analyses previously proposed in the literature, it is shown that most of the properties (logical-semantic structure, telicity, situation type, transition, conceptualization in terms of movement) do not support an integrated view on inchoativity in French. - Passer, prendre, mettre du temps à / pour faire quelque chose : trois modes de construction d'une relation entre sujet, temps et procès - Évelyne Saunier p. 113-151 L'article étudie la concurrence de trois verbes fortement polysémiques (passer, prendre et mettre) pour marquer l'occupation d'un sujet par un procès durant un certain laps de temps, dans la construction Nohum V N1tps prép(= à/pour) V˚Ω. Nous montrons comment les propriétés sémantiques fondamentales de chacun des verbes génèrent des compatibilités différentes avec la préposition (à ou pour), ainsi que des effets interprétatifs nettement différenciés. Notre démarche s'inscrit dans la lignée des travaux de la Théorie des opérations prédicatives et énonciatives, et défend l'idée que l'identité sémantique des unités n'est pas inactivée dans des emplois dits idiomatiques ou grammaticalisés. La méthode s'appuie essentiellement sur des oppositions entre énoncés construits, et recourt également à l'exploration de corpus, en particulier pour ce qui est de différencier mettre du temps à et mettre du temps pour (faire quelque chose).About Passer, prendre, mettre du temps à / pour faire quelque chose : three ways of construing a relation between subject, time and processIn this paper, we compare three highly polysemic French verbs (passer ‘pass', prendre ‘take' and mettre ‘put') able to mark the occupation of a human by an activity during a certain period of time, in the construction Nhum V Ntime prep(= à/pour) Inf. We show how the fundamental semantic properties of each verb generate different compatibilities with the preposition (à or pour), as well as clearly differentiated interpretative effects. Our approach defends the idea that the semantic identity of units is not inactivated in so-called idiomatic or grammaticalized expressions. The method is essentially based on oppositions between constructed utterances, and also uses corpus exploration, especially to highlight the difference between mettre du temps à and mettre du temps pour (faire quelque chose).