Contenu du sommaire : Philosophie de la biologie
Revue | Multitudes |
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Numéro | no 16, printemps 2004 |
Titre du numéro | Philosophie de la biologie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- No pasaràn, Album souvenir. : Cartes postales / narration - Henri-François Imbert p. 1-210 Ce texte est une retranscription littérale de la narration du film No pasarán, album souvenir de Henri-François Imbert, © Libre cours 2003, dont sont également extraites les images présentées dans ce numéro de Multitudes.
En tête
- La loi et la capsule de Pepsi : A propos de la " loi de confiance dans l'économie numérique ". - Aris Papathéodorou p. 5-9
Majeure / Philosophie de la biologie
- Pour une philosophie hybridée de la biologie - Charles T. Wolfe p. 11-14
- Entre darwinisme et biopolitique, le naturalisme en chantier : (entretien réalisé par Charles Wolfe) - John Symons p. 15-26 Dans cet entretien, Symons discute de l'etendue et des caracteristiques de la philosophie de la biologie, sans oublier certaines questions concernant les dimensions politiques des developpements biologiques. Parmi les themes de l'entretien on trouvera : la nature de la connaissance biologique ; le statut du reductionnisme ; et les problemes contemporains autour du darwinisme, la biotechnologie et le clonage.
- La catégorie d'« organisme » dans la philosophie de la biologie. : Retour sur les dangers du réductionnisme - Charles T. Wolfe p. 27-40 La catégorie d'organisme a un statut ambigu : scientifique ou philosophique ? Elle a longtemps en tout cas servi de « caution » scientifique à une argumentation philosophique qui refuse la tendance dite « mécaniste » ou « réductionniste » perçue comme dominante depuis le dix-septième siècle, que ce soit au sein de l'animisme stahlien, de la monadologie leibnizienne, du néo-vitalisme de Hans Driesch, ou encore de la « phénoménologie du vivant » au vingtième siècle chez des auteurs comme Goldstein, Straus, Weizsäcker, dont l'influence sur Merleau-Ponty mais aussi Canguilhem est patente. Le but de cet article est à la fois de mettre en lumière la sédimentation de cette catégorie, pour en faire une évaluation critique, autrement dit, pour voir en quoi elle peut demeurer utile une fois qu'on a refusé toute dérive « organiciste ». On proposera une notion de l'organisme en tant que fiction instrumentale.
- 1064332 atomes et un cercle de vie. : Quelques réflexions à peine philosophiques - Alexandre Métraux p. 41-47 Cet article pose la vieille question du vitalisme à partir d'un exemple concret, très récent : la fabrication en laboratoire, pour la première fois, d'un virus (de la poliomyélite). Face à cet exemple, l'auteur rappelle deux exemples d'argumentation sur la nature du vivant : celle de Leibniz et celle de Claude Bernard. Si le propre du vivant, selon les biologistes ayant fabriqué le virus eux-mêmes, est de se répliquer, que dire de la position dominante en philosophie de la biologie aujourd'hui qui refuse l'attribution substantielle de propriétés ? On lira en conclusion une nouvelle manière de reconnaître une spécificité au vivant sans en faire une propriété métaphysique, qui souligne l'intérêt même de la philosophie de la biologie.
- Darwin révolutionnaire ? : Une lecture politique de Dennett - Mathieu Aury p. 49-58 Qu'est-ce que la biologie évolutionniste peut nous apprendre de la vie de l'homme ? Pour répondre à cette question, contrairement à une attitude méfiante et certes légitime, nous pensons que les deux traditions que sont le cognitivisme évolutionniste de Daniel Dennett et l'approche archéologique de Foucault, ne sont pas irréconciliables, mais complémentaires. L'originalité de Dennett, grâce à son interprétation de l'effet Baldwin et sa thèse du Soi comme centre de gravité narrative, est en effet de parvenir à présenter le monde de l'être humain comme la réalisation vivante (donc globalement explicable suivant les lois de l'évolution) d'un ensemble de produits historiques, sans sacrifier pour autant à la dimension proprement créatrice de l'individu (d'autant plus créateur qu'il est, hélas, manipulable). Dispositifs de domination et processus de subjectivisation s'inscrivent alors au sein du devenir plus large qu'est l'évolution du vivant sur terre. En retour, la philosophie de Dennett, prudente (à juste titre) lorsqu'il s'agit de prolonger le débat en direction du politique, devrait pouvoir être augmentée d'une analyse critique.
- Somaphore et corps biosubjectif - Bernard Andrieu p. 59-69 La modification corporelle maintient l'être du corps comme une substance que l'on ne peut qu'altérer sans en changer la nature. Il faut un renversement de perspective pour penser la mutation corporelle comme un mode de définition de l'être corporel. Une nouvelle identité corporelle utilise aujourd'hui la biologie comme une technologie de soi-même.
- La sélection naturelle à l'intérieur de l'organisme - Jean-Jacques Kupiec p. 71-78 Les mécanismes de la théorie darwinienne agissant à l'échelle de la cellule permettent d'expliquer l'embryogenèse d'un organisme. D'une part, l'ADN n'est pas porteur d'un programme fait d'instructions rigides, dans lequel l'organisme adulte est écrit à l'avance. Il s'agit d'un générateur de diversité dont le fonctionnement probabiliste permet aux cellules de changer d'état sans être dirigées par des signaux. D'autre part, l'environnement n'est pas seulement ce qui est extérieur à l'organisme. Il se prolonge à l'intérieur de l'embryon en constituant le micro-environnement de la cellule. Il détermine les concentrations des métabolites auxquels elle a accès et qui lui permettent de se multiplier. Dans une colonie de cellules il y a de nombreuses variations dans la composition de ce micro-environnement. Les cellules sont amenées à échanger les produits de leur métabolisme. Elles utilisent ce qui leur est fourni par leurs voisines. Grâce à leur fonctionnement probabiliste, elles s'adaptent à ces conditions de vie changeantes en activant les protéines nécessaires. De là proviennent les différenciations cellulaires à l'origine des tissus constituant un être adulte. Dans cette théorie, l'embryon n'est pas l'objet passif soumis aux déterminismes additionnés du génome et de l'environnement. Ceux-ci sont intégrés en un mécanisme unique. La cellule est le niveau fondamental qui construit l'être vivant par un processus actif de sélection darwinienne. En unifiant dans un même modèle explicatif, la phylogenèse et l'ontogenèse, le darwinisme cellulaire permet de se débarrasser des vieux concepts de finalité et de cause formelle que la génétique avait réhabilitées sous les habits neufs du « programme génétique ».
- L'épistémologue et la complexité du vivant. : Compte rendu de l'ouvrage de François Duchesneau, Philosophie de la biologie - Timo Kaitaro p. 79-84 Les progrès et les succès de la biologie moléculaire paraissent donner raison à ceux que croient que la biologie est réductible aux sciences de la nature physique. L'analyse que fait François Duchesneau de divers modèles et essais de réduction qui ont été proposés pour éliminer la spécificité des phénomènes de la vie organique, montre que les choses sont loin d'être si simples. Les notions téléologiques paraissent irréductibles aux mécanismes causals sous-jacents et les explications fonctionnelles sont apparemment indispensables dans les sciences de la vie. Mais les discussions que l'épistémologue analyse montrent qu'admettre l'irréductibilité et la nécessité des analyses fonctionnelles dans les sciences de la vie n'aboutit pas nécessairement au quelque vitalisme. Il s'agit simplement d'analyser la structure et le profil épistémologique des théories biologiques au lieu de les reconstruire rationnellement et conformément aux préjugés positivistes selon lesquelles il fallait pouvoir déduire les explications biologiques des lois naturelles concernant la nature physique. Cela exige évidemment qu'on prête attention à la manière dont les biologistes ont réellement construit leurs concepts et leurs théories. Or, en analysant les développements récents de la philosophie de la biologie anglo-saxonne, Duchesneau montre comment le rapprochement de la philosophie et l'histoire des sciences qui a eu lieu dans cette tradition est utile. Sur cet article ces discussions anglo-saxonnes rejoignent la tradition française représentée par des auteurs comme Georges Canguilhem ou Jacques Roger, bien qu'en France ces deux disciplines semblent, selon l'observation de l'auteur canadien, maintenant s'éloigner l'un et l'autre. Ce qui serait dommage, tellement cette tradition parait féconde dans ses perspectives épistémologiques.
Insert
- Stopub : analyse provisoire d'un rhizome activiste - Thierry Lefebvre p. 85-97 Né en octobre 2003, le collectif informel Stopub a procédé depuis à une série d'attaques spectaculaires contre les espaces publicitaires de la RATP, suscitant en retour une importante vague de répression policière et judiciaire. Dans le cadre de nos recherches sur les nouvelles formes d'engagement politique, nous avons cherché à établir les origines et caractéristiques principales de cette nébuleuse, en laquelle certains observateurs ont cru voir, peut-être abusivement, une métamorphose de l'altermondialisme militant. Composé pour l'essentiel de jeunes désobéissants en quête de nouvelles formes de radicalité, Stopub, du fait de sa nature profondément rhizomique, laisse présager d'autres rebonds activistes dans un proche avenir.
Icônes
- L'utopie Jazz entre gratuité et liberté - Yves Citton p. 131-144 Cet article explore l'intersection des thèmes de la gratuité et de la liberté dans la pratique de ce qu'on appelle à tort, mais non sans raison, le « free jazz ». A partir de la trajectoire exemplaire de Ken Vandermark, il analyse l'espace de gratuité/liberté ouvert par les college radios américaines pour la diffusion de la musique d'improvisation. Il ébauche ensuite le modèle socio-politique que projette la forme unique d'invention interactive qui prend place dans le collectif qu'est un groupe de jazz. La question des copyrights s'y retrouve à travers le statut problématique que prend la notion d'« auteur » dans le cadre d'une création dont les agents se multiplient à l'infini. En défiant les oppositions binaires habituelles entre contrainte et liberté, pour favoriser une approche en terme de pression (impression/expression), l'utopie Jazz ainsi reconstruite est finalement le lieu d'une réflexion sur le type de structures propices à l'auto-production des singularités.
Mineure / Jazz : puissance de l'improvisation technologique
- Le champ jazzistique selon Alexandre Pierrepont - Labrasserie Descatins p. 145-155 Dans son livre Le champ jazzistique, Alexandre Pierrepont affirme la multiplicité constitutive du jazz. A l'encontre de la plupart des approches courantes, il dénonce la recherche d'un « dénominateur commun » qui nous donnerait l'essence spécifique de cette musique. S'il y a quelque chose de propre au champ jazzistique, il faut le trouver dans sa pluralité même, qui en fait le lieu de déploiement d'une force combinatoire. En réinventant un continuum par dessus l'abîme qui a traumatisé leur histoire, les populations afro-américaines dont est issu le jazz nous offrent ainsi un pouvoir « reconstituant » dont chacun peut s'inspirer pour combattre le vacuum culturel dont se plaint notre époque. Mais l'arpentage du champ jazzistique nous met également en garde contre des réductions plus retorses : l'improvisation collective est davantage qu'une utopie démocratique, en ce qu'elle met en question l'origine des voix qui traversent et constituent le sujet... Un questionnement qui contamine la forme de cet article, dont la polyphonie fait résonner à travers les siècles quelques-unes des idées directrices du travail d'Alexandre Pierrepont.
- Echos d'un jazz libre d'Amérique - Ken Vandermark p. 157-166 Cet article recueille les propos de six jazz(wo)men américain(e)s (Tim Berne, Jim Black, Amy Denio, Ellery Eskelin, Gerry Hemingway, Ken Vandermark) sur des questions comme les rapports que la musique improvisée entretient avec ses auditeurs, les droits d'auteur, et les modes de survie économique que doit s'inventer un créateur dans un domaine dépourvu de tout soutien étatique. La manière dont ces musiciens font face à leur intermittence et à leur précarité, dans le contexte sauvage de la société américaine actuelle, tient à la fois du guérillero et du petit entrepreneur. Du fond de leurs pratiques infinitésimales et de leurs réflexions pragmatiques émergent des modalités d'opération, des frustrations, des projets et des énergies qui sont porteurs à la fois des craintes d'aujourd'hui et des espoirs de demain.
- Le patient tissage d'un réseau autonome - Benoît Delbecq p. 167-172 Benoît Delbecq réfléchit sur les conditions dans lesquelles son travail créatif de pianiste, compositeur et improvisateur, peut se dérouler dans le contexte français. Statut des droits d'auteur, contribution des subventions publiques, nouveaux modes de diffusion des oeuvres, irruptions ambiguës de la méga-machine spectaculaire, fictions de liberté au coeur du moment créatif, structures collectives à géométrie variable : ce travail concret de tissage et de frayage éclaire, au-delà du microcosme jazzistique, la production du lien social dans la France d'aujourd'hui.
- Renvois - Christophe Degoutin p. 173-178 Cette section regroupe quelques renvois à des disques récents, à quelques livres et sites internet, dans le but d'offrir des premières pistes d'exploration dans les domaines musicaux évoqués dans la mineure, en se concentrant sur les productions des quinze dernières années.
Hors champs
- L'état d'exception : forme de gouvernement de l'Empire ? - Jean-Claude Paye p. 179-190 La lutte antiterroriste permet l'installation de techniques d'exception à tous les stades de la procédure pénale, de celui de l'enquête à celui du jugement. Elle procède ainsi à une remise en cause des mécanismes constitutionnels de protection de la vie privée. L'incrimination propre au terrorisme met en place un délit spécifiquement politique : l'intention d'exercer une pression indue sur un gouvernement ou une organisation internationale. Elle permet de s'attaquer préventivement à tout processus de recomposition de classe..Il s'opère ainsi une suspension du droit, mais celle-ci est inscrite dans le droit et fait partie d'un nouvel ordre juridique. Nous assistons à la fin du double système juridique, Etat de droit à l'intérieur et violence pure à l'extérieur, qui avait caractérisé jusqu'à présent le système juridique occidental. L'organisation impériale ne connaît pas d'extérieur, la violence pure est réinsérée en son intérieur et fait partie de l'ordre de droit. Ainsi, l'Etat d'exception comme forme de gouvernement de l'Empire, apparaît surtout comme une phase de transition, un outil dans la mise en place d'une forme plus stable : la dictature. La fin de la séparation formelle des pouvoirs, ainsi que les prérogatives judiciaires que s'octroient l'exécutif, sont là pour témoigner que ce processus est bien en marche.
Liens
- Descartes politique : Molloy dans la forêt : (Sur le livre d'Antonia Birnbaum, Le vertige d'une pensée. Descartes corps et âme) - Yoshihiko Ichida p. 191-197 Non pas « renversé », comme Hegel par Marx, mais « inversé » au sein du contact des êtres parlants, l'ordre cartésien des raisons se transforme, selon Antonia Birnbaum, en un dispositif engendrant d'un même geste le sujet et le milieu où il habite, les déterminant comme éléments du politique - lequel est pourtant déjà devenu « accidentel » pour cause de cette inversion qui expose l'être parlant directement au monde, qui le confronte à une heccéité événementielle. La politique « cartésienne » a ainsi lieu dans la forêt, figure privilégiée du philosophe et signe de l'absence de toute orientation, dont Antonia Birnbaum identifie plutôt la vérité dans le Molloy de Becket : loin d'être une communauté (im)possible, elle abonde en « bonnes choses ».
- Politique de la puissance, politique du capital. : Sur le livre de Frédéric Lordon La politique du capital - Saverio Ansaldi p. 199-204 La théorie du conatus représente un présupposé majeur de la philosophie spinoziste. Ses principes et ses concepts sont bien connus par les spécialistes et les interprètes de la philosophie spinozienne. Ils sont sans doute beaucoup moins connus et utilisés par les économistes et les sociologues. Frédéric Lordon, économiste, dans son essai intitulé La politique du capital, se sert des principes de la théorie spinozienne du conatus pour interpréter un événement financier et tenter d'en dégager les critères analytiques nécessaires à sa compréhension. Quel est en occurrence cet événement financier ? C'est le conflit qu'opposa, de janvier à août 1999, la BNP à la Société Générale et à Paribas. Quel est le sens d'une telle opération pour le capitalisme français ? Quels sont les lois et les principes qui régissent la lutte financière pour le contrôle des banques ? Pourquoi peut-on parler à propos d'un tel événement de « politique du capital » ? En essayant de répondre à ces questions, F. Lordon montre que les rapports entre les « sujets » du capital ne sont pas fondés sur une « pure économicité » mais, bien plus profondément, sur une dynamique de puissance utilisant des relations « médiatisées par l'échange marchand ». La politique du capital se révèle ainsi comme étant, par essence, une affaire de « souveraineté », c'est-à-dire comme une nécessité de persévérer dans son être à partir de l'affrontement avec la puissance d'autrui. Et ce qui est en jeu dans cet affrontement n'est rien d'autre que la « vie » ou, mieux encore, la « survie » du capital.
- Palestine-Israël. : Extraits de la liste multitudes-infos - Giselle Donnard, Anne Querrien p. 205-209 La liste électronique Multitudes-infos publie très régulièrement des informations sur la situation en Palestine/Israël. De nombreux membres de la liste nous ont manifesté leur intérêt pour ces chroniques, ce qui nous a donné l'idée d'en faire connaître certaines dans la revue. Les morceaux de textes que nous avons choisis traitent de ce qui est au cœur des conditions de paix : le Mur construit par Israël et les « Accords de Genève » ; s'y ajoutent des analyses de la société israélienne par des opposants Israéliens.