Contenu du sommaire : Pragmatiques architecturales
Revue | Multitudes |
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Numéro | no 20, printemps 2005 |
Titre du numéro | Pragmatiques architecturales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Icônes Off - p. 1-200
- Mettre les voiles... - Giselle Donnard p. 5-12
- Fabriquer des seuils à une troisième nature - Anne Querrien p. 13-22 L'architecte japonais Shin Takamatsu donne à ses bâtiments des formes d'objets industriels qui leur confèrent une séduisante étrangeté. Son travail rend visible la présence féconde de l'industrie dans la société, en la transformant en un système de signes qui lutte avec son environnement pour produire l'image d'une « troisième nature » en construction. D'autres postures ont été choisies par l'architecture dans ses rapports avec l'environnement et l'industrie : fonctionnalisme et minimalisme prétendent agresser la nature le moins possible, mais ne composent pas avec elle car ils font l'impasse sur la fonction de seuil de l'architecture.
- Rendre la terre légère - John Rajchman p. 23-31 En portant l'accent sur la « légèreté » de la terre, Nietzsche a ouvert des voies que l'architecture commence à peine à emprunter. Construire des espaces et des temporalités neuves peut se dire aussi : abandonner la terre comme sol, comme pesanteur et découvrir, au-delà de l'immatériel et de la transparence, la légèreté comme expérimentation et nomadisme. L'architecture peut entretenir alors des relations fécondes avec les sciences, les mathématiques, les arts, et tout particulièrement avec la danse.
- Matisse-en-Amérique : Le devenir architecture de la peinture - Éric Alliez, Jean-Claude Bonne p. 33-45 En 1931, Matisse entreprend à la Barnes Foundation un très grand panneau décoratif intitulé La Danse dont les enjeux sont considérables puisqu'il y va d'une disqualification de la Forme-peinture et du Genre-Dessin au profit d'un art environnemental animé par un vitalisme décoratif qui redéfinit en profondeur - au-delà de la question de la site specificity - la fonction-architecture tout court.
- Mies-conception : la maison Farnsworth et le mystère du placard transparent - Beatriz Preciado p. 47-56 Mies van der Rohe a construit, avec la maison Farnsworth, le premier bâtiment transparent de l'histoire. Mais comment vivre là-dedans ? Bâtiment voué à l'échec, mi(e)s-conceived ? La transparence, le brouillage entre les espaces privé et public, obligent sa dédicataire et première résidente, Miss Farnsworth, à lutter avec l'architecture, à l'investir sans lui céder, selon des parcours de subjectivation de genre et d'orientation sexuelle périlleux.Abstract With the Farnsworth house, Mies van der constructed the first transparent building in history. But how could you live in it? Is it a building doomed to failure, mi(e)s-conceived ? Transparency, the blur blurring of public and private spaces, forced the inaugural resident, Miss Farnsworth, to struggle with the architecture, to inhabit it without giving into it, following risky paths through the subjectivation of gender and sexual orientation.
- N extensions à Extensions de la grille : Sur la production contemporaine et la notation à partir de Le Corbusier et Ludwig Hilberselmer - Philippe Morel p. 57-65 Le Corbusier croyait encore que l'architecture devait, fondamentalement, se mesurer à l'homme. À l'exception de Hilberseimer qui, plus perspicace, avait pressenti l'avènement d'une production abstraite, conceptuelle et computationnelle, l'architecture a tardé à se rendre compte de l'intrication de la science, de l'industrie et du capitalisme. Dût-elle profondément se remettre en cause aujourd'hui, elle ne peut plus feindre d'ignorer une production qui repose toujours davantage sur des constructions langagières, sur une « usine ambiante » de PC interconnectés.
- Monstruosité dans le cryoespace : Histoires parallèles et différées des virtualités architecturales et scientifiques - Benoît Durandin p. 67-74 La mise en œuvre architecturale, les pratiques et le savoir-faire des architectes ne peuvent que très partiellement définir ce qu'est ou pourrait être l'architecture. C'est par les virtualités qui la traversent que celle-ci se laisse le mieux circonscrire. Les histoires des sciences et de l'architecture du siècle dernier n'ont cessé d'interférer et de se superposer du fait des nombreuses analogies existantes entre les virtualités dont elles sont porteuses. Il s'est tissé entre leurs modes d'émergence respectifs des constantes, comme celle de la recherche d'un monde unifié via une rationalisation des processus, et des ruptures, comme celle de l'irruption de la monstruosité comme facteur de régénérescence et d'instabilité. La monstruosité, toujours renouvelée et jamais domestiquée, devient alors l'élément qui permet de dessiner en creux les champs d'action que nous pouvons emprunter et habiter.
- Architectures et démocratie productive : Le projet de rénovation des Halles à Paris - Thierry Baudouin, Michèle Collin p. 89-95 Les nouvelles formes de démocratie dans la métropole s'affirment aujourd'hui en Europe en relation concrète avec de grandes opérations architecturales. De multiples groupes y affirment leurs besoins spécifiques dans la vision de la ville qui leur est propre. L'actuelle rénovation des Halles constitue de ce point de vue un cas d'école pour analyser les potentialités de glissements progressifs des impératifs de la technologie fordienne vers la geste architecturale spectaculaire, puis des expertises citoyennes qui dessinent d'autres besoins jusqu'ici ignorés par l'institué. Dans ces mutations, les dimensions à la fois technique et esthétique de l'architecture lui permettent de focaliser les échanges entre ces multiples points de vue dans la ville. La situation parisienne permet aussi de mettre en évidence les fortes pesanteurs de son système étatique par rapport à d'autres métropoles européennes.
- Peintures en bâtiment - Hervé Beurel p. 97-103
- O.V. (Original Version) - Michel Lasserre, Paola Yacoub p. 105-116 Dans cet entretien avec Pascal Cassagnau, Paola Yacoub et Michel Lasserre présentent leur travail sur les images comme relevant essentiellement d'un acte d'édition. Il s'agit pour eux de mettre en place (et de se laisser porter par) des phénomènes de proximité et de rapprochement, de déplacements et de tricotage. Ce qui s'expérimente dans les microcosmes de leurs œuvres, ce sont les dispositifs et les agencements par lesquels se tisse l'actualité.
- Le défi de la production d'intelligence collective - Isabelle Stengers p. 117-124 Dans cet entretien avec Andrée Bergeron, Isabelle Stengers remet en perspective la question de l'expertise, à laquelle le mouvement des intermittents se trouve - parmi d'autres mouvements, aujourd'hui comme hier - confronté. Elle nous rappelle que la figure de l'expert n'est pas une « invention » contemporaine et qu'elle recouvre des réalités multiples rarement dénuées d'enjeux politiques. Au contraire, le choix de l'expert, la définition des questions admissibles, le degré de « surdité » aux « événements démocratiques » sont des questions éminemment politiques. En se donnant les moyens de poser les questions qui le concernent (nouveau modèle, enquête sociologique citoyenne), le collectif des intermittents et précaires a déjà créé un « événement démocratique ». Il s'agit maintenant de relever un double défi : pour le mouvement, fabriquer une intelligence collective qui transformerait le savoir produit en mode d'interventions capables de faire sentir et penser ; pour les chercheurs en sciences sociales, réussir à considérer cet événement à la manière dont les sciences expérimentales considèrent le laboratoire : ce grâce à quoi il y a innovation, possibilité d'apprendre. Construire le choix d'une contre-expertise, c'est apprendre à doubler la lutte que l'on choisit d'engager autour de ce que Deleuze et Guattari nomment les axiomes, d'une invention pratique d'un tout autre genre, qui engage un devenir minoritaire, une intelligence collective, qui ne contredit pas mais crée.
- De la politique culturelle à la nouvelle « culture politique » : Propos introductifs sur l'émergence publique - Franck Beau, Jérôme Tisserand p. 125-132 Il y a plusieurs manières de regarder le mouvement des intermittents du spectacle. L'une classique et distanciée, perçoit une corporation défendant ses droits et ses idéologies. Une autre, plus intérieure et prospective, met en avant ce qu'a produit ce mouvement, ce en quoi il est peut-être le symptôme, ou l'un des signes avant-coureurs d'une mutation plus profonde du politique. L'intermittence du spectacle est une zone sismique particulière entre deux plaques tectoniques fondatrices de nos valeurs : celles de la culture, et du travail. Pour la première fois peut-être, ce sont les questions portant sur les pratiques d'emploi, le rapport subjectif au temps, à la discontinuité de l'activité, et au processus créatif, davantage que des échanges d'opinions sur la Culture, qui ont permis au mouvement de persister, de construire, et de proposer à son tour. Contexte auquel s'ajoutent de très nombreux ingrédients humains et circonstanciels, et qui au final a fait émerger, dans notre esprit du moins, l'hypothèse d'une émergence particulière de la loi et des choses communes. Une émergence encore fragile et relative, mais nous amenant à réinterroger le débat public au travers d'un autre processus de travail, d'élaboration et de création autour de la substance vécue des choses et non de leurs seules représentations symboliques. Processus qui est le quotidien de l'intermittent, et qui pourrait bien, contre toute attente, renvoyer à une transformation en cours du politique, dans son obligation d'approcher autrement toutes ces choses communes. Ces choses communes, dont le processus d'émergence en lui-même serait en mutation.Abstract Intermittence is particular seismic zone between two tectonic plates of our values: culture and labor. Questions of employment practices, subjective relations to time, discontinuity of activity and creative process, more than exchanges of opinions about high culture, are what have allowed the movement to persist, construct and propose. The many additional human and circumstantial ingredients have finally brought forth, at least in our minds, the idea of a particular emergence of law and of common things. Still fragile and relative, this emergent juncture leads us to a fresh questioning of the public debate via another process of work, elaboration and creativity around the lived substance of things, and not only of their symbolic representations. A process which is the intermittent's daily condition, one which could unexpectedly lead to a transformation of politics.
- Expertise. Un point de vue - La Commission des mots de la CIP-IdF p. 133-138 La commission des mots (du latin muttire, produire le son mu : jusqu'au 15ème siècle, on ne disait pas « chut ! », on disait : « mot ! ») s'attache à explorer ce que trimballe la sphère des termes qui nous entourent. Le choix d'un mot est le fruit, le produit de nombreux facteurs, étymologiques, politiques, culturels, philosophiques, hasardeux, etc. Une part de mon cerveau sait tout ça. En neurologie, on dit qu'il existe une aire du cerveau, qu'on appelle le bain de sorcière, qui emmagasinerait tout le savoir de l'humanité depuis les origines. C'est une théorie qui explique, par exemple, les cas de glossolalie : quelqu'un se met, lors d'une crise, à parler une langue qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam. Travailler « sur » nos mots, se souvenir de leurs histoires, de ce qu'ils induisent, consciemment ou pas. Déplier les mots (expliquer, du latin ex-plicare, déplier) : dans cette contribution ce sont les mots expertise, objectivité, indépendance, recherche, concerné, qui sont dépliés.
- Entre le Je et le Nous, l'expertise vivante CAP : Débats et récits de Christine, Danièle, Laurence de la Permanence CAP, CIP-Idf, mis en forme par Norbert, commission chercheurs & Intermittents, CIP-Idf. - Permanence CAP de la CIP - IdF p. 139-146 À l'intérieur du mouvement social des intermittents et précaires, « l'expertise CAP » (Conséquences de l'Application du Protocole du 26 juin 2003) est une nouvelle appréhension d'un possible quotidien du Nous. C'est la construction collective d'un savoir sur la réalité d'une réglementation mouvante qui exclut. Par le biais vivant de leur récit, trois intermittentes CAP nous narrent leurs pratiques, leurs émotions, leurs doutes sur la mise en place d'une expertise qui fournit une connaissance dynamique de ce que les gens vivent. Elle est fondée sur le triptyque : entraide, échanges, mobilisation des premiers concernés, à la différence de l'expertise traditionnelle, fondée sur le savoir académique de l'expert unique délégué par l'État. De ce fait, les premiers concernés deviennent les premiers experts de la réalité sociale
- Savoirs_Vampires@War - Beatriz Preciado p. 147 Les anormaux peuvent-ils devenir experts ? Les subalternes peuvent-ils parler ? Quel type d'objectivité peut produire une expertise des anormaux, des trans, des intermittents, des handicapés ou des drogués ? Quel peut être le savoir adéquat à un temps postorganique ? Prenant comme point de départ la notion de situated knowledge, savoir situé, de Donna Haraway, ce texte offre une cartographie schématique des déplacements des savoirs dominants vers une multiplicité de savoirs locaux ou minoritaires (critiques postcoloniales, postféministes, queer, trans), ainsi que du débat épistémologique sur l'objectivité féministe vers les généalogies politiques de la production des savoirs.Abstract With the Farnsworth house, Mies van der constructed the first transparent building in history. But how could you live in it? Is it a building doomed to failure, mi(e)s-conceived ? Transparency, the blur blurring of public and private spaces, forced the inaugural resident, Miss Farnsworth, to struggle with the architecture, to inhabit it without giving into it, following risky paths through the subjectivation of gender and sexual orientation.
- Quand les trans deviennent experts : Le devenir trans de l'expertise - Tom Reucher p. 159-164 Tom Reucher utilise ici des extraits d'écrits de divers « psys » qui opèrent comme des experts par rapport à la transsexualité. Une lecture attentive montre que ces textes produisent des discours discréditants, injurieux, sexistes, homophobes, et transphobes. Ces écrits montrent la frayeur de soit-disant « experts » et leur méconnaissance de la question transsexuelle, qui restent accrochés à des théories obsolètes et inadaptées. La prise de parole par des transsexuels ou des transgenres pour contrer les professionnels et experts qui parlent à leur place est une nouveauté en France. Cela va de pair avec la réappropriation de leur identité par l'auto nomination et la création d'organisations de défense de leurs droits. Les pratiques médicales et chirurgicales peuvent aboutir à la violation des Droits Humains des transsexuels et des transgenres. Les protocoles de prise en charge des patients transsexuels sont inadaptés, ils ne tiennent pas compte de l'évolution des connaissances et de la société. Les transgenres sont exclus du système de soins.
- Projets hypothétiques - Felice Varini p. 165-174
- Sang-statut, sang-loi : le sang sans sexe - Chantal Nadeau p. 175-186 Dans cette réflexion sur les enjeux des débats qui ont entouré le mariage civil gay en Europe et en Amérique du Nord (en particulier an Canada), Chantal Nadeau se demande quels sont les coûts et bénéfices, pour les queer et pour l'État-nation, lorsqu'ils troquent le sang-sexe pour le sang-statut, c'est-à-dire pour un droit qui est pro-famille et pro-nation, vecteur de cohésion sociale. La sexualité queer n'est plus imaginée comme une aberration ou une mésalliance, mais plutôt comme un moteur d'inclusion et d'effacement des différences sexuelles, dont l'emblème devient le queer family man. Avec son obsession pour les questions de filiation, le sang-statut ressuscite une communauté dans laquelle les alliances entre les queer et l'État assurent la protection du citoyen « ordinaire » : le citoyen normal, raisonnable, patriotique, un citoyen dont la sexualité n'est plus porteuse d'aucune dynamique différentialisante.
- Puissances de la variation - Maurizio Lazzarato p. 187-200 Dans cet entretien, Maurizio Lazzarato commence par faire le point sur son intérêt pour la pensée de Gabriel Tarde (qui occupe une place centrale dans ses deux derniers livres). Il revient ensuite sur les usages récents du couple biopouvoir/biopolitique, ainsi que sur la place du « commun » dans la théorie de la Multitude. Il esquisse finalement quelques-unes des implications politiques de la philosophie de la différence, qui nous invite à reconnaître et à libérer la puissance productive de la variation et de l'expérimentation.
- Au rez de chaussée de la ville - Constantin Petcou, Doina Petrescu p. 75-87 ECObox est une initiative de l'atelier d'architecture autogérée, qui propose l'investissement par les habitants du quartier La Chapelle d'un espace en friche et sa transformation en jardin participatif et lieu de rencontre et de débat. La pratique de aaa teste et provoque « la disponibilité » de la ville à travers des « tactiques urbaines » qui visent la condition interstitielle et la temporalité variée de certains espaces urbains. Il s'agit d'une production spatiale de bas en haut, d'une re-dynamisation des espaces et des usages collectifs par des micro-dispositifs urbains issus des dynamiques spontanées et des pratiques quotidiennes. Le projet ECObox est une plate-forme de production urbaine à travers une hétérogenèse de pratiques qui croisent les savoirs et les savoir-faire des habitants, des architectes, des chercheurs et des artistes. C'est un chantier « hétérotopique » où la fabrication de la ville se fait en temps réel, par une interpénétration expérimentale entre un savoir spécialisé et un savoir commun, issu du vécu ; un chantier au « rez-de-chaussée de la ville » dans lequel un habitant quelconque peut rentrer de plein-pied et proposer aux autres un projet culturel, social ou politique.Abstract ECObox is a project initiated by the Self- Managed Architecture Workshop offering the inhabitants of La Chapelle the chance to occupy an abandoned space and to transform it into a participatory garden and a place for debate. It is a worksite at the « ground floor of round the city » in which any inhabitant can enter at their own level and propose a cultural, social or political project to the others.