Contenu du sommaire : « Les beaux quartiers de l'extrême droite »La leçon des choses

Revue Agone Mir@bel
Numéro no 54, 2014
Titre du numéro « Les beaux quartiers de l'extrême droite »La leçon des choses
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - Samuel Bouron, Maïa Drouard p. 7-12 accès libre
  • L'extrême droite à l'université : le cas Julien Freund - Sylvain Laurens, Alain Bihr p. 13-26 accès libre avec résumé
    Les hommages solennels rendus à Julien Freund, notamment par ses pairs au sein de l'ancêtre de l'université Marc Bloch (Strasbourg), ne furent jamais l'occasion d'évoquer les relations nourries que Julien Freund entretint pendant de longues années avec la soi-disant « nouvelle droite », et notamment le Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne, le fameux GRECE. Au-delà, inaugurant une tradition de sociologie ultra conservatrice affichant de façon constante une critique des « utopies de 68 », Julien Freund aura réinventé tout au long des années 1980 un lexique réactionnaire, et formé des universitaires prétendant s'affranchir des clivages droite/gauche pour mieux défendre des idées d'extrême droite.
  • Le patrimoine pour tous : La contribution des aristocrates d'extrême droite au maintien de l'idéologie des « belles demeures » - Maïa Drouard p. 27-44 accès libre avec résumé
    L'extrême droite serait une nébuleuse « anti-système » s'attaquant frontalement à une « classe politique » corrompue. Aussi est-t-elle parfois pensée comme l'alliée de ceux qui veulent que « tout change ». Mais le travail idéologique qu'elle produit s'avère bien souvent un outil précieux pour que « rien ne change » du côté des classes dominantes. La bourgeoisie et l'aristocratie en déclin y trouvent une rhétorique qui promeut une certaine façon de voir le monde, mais permet surtout de restaurer ou de maintenir leur « rang ». Longtemps restée l'apanage de l'aristocratie, la protection du patrimoine bâti et des paysages offre une focale privilégiée pour saisir le travail idéologique réalisé par sa frange la plus réactionnaire.
  • Un militantisme à deux faces : Stratégie de communication et politique de formation des Jeunesses identitaires - Samuel Bouron p. 45-72 accès libre avec résumé
    Certains entrepreneurs politiques de l'extrême droite travaillent à rendre leur appartenance partisane plus « présentable », c'est-à-dire en conformité avec les règles établies dans le champ politique. Gardant la possibilité de se mouvoir dans différents espaces sociaux sans être catalogués, ces groupes renouvellent les institutions en assurant la transmission à la fois idéologique et pratique de leurs traditions. Ainsi les Identitaires, sans rompre avec le radicalisme politique traditionnel d'extrême droite, tentent de se « mélanger à la masse », de s'intégrer dans différentes institutions républicaines qu'ils dénoncent pourtant, non pas pour s'y convertir, mais pour tenter de reconquérir « par le bas » un territoire qu'ils auraient perdu.
  • Le Club de l'horloge et la haute administration : promouvoir l'hostilité à l'immigration dans l'entre-soi mondain - Sylvain Laurens p. 73-94 accès libre avec résumé
    Ce texte revient sur les stratégies mises en œuvre dans les années 1970 par le Club de l'horloge, un club de hauts fonctionnaires fondé par plusieurs futurs cadres du Front national. Dans un pays comme la France où une importante partie du personnel politique est issue de la haute fonction publique et des grandes écoles, convaincre et faire basculer dans son camp une partie (même infime) de la noblesse d'État est quasiment un passage obligé pour accéder aux responsabilités. En toute logique et à l'inverse de ce que son discours de dénonciation des élites pourrait laisser croire, le processus de respectabilisation du Front national ne s'appuie pas seulement sur une stratégie médiatique, mais s'accompagne depuis plusieurs années d'une tentative de séduction quasi continue de petits noyaux de grands commis de l'État.
  • Au-delà du cas Soral : Corruption de l'esprit public et postérité d'une nouvelle synthèse réactionnaire - Stéphanie Chauveau p. 95-122 accès libre avec résumé
    Un dossier sur l'extrême droite se doit aujourd'hui d'aborder le cas d'Alain Bonnet de Soral, d'Égalité & Réconciliation et plus largement de la « galaxie Dieudonné ». Au-delà des soubassements économiques et matériels de cette entreprise politique réactionnaire éminemment contemporaine, qui recycle les thèmes classiques de la rhétorique réactionnaire (antisémitisme, terroir barrésien, etc.), cet article analyse les chances de succès de ce genre de micro-entreprises politiques à partir du capital médiatique qui y a été primitivement accumulé et du contexte plus large qui rend possible sa visibilité et, surtout, les adaptations contemporaines de son discours au cadre médiatique qui le rend visible.
  • Ernst Jünger, itinéraire d'un fasciste clean : Dernières publications, derniers masques - Michel Vanoosthuyse p. 123-146 accès libre avec résumé
    L'histoire du fascisme allemand invite à se mettre « un voile de gaze devant la gueule » plutôt qu'à se confronter avec elle et à s'interroger « sincèrement » sur le rôle qu'on a pu y jouer. Pour cela, Jünger a trouvé de l'aide, en France particulièrement, et ce travail a payé : Jünger figure pour beaucoup au panthéon des grands écrivains. La sacralisation de l'auteur en modèle de tenue morale et en grand écrivain, et l'inscription de son œuvre – y compris la plus militante – dans le littéraire pur, au moyen de manœuvres et d'élagages successifs, visent l'oubli ou, chez les plus prudents ou les moins fanatiques, l'euphémisation constante (la biographie qui vient de paraître est de ce point de vue un admirable exercice) d'un hors-champ suspect.
  • Céline mis à nu par ses admirateurs, même - Évelyne Pieiller p. 147-160 accès libre avec résumé
    Comment concilier le rejet horrifié de toute trace d'antisémitisme, propre à tout démocrate éclairé, avec l'admiration éperdue pour l'œuvre d'un homme capable d'écrire en 1941 : « Bouffer du juif ça suffira pas, je le dis bien, ça tourne en rond, en rigolade, une façon de battre le tambour, si on saisit pas leurs ficelles, qu'on les étrangle pas avec. » Comment saluer la grandeur radicale de l'écrivain sans partager les convictions qui lui permirent de vivre l'Occupation avec quelque agrément ? Les hypothèses foisonnent. Après la théorie des deux Céline, le génie et l'ignoble, d'autres lectures, encore plus amusantes, proposent des variations sur le thème de l'innocent, visionnaire, incompris, désigné comme bouc émissaire.
  • À l'abri de la religion littéraire française : L'« affaire Millet » comme erreur d'ajustement d'un consensus hégémonique apolitique - Thierry Discepolo p. 161-184 accès libre avec résumé
    En littérature (française), le jugement commun (moral et politique) ne s'applique pas comme il s'applique ailleurs. Plus on grimpe dans le panthéon littéraire, plus les écrivains échappent au régime général. On ne peut qualifier autrement qu'en termes religieux cette situation de retrait du sens critique chez ceux qui sacrifient au dogme. Qu'en France cette religion incube surtout dans le flacon éditorial de Gallimard en renforce la singularité. Au nom du style et d'une certaine idée de la langue (française), l'église littéraire donne l'absolution à des prises de position qui auraient discrédité toute personne dépourvue d'une œuvre consacrée. Cette situation légitime la permanence au plus haut du corps social des diverses formes de fascismes et de racismes.
  • Alfred Döblin et la littérature comme activité politique - Alfred Döblin, Michel Vanoosthuyse, Marie Hermann p. 187-205 accès libre