Contenu du sommaire : Les sciences sociales en situation coloniale
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 10, 2004 |
Titre du numéro | Les sciences sociales en situation coloniale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Les sciences sociales à l'épreuve de la situation coloniale - Emmanuelle Sibeud p. 3-7
- Development, Modernization, and the Social Sciences in the Era of Decolonization : the Examples of British and French Africa - Frederick Cooper p. 9-38 Pour comprendre le climat intellectuel des années 1950 et 1960, il est nécessaire de saisir les enjeux qui passionnent les contemporains : la conviction d'assister à une mutation fondamentale de l'ordre politique international et la nécessité de construire des conceptions entièrement nouvelles de sociétés qu'on s'accordait auparavant à pré-senter comme primitives et immobiles. Confrontées aux mouvements sociaux et politiques qui transforment l'Afrique à partir de la seconde guerre mondiale, les bureau-craties coloniales ont modifié leurs perspectives avant les chercheurs. Cet article mon-tre comment les administrateurs coloniaux ont repensé l'ordre social et comment les chercheurs en sciences sociales ont pris le relais en proposant de nouvelles formes d'analyse. Il s'attache à deux exemples en particulier : la réflexion économique sur le développement et la théorie de la modernisation. Mais il insiste aussi sur la contri-bution des enquêteurs de terrain qui observent une réalité plus complexe. Si les cher-cheurs ont été amenés à répondre à une demande d'expertise qui précédait en fait la constitution d'un discours scientifique solidement établi, on voudrait montrer ici qu'ils ont cependant réussi à proposer des interprétations nouvelles du changement social.To understand the intellectual atmosphere of the 1950s and 1960s, one must first grasp the passions of the era : a chance to observe a fundamental change in world political order and the need to develop entirely new conceptions of societies once thought to be static and primitive. Such thinking emerged first not in the academy but in colonial bureaucracies confronted with social and political movements in Africa during and after the war. This article describes the way officials rethought social order and how social scientists later took up and promoted new modes of analysis. It focuses on two examples : development economics and modernization theory. But it notes the caution of scholars doing fieldwork, who observed a more complex reality. Scholars responded to demands for useful knowledge before the knowledge base was secure, but even so they helped consolidate new visions of social change.
- Le Commandant de Cercle : un « expert » en administration coloniale, un « spécialiste » de l'indigène ? - Véronique Dimier p. 39-57 Cet article vise à analyser dans quelles mesures l'institutionnalisation d'une science politique ou administrative des colonies au sein de la formation des administrateurs coloniaux s'inscrit dans une stratégie de défense d'une administration coloniale, poli-tique par excellence, qui prise, entre les revendications des nouvelles élites africaines et l'emprise croissante des services techniques, tente de se trouver une nouvelle raison d'être « technicisée » ; dans quelles mesures elle fait partie du processus de profession-nalisation progressive d'un corps qui jusqu'ici se définissait précisément par son dilettantisme.This article aims at analysing to what extent the institutionalisation of a science of colonial government within the training of colonial administrators is part of a strategy used by colonial administrators to defend their authority and legitimacy in a context marked by the claims of the African elite and the growing powers of more technical services. It will be our argument that, faced with these two factors, these officers, whose role was purely political, tried to find a new raison d'être through a more scientific legitimacy. This strategy was also part of a process of professionalisation of a service, which till then defined itself by its amateurism.
- Les héritiers de Raombana. Érudition et identité culturelle à Madagascar à l'époque coloniale (fin XIXème siècle-1960) - Didier Nativel p. 59-77 Héritiers du premier historien de Madagascar, Raombana (mort en 1855), les érudits malgaches de l'époque coloniale le sont de manière indéniable. Comme lui, ils ont été formés par les missionnaires anglo-saxons de la LMS (London Missionary Society), avant de participer à la construction intellectuelle de la communauté nationale, à travers un travail sur les spécificités de la culture malgache, dans toutes ses composantes, et du passé de l'île. Il s'agissait alors de répondre au défi de la colonisation. L'Académie malgache, fondée en 1902 par Gallieni, entendait contrebalancer l'influence anglaise et rallier progressivement les figures les plus éminentes de ce courant savant. De fait, les Malgaches investirent peu à peu l'institution au point d'en prendre les rennes avant l'indépendance. Cependant, c'est au sein de réseaux protestants et nationalistes actifs, que s'est développé l'essentiel de l'érudition malgache. Peu après la Seconde Guerre mondiale, émerge un savoir plus spécialisé qui annonce la professionnalisation des sciences humaines, effective à partir de la création de l'Université de Madagascar au début des années 1960.The malagasy scholars of colonial days are undeniably the true heirs of Madagascar's first historian, Raombana (who died in 1855). Like him, they were taught by the anglo-saxon missionaries of the LMS (London Missionary Society). Their intellectual contribution to Malagasy culture and history helped towards the establishment of an « imagined community ». It was an answer to the challenge of colonisation. The Malagasy Academy founded in 1902 by governor Gallieni, was meant to counterbalance the English influence and, in time, win over the most outstanding amongst them. And indeed, they slowly took over the Academy and were actually ruling it by the time of the Independance. But those scholars also thrived in protestant and nationalist networks. Soon after the end of the World War II, knowledge became more rigorous, a trend only to be confirmed by the opening of the University of Madagascar in 1960.
- Un ethnographe face à la colonisation : Arnold Van Gennep en Algérie (1911-1912) - Emmanuelle Sibeud p. 79-103 Dans les années 1910, Arnold Van Gennep défend une ethnographie émancipée de la tutelle de l'anthropologie physique et qui applique à toutes les populations humaines les mêmes procédures d'enquête. Il est aussi très proche des réseaux d'érudition coloniale qui participent au renouveau institutionnel de la science de l'homme en France. Ses relations coloniales lui permettent de se lancer dans une enquête en Algérie dont il veut faire un modèle d'enquête de terrain. Il espère aussi que cette expérience posera les premiers jalons d'une expertise ethnographique venant éclairer la domination coloniale. Mais les écrits qu'il rapporte d'Algérie montrent que les réalités algériennes bousculent son projet sur plusieurs plans. L'enquête algérienne de Van Gennep nous invite donc à examiner d'un peu plus près ce qu'un ethnographe peut comprendre en 1911-1912 de la domination coloniale. De même, elle alimente un discours plus complexe que prévu et franchement ambivalent dont il faut analyser les enjeux épistémologiques et politiques. Elle constitue ainsi un épisode singulier mais significatif de l'histoire des relations entre sciences de l'homme et colonisation en France dans la première moitié du XXème siècle.In the 1910's, Arnold Van Gennep champions the scientific and institutional autonomy of ethnography by seeking fieldwork methods that could be applied to any population, wether « civilized » or « savage ». He is also bound with colonial amateurs who play a key part in the current reorganization of French anthropological research institutions. His colonial connections allow him to sail to Algeria in 1911-1912 where he starts what should be a model fieldwork research. He also hopes that it will provide him with some clues to offer his ethnographic ability to colonial authorities. But his experience in Algeria turns out to be much more complex and ambiguous than expected. Thus it is a good case study to understand how Van Gennep, as a skilled and careful fieldworker, read the colonial situation he had got involved with. This paper deals with the epistemological and political aims of his publications on Algeria in order to give some insights on the realities of the relationship between colonialism and anthropology in France at the beginning of the XXth century.
Document
- Marcel Mauss : « Projet de présentation d'un bureau d'ethnologie » (1913) - Emmanuelle Sibeud p. 105-115
- Fonds Hubert – Mauss. Archives du Collège de France - p. 117-124
Varia
- La Société d'Anthropologie de Paris de 1859 à 1920 - Jean-Claude Wartelle p. 125-171 Fondée par Paul Broca en 1859, la notoire Société d'Anthropologie de Paris connut quatre secrétaires généraux entre sa naissance et son périlleux déclin de l'entre-deux-guerres, ce qui structure cette étude en quatre principales séquences. S'y intercale un développement sur le matérialisme scientifique, travers fréquent de l'intelligentsia française de l'époque. L'article interroge l'inscription initiale de cette discipline dans le domaine des sciences naturelles, ce qui entraîna la considérable différence avec les anthropologies anglo-saxonnes ainsi qu'avec l'orientation moderne de cette discipline.Founded by the surgeon Paul Broca in 1859, the quite famous Société d'Anthropologie de Paris was managed by four secretaries till its sort of lethal doom during the twentieth century' nineteen thirties. The study is divided into five parts, one for each secretary and in-between a special record of the « matérialisme scientifique », a typical atheistic group within French intelligentsia. The study ponders over the original location of French anthropology inside natural sciences, a fact which produced a marked difference with its Anglo-saxon sisters and with the modern anthropological vision.
- La Société d'Anthropologie de Paris de 1859 à 1920 - Jean-Claude Wartelle p. 125-171
Note critique
- Dépasser la blackboard methodology. À propos des propriétés de la modélisation économique - Philippe Le Gall p. 173-181
Livres
- Livres - p. 183-202
- Ouvrages reçus - p. 203