Contenu du sommaire : France - Etats-Unis
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 11, 2004 |
Titre du numéro | France - Etats-Unis |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- France – États-Unis : influences croisées en sciences humaines - Olivier Martin, Frédéric Keck, Jean-Christophe Marcel p. 3-12
- Une opposition structurante pour l'anthropologie structurale : Lévi-Strauss contre Gurvitch, la guerre de deux exilés français aux États-Unis - Laurent Jeanpierre p. 13-44 Cet article contribue à une socio-genèse des Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss. Contre les explications purement intellectualistes ou psychologi-ques de la créativité scientifique de l'ethnologue français réfugié aux États-Unis, on montre à quelles conditions une position d'exilé peut offrir l'opportunité d'une révolu-tion symbolique. À cet effet, on compare les trajectoires, les visions du monde social, les manières de faire et les modes d'engagement politique en exil de Claude Lévi-Strauss et de Georges Gurvitch. Sur un plan historique, on montre que, manifeste dans les années 1950, l'opposition des prises de position et des styles scientifiques et intel-lectuels des deux hommes s'était déjà cristallisée pendant la Seconde Guerre mondiale.En outre, elle a représenté un facteur social important, jusqu'à présent négligé, dans la formation de l'anthropologie structurale. La plus grande capacité à innover de Lévi-Strauss, dans la situation de double marginalité de l'exilé, s'explique par le fait qu'il compense le moindre volume de ses capitaux scientifiques et symboliques par une stra-tégie d'accumulation d'un capital social international et interdisciplinaire plus ouvert et diversifié que celui de Gurvitch, composé de liens faibles plutôt que de liens forts. Au fond, l'article propose de réviser les théories sociologiques qui associent automati-quement marginalité sociale et créativité intellectuelle.This article proposes a socio-genesis of Claude Lévi-Strauss's The Elementary Structures of Kinship. Against the purely intellectualist or psychological explanations of scientific creativity, it highlights the social conditions under which a position of in-tellectual in exile may transform itself into an opportunity for symbolic revolution. For this purpose, I compare the trajectories, the visions of the social world, the ways of doing science and the types of political commitment of Claude Lévi-Strauss and Georges Gurvitch. Their open conflict in the Fifties appears to have been prepared during World War II in the United States. Moreover, this first opposition between the two social scientists represents an important social factor, neglected sofar though, in the invention of structural anthropology. If in such a social situation of marginality Lévi-Strauss's capacity for innovation is higher, if his recognition after exile is bigger, it is because he could accumulate some social capital which is more open and diverse than Gurvitch's. The article calls for a revision of sociological theories which put for-ward an automatic correlation between social marginality and intellectual creativity.
- Une réception de la sociologie américaine en France (1945-1960) - Jean-Christophe Marcel p. 45-68 La réception de la sociologie américaine par les « patrons » français de la sociologie universitaire des années 1950 présente des particularités. Si, sur la période, chacun d'eux définit dans la production américaine « les bons auteurs » dont il faut s'inspirer, et en même temps les références repoussoirs à ne pas imiter, cette sélection différenciée n'en présente pas moins de troublantes convergences. Les auteurs américains sont en effet commentés à la lumière d'une conception qui renvoie à un « holisme méthodologique » – héritée sans doute tout à la fois de la pensée durkheimienne, et du marxisme, dominant à l'époque. Au final, il s'agit de s'approprier des méthodes d'enquêtes const-tuées outre-Atlantique, tout en rebâtissant autour un cadre conceptuel compatible avec l'exigence d'expliquer en toutes circonstances les parties par le tout. De la sorte, la « refondation » de la sociologie française après 1945 n'est pas, du moins dans un premier temps, le ralliement tous azimuts à la sociologie empirique américaine, qu'on a parfois voulu voir.The reception afforded to American sociology in the 1950s by the French « bosses » of sociology in academia reveals some particularities. If, at the time each of them identify separately in the American research output « the good authors » from which to be ins-pired, and at the same time the rejected references not to be copied, this differentiated selection presents some worrying convergences. The American authors are effectively critiqued by reference to a conception that refers to a « methodological holism » – in-herited undoubtedly at the same time from Durkheimian thought and from Marxism that were dominant at the time. In the end it is a case of appropriating the research me-thods developed across the Atlantic, while reconstructing a conceptual framework around them compatible with the need to explain in all circumstances the parts in terms of the whole. The « rebuilding » of French sociology after 1945 is not, at least initially, the unconditional rallying around the empirical American sociology, which some have wished to see.
- La difficile réception de la philosophie analytique en France - Romain Pudal p. 69-100 La question de la circulation internationale des idées fait souvent l'objet d'un consensus mou de la part des universitaires et des chercheurs qui considèrent avec évidence que le travail intellectuel doit se nourrir de toutes les traditions de pensée et que seule l'éva-luation objective de la qualité des productions intellectuelles est au principe de leurs affinités électives. L'exemple de la réception de la philosophie analytique en France permet de sortir de cette vision quelque peu naïve du travail intellectuel et de récuser les discours en forme de « prescription méthodologique » (Michael Pollack) vantant les mérites du cosmopolitisme intellectuel. L'article retrace donc les principales étapes de la réception de la philosophie analytique en France dans une perspective socio-historique en privilégiant deux hypothèses susceptibles d'expliquer sa longue mise à l'écart : le fonctionnement institutionnel de la philosophie en France et l'importance de la figure de l'intellectuel à la française. On verra par ailleurs que la surdétermination idéologique des prises de position intellectuelles constitue un élément central du champ intellectuel français.Academics often consider the international circulation of ideas as a smooth process through which different traditions of thought become simply assimilated after their intellectual worth has been objectively assessed. The case of the reception of analytical philosophy in France illustrates the more complicated mechanisms of the internationa-lization of concepts and the misleadind representation of intellectual cosmopolitanism. This paper relates the main phases of this reception in a socio-historical standpoint and analyses the reasons why analytical philosophy has been excluded for such a long time from the French territory. The institutionnal functionning of philosophy in France and the notion of « intellectuel à la française » appear as the two key explanations of this situation. Moreover, the ideological determination of choices will feature as an essen-tial.component of the French intellectual field.
- Rencontres, appropriations et zones d'ombre : les étapes d'un dialogue franco-américain sur l'histoire des femmes et du genre - Rebecca Rogers p. 101-126 L'article propose une analyse chronologique du dialogue entrepris dans le domaine de l'histoire des femmes et du genre entre historiennes américaines et françaises. Des premières années, de 1970 à 1985, on retiendra une curiosité réciproque mais aussi une institutionnalisation bien plus précoce de la communauté américaine qui se dote de revues spécialisées, d'associations spécifiques et de programmes d'études femme. Entre 1986 et 1995 apparaît la catégorie d'analyse « gender » aux États-Unis et dans les deux pays la volonté de théorisation est grande. C'est également le moment des premières traductions qui permettent une plus grande circulation des idées. Depuis 1995, les collaborations se sont multipliées, les françaises se sont dotées d'une revue d'histoire des femmes et d'une association, il reste néanmoins des zones d'ombre dans le dialogue, notamment autour des approches postmodernes, peu appréciées en France.The article offers a chronological analysis of the dialogue between French and American historians working on women's and gender history. The initial years between 1970 and 1985 reveal mutual curiosity, but especially the American advance in terms of institutionalization, thanks to the existence of specialized journals, associations, and women's studies programs. The years 1986-1996 witness the emergence of gender as category of analysis while in France theoretical discussions also develop. This is the moment when translations become increasingly available allowing ideas to circulate more broadly. In the years since 1995, Franco-American collaborations have developed and French historians have founded a women's history journal and an association to promote the field. Nonetheless, the dialogue has remained limited in some areas, notably around post-modern approaches, which are far less appreciated in France.
Document
- Paris in the Springtime : un voyage de sciences sociales en 1929 - Pierre-Yves Saunier p. 127-156 Le professeur Charles Merriam, président du département de Political Science de l'Université de Chicago, passe six semaines à Paris en 1929 pour y étudier le paysage des sciences sociales, afin de préparer le développement local du programme de scien-ces sociales de la Rockefeller Foundation. Son rapport, ici publié, est un point de vue sur le paysage des sciences sociales françaises des années 1920. Cet article propose d'explorer les conditions de cette prise de vue, en revenant sur les différentes dimen-sions de l'agenda du Professeur Merriam. Le voyageur universitaire s'y rèvèle agile, poursuivant des objectifs multiples qui informent sa perception du paysage et sa cris-tallisation finale. Son rapport, plus qu'un simple témoignage, est une trace des forces, des contraintes et des possibilités ouvertes dans l'espace des sciences sociales et hu-maines par la mise en place de programmes transnationaux de recherche et d'ensei-gnement, sous l'égide des grandes fondations philanthropiques états-uniennes.Professor Charles Merriam, then Chair of the University of Chicago Political Science department, spent 6 weeks in Paris in 1929. His travel chore was to assess the state of the social sciences in the French capital, in order to install the social sciences program of the Rockefeller Foundation in France. His report, that is published herewith, offers a point of view on French social sciences in the 1920s. This article explores the conditions of this assessment, and peels off the different dimensions of Merriam's agenda. The academic traveler appears a versatile creature whose pursuits are many, all which shape his perception of the parisian landscape. Accordingy, his report is more than a mere evidence or account of that scene. It is a remnant of the forces, constraints and possibilities that the establihsment of transnational private research and teaching policies opened for all the protagonists of the developing social sciences.
- Paris in the Springtime : un voyage de sciences sociales en 1929 - Pierre-Yves Saunier p. 127-156
Varia
- Quand Robert Park écrit « La ville » (1915). Essai de scientométrie qualitative - Pierre Lannoy p. 157-184 La production sociologique est, comme toute autre activité sociale, une activité située et incarnée, assurée par des individus insérés dans des rapports sociaux concrets. L'hypothèse suivie ici pose que cette situation influe sur le contenu même des écrits savants et, par conséquent, que celle-ci peut en retour y être décelée. Ce point de vue nous a amené à découvrir dans l'article que le sociologue américain Robert Park rédigea en 1915 au sujet de la ville une préoccupation intellectuelle qui n'est pas celle communément identifiée aujourd'hui. Plutôt, en effet, que d'y trouver la présentation d'un programme de recherche, nous y avons décelé la réponse à une injonction contradictoire (enseigner une démarche de recherche, l'enquête sociale, dont Park doutait de la valeur) que seules la trajectoire et la position sociales de son auteur permettent de saisir pleinement. Sur la base de données biographiques précises, notre étude décrit la genèse de l'extériorité et de l'hostilité que Park entretenait vis-à-vis du mouvement d'enquête sociale, alors dominant dans la sociologie américaine, et montre que cette opposition explique largement la logique et l'originalité de son texte sur la ville.Sociological production is a situated and embodied activity carried out by individuals inserted in actual social relations. It is here hypothesized that this feature has an influence upon the content of scholarly literature and that it can be revealed in the scientific text itself. This hypothesis is followed in order to shed a new light on The City, the famous paper written in 1915 by the American sociologist Robert E. Park. Generally presented as a manifesto for an autonomous urban sociology, our study shows that its conception was actually motivated by Park's hostility and exteriority towards the social survey movement which dominated the American sociological field at the time and about which Park was asked to teach when he affiliated with the Sociology Department at the University of Chicago. Biographical evidences are presented in order to describe the genesis of Park's animosity towards the social survey movement and its influence on the 1915 version of The City is carefully evaluated.
- Le Conservatoire des Arts et Métiers et la « machine humaine » Naissance et développement des sciences de l'homme au travail au CNAM (1910-1990) - Thomas Le Bianic p. 185-214 La trajectoire empruntée par les sciences du travail au CNAM depuis le début du XXème siècle témoigne bien des déplacements de la question du travail dans le champ scientifique et dans le débat politique et social. Trois périodes sont ici distinguées. Le projet initial d?une science positive du travail (1910-1945), qui permettrait de régler par des voies scientifiques la « question sociale » en se fondant sur les progrès de la physiologie et de la psychologie expérimentale, est progressivement supplanté par une logique productiviste, qui met la psychotechnique au service de la rationalisation industrielle (1947-1970). Le CNAM devient ainsi l'un des principaux pourvoyeurs de psychotechniciens dans la France de l'après-guerre. Les évolutions plus récentes de la psychologie du travail au CNAM (depuis 1970) ne peuvent être comprises que si elles sont replacées dans le contexte plus large des évolutions internes de la psychologie, caractérisées par un déclin relatif de la méthode expérimentale face à des méthodes concurrentes (psychosociologie et psychologie clinique).The evolution of the scientific study of work at the Conservatoire des Arts et Métiers (CNAM) reveals the changing conceptions of labor in the scientific field as well as in the social and political debate. Three periods are here distinguished. The initial project (1910-1945) was that of a positive science of work, based on physiology and applied psychology, that would give a scientific response to the social conflicts between capital and labor. In the postwar years (1945-1970) the focus changes radically, and industrial psychology contributes to the rationalization of a growing industry. The CNAM trained an important proportion of the industrial psychologists who exerted in this period. The more recent evolutions (since 1970) can be understood only if replaced in the wider context of the psychological discipline, characterized by a relative decline of the experimentalist methods in front of the clinical or psychosociological methods.
- Éléments biographiques inédits sur Jules Regnault (1834-1894), inventeur du modèle de marché aléatoire pour représenter les variations boursières - Franck Jovanovic p. 215-230 Cet article offre une biographie inédite de Jules Regnault qui fut le premier, en 1863, à modéliser les variations boursières par un modèle de marche aléatoire. Ce modèle constitue une des clefs de voûte de l'économie financière actuelle, car il est constitutif de la théorie de l'efficience informationnelle élaborée entre 1965 et 1976 par Eugène Fama. Cette théorie attribue à ce modèle la représentation de l'évolution dynamique des prix d'équilibre d'un marché de libre concurrence. Cet article retrace ainsi la vie de Jules Regnault fournissant ainsi une meilleure compréhension de l'origine de ce modèle.This article provides an unpublished biography of Jules Regnault who is the first to characterise stock price variations by a random walk model in 1863. This model is one of the keystones of current financial economics, because it led Eugene Fama to elaborate the efficient market theory between 1965 and 1976. According to this theory, this model represents the dynamic evolution of equilibrium prices on a competitive market. This biography of Jules Regnault provides a better comprehension of the origin of this model.
- Quand Robert Park écrit « La ville » (1915). Essai de scientométrie qualitative - Pierre Lannoy p. 157-184
Livres
- Livres - p. 231-246