Contenu du sommaire : Naissances de la science sociale (1750-1855)
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 15, 2006 |
Titre du numéro | Naissances de la science sociale (1750-1855) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Naissances de la science sociale (1750-1855)
- Explorer les mondes de la science sociale en France - Frédéric Audren p. 3-14
- La science de l'économie politique et les sciences sociales en France (1750-1830) - Philippe Steiner p. 15-42 Cet article examine en premier lieu les différentes significations attachées aux termes d'économie, d'économie politique et de sciences morales et politiques au XVIIIe siècle. Cet examen montre que si le terme d'économie a un sens très général, celui d'économie politique prend une signification spécifique, celle d'un discours politique fournissant de nouvelles règles à la politique. Ce savoir est-il une science particulière à l'intérieur de ce que l'on dénomme alors les sciences morales et politiques ou bien n'en est-il qu'une partie ? La question reçoit une réponse déterminée à partir des années 1820 lorsque A. Comte et H. Saint-Simon soulignent la différence entre le comportement intéressé, théorisé par deux philosophes utilitaristes, Helvétius et D'Holbach, et le comportement fondé sur les valeurs, tout particulièrement les valeurs religieuses. La sociologie ou la science sociale apparaissent alors comme un contre-discours politique face à l'économie politique.This paper considers firstly the different meanings attached to economy, political economy and the morals and political sciences. Economy has a broad meaning, encompassing various domains, whereas political economy has a more specific one since it was conceived as a political discourse aiming at defining new rules for governing the population. However, the question is raised to know whether political economy is the general science of the social or constitutes only a limited and special part of this science. In the beginning of the 1820's, A. Comte and H. Saint-Simon gave a bold answer to this question when they stressed the clivage between the self interested behaviour elaborated by political economists and utilitarian philosophers such as Helvétius and D'Holbach and the behaviour grounded on value, specially religious values. Sociology and the social sciences then appeared as a political counter discourse opposed to the political economy.
- De la science de l'homme aux sciences humaines : enjeux politiques d'une configuration de savoir (1770-1808) - Jean-Luc Chappey p. 43-68 Trop souvent étudiée à la lumière d'une histoire disciplinaire sous l'angle de paradigmes – naturaliste ou médical –, l'analyse des usages de la notion « science de l'homme » entre 1770 et 1808 constitue néanmoins un moyen de contribuer au renouvellement de l'histoire politique. À partir de 1770, la notion de « science de l'homme » tend à s'imposer progressivement comme un nouveau terrain d'intervention investi par des « philosophes » et « écrivains » soucieux de participer aux débats sur les réformes politiques et de transformer radicalement les principes sur lesquels sont construites les relations entre les individus et les sociétés. Cette idée de « régénération » et de « perfectionnement » à laquelle est associée cette « science de l'homme » s'inscrit, dès 1789, dans les logiques de conflits et de reconstruction de l'espace politique, jouant un rôle essentiel dans la mise en place et la défense du projet républicain du Directoire. Véritable paradigme scientifique et politique jusqu'en 1802, la « science de l'homme » est ensuite la cible de nombreuses attaques qui tendent à la marginaliser dans le nouvel ordre des savoirs qui se met en place sous l'Empire. Considérée à travers les débats et les conflits politiques qui scandent cette période 1770-1808, il est possible de mieux comprendre les enjeux qui ont entouré les projets successifs pour construire une science de l'homme et approfondir par là la réflexion concernant les modalités de cette transition des « Lumières au positivisme » qui caractérise le « moment 1800 ».Often reduced in an internal history of disciplin, the history of the « science of man » open several possibilities to increase the knowledges of the political and social trends between the end of Ancien Régime and Restauration. From 1770's, this field of theory and practice is investigated by writers and thinkers who defend the idea of « reform » in the context of political crisis. During French Revolution the notion of science of man become a central principle in the debates of political and social construction : amalgamated with the idea of « regeneration », the science of man – defended by the famous Ideologues – take place as a real political and intellectual paradigm during the Directory. Studing man and human societies is a mean to perfect political order and make a new citizen. The promoters of science of man want to reverse the « Jacobin excess » and popular upheaval through physical and moral education. From 1802, a new social and institutional organization of sciences cause the disappearance of science of man. Besides these transformations of world of sciences, the defeat of the ideal of science of man – sign of the transition between the « Lumières » and the « Positivism » – can be interpreted as the Napoleon Bonaparte enterprise to breack with the Republican project and the Revolutionary (dis)order.
- La « science sociale » de Charles Fourier - Pierre Mercklé p. 69-88 À l'instar de la « physiologie sociale » de Saint-Simon ou de la « sociologie » plus tardive d'Auguste Comte, la « science sociale » de Charles Fourier (1772-1837) ambitionnait d'introduire dans les études sociales la rigueur méthodologique des sciences dites « exactes ». Or, cette ambition a été occultée par les « réceptions » du fouriérisme, et en particulier par la distinction établie par Marx et Engels entre « socialisme utopique » et « socialisme scientifique ». Pourtant, « l'intention » scientifique est explicite chez Fourier, et s'appuie sur l'emprunt aux mathématiques et aux sciences de la nature de leurs éléments constitutifs principaux, soit formels (idéologie de la découverte, mathématisation des énoncés, volonté systématique de classification des phénomènes sociaux, foisonnement analogique...), soit plus « substantiels ». Cette « intention » scientifique s'appuie en effet fondamentalement sur une « exigence expérimentale » : Fourier et ses disciples se sont d'abord efforcés d'infléchir la doctrine originelle de telle façon que ses énoncés puissent être soumis à l'expérience. Ensuite, ils tentèrent des « expérimentations sociales », organisées soit par l'École sociétaire, soit par des groupes fouriéristes dissidents : les « phalanstères » fouriéristes apparaissent alors comme autant de « laboratoires » pour l'observation des ambitions d'une doctrine qui prétendait y articuler « science sociale » et volonté de transformation sociale.Following the example of the « social physiology » created by Saint Simon or the later « sociology » of Auguste Comte, the « social science » of Charles Fourier (1772-1837) sought to introduce the methodological rigor of the exact sciences into social studies. However, the « receivers » of Fourierism helped to eclipse this very ambition, especially after the distinction was made by Marx and Engels between « utopian » and « scientific » socialisms. Nevertheless, Fourier's scientific « intention » was explicit. He backed it up by borrowing from the principal elements of the mathematics and the natural sciences ; these elements were either formal (a rhetoric of scientific discovery, mathematical statements, the systematic classification of social phenomena, a proliferation of analogies...) or more « substantial ». Basically, this scientific « intent » relies upon an « experimental requirement »: Fourier and his disciples endeavoured to shift the original doctrine in such a way that his statements could be subjected to experimentation. Afterwards, they attempted « social experiments » that were organized either by the École Sociétaire or by groups of Fourierist dissidents. Their « phalanxes » thus may be regarded as « laboratories » for the study of a doctrine that tried to articulate « social science » with a will to transform society.
- Avez-vous lu Le Play ? : Note sur la genèse des Ouvriers européens - Jérôme David p. 89-102 Après avoir pointé quelques-uns des obstacles historiographiques qui s'opposent à une contextualisation documentée de l'œuvre sociologique de Frédéric Le Play (1806-1882), cet article propose une étude de la première genèse des Ouvriers européens (1855). L'auteur montre comment l'ethos savant d'un ingénieur des mines a pu conduire Le Play à élaborer une théorie de la pratique inédite dans le domaine de la métallurgie ; il détaille les raisons qui ont poussé Le Play à engager ce dispositif savant dans l'étude des populations ouvrières ; il rappelle combien cette science sociale est différente, dans ses présupposés épistémologiques et ses préceptes d'enquête, de la « physique sociale » d'Auguste Comte et d'Adolphe Quételet, ainsi que des travaux de Louis-René Villermé et d'Eugène Buret. Tirant la leçon de cette coexistence de sociologies presque incommensurables dans les années 1820-1860, la conclusion de l'article s'interroge sur un bon usage possible de l'anachronisme en histoire des sciences sociales.The study of the sociological work of Frédéric Le Play (1806-1882) suffers from several historiographical préjugés which hinder the comprehension of its historical importance. The article shows under which conditions an ingénieur des mines has produced in the domain of metallurgy a radically new theory of the workers' practice ; it evokes some of the reasons why Le Play has transferred this perspective to the observation of the workers' ways of life ; it underlies the epistemological and methodological differences between the leplaysian social science and the « physique sociale » of Auguste Comte and Adolphe Quetelet, as well as the inquiries of Louis-René Villermé and Eugène Buret. Its conclusion proposes a reflection upon the notion of anachronism, when applied to the history of the social sciences.
Entretien
- Comment penser la genèse des sciences sociales ? - Johan Heilbron p. 103-116
Document
- Sieyès et le non-dit de la sociologie : du mot à la chose - Jacques Guilhaumou p. 117-134 Dans un de ses manuscrits inédits, que l'on peut dater des années 1780, Sieyès invente le terme de sociologie 50 ans avant Auguste Comte. Définit-il pour autant les contours d'une sociologie ? L'objet de cette étude est alors de tracer, à l'intérieur des textes de Sieyès, le parcours philologique qui permet à ce néologisme de prendre valeur d'événement linguistique par le fait même de son caractère éphémère. À ce titre, il s'agit de suivre le trajet lexical et conceptuel qui nous mène de « l'organisme social » aux « rapports sociaux », de « l'organisation sociale » aux institutions, sous l'égide de l'organisation des mœurs au sein de « l'ordre local ». Un tel socle sociologique, s'il se trouve au fondement de l'art social, n'en demeure pas moins limité à ce qu'il doit en être de l'utilité sociale, donc à ce qui doit permettre l'assimilation dans une société bien ordonnée, avant même son ultime réalisation dans l'ordre politique.In one of his unpublished manuscript, probably written around 1780, Sieyès invents the word « sociologie » (« sociology »), fifty years before Auguste Comte. However, does he define the outline of sociology? The aim of that study is to draw inside Sieyès'texts the philological way that helps this neologism take the value of a linguistic event thanks to its non lasting character. Therefore, we are to follow the lexical and conceptual way that leads us from the « social body » (the « organisme social ») to « social relations » (« rapports sociaux »), from the « social organisation » (the « organisation sociale ») to institutions, under the aegis of the uses in the « local order » (the « ordre local »). Although not realised in the political order, such a sociological base is at the beginning of social art, but it remains limited to what social utility must be, therefore to what allows assimilation in a well organised society.
- Sieyès et le non-dit de la sociologie : du mot à la chose - Jacques Guilhaumou p. 117-134
Varia
- Les premiers baromètres économiques américains (1900-1919) : le rôle de l'analogie mécanique - Éric Chancellier p. 135-155 L'objectif de l'article est d'analyser les premiers baromètres économiques américains de Babson et Brookmire apparus au début des années 1900. Précisément, nous constaterons que ces baromètres s'inspirent fortement de l'analogie physico-mécanique. Nous dégagerons deux caractéristiques majeures – analysées dans deux parties successives – où l'analogie mécanique est utilisée à des fins particulières. Tout d'abord, nous constaterons que les utilisations des graphiques et des indices ont servi à la fois de support descriptif du mouvement mais aussi de moyen d'inférence causale par l'intermédiaire de la loi de Newton. Ensuite, nous développerons l'idée selon laquelle le mécanisme permet une décomposition temporelle particulière. L'analogie mécanique sera utilisée dans les baromètres économiques pour permettre la prévision.Our aim is to study the first American economic barometers – Babson and Brookmire – in the 1900s. Especially, we notice that these barometers are strongly inspired by the physico-mechanical analogy. First, we analyse the descriptive vocation of these barometers. It aims at representing the economic movement one the one hand, and at using causal inference. Second, we suggest that the mechanical analogy allows a particular temporal decomposition. It will be used in the economic barometers to allow the forecast.
- Les premiers baromètres économiques américains (1900-1919) : le rôle de l'analogie mécanique - Éric Chancellier p. 135-155
Livres
- Livres - p. 157-167