Contenu du sommaire : Décolonisation et sciences humaines
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 24, 2011 |
Titre du numéro | Décolonisation et sciences humaines |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Décolonisation et sciences humaines
- Des « sciences coloniales » au questionnement postcolonial : la décolonisation invisible ? - Emmanuelle Sibeud p. 3-16
- M'hamed Belkhûja (Tunis, 1869-1943) : Un historien en situation coloniale - Kmar Bendana p. 17-34 M'hamed Belkhûja (1869-1943), historien et fonctionnaire du Protectorat, est une personnalité troublante aux yeux de l'historiographie nationaliste, en partie à cause de sa collaboration à l'administration coloniale. Pour situer son apport à l'histoire contemporaine, cet article présente le personnage politique, sa formation bilingue entre deux traditions académiques comme il replace son œuvre dans son cadre de production et de réception, révélateur de mixage culturel. L'itinéraire comme les écrits de ce lettré tunisien témoignent des lieux et des formes d'élaboration d'une histoire nationale en situation coloniale, partagée entre l'affirmation patriotique d'un passé et sa formulation selon des codes d'expression nouveaux, tels que l'article de revue.M'hamed Belkhûja (Tunis, 1869-1943)A historian and a civil servant in the Protectorate Era in Tunisia, MB (1869-1943) appears as a blurred figure in nationalist historiography as he was involved with colonial administration. To assess his contribution to Tunisian contemporary history, this article traces his political career and his bilingual training in two different academic traditions. It also reconstructs the context of his research and writings, a context indicative of cultural mixing. His trajectory as well as his works point to places and ways in which a national history could be built out of a colonial situation. This history was torn between a patriotic assertion of the past and its reformulation according to new codes of expression such as articles in academic journals.
- Les professionnels africains de la recherche dans l'État colonial tardif : Le personnel local de l'Institut Français d'Afrique Noire entre 1938 et 1960 - Jean-Hervé Jézéquel p. 35-60 Les Africains ont joué un rôle précoce mais longtemps subordonné dans les dispositifs de production des savoirs coloniaux. D'une certaine manière, le recours aux « informateurs indigènes » est aussi ancien que la pratique du terrain ethnographique. À partir de la fin des années 1930, les conditions de cette participation entrent cependant dans une phase nouvelle. L'État colonial tardif s'intéresse en effet à la modernisation des sociétés africaines et mobilise les chercheurs pour répondre à ses nouvelles interrogations. Cette période est à la fois marquée par la création d'institutions locales de recherche comme l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN) et par la professionnalisation du personnel scientifique et technique en charge de ces instituts. Cet article interroge l'impact de ce nouveau contexte sur la place occupée par les lettrés africains dans les milieux de la recherche ouest-africaine. Il analyse le recrutement, la trajectoire et le rôle des employés ouest-africains de l'IFAN depuis la création de l'institut en 1938 jusqu'aux indépendances de 1960.African Researchers and the Late Colonial State
This article analyses the careers and roles of IFAN's African employees from the creation of the Institute in 1938 to the independence of French West Africa in 1960. Africans played an early yet subordinated role in the production of colonial knowledge. To a certain extent the use of native informants is as ancient as the practice of the ethnographic field itself. In the late 1930s this collaboration entered a new phase. As the late colonial state took interest in the modernization of African societies, social scientists were encouraged to produce knowledge in this new field of expertise. Local research institutes such as the Institut Français d'Afrique Noire (IFAN) were created and staffed with professional researchers and technicians. These changes affected the way Africans participated in the production of scientific knowledge. - La « décolonisation doctrinale » ou la naissance du droit d'outre-mer (1946-début des années 1960) - Florence Renucci p. 61-76 Cet article s'intéresse au rôle des juristes qui publient des analyses sur des questions de droit relatives à l'avenir de l'outre-mer à partir de 1946 jusqu'au début des années 1960. Nous avons pu ainsi mettre en évidence l'approche libérale de plusieurs spécialistes sur les questions ultramarines. Cette doctrine s'éloigne de la vision strictement coloniale, basée sur la notion de « domination », pour privilégier un modèle institutionnel relativement égalitaire entre la France et les territoires d'outre-mer encore sous sa souveraineté. Elle réclame, sur ce point, l'application d'un véritable réformisme. Après avoir décrit la manière dont ces hommes ont transformé le « droit colonial » en « droit d'outre-mer », nous nous sommes demandés comment ce groupe avait émergé et de quelle façon expliquer sa notoriété scientifique.The « Doctrinal Decolonization » or the Birth of the « Overseas Law » (1946-beginning of the 60s)This article explores the role of lawyers who publish analysis on issues of law relating to the future of overseas from 1946 until the early 60s. We were able to bring to light the liberal approach of many specialists on overseas issues. This doctrine departs from the strictly colonial vision, based on the notion of « domination » to favor an institutional model relatively equal between France and overseas territories still under its sovereignty. It claims on this point, the application of a real reform. After describing how these men have transformed the « colonial law » in « overseas law », we wondered how this group had emerged and how explained his scientific reputation.
- La décolonisation d'un lieu commun : L'artificialité des frontières africaines : un legs intellectuel colonial devenu étendard de l'anticolonialisme - Camille Lefebvre p. 77-104 À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, la pérennité du système colonial est largement questionnée. Parmi les affrontements idéologiques et les débats intellectuels vifs des années 1940-1960 autour de l'avenir de la colonisation et du continent africain, un thème récurrent fait consensus : l'artificialité des frontières africaines. Utilisé concurremment par des auteurs aux parcours et aux convictions résolument opposés, ce thème est alors déjà un lieu commun sur le continent africain. Développé dans les années 1930 par plusieurs experts reconnus dans le cadre des sciences coloniales, le thème de l'artificialité des frontières africaines a en effet rapidement dépassé ce cadre étroit et s'est diffusé largement et notamment chez les leaders nationalistes et panafricains. Ce papier a pour objectif de dégager le sens d'un trajet discursif qui mène ce thème de l'humanisme colonial, souhaitant refonder la relation coloniale, aux discours nationalistes, anticolonialistes et tiers-mondistes rejetant en bloc le colonialisme, ses concepts et ses modes de pensée. L'examen de l'évolution de ce thème permet d'observer que si ce discours stéréotypé persiste jusqu'à aujourd'hui sous une forme quasi inchangée, les objectifs selon lesquels il est mobilisé n'ont cessé d'évoluer. Néanmoins, de ce discours transparaît une vision de l'Afrique fondée sur l'exceptionnalité de ce continent où n'existerait qu'une territorialité identitaire, exclusive de toute définition politique du territoire. L'artificialité des frontières contribue ainsi à la redéfinition théorique du continent africain dans une irréductible différence.The Decolonization of a Commonplace
After the Second World War, the future of the colonial system is widely questioned. During the 1940's to the 1960s's, among the ideological confrontations and intellectual debates about the future of colonization and Africa a recurring theme arises as consensual : the artificiality of African boundaries. Used concurrently by authors from various backgrounds and political beliefs, this theme is at this time already a commonplace on the continent. Developed in the 1930's by several experts in colonial sciences, the theme of the artificiality of African boundaries has indeed rapidly exceeded the narrow scope of science and has spread widely, particularly among nationalists and Pan-African leaders. This paper aims at retracing the path of a discursive journey that leads this theme from colonial humanism, seeking to rebuild the colonial relationship, to nationalist, anti-colonial and Third World rhetoric, rejecting colonialism its concepts and methods of thought. This theme persists until today in a stereotyped form. The theory of the artificiality of African borders offers a vision of Africa based on the continent's exceptional character where there is only a territorial identity, excluding any political definition of territory. This discourse contributed to redefining the continent as something radically Other. - Décoloniser l'orientalisme ? : Les études arabes françaises face aux décolonisations - Thomas Brisson p. 105-129 La décolonisation de l'orientalisme n'a pas eu lieu, si l'on entend par là qu'un événement politique, la fin de l'empire colonial français, aurait amené à une relecture et une transformation politique des savoirs produits par les savants orientalistes pendant la colonisation. Mais elle a eu lieu, pour ainsi dire, sous une autre forme : celle d'une révolution scientifique qui a abouti à une refonte de l'épistémologie des études arabes françaises. L'article montre comment cette refonte s'est opérée en fonction de changements institutionnels et d'évolutions. Il montre, également, comment ces changements se sont traduits par des évolutions dans les savoirs produits, via l'analyse de deux textes d'intellectuels arabes travaillant en France à cette époque, celui d'Anouar Abd-el-Malek, L'orientalisme en crise, et celui du linguiste Lakhdar Souami, Le siècle de Jahiz.Decolonizing Orientalism ?
In the case of the French oriental studies, the decolonization did not lead to a political critique of the knowledge French scholars had produced during the colonial period. Rather, it led to epistemological changes that reshaped the theoretical basis of these very oriental studies. This paper shows what institutional as well as sociological factors have been instrumental in this process and why it is a scientific debate, more than a political one, that took place at this time. In order to show how these factors impinged on the epistemological tenets of the discipline, it also embarks upon a study of two texts, written by two Arab scholars who had previously settled in France, that played a key role in this debate : L'orientalisme en crise (Orientalism in Crisis) by the Egyptian sociologist Anwar Abd-el-Malek, and Le siècle de Jahiz (Jahiz's Century) by the Algeria-born Linguist Lakhdar Souami. - L'École Pratique des Hautes Études, les sciences religieuses et le Vietnam : À la croisée des situations coloniale et postcoloniales - Pascal Bourdeaux p. 131-157 La décolonisation des savoirs est abordée à travers l'étude des religions en péninsule indochinoise. Après une réflexion synthétique sur l'effectivité des postcolonial studies dans le domaine des études vietnamiennes, l'article se recentre sur l'histoire d'une institution originale, l'École Pratique des Hautes Études et sa section des sciences religieuses, pour y resituer plus particulièrement la fondation de la chaire des « religions indochinoises » puis sa mutation, sous l'effet notamment des aires culturelles, en « religions de l'Asie du Sud-Est » au tournant des situations coloniale et postcoloniales. Les débats autour des approches comparées des systèmes religieux et des paradigmes de la modernité religieuse éclairent les diverses formes de préservation ou de dépassement des héritages scientifiques, qu'ils soient institutionnels, générationnels ou conceptuels, aussi en France qu'au Vietnam.École Pratique des Hautes Études, Religious Studies and Vietnam
The decolonizing of knowledge is seen through the study of religion in the Indochinese peninsula. Introduced by some thoughts on the effectiveness of postcolonial studies in the field of vietnamese studies, the article then focuses on the history of an original research institution, l'École Pratique des Hautes Études and its religious studies section, in order to replace the creation of a chair – Indochinese Religions – then its mutation – Southeast Asian Religions – under the effect of area studies approaches and at the turning point of colonial and postcolonial situations. Debates that have concerned the comparatism of religious systems or the paradigms of religious modernity enlight the diverse ways to acknowledge or reduce institutionnal, generational or conceptual scientific legacies as well in France as in Vietnam. - Recherche et décolonisation en Nouvelle-Calédonie contemporaine : lectures croisées - Benoît Trépied p. 159-187 La Nouvelle-Calédonie est actuellement engagée dans un processus de décolonisation inédit qui a profondément transformé les méthodes, les objets et les problématiques des chercheurs en sciences sociales œuvrant sur ce terrain. Longtemps tenu à l'écart des débats sur la « décolonisation scientifique » en Océanie anglophone, ce territoire français du Pacifique Sud est aujourd'hui le lieu principal où se renégocient les conditions sociales, administratives et intellectuelles de la recherche, dans un dialogue désormais incontournable entre chercheurs locaux, universitaires extérieurs, agents administratifs et responsables politiques de l'archipel. L'irruption politique des Kanak depuis les années 1980 a également eu pour effet d'ouvrir de nouvelles pistes de recherche, notamment autour des dynamiques historiques et coloniales, des enjeux politiques et des relations interethniques. Ce faisant, elle n'a pas seulement bousculé les frontières traditionnelles des disciplines, mais aussi l'ensemble des représentations académiques et profanes sur la place du « legs colonial » en Nouvelle-Calédonie.Research and Decolonisation in Contemporary New Caledonia : Cross-Readings
The French Territory of New Caledonia is currently involved in an unprecedented process of decolonisation which deeply transforms methodologies, objects, and problematics of social scientists doing fieldwork in this Oceanian archipelago. Although the issue of « the decolonisation of research », which created great debates and controversies throughout Australia and the Anglophone Pacific, did not reach New Caledonia for a long period of time, the French Territory has now become the very place where social, financial and intellectual conditions of research are being discussed and renegotiated between local, French and international scholars, government officials and political leaders. The Kanak political uprising of the 1980s also had a major impact on the opening of new perspectives for research, including studies on historical and colonial dynamics, politics, and interracial relationships. Not only did this political uprising shake the traditional borders of disciplines in social sciences : it also created a tremendous change in academic and non-academic representations on the « colonial legacy » in New Caledonia.
Actualité de la recherche
- L'historiographie du fait colonial : enjeux et transformations - Marco Platania p. 189-207
Document
Livres
- Livres - p. 223-246