Contenu du sommaire : Dépossessions foncières et stratégies d'acteurs en milieu rural
Revue | Revue internationale des études du développement |
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Numéro | no 238, 2019/2 |
Titre du numéro | Dépossessions foncières et stratégies d'acteurs en milieu rural |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction : dépossessions foncières en milieu rural : Acteurs et processus entre pression et oppression - Laurence Roudart, Charlotte Guénard p. 7-29
- Negotiating Land Policies to Territorialise State Power : The Political Outcomes of Land Deals in Tanzania - Sina Schlimmer p. 33-59 Les politiques foncières ont été un élément clé de la construction de l'État en Tanzanie, depuis les indépendances. Cependant, la Tanzanie a été qualifiée de pays cible de la « ruée internationale » vers les terres qui est souvent associée à l'idée d'un retrait de l'État de la gestion du secteur foncier. Cet article défend au contraire que les négociations des transactions foncières observées depuis la fin des années 2000 confirment l'indissociabilité des processus de politique foncière et de la sociologie historique de l'État. Alors que la formulation des politiques foncières depuis les années 1990 laisse suggérer une privatisation du secteur qui augmenterait la marge de manœuvre des investisseurs étrangers, la mise en œuvre de ces politiques réaffirme plutôt l'omniprésence du pouvoir de l'État. Plus largement, l'objectif théorique de cet article est de construire les transactions foncières à grande échelle comme un objet de recherche heuristique en science politique et pour la recherche sur la (trans)formation de l'État en Afrique.Land policies have been shaping the (trans)formation of the Tanzanian state since independence. Nevertheless, Tanzania has been referred to as a target country of the international “land rush,” which is often associated with a declining role of state actors in the land sector. This article argues, on the contrary, that the negotiations of land deals since the end of the 2000s have reconfirmed an interdependent relationship between land policy processes and state-building. While the formulation of investment-promoting land policies since the 1990s suggests that the privatisation of the sector has increased the leeway for foreign investors, their implementation has reaffirmed the omnipresence of state power. More broadly, the theoretical aim of this article is to consider large-scale land deals as a heuristic object for studies in political science investigating state (trans)formation in Africa.
- Mobilisations citoyennes contre les accaparements fonciers en Mauritanie : Le cas du Brakna - Hamdi Ahmedou p. 61-88 Cet article analyse les problématiques du foncier et des migrations forcées en Mauritanie, dans le contexte des phénomènes récents de développement du secteur de l'agrobusiness, qui s'accompagnent de nouvelles politiques de redistribution foncière, pas nécessairement fondées sur l'ethnicité. Dans ce cadre, nous exposons la formation et l'émergence d'un mouvement de contestation face à des tentatives du gouvernement mauritanien, entre 2011 et 2015, d'accorder des concessions de plusieurs dizaines de milliers d'hectares à des investisseurs saoudiens dans les régions du fleuve Sénégal. L'analyse de ce conflit, – et son inscription dans son contexte social et politique – permet de décrire toute une chaîne d'acteurs, étatiques et non étatiques, et intervenants à des échelles différentes, qui ont permis à ce conflit a priori local d'avoir une assise nationale.This article analyzes the nexus between land and forced migration issues in Mauritania, in the light of recent developments in the agribusiness sector, which have come with new policies of land redistribution that were not necessarily based on ethnicity. In this context, I present the formation and emergence of a protest movement against attempts by the Mauritanian government, between 2011 and 2015, to grant tens of thousands of hectares of land concessions to Arab investors in the Senegal River regions. The analysis of this conflict, which involves, among others, repatriated populations, makes it possible to describe a whole chain of state and non-state actors, and stakeholders at different scales, which have allowed this local conflict to have a national scope.
- Réactions paysannes aux investissements étrangers : Entre adhésion et résistance dans la communauté Unidade Moçambique (Mozambique) - Étienne Verhaegen, Sandra Kiala p. 89-114 Cet article propose d'éclairer un processus de construction par une communauté paysanne d'une capacité à peser sur les conditions de sa participation à un projet d'agrobusiness, en soulignant ses différentes étapes et facteurs. En s'appuyant sur une étude de cas menée en 2016 au Nord du Mozambique, elle vise à contribuer au renouvellement de la théorisation de la question agraire. Ses conclusions s'inscrivent en opposition à la vision dominante, soutenue par de nombreux économistes ruraux, d'une « fin de l'histoire » paysanne, celle des ménages agricoles qui ne peuvent ou ne veulent pas prendre la direction de l'intégration aux chaînes de valeur globalisées. Cet article souligne au contraire la montée en puissance d'une résistance paysanne face aux dynamiques de capitalisation agraire.This article sheds light on the process through which a farming community has managed to influence the conditions of its participation in an agribusiness project, by examining the different steps and factors involved. Based on a case study carried out in 2016 in northern Mozambique, it aims at contributing to the renewal of the theorization of the land issue. Its conclusions go against the dominant vision, which is supported by many rural economists and claims an “end of history” for farmers, with farming households which do not want to become part of globalized value chains, or cannot do so. On the contrary, this article underlines growing farmers' resistance to the dynamics of agrarian capitalization.
- Contesting Land Dispossession in Chennai's Periphery (India) - Bhuvaneswari Raman p. 115-139 La région de Sriperumbudur-Oragadam, au sud-ouest de la métropole de Chennai, dans l'État indien méridional du Tamil Nadu, est le lieu de plusieurs projets de création de zones franches industrielles et de zones économiques spéciales. La mise en place de ces projets a conduit à des acquisitions foncières à grande échelle. Cet article se penche sur les réactions des foyers agraires face au processus d'acquisition foncière mené par l'État ainsi que sur le résultat de leurs actions. Il argumente que se préoccuper des pratiques quotidiennes au fil du temps permet d'améliorer notre compréhension de la lutte politique contre la dépossession. De plus, il souligne les limites de la théorie de Levien sur la dépossession foncière et de la théorie de l'urbanisme spéculatif quand il s'agit de saisir la complexité et les nuances de la lutte politique contre la dépossession.The Sriperumbudur–Oragadam region, on the southwestern periphery of the Chennai metropolis, in the South Indian state of Tamil Nadu, is the location of several projects for setting up export processing zones and special economic zones. The implementation of these projects has led to large-scale land acquisition. This article examines the responses of agrarian households to the state-led land acquisition process and the outcomes of their actions. The article argues that attending to everyday practices over a period of time can enhance the understanding of the anti-dispossession politics. Further, it highlights the limitations of Levien's theory of land dispossession and the Speculative Urbanism theory when it comes to capturing the complexity and the nuances of anti-dispossession politics.
- Une justice foncièrement autre ? : Pouvoir et foncier en contexte minier aurifère (Guinée) - Anna Dessertine p. 141-164 Cet article interroge les dynamiques de pouvoir dans la région de la Haute-Guinée, en Guinée, à partir du recours de plus en plus fréquent à la justice nationale dans le cadre des conflits fonciers. Outre une forte intensification de l'exploitation minière aurifère industrielle et artisanale, cette région connaît également la multiplication de titres fonciers et miniers à l'origine d'une pression plus intense sur les terres et les habitants. Fondé sur un travail ethnographique de vingt mois, cet article partira d'un conflit interindividuel pour terminer par un cas de dépossession foncière emblématique dans la région, celui de la commune de Kintinian. L'objectif est d'opérer un jeu d'échelles afin d'interroger la notion de dépossession au regard de celle de propriété juridique dans les contextes d'accaparement foncier.This article aims at questioning the power dynamics in the region of Upper Guinea, in Guinea, starting from an analysis of the increasing resort to the national justice system in land disputes. Besides the growth of artisanal and industrial gold mining, the pressure on the land and the inhabitants of this region has worsened with the multiplication of property deeds. Based on a twenty-month ethnographic work, this article first analyzes an interpersonal land conflict, and finishes with an emblematic case of land grabbing in the area, concerning the town of Kintinian. This article proposes an analysis at multiple scales to question the notions of dispossession and legal property in the context of land grabbing.
- Consultations communautaires et dépossessions foncières : Une géographie du pouvoir au Nord du Mozambique - Nelly Leblond p. 165-192 De nombreux États ont adopté des dispositifs de consultation pour encadrer les transactions foncières liées aux investissements agricoles et limiter la dépossession. À partir d'observations et d'entretiens sur des sites d'investissement au Mozambique, cet article étudie les mécanismes de violence structurelle et de ruse qui forgent l'obtention du consentement des habitants. Les consultations communautaires apparaissent comme un théâtre marqué par de fortes asymétries de pouvoir et de savoir qui permettent de (re)disposer des humains et des terres au détriment des habitants et au profit des investisseurs. Cet article contribue ainsi à situer les dépossessions dans la longue durée et une géographie du pouvoir, éclairant les spatialités qu'il façonne et sur lesquelles il repose.Several states have reinforced consultation mechanisms to regulate land deals linked to agricultural investment and to limit dispossession. Based on observations and interviews on investment sites in Mozambique, this article analyzes how structural violence and trickery shape inhabitants' consent. Community consultations are marked by striking power and knowledge asymmetries which enable the rearrangement of humans and lands at the expense of inhabitants and to the advantage of investors. This article thus contributes to the geography of power, highlighting the spatialities which power shapes and relies on. It locates land dispossession in long-term history and geography.
- Decisiones políticas y entramados jurídicos en un régimen de despojo : El caso del ejido “Caleras de Ameche”, Guanajuato (México) - Clara Salazar p. 193-218 L'objectif de cet article est de questionner les limites de la dimension politique de la dépossession des terres dans sa double expression : les décisions qui guident l'action politique et sa mise en œuvre dans le cadre de l'exercice de gouvernance. Pour ce faire, cet article présente les dispositifs mis en place par l'État mexicain afin de soutenir l'investissement étranger direct et de permettre au marché libre de disposer des terres ejidales. À partir de l'exemple de l'ejido « Caleras de Ameche », dans l'État de Guanajuato, il analyse l'usage manichéen d'instruments juridiques et autres systèmes de coercition qui permettent à l'industrie automobile Toyota de s'approprier les terres des ejidatarios et aux acteurs locaux de bénéficier sans mérite de la valorisation des terres ejidales. La dynamique observée montre que le régime politique se caractérise par une relation sociale de redistribution coercitive du foncier : les acteurs du gouvernement exproprient les ejidatarios et les particuliers selon des critères distincts ; les promoteurs immobiliers ont recours à des mécanismes de coercition pour accéder au foncier ; le gouvernement évalue la terre de manière différenciée et la remunère selon la place des acteurs dans la structure sociale ; enfin, l'entreprise étrangère fixe ses conditions d'investissement auprès du gouvernement de l'État du Guanajuato. On observe des actes de résistance de la part des ejidatarios, mais ceux-ci font aussi preuve d'une grande ambivalence face à la pression institutionnelle réelle, de telle manière qu'ils finissent par accepter la marchandisation de leurs terres.The objective of this paper is to examine the political dimension of land dispossession in its twofold expression: the decisions that inform action, and its implementation in the exercise of government power. To this end, the article presents the measures taken by the Mexican government to support direct foreign investment, thus making communal land available to the free market. The communal land of “Caleras de Ameche,” in the state of Guanajuato, was chosen to analyse the Manichean use of legal instruments and of other mechanisms of duress, for a takeover of communal land by the automotive manufacturer Toyota, and for local actors to benefit undeservedly from the value added of communal land. The dynamic observed points to the fact that the political regime is characterised by a social relation of “coercive redistribution” of the land in which government officials carry out expropriations based on different criteria for communal land owners and private ones. Property developers resort to duress to access the land. Government officials appraise the land differentially, and pay for it according to the place of the actors within the social structure. Finally, the foreign corporation sets its terms of investment for the local government to comply with. Acts of resistance on the part of communal land owners have been observed, yet the owners have proved ambivalent towards formal institutional pressure, and have accepted the commodification of their land.
- Accès aux ressources naturelles et foncières en Amazonie péruvienne : Entre agriculture et exploitation aurifère artisanale - Céline Delmotte p. 219-244 Se fondant sur l'analyse d'une zone tampon située dans le département amazonien de Madre de Dios (Pérou), qui connaît un phénomène de ruée vers l'or depuis la moitié des années 2000, cet article explore les rapports de pouvoir entre agriculteurs et orpailleurs, en éclairant les processus de territorialisation minière au sein d'espaces agricoles, les dynamiques d'acteurs ainsi que les mécanismes d'accès et d'usage du foncier et de ses ressources. Prenant le contre-pied des analyses déjà produites sur la nature conflictuelle de leurs relations, nous tenterons dans cette contribution de mettre en lumière un phénomène distinct mais tout aussi prégnant : le caractère négocié de l'orpaillage et les arrangements mutuels entre acteurs autour de l'accès à et l'usage des ressources naturelles.Based on the analysis of a protected buffer zone located in the Amazonian department of Madre de Dios (Peru), which has been experiencing a gold rush since the mid-2000s, this article explores the power relations between farmers and artisanal miners, by describing mining territorialization processes on agricultural lands, actor dynamics, as well as mechanisms of access to land and its resources. Taking a different point of view than previous analyses about the conflictual nature of their relations, the article highlights a distinct but equally significant phenomenon: the negotiated nature of Artisanal Small-Scale Gold Mining (ASM) and the mutual arrangements between actors for access to and use of natural resources.
- Quand l'effort environnemental renforce la dépossession foncière : Le cas des agriculteurs de Piton l'Ermitage (La Réunion, océan Indien) - Jacqueline Candau, Anne Gassiat p. 245-268 La dépossession peut être le stade ultime de la précarisation d'accès à la terre. En effet, des agriculteurs installés dans le cadre de réformes foncières se voulant égalitaires voient les terres qu'ils ont mises en valeur convoitées pour d'autres usages. Dans cet article, nous analysons les pressions auxquelles ils sont alors soumis, dont l'effort environnemental, à partir d'une approche par les capabilités d'Amartya Sen. Nous montrons ainsi que des modèles institutionnels hérités du colonialisme perdurent dans les départements d'outre-mer français (notamment à La Réunion) et se traduisent par une mise en incapacité des agriculteurs – planteurs de canne à sucre – qui amène certains d'entre eux à abandonner leurs parcelles.Dispossession can be the ultimate stage in land access insecurity. Indeed, the lands of farmers who were settled as part of land reforms aiming to be egalitarian are now coveted for other uses. In this article, we analyze the pressures, in particular the environmental efforts, they are subjected to by using A. Sen's notion of capability. We show that institutional structures inherited from colonialism live on in French overseas departments (in particular in La Reunion) and foster—sugar cane—farmers' incapability, as they eventually give up their lands.
- Des droits ciblés contre les dépossessions foncières : un paradoxe ? : Impasses conceptuelles et juridiques des dispositifs de défense des droits à la terre en Méso-Amérique - Hélène Roux p. 269-290 L'inclusion dans le marché mondial de nouveaux produits agricoles, environnementaux, énergétiques et d'infrastructure, ou touristiques, appelle des réponses aux demandes persistantes d'accès à la terre. Celles-ci se manifestent par la production de nouveaux droits, chartes, conventions, directives supposés limiter les dépossessions foncières ou mitiger leurs effets envers diverses catégories de populations (indigènes et/ou paysannes). L'article, illustré par divers exemples au Honduras, au Nicaragua et au Guatemala, s'interroge sur le sens de ces mesures sélectives et ciblées envisagées, et questionne le paradoxe consistant à énoncer des droits censés s'appliquer de manière universelle à des catégories restreintes de populations « ciblées » selon des critères dont les contours sont flous.The inclusion in the global market of new agricultural, environmental, energy, infrastructure, and tourism products calls for answers to persistent claims for access to land. These claims are formulated through the production of new rights, charters, conventions, and directives that are supposed to limit land dispossession or to mitigate its effects for various categories of populations (indigenous and/or peasant). Through various examples in Honduras, Nicaragua, and Guatemala, this article examines the meaning of the selective, targeted measures envisaged, and questions the paradox that lies in stating supposedly universal rights for restricted categories of “targeted” populations, according to criteria with fuzzy contours.
- Dépossession foncière, transition agraire et capacité d'adaptation : Devenir des populations autochtones de Ratanakiri (Cambodge) - Christophe Gironde, Andres Torrico Ramirez p. 291-322 Depuis le milieu des années 2000, le Nord-Est du Cambodge connaît une transition agraire rapide et radicale impulsée par des entreprises agricoles qui se sont constituées en acquérant et, en partie, en accaparant d'importantes superficies de terres agricoles, et par une forte immigration khmère. Les ménages autochtones, qui se sont vus dépossédés d'une partie de ces terres et ressources naturelles, tentent de réorganiser leurs activités productives, mais sans succès pour la majorité d'entre eux, au prix d'un mode d'exploitation des terres restantes et d'un endettement qui ne semblent pas durables. L'article analyse ces processus marqués par des inégalités économiques et sociales croissantes entre autochtones et Khmers, comme parmi les populations autochtones.Since the mid-2000s, northeastern Cambodia has undergone a rapid and radical agrarian transition, driven firstly by large-scale agricultural enterprises that have acquired and, partly, grabbed vast areas of agricultural land; secondly, by numerous Khmer inmigrants. Indigenous households, which have been dispossessed of some of these lands and natural resources, have tried to reorganize their productive activities, without success for the majority of them, at the cost of land use and growing indebtedness which do not seem sustainable. The article analyses these processes marked by growing economic and social inequalities between indigenous and Khmer populations, as well as among indigenous populations.