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Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 266, janvier-mars 2019 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Politiser l'économie : les coopératives revisitées
- Le mouvement coopératif en France et aux États-Unis : regards croisés - Michel Dreyfus p. 3-12
- « Il ne suffit pas d'être un bon client ». Coopératives et société de consommation dans le Midwest des États-Unis (1917-1940) - Alexia Blin p. 13-27 Cet article étudie le cas d'une fédération de coopératives de consommateurs dans le Midwest, le Cooperative Central Exchange (CCE), entre 1917 et les années 1930. Il vise à démontrer l'intérêt de ce type d'entreprises pour les historiens de la consommation, en apportant une contribution directe à plusieurs débats importants dans ce champ de recherche. Organisé en 1917 par des immigrants d'origine finlandaise, majoritairement fermiers et socialistes, pour lutter contre les marchands locaux, le CCE rencontre bientôt un succès commercial important et cherche à faire jeu égal avec les grandes chaînes de magasins de la région. L'histoire de cette fédération permet de mettre en évidence trois éléments souvent négligés par l'historiographie : elle illustre la possibilité pour les acteurs de conserver un rôle actif et politisé dans l'émergence de la société de consommation ; elle permet de restituer l'importance et la spécificité des territoires ruraux dans l'évolution des modes de consommation ; enfin, elle montre la persistance de liens puissants entre le monde de la consommation et celui de la production, au sein même du processus de transition vers la consommation de masse.“Being a Good Customer is not Enough”. Cooperatives and Consumer Society in the American Midwest (1917-1940)This paper offers a case study of a federation of consumers' cooperatives in the Midwest, the Cooperative Central Exchange (CCE), between 1917 and the 1930s. It aims to show the importance of this kind of business for historians of consumption, while contributing directly to several important debates within this field of research. Organised in 1917 by Finnish immigrants, mostly farmers and socialists, in order to counter the power of local merchants, the CCE soon became a very successful business and sought to compete with the powerful chain stores of the region. Drawing the portrait of this federation is a way to highlight three elements that have too often been neglected. Firstly, it emphasises the possibility for stakeholders to maintain an active and politicised role in the advent of the consumer society. Then, the CCE illustrates the important and specific role that rural territories played in the changing modes of consumption. Finally, the case of the CCE shows the persistence of the powerful links between the worlds of consumption and production, at the very core of the transitional process towards mass consumption.
- Consommateurs, coopérateurs et socialistes ? L'Union de Lille (1892-1914) - , Sylvain Celle, Thomas Chevallier, Vianney Schlegel p. 29-48 Cet article traite de la politisation par les pratiques économiques développées au sein de la coopérative socialiste de consommation « l'Union de Lille » au tournant des XIXe et XXe siècles. Au-delà de l'amélioration des conditions de vie des classes populaires lilloises, ses dirigeants inscrivent explicitement les pratiques de consommation et l'organisation démocratique de la coopérative dans la perspective d'un projet politique socialiste, et plus particulièrement dans le guesdisme alors très influent dans le socialisme du nord de la France. Les pratiques et règles apparaissent comme un moyen de former des « consommateurs socialistes » et de fédérer la classe ouvrière, tout en finançant les activités du parti socialiste. Cependant, cette traduction politisée du projet coopératif n'est pas sans ambivalences, en ce qu'elle amène les coopérateurs à apprendre l'épargne et la prévoyance, le vote et la délégation. L'étude de coopératives socialistes permet ainsi d'éclairer les logiques complexes d'acculturation des classes populaires, à travers l'économie, aux formes dominantes de la politique sous la Troisième République.Consumers, Co-operators and Socialists? L'Union de Lille (1892-1914)This article deals with politicisation through economic practices within the socialist consumer cooperative L'Union de Lille, at the turn of the 20th century. In addition to improving the way of living of Lille's working class, the cooperative's managers explicitly viewed consumption practices and democratic organisation within the cooperative as a way of strengthening a socialist project, and more specifically, strengthening Guesdism, then a very influential socialist current in Northern France. The practices and rules of the cooperative appeared to be an ideal way of teaching and shaping “socialist consumers”, to unite the working class, as well as to finance the socialist party's activities. However, this politicised translation of the cooperative project was ambiguous, as it led the co-operators to take on practices and attitudes such as savings, planning for the future, voting and delegation. The study of socialist cooperatives such as “l'Union de Lille” highlights the complex rationales of acculturation of the working class to the dominant forms of doing politics during the Third Republic.
La production des élites en Suisse
- Le recrutement des hauts dirigeants d'entreprises suisses (1910-1980) - Isabelle Lucas, Stéphanie Ginalski, Thomas David p. 49-66 Jusqu'à une période récente, les rares études qui se sont intéressées aux dirigeants d'entreprises en Suisse aux XIXe et XXe siècles ont eu tendance à célébrer la figure du self-made man, parti de rien et parvenu à la fin de sa vie aux plus hautes positions de pouvoir. Cet article, qui porte sur l'origine sociale et la formation de plus de 800 hauts dirigeants des plus importantes entreprises suisses, actifs entre 1910 et 1980, s'inscrit en faux contre cette vision hagiographique. Il montre, confirmant les recherches sur le recrutement des grands dirigeants en Europe occidentale ou aux États-Unis, que l'origine sociale constitue le facteur le plus déterminant de la réussite. Deux spécificités helvétiques émergent toutefois. D'une part, quelques lieux de formation dominent, qui sont tous des établissements publics. D'autre part, l'armée joue un rôle important dans le parcours des dirigeants helvétiques. Ce lieu de sociabilité exclusivement masculin contribue à l'exclusion des femmes des centres de pouvoir économique.Recruitment of Senior Executives in Swiss Companies, 1910-1980Until recently, the few studies to have focused on company executives in Switzerland in the 19th and 20th centuries have generally celebrated the figure of the “self-made man”, someone who started from nowhere and by the end of his life had moved up to the highest positions of power. This article – which looks at the social origins and education of more than 800 senior executives from the largest Swiss companies, over the period 1910-1980 – breaks with this hagiographic view. In line with research on the recruitment of senior executives in Western Europe and the United States, our research shows that social origin was the most decisive factor for success. However, two specific features emerge for Switzerland. Firstly, a few educational institutions were predominant, and all of these were public. Secondly, the army played an important role in the careers of Swiss executives. The army, as an entirely male place of sociability, contributed to women being excluded from the centres of economic power.
- Finishing schools. Le déclin des pensionnats internationaux de jeunes filles en Suisse (1950-1970) - Caroline Bertron p. 67-86 Les « finishing schools » en Suisse ont été particulièrement recherchées par les bourgeoisies et aristocraties européennes et américaines depuis la fin du XIXe siècle. Les séjours dans ces pensionnats de jeunes filles étaient alors dédiés à l'apprentissage d'une féminité d'élite par le voyage, la maîtrise des langues étrangères et des arts d'agrément. À partir de l'analyse des archives du Bureau de l'enseignement privé du canton de Vaud, l'article montre que le secteur local des finishing schools est toujours dans les années 1950 peu stabilisé du point de vue des clientèles, des structures et de leur reconnaissance par les autorités. Dans les années 1960, les normes et les pratiques partagées entre les familles bourgeoises et les directeurs des établissements, qui contribuaient à assurer et reconduire l'existence de ces écoles, cessent d'être évidentes. L'article vise à saisir, durant cette période, la place de plus en plus relative qu'occupent ces institutions pour l'éducation des filles, en regard des transformations des attentes éducatives dans les milieux sociaux très favorisés.“Finishing Schools”. The Decline of International Boarding Schools for Girls in Switzerland (1950-1970)From the late 19th century, Swiss “finishing schools” were highly sought after by the bourgeoisie and aristocracy of Europe and America. These international boarding schools for girls were dedicated to teaching a form of elite femininity based on travel, learning foreign languages, and the creative arts. By analysing the archives of the Private Education Bureau of the Vaud Canton, this article shows that the local finishing school sector was still in flux in the 1950s in terms of its clientele, school structures and recognition by the authorities. In the 1960s, bourgeois families and school directors no longer necessarily shared the same standards and practices, whereas such shared values had previously helped ensure and perpetuate the existence of these schools. This article endeavours to understand the steady decline in the importance of finishing schools for girls' education over the period, in light of the transformations in the educational expectations of elite social circles.
- Le recrutement des hauts dirigeants d'entreprises suisses (1910-1980) - Isabelle Lucas, Stéphanie Ginalski, Thomas David p. 49-66
Les élites face à la transformation urbaine
- Les invasions barbares ou le tramway criminel (Paris, 1872-1914) - Alain Faure p. 87-110 Cet article traite des résistances à l'installation et au développement des lignes de tramway à Paris entre 1872 et 1914. Le passage des véhicules dans certains hauts lieux de la mondanité et du luxe suscita en effet de vives campagnes dans la presse de droite et de nombreuses protestations d'élus conservateurs, qui y voyaient la mort du Paris riche et de ses espaces d'entre-soi. Le tramway était supposé être l'instrument de cette volonté de destruction, d'où son surnom de « tramway des barbares ». L'intérêt de ces épisodes a été de susciter un discours très net d'exclusion du pauvre et du vulgaire de la part des représentants du Paris de l'ouest. Que des rails viennent en perturber l'harmonie était ressenti par les élites de la naissance et de l'argent comme une atteinte à leur sociabilité et à leur territoire.The Barbarian Invasions, or the Criminal Tramway (Paris, 1872-1914)This article examines resistance to the building and expansion of tramway lines in Paris between 1872 and 1914. Vehicle traffic in certain places frequented by high society triggered lively campaigns in the right-wing press and many protests from conservative elected officials, who viewed this as the death of Paris's wealthy and cosseted districts. The tramway was supposedly an instrument of this desire to destroy, hence its nickname ‘the tramway of the barbarians'. These episodes are interesting in that they sparked a very clear discourse by representatives of Paris's western districts of excluding poor and coarse people. For the native-born or moneyed elite, tramway rails disrupting harmonious districts were regarded as an attack on their sociability and on their territory.
- Les invasions barbares ou le tramway criminel (Paris, 1872-1914) - Alain Faure p. 87-110
- L'empreinte de Jean-Daniel Reynaud - Patrick Fridenson, Michelle Perrot p. 113-114
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 115-144