Contenu du sommaire : Résister aux normes et se confronter au backlash : genre et sexualité dans les Amériques

Revue L'Ordinaire des Amériques Mir@bel
Numéro no 224, 2019
Titre du numéro Résister aux normes et se confronter au backlash : genre et sexualité dans les Amériques
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction - Michael Stambolis-Ruhstorfer accès libre
  • Résister aux normes et se confronter au backlash : genre et sexualité dans les Amériques

    • Colombie : Processus de paix, subversion du genre et résistances - Olga L González accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Fin 2016, après quatre ans de pourparlers dans des circonstances difficiles, la guérilla de filiation marxiste Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, FARC, et le gouvernement colombien sont parvenus à un accord de paix. Un des aspects méconnus de cet accord de paix est la place prise par les « questions LGBT ». Celles-ci sont devenues centrales dans le débat, notamment lors du référendum qui devait approuver cet accord de paix en octobre 2016 et qui a été rejeté par la majorité des votants. Dans ce papier, nous montrons que la question du « genre » est devenue une variable structurelle dans la vie de ce pays. Nous affirmons que pour comprendre la crispation autour de cette question, il est nécessaire de prendre en compte l'histoire et l'évolution des églises et des partis catholiques et évangéliques, ainsi que la place qu'ont aujourd'hui les organisations de défense des droits des personnes LGBT. Le papier montre comment le travail des organisations féministes a ouvert le chemin, à La Havane (lieu des pourparlers), aux organisations travaillant pour les droits LGBT. Il analyse comment la dimension du « genre » a été intégrée au sein de l'académie et des ONG pour aborder les conséquences du conflit. Il retrace les questions qui se posent lorsque la « plus vieille guérilla du monde » doit compter parmi ses alliés politiques avec des secteurs qui mettent en avant le « genre » et la « diversité sexuelle », alors qu'elle-même est en cause pour des agissements sexistes ou homophobes. Enfin, le papier discute les défis posés par le « genre » et montre pourquoi la diversité sexuelle sera une question décisive dans le débat politique et sociétal en Colombie.
      The subject of the article is sexual diversity in Colombia's peace process. Although this topic's significance is acknowledged in the debate prior to the October 2016 “peace referendum”, rejected by a narrow majority of Colombians, there are divergences on the sense of this rejection. In this article, we argue that the “gender” question was not a manipulation lead by FARC's opponents, as it is often told. Instead, we believe that this is a structural variable in the country's political and social life, and that it will have an increasingly relevant role in the public debate. The article points out how feminist organizations showed other organizations working on LGBT's issues the way to Havana, where the peace negotiations took place. It also shows the place held today by Catholic and Evangelical churches and parties, as well as the role played by the sexual minorities human rights defense organizations. It also analyzes the complex issues that arise when the FARC must count on these organizations as allies, even more so if we take into account that this very guerrilla can be questioned for sexist and homophobic actions. Finally, the article showcases why the subjects of “gender” and “sexual diversity” will be important in the coming years political and social debate in Colombia.
    • “Women are those who lose their sense of shame”: resistance and fulfilment of gender expectations in dissident initiatives in a rural district of Argentina - Johana Kunin accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse comment et pourquoi ce sont les femmes qui « n'ont plus honte » quand elles coordonnent et rejoignent des interventions sociales et des activités dissidentes fondées sur la notion de « participation » dans la périphérie de La Laguna, une ville rurale dans la province de Buenos Aires en Argentine. Cet article s'appuie sur une vaste étude de terrain ethnographique afin de montrer qu'une vision du monde émique, dans laquelle les femmes sont associées aux mères et les mères à la notion de soin, permet aux femmes de La Laguna de résister à la stigmatisation et de s'opposer à des vues hégémoniques concernant la production agricole et la santé dans une région où la protestation sociale est pratiquement inexistante. Les maternalismes politiques décrits ici laissent les femmes « prendre soin » de « la société », du « quartier », de leurs « enfants » et même d'elles-mêmes. Se faisant, elles prennent des risques, mais un tel risque social est bien inférieur à celui qui existerait pour les hommes dont les identités sont liées à des notions de « vrai travail » et de « discretion » et qui n'ont par conséquent pas de temps à consacrer à ces « stupidities ». Les femmes sont ainsi doublement capables, dans un même temps, de résister aux stéréotypes de genre et de s'y conformer.
      The present article analyzes how and why women are those who “lose their sense of shame” to coordinate and take part in social interventions and dissident activities based on the notion of “participation” in the peripheries of La Laguna, a rural agro city in the province of Buenos Aires, Argentina. Supported by extensive ethnographic fieldwork, this article asserts that an emic worldview in which women are associated with mothers and mothers with care enables women in La Laguna to withstand stigmatization and oppose hegemonic views on agricultural production and health in a district where social protest is nearly completely absent. The political maternalisms that we describe let women “take care” of “society”, the “neighborhood”, their “children” and even themselves. When doing so, they put themselves at risk, but such social risk is much less than it would be for men, who, with identities linked to notions of “real work” and “discretion”, do not have time for “stupidities”. Women are, thus, doubly able to both resist and fulfill gender expectations.
    • “Yo no me voy a casar, digo, yo quiero divertirme”. Resistir siendo mujeres solas - Nuria Jiménez Garcia accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Etre un homme ou une femme est un processus résultant d'une insertion dans un tissu social et un réseau de relations, de représentations, de discours, de pratiques, de rapports de pouvoir et de domination, toujours traversés par le temps et l'espace (différenciés en fonction du genre). Dans ce travail, la construction du genre est envisagée à partir de la relation qui existe entre « l'action-discours » et "l'action-pratique". L'action discursive crée une « norme » conditionnant la façon d'être une femme, de se comporter, la manière d'habiter l'espace et la temporalité de l'occupation de l'espace, le travail auquel les femmes peuvent accéder (en fonction du secteur, du lieu et du type d'activité) et surtout le rapport femmes-hommes. L'action pratique maintient cette « norme » tout en la remettant constamment en cause, laissant des creux et des interstices dans lesquels certaines femmes s'insinuent grâce à des stratégies improvisées. Cela leur permet d'échapper aux symboles culturels les mieux établis et les plus rigides qui sous-tendent ces normes et ces modèles. Cet article se propose d'analyser la manière dont les femmes à la peau foncée de la Costa Chica de l'Etat de Oaxaca au Mexique, mettent en place des stratégies (conscientes et inconscientes) pour s'affranchir des mécanismes de construction de normes et de contrôles imposés par les pratiques patriarcales en vigueur dans cette région. Parmi les relations « a-normales » entre hommes et femmes se trouve celle qui consiste à ne pas avoir de relations avec les hommes.
      Being a man or a woman is a process which results from belonging to a social fabric and to a network of relationships, representations, discourses, practices, and power relations which are always defined by time, space, and gender. In this article, gender construction is apprehended through the link between “discourse action” and “practice action”. Discourse action gives birth to a “norm” which defines what a woman is, how she behaves, how and when she can inhabit space, what type of work she can have access to (depending on the type and location and this professional activity), and, most importantly, the power relations between men and women. Practice action keeps this “norm” alive while constantly questioning it, which creates cracks through which some women enter thanks to improvised strategies. This allows them to escape the most established and rigid cultural symbols which frame these norms and models. This article studies the way dark-skinned women from the Costa Choca in the state of Oaxaca in Mexico come up with (both conscious and unconscious) strategies to free themselves from the mechanisms sustaining these norms which are imposed by the patriarchal practices of the region. Among “abnormal” relationships between men and women are these consisting in not having any relationship with men.
    • Sexualités Transactionnelles et backlash en Martinique - Mylenn Zobda Zebina, Myriam Thirot, Sylvie Merle accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les sexualités transactionelles (ST) recouvrent un ensemble de conduites sexuelles qui donnent lieu à des avantages matériels et/ou financiers attendus explicitement ou implicitement d'un-e partenaire/client-e. Des conduites qui relèvent de la prostitution au sens strict (sexualité « extraordinaire ») aux échanges économico-sexuels avec un partenaire « ressource » (sexualité « ordinaire »). L'étude des ST en Martinique a permis d'explorer ces conduites sexuelles, dont seule la prostitution exercée par les femmes d'origine étrangères avait été jusqu'alors étudiée. Les ST des femmes étrangères mais aussi martiniquaises, des hommes homosexuels, hétérosexuels et des transsexuelles révèlent l'existence de conduites sexuelles protéiformes, dont certaines donnent lieu à une stigmatisation et à un backlash, tandis que d'autres semblent acceptées socialement. Quelles sont alors les ST qui font l'objet d'un backlash ? Par quels canaux ce dernier s'exerce-t-il ? Quelles stratégies sont adoptées par les individus stigmatisés ou stigmatisables pour y faire face ? Ces questionnements nourrissent une réflexion plus générale sur les normes de genre qui régissent les comportements sexués en matière de sexualité en Martinique : est-on en présence d'un modèle qui conteste le double standard sexuel qui définit les rôles sociaux de sexe (le genre et les rapports sociaux qu'il implique) ou qui le reconduit, en s'appuyant sur le backlash comme police de genre ?
      Transactional sexualities (TS) include a variety of sexual practices that lead to material and/or financial advantages that are explicitly or implicitly expected from partners/clients. These range from prostitution in the strict sense (“extraordinary” sexuality) to sexual-economic exchanges with a “resourceful” partner (“ordinary” sexuality). While previous research has focused exclusively on prostitution as practiced by foreign women in Martinique, this study explores TS sexual practices more broadly. The TS of both foreign and local women in Martinique, homosexual men, heterosexuals, and transwomen reveal sexual behaviors that take many forms, including several that incite stigmatization and backlash, while others appear more socially accepted. Which practices face the most resistance? How is that resistance expressed? What strategies do stigmatized or potentially stigmatized people deploy to combat it? These questions contribute to broader reflections on the role of gender in defining sexuality in Martinique. Is this a situation in which the sexual double standard defined by social sexual roles (gender and the social relation it implies) is contested or is this a situation in which it is reinforced through backlash and gender policing?
    • Persecución y re-significación de lo popular y femenino en el mercado de la salud en Chile y Argentina 1850‑1900 - Manuel Durán accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au cours du XIXe siècle au Chili et en Argentine, il a été constitué un paradigme « médical-positiviste », en contrôlant les domaines de genre et de la classe sociale. En fortifient un discours scientifique et masculin. Une fois organisés professionnellement, le secteur médical a initié une épuration du « marché de la santé », en opposant à l'exercice populaire et féminin de la santé : guérisseurs, accoucheuses, « meicas » et reboteux. Par ailleurs le secteur médical professionnel a constitué une image pathologique de la « nature féminine », sous la prémisse d'instabilité physique et psychologique incompatible avec l'exercice d'un métier scientifique. Cette image s'est installé dans la mentalité collective, en constituant un discours naturalisé. Dans ce contexte les premières femmes des médecins ont dû re-signifier ces espaces, sous une dynamique des soins, en générant de nouveaux discours et disciplines professionnelles.
      During the 19th century in Chile and Argentina, a positivist discourse medical discourse in terms of gender, social class and professionalization was instituted. Opposition to the popular and feminine exercise of healthcare provision strengthened a scientific and masculine paradigm of authority over medicine. Once the medical sector professionally organized, it initiated a purge of the "health market”, excluding folk practitioners, "meicas", and midwives. At the same time, the professional medical field began to produce discourse about "feminine nature" in a way that painted women in pathological terms thus portraying them as incompatible with the exercise of a scientific profession. These gendered constructions became naturalized and shaped collective understandings of women healthcare practitioners. In this context, women reacted by signifying the meanings of their activities thereby, generating new discourses and professional disciplines.
    • Deconstructing Gender Roles and Digesting the Magic of Folktales and Fairy Tales in Annie Proulx's Omnivorous Wyoming Stories - Bénédicte Meillon accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au-delà des nombreuses études portant sur l'entreprise de déconstruction des mythes de l'Ouest Américain dans l'écriture d'Annie Proulx, cet article sonde ses nouvelles du Wyoming, véritables palimpsestes qui transgressent les normes et conventions dominantes en matière de genres littéraires autant que sociaux. S'intéressant aux réécritures grotesques et féministes de contes de fées et de contes folkloriques, cet article affirme que l'art de la nouvelle sous la plume de Proulx offre un outil redoutable pour démonter les discours idéologiques qui perpétuent des stéréotypes de genres par le biais de ces formes anciennes de récits brefs. Recyclant la magie des vieux contes, les récits postmodernistes et omnivores de Proulx se nourrissent de fragments et de mythèmes qui exposent et rechargent la puissance transformationnelle des formes discursives. Sa pratique subversive et ludique de la mythopée donne une écriture métatextuelle qui montre la voie vers des envolées libératrices de l'imagination et permettent de faire bouger les lignes de démarcation entre les genres établis.
      Going beyond the extensive literature dealing with Annie Proulx's deconstruction of myths tied to the West, this paper delves into her palimpsestuous Wyoming short stories that transgress dominant norms and conventions of genres and genders. Focusing on Proulx's grotesque, feminist revisions of old folktales and fairy tales, this article contends that her art of the short story provides an efficient tool to tinker with the rigid, ideological discourses reinforced by such tales when it comes to gender stereotypes. Recuperating the magic from older forms of short narratives, Proulx's omnivorous, postmodernist tales thrive on potent fragments and mythèmes that both foreground and rekindle the ignition power of imaginative discourse. Her subversive mythopoeia and playful, self-reflexive writing thus pave the way for liberating flights of fancy that cross the boundaries between established genres and gender.