Contenu du sommaire : Genre et classes populaires au travail
Revue | Sociologie du travail |
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Numéro | vol. 61, no 3, juillet-septembre 2019 |
Titre du numéro | Genre et classes populaires au travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Genre et classes populaires au travail
- Saisir les dynamiques de genre en milieu populaire depuis la scène du travail subalterne - Christelle Avril, Marie Cartier, Yasmine Siblot Ce texte est l'introduction au numéro spécial « Genre et classes populaires au travail », qui réunit des travaux prenant pour objet les rapports de genre au sein du salariat subalterne, avec pour originalité de se centrer sur les relations entre les sexes dans cette zone de l'espace professionnel, au sens des interactions concrètes entre femmes et hommes. Nous revenons dans un premier temps sur les travaux de sociologie analysant les relations de pouvoir internes aux univers de travail à la lumière du genre, comme la ségrégation sexuée inter- et intra-professionnelle ou encore la reproduction des stéréotypes de genre. Cette revue de la littérature permet de souligner un point aveugle que ce numéro entreprend d'éclairer : l'étude des effets de la mixité et des interactions directes entre les sexes dans le salariat subalterne. Dans un deuxième temps sont mis en relief les apports originaux des six articles composant le numéro thématique : quatre enquêtes récentes, une note critique portant sur des travaux d'histoire peu connus des sociologues, et la traduction d'un article de deux sociologues américaines paru en 1994. Dans un troisième temps, nous ouvrons des perspectives de recherche complémentaires pour explorer les dynamiques des rapports sociaux de classe, de genre, mais aussi de race ou d'âge, au sein du salariat subalterne et des classes populaires.This text is the introduction to the Special Issue on “Gender and the working class at work”, which brings together research on gender relations and concrete interactions between women and men in low status employment. It begins by looking at sociological analyses of power relations in the workplace from the perspective of gender, such as inter- and intra-professional gender segregation, particularly in low status work environments, and gender stereotypes. This literature review highlights the importance of exploring more closely situations of direct interaction and gender diversity. In a second step, this introduction presents the original contributions of the six articles in the Special Issue – four recent surveys, a critical note on historical works little known to sociologists, and the translation of an article by two American sociologists published in 1994. The final section looks at prospects for additional research on the dynamics of social relations of class and gender, but also of race or age, among low income working-class employees.
- Le harcèlement sexuel, une grille de lecture des relations entre les sexes au travail - Christelle Avril
- Où placer la ligne rouge ? La qualification du harcèlement sexuel dans les restaurants - Patti A. Giuffre, Christine L. Williams Comme plusieurs travaux l'ont montré, les salariées sont majoritairement exposées au harcèlement sexuel et souffrent des répercussions négatives qu'il engendre ; pourtant, seule une minorité de ces femmes qualifie ces expériences vécues de « harcèlement sexuel ». Dans le cadre d'une enquête sur l'identification du harcèlement sexuel, des entretiens approfondis avec dix-huit serveuses et serveurs ont été menés dans des restaurants d'Austin, au Texas. Les personnes interrogées n'ont qualifié certaines avances sexuelles de « harcèlement sexuel » que dans quatre contextes spécifiques : (1) lorsqu'elles sont le fait d'une personne tirant profit de sa position de pouvoir pour obtenir des faveurs sexuelles personnelles ; (2) lorsque l'agression a été commise par une personne d'une race/ethnicité différente de celle de la victime — typiquement, un homme issu d'une minorité harcelant une femme blanche ; (3) lorsque l'agression a été commise par une personne d'une orientation sexuelle différente de celle de la victime — typiquement, un homosexuel harcelant un hétérosexuel ; (4) en cas d'usage de la violence ou de menace de violences. La thèse défendue par les autrices est la suivante : les normes hégémoniques de ce qui est acceptable en termes d'activité sexuelle favorisent les relations hétérosexuelles, légitiment les formes institutionnalisées d'exploitation sexuelle sur le lieu de travail, et peuvent protéger contre les accusations de harcèlement sexuel les agresseurs appartenant à la même race et ayant la même orientation sexuelle que leurs victimes.Research has shown that a majority of employed women experience sexual harassment and suffer negative repercussions because of it yet only a minority of these women label their experiences “sexual harassment.” To investigate how people identify sexual harassment, in-depth interviews were conducted with 18 waitpeople in restaurants in Austin, Texas. Most respondents worked in highly sexualized work environments. Respondents labeled sexual advances as sexual harassment only in four specific contexts: (1) when perpetrated by someone who exploited their powerful position for personal sexual gain; (2) when the perpetrator was of a different race/ethnicity than the victim — typically a minority man harassing a white woman; (3) when the perpetrator was of a different sexual orientation than the victim — typically a gay man harassing a straight man; or (4) when violence or the threat of violence was used. The authors argue that the hegemonic norms of acceptable sexual activity privilege heterosexual relationships, legitimize institutionalized forms of sexual exploitation in the workplace, and may protect assailants of the same race and sexual orientation as their victims from charges of sexual harassment.
- Genre, classe et collectif de travail dans le low cost du bricolage - Cyrine Gardes Le low cost comme modèle économique transforme l'organisation du travail dans la distribution de matériel de bricolage : les effectifs sont réduits grâce à une polyvalence élargie conduisant à des situations d'intensification du travail, prises en charge par des vendeuses et des vendeurs issus de classes populaires, et en majorité hommes. Malgré une configuration peu propice au collectif de travail, les relations sociales subsistent et donnent lieu à des groupes ponctuels dont les membres sont liés par l'appartenance conjointe au genre masculin et aux classes populaires. Leur cohésion repose en outre sur l'assignation des quelques salariées présentes à une position inférieure. Les femmes ne sont pas pour autant absentes du collectif, mais leur place y est ambivalente : reléguées sur certains plans, elles y entrent pleinement lorsqu'il s'agit de se définir face à la hiérarchie et aux clients, de résister, de défendre une conception du métier ou de participer à certaines sociabilités. L'article montre qu'en situation de mixité, les collectifs sont segmentés par le genre, mais aussi par le statut d'emploi ou l'ancienneté ; ils sont multiformes et évoluent au gré des situations de travail.Low-cost, as a business model, is transforming the organisation of labour in the DIY retail sector: the number of employees is falling as a result of greater worker versatility, resulting in increased intensity of work for working-class sales personnel, predominantly male in this sector. Despite conditions unfavourable to labour organisation, social relations persist, taking the form of ad hoc groups whose members are linked by a male working-class identity, with the result that the minority of female personnel are assigned a subordinate status. Nonetheless, these women are not absent from the group, albeit in an ambivalent role: subordinate in some respects, they become fully integrated in conditions where there is conflict with management and customers, resistance, a need to defend a conception of the job, and on social occasions. The article shows that collectives are segmented by gender in mixed workplaces, but also by employment status and experience; they are multiform and change according to the work situations.
- Un métier syndical au féminin ? Rôles et pratiques des déléguées ouvrières dans une usine mixte - Angelo Moro Cet article porte sur l'engagement syndical et le travail militant des femmes déléguées syndicales dans une usine italienne caractérisée par un environnement de travail mixte. Il décrit la façon dont s'est déroulée, à partir de la fin des années 1970, la féminisation de la main-d'œuvre de l'usine et l'entrée des femmes dans le militantisme syndical. Il montre comment certaines de ces militantes sont devenues déléguées du personnel au tournant des années 1990 grâce aux politiques volontaristes des syndicats et à l'auto-organisation au sein d'une « coordination femmes » de l'usine. Il présente ensuite une analyse de la manière dont, au cours de la décennie suivante, la division sexuée du travail syndical, assignant prioritairement aux femmes les tâches associées auxservices syndicaux, a façonné leur manière d'endosser le rôle de déléguée en l'associant à une posture de caring. Il montre, enfin, comment la collaboration entre des militantes qui endossent différents « styles de féminité » a pu conduire à une requalification partielle du travail syndical des femmes.This paper focuses on union militancy and activism among women shop stewards in a mixed-sex Italian factory. It describes how the feminisation of the workforce and women's involvement in union activism began in and has evolved since the late 1970s. It further highlights how, starting from the 1990s, some women union activists became shop stewards as a result of the proactive policies of the unions and female self-organisation within a women's section at the factory. It then analyses how, over the following decade, the sexual division of labour within the unions, in which the activities associated with union services were primarily allocated to women, shaped their way of performing the shop steward role, associating it with a caring attitude. Lastly, the article shows how the collaboration between women shop stewards who adopt different “styles of femininity” has increased the recognition attributed to women's union labour.
- De la bonne au majordome. Contrôle des corps et des relations entre les sexes dans la domesticité élitaire - Alizée Delpierre Décalée par rapport aux autres formes contemporaines de la domesticité, la domesticité élitaire, au service de familles particulièrement fortunées, est un lieu privilégié pour étudier les effets de la mixité en contexte de confrontation sociale dans le travail domestique à demeure. Elle requiert, pour les employés, un travail d'acculturation aux goûts, pratiques et modes de vie des élites qu'ils servent et l'apprentissage d'un ethos domestique qui marquent leurs corps et leurs apparences. En contexte de domesticité multiple et mixte, caractéristique des « grandes maisons », cet apprentissage bouleverse en particulier les codes relationnels entre hommes et femmes propres aux employés issus des classes populaires et leurs rapports à la division sexuée du travail. La domesticité élitaire reproduit, mais aussi recompose, les représentations qu'ont les employés des hiérarchies et des rapports de pouvoir entre les sexes. En se centrant sur le cas français, cet article interroge les façons dont ces employés incorporent et appréhendent de nouvelles normes de présentation de soi. Elles sont éprouvées comme une inhibition de leurs masculinités et de leurs féminités, qui remet en cause leurs identités de genre, mais aussi de classe et de race, contrôlées par leurs employeurs et leur hiérarchie pour garantir l'efficacité au travail et l'ordre social.Differing from other contemporary forms of domestic service, elite domestic service, which consists in providing service to very wealthy families, provides an excellent opportunity to study the effects of gender diversity in a context of social confrontation in domestic service. For the household staff, it requires acculturation to the tastes, customs and ways of life of their employers, and the acquisition of an ethos of service that marks their bodies and their appearances. In the context of multiple and mixed-sex domestic service characteristic of “great houses”, this learning disrupts the relational norms between working-class men and women and their representation of the sexual division of labor. Elite domestic service, based on the conception of “men's work” and “women's work”, reproduces but also reshapes domestic workers' ideas of hierarchies and power relations between men and women. Focusing on the French case, this article studies how these domestic workers incorporate and experience new norms of sociability and self-presentation between men and women at work. These norms are experienced as inhibiting their masculinities and femininities, and challenging their gender, class, and “race” identities, which are controlled by their employers and bosses as a means of maintaining efficiency at work and the social order.
- Sexualités à l'épreuve du genre et des hiérarchies usinières - Alexandra Oeser Cet article analyse les relations de genre et de classe à l'intersection entre l'espace usinier, l'espace domestique et l'espace de la mobilisation politique, à partir d'un retour personnel sur une enquête collective menée sur la lutte de salariés hommes et femmes contre la fermeture d'une usine en France. Il prend comme prisme la question des relations sexuelles et amoureuses construites au travail et pendant la mobilisation, dans des interactions entre salariés occupant différentes positions dans l'usine, mais aussi pendant la mobilisation. Les pratiques sexuelles constituent simultanément une contestation de l'ordre usinier et une perpétuation des hiérarchies de genre et de classe ; elles sont moyen et expression des rapports de domination tout autant que pratique de libération. Il s'agit de mettre en évidence, à travers l'analyse des pratiques sexuelles et amoureuses, les continuités, ruptures et transformations des relations de genre et de classe dans le « hors travail » après la fermeture de l'usine. La sexualité est une entrée parmi d'autres dans ces relations de pouvoir. Elle doit être pensée à la fois comme étant « affectée » par le travail et les luttes et comme moteur de ceux-ci. L'article étudie ainsi le travail ou l'activité militante à travers les lunettes des relations sexuelles, réelles ou fantasmées, des hommes et femmes salariés licenciés.This article analyses the interlocking of gender and class at the intersection between the factory, the family and industrial activism, by means of an individual re-examination of a piece of collaborative fieldwork on the fight against the closure of a factory in France. It looks at events through the prism of sexual and love relations at work and in industrial action. Sexual practices constitute simultaneously a challenge to gender and class hierarchies in the factory and a perpetuation of those hierarchies. They are as much a means and expression of power relations as a statement of liberation. By looking at sexual and love relationships, this article analyses the continuities, ruptures and transformations of gender and class relations in the afterwork space resulting from the closure of the factory. Sexuality is one of many entries into these power relations. It needs to be conceived simultaneously as impacted by work and industrial activism, and as a driver of both. The article thus studies work or industrial activism through the prism of the sexual relations – real or fantasised – of the men and women made redundant.
- Du renouveau de l'histoire des femmes au travail : note critique autour de quelques travaux récents - Fanny Gallot, Amandine Tabutaud La littérature récente en histoire renouvelle les connaissances relatives au travail féminin. S'inscrivant dans l'histoire des femmes et du genre, mais également dans l'histoire du travail, les six recherches francophones choisies apportent de nouvelles perspectives historiographiques. Elles se penchent sur les ressorts de la division sexuée du travail ou encore sur la réglementation du travail des femmes et ses reconfigurations, en s'interrogeant notamment sur le rapport entre travail professionnel et travail domestique d'une part, sur les frontières pouvant être établies autour du travail subalterne d'autre part. Des questionnements plus récents ou du moins envisagés d'une autre manière permettent également de renouveler cette histoire du travail féminin des classes populaires. L'intersectionnalité, la dialectique domination/agency, le jeu des échelles d'analyse (micro/macro) ou encore la dimension transnationale aident en effet à déconstruire les catégories d'analyse et invitent à redéfinir les contours du travail des femmes des classes populaires.Recent historical research has cast new light on women's work. Associated with the history of women and gender, but also with the history of work, the six selected studies bring new historiographical perspectives. They examine the origins of the sexual division of labour or the changing forms of regulation of women's work, with particular attention to the connection between professional and domestic work on the one hand, and the boundaries that may be established around low-status work on the other hand. More recent questions, or questions approached from a different perspective, have also led to a renewal of this history of working-class female labour. Intersectionality, the dialectic of domination and agency, the interplay of analytical scales, or indeed the transnational dimension, are all approaches that deconstruct the categories of analysis and prompt a redefinition of the contours of the labour of working-class women.
- Saisir les dynamiques de genre en milieu populaire depuis la scène du travail subalterne - Christelle Avril, Marie Cartier, Yasmine Siblot
Comptes rendus
- Deborah A. Harris et Patti Giuffre, Taking the Heat: Women Chefs and Gender Inequality in the Professional Kitchen - Christèle Dondeyne
- Yasemin Besen-Cassino, The Cost of Being a Girl: Working Teens and the Origins of the Gender Wage Gap - Maxime Lescurieux
- Clément Carbonnier et Nathalie Morel, Le retour des domestiques - Alizée Delpierre
- Cédric Hugrée, Étienne Penissat et Alexis Spire, Les classes sociales en Europe : tableau des nouvelles inégalités sur le vieux continent - Marie Plessz
- Paul Johnson, Going to Strasbourg: An Oral History of Sexual Orientation Discrimination and the European Convention on Human Rights - Julie Landour
- Élise Roullaud, Contester l'Europe agricole. La Confédération paysanne à l'épreuve de la PAC - Sylvain Brunier
- Fabien Truong, Loyautés radicales. L'islam et les « mauvais garçons » de la nation - Montassir Sakhi
- Marie-Hélène Lechien, Frédéric Neyrat et Audrey Richard (dir.), Sociologie de la relation de clientèle - Lise Bernard
- Aurélie Jeantet, Les émotions au travail - Diane Desprat
- Damien Collard, Le travail, au-delà de l'évaluation. Normes et résistances - Pascal Ughetto
- Christine Barats, Julie Bouchard et Arielle Haakenstaad (dir.), Faire et dire l'évaluation. L'enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance - Joël Laillier
- Quentin Ravelli, La stratégie de la bactérie. Une enquête au cœur de l'industrie pharmaceutique - Étienne Nouguez
- Sylvain Crépon, Alexandre Dézé et Nonna Mayer (dir.), Les faux-semblants du Front national. Sociologie d'un parti politique - Samuel Bouron