Contenu du sommaire : La coordination du travail gouvernemental
Revue | Revue française d'administration publique |
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Numéro | no 171, 2019/3 |
Titre du numéro | La coordination du travail gouvernemental |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Delphine Dulong, Brigitte Gaïti p. 559-563
I – Socio-histoire de la coordination gouvernementale
- Gouverner le Gouvernement : les trajectoires des politiques de coordination gouvernementale en France (1935-2019) - Brigitte Gaïti p. 565-585 L'article retrace l'évolution de la mise en problème de la coordination gouvernementale en France. Au cœur des politiques de coordination, on trouve le projet, publicisé ou plus discret, de la régulation centrale des ministères et des mondes qu'ils ont contribué à créer. Ce programme prend de la consistance autour d'objectifs très différents sur la longue période : mettre le Parlement à distance sous la Troisième République, moderniser la société sous la direction d'un État volontaire et réformateur après-guerre, naviguer entre contrainte juridique et économique avec le souci de la performance et de la baisse des dépenses dans la période récente. Les coalitions réformatrices se sont transformées : nébuleuse de la « réforme de l'État » dans les années 1930, modernisateurs du ministère des finances et Plan à la Libération, opérateurs du développement des politiques publiques de la croissance autour des ministères sectoriels de l'État providence, hauts fonctionnaires centralistes au principe de l'État Stratège dans les années 1990. Dans cette histoire, l'émancipation de l'exécutif mais aussi la montée en puissance d'un espace de l'interministériel aujourd'hui coordonné par les deux têtes de l'exécutif forment les deux résultats stabilisés de ces processus.This article traces the trajectory of the problem of government coordination in France. At the heart of coordination policies is the project, whether publicized or more discreet, of central regulation of ministries and of the worlds they have helped to create. This programme has taken on consistency around very different objectives over the long term: to distance from parliament under the Third Republic, to modernise society under the direction of a voluntary and reformist post-war state, to navigate between legal and economic constraints with a view to performance and reduced expenditure in the recent period. Forces for eform have been transformed: nebula of the « State reform » in the 1930s, modernisers of the Ministry of Finance and Plan after 1945, operators of the development of public policies for growth around the sectoral ministries of the Welfare State, senior centralist officials with the principle of the Strategic State in the 1990s'. The emancipation of the executive but also the rise in power of an inter-ministerial space, now coordinated by the two heads of the executive, form the two stabilized outcomes of these processes.
- Les poisons et délices de la Cinquième République. L'histoire politique de la coordination du travail gouvernemental - Delphine Dulong p. 587-601 En s'appuyant sur des archives et un corpus de témoignages de responsables politiques et de hauts fonctionnaires, cet article défend la thèse selon laquelle le mode de coordination de l'action gouvernementale en France, réputé plus instable, fragmenté et conflictuel que dans d'autres pays, est pour partie le produit d'un « système d'action concret » (Crozier et Friedberg) au cœur duquel on trouve des enjeux de pouvoir entre le Président de la République, le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement.Based on archives and on a corpus of memoirs of political actors and civil servants, this article defends the thesis that the coordination of government action in France, considered more unstable, fragmented and confrontational than in other countries, is partly the product of a « concrete system of action » (Crozier & Friedberg) at the heart of which we find power issues between the President of the Republic, the Prime Minister and other members of the government.
- Rouage ou centre de l'État ? (I) Genèse et institutionnalisation du Secrétariat général du Gouvernement - Jean-Michel Eymeri-Douzans, Michel Mangenot p. 603-627 Le Secrétariat général du Gouvernement est une institution sous-investiguée alors que sa « nodalité » au cœur de l'exécutif bicéphale français est indéniable. Sur le fondement d'une enquête de terrain originale, et dans une perspective de sociologie des institutions, le présent article analyse la genèse sociohistorique et la trajectoire d'institutionnalisation du SGG, depuis la Première Guerre mondiale jusqu'à nos jours. Ce récit analytique montre comment le SGG, situé tout au centre du Gouvernement et de la gouverne de la France, n'est pas devenu un puissant « centre de Gouvernement » (au sens que l'OCDE donne à cette notion). Pourtant, cet organe délibérément modeste et coutumier, qui incarne le principe de continuité de l'État, est désormais enchâssé dans la constitution administrative non-écrite de la France.The French Secretariat-General of the Government is an underresearched institution whereas its “nodality” at the core of the French double-headed Executive is undeniable. On the basis of an original field research, and in the perspective of a sociology of institutions, this article analyses the socio-historic genesis and the institutionalization trajectory of the SGG, from World War I to nowadays. This analytical narrative shows how the SGG, located at the very centre of the government and governing of France, has not become a powerful “centre of government” (in the sense of the OECD). Yet, this deliberately modest and customary institution, incarnating the principle of the continuity of the State, is now enshrined into the unwritten administrative constitution of France.
- Gouverner le Gouvernement : les trajectoires des politiques de coordination gouvernementale en France (1935-2019) - Brigitte Gaïti p. 565-585
II – Les organes et acteurs spécialisés dans la coordination
- Rouage ou centre de l'État ? (II). Le Secrétariat général du Gouvernement en actes - Jean-Michel Eymeri-Douzans, Michel Mangenot p. 629-650 Dans ce second article consacré, dans le même numéro de la RFAP, au Secrétariat général du Gouvernement français, il s'agit, sur le fondement d'un travail de terrain original et dans une perspective théorique de sociologie des institutions, d'étudier le SGG en action. L'analyse de l'activité quotidienne de cette institution coutumière, aux rites immuables, où règne une culture de loyauté et de dévouement, permet d'interroger la « nodalité » modeste du SGG. Sont analysés les aspects suivants : le rôle majeur du SGG dans la coordination interministérielle visant à la production normative ; son activité de conseiller juridique « intime » de l'exécutif, dans une relation symbiotique avec le Conseil d'État ; sa coopération délicate avec l'entourage politique du Premier ministre ; enfin le rôle singulier joué par le secrétaire général en personne au contact direct des deux chefs de l'exécutif.In this second article within the same issue of RFAP devoted to the French Secretariat-General of the Government, our purpose is to study the SGG in action, on the basis of an original field research and in the perspective of a sociology of institutions. The analysis of the daily activities of this customary institution, whose rituals are unchangeable and whose culture is made of loyalty and dedication, allows to question the modest “nodality” of the SGG. The following aspects are considered: the major role of the SGG in the interdepartmental coordination aiming at normative production; its activity as the “intimate” legal advisor of the Executive, in a symbiotic relation with the Council of State; its sensitive cooperation with the political entourage of the Prime Minister; and the specific role played by the secretary-general as a direct contact-person with both heads of the Executive.
- La désectorisation des politiques de sécurité. Le cas du recentrage interministériel du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale - Grégory Daho p. 651-667 Cet article vise à expliciter l'évolution de la division du travail gouvernemental en matière de sécurité nationale. En retraçant les circonstances de la résurgence du Secrétariat général de la défense et la sécurité nationale (SGDSN) au cœur du jeu interministériel de gestion des crises, il entend combler un vide entre, d'un côté, une sociologie de l'action publique délaissant le secteur de la défense et, de l'autre, des études critiques de sécurité trop peu attentives à l'analyse des processus institutionnels. Après être revenu sur le contexte marquant l'obsolescence programmée du Secrétariat général au sortir de la Guerre froide, nous proposons deux niveaux d'analyse pour expliquer ce recentrage au cœur des circuits décisionnels : le premier, organisationnel, insiste sur les tournants opérationnel, doctrinal et institutionnel qu'a connus le Secrétariat, et le second, individuel, met en avant les positions et les ressources des Secrétaires généraux.This article intends to explain the evolution of the distribution of tasks within the government on issues related to security. It sets the circumstances of the resurgence of the Secretariat général de la Défense et de la Sécurité ationale (SGDSN) at the heart of the inter-ministerial organisation of « crisis management ». It fills a gap between on one side a sociology of public action abandoning the sector of defense and on the other side critical security studies too much inattentive to the analysis of institutional processes. After reviewing the context of the Secretariat général at the end of the Cold War, we propose two levels of analysis to explain this refocusing within the decision-making circuits : the first, organizational, stresses the operational, doctrinal and institutional turning points experienced by the Secretariat, and the second, based on the study of the successive position holders, highlights the positions and resources of the secretaries-general.
- La communication gouvernementale, un ordre en négociation - Caroline Ollivier-Yaniv p. 669-680 La multitude des activités ministérielles de communication donne-t-elle à voir la communication du Gouvernement dans l'espace public ? Une telle question interroge le processus de légitimation de l'action de ministères et de ministres hétérogènes et surtout, d'une action gouvernementale unifiée et institutionnalisée. Prenant acte de la prolifération, de la professionnalisation et de l'hétérogénéité des pratiques d'information, de communication et d'accès aux médias dans les ministères, cet article entend y répondre en prenant en considération les interactions avec l'organisme consacré à leur coordination : le Service d'information du Gouvernement (SIG), dont l'une des missions originelles est la « coordination interministérielle de la communication du Gouvernement ». Prenant appui sur trois facteurs constitutifs de la fabrique d'un ordre négocié de la communication gouvernementale – procédural, professionnel et politique – cet article permettra de mettre en évidence qu'à côté des transformations médiatiques et professionnelles, le facteur politique demeure prédominant et contredit la thèse d'une communication gouvernementale unifiée de manière durable.Is the multitude of ministerial communication activities equivalent to government communication in the public space? Such an interrogation questions the process of legitimising the action of heterogeneous ministries and ministers and mostly, the topic of a unified and institutionalised government action. In order to enlighten this issue, this paper takes into account the proliferation, the professionalisation and the heterogeneity of information, communication and media activities of the ministries: it puts the emphasis on the interactions with the organisation devoted to their coordination, the Government Information Service (Service d'information du Gouvernement), whose one of the original missions is the « interdepartmental coordination of government communication ». Relying on three factors constituting the government communication as a negotiated order – regulatory, professional and political – this article highlights that, despite substantial media and professional transformations, the political factor remains predominant and contradicts the thesis of a unified governmental communication on a long-term basis.
- Le Gouvernement peut-il parler d'une seule voix ? Institutionnalisation et délimitation du rôle du porte-parole du gouvernement fédéral allemand (1949-2015) - Nicolas Hubé p. 681-696 L'institutionnalisation d'un ministère de la parole publique en Allemagne est précoce avec la création dès 1949 d'un service de presse fédéral (Bundespresseamt – BPA) avec à sa tête le porte-parole du Gouvernement, ayant rang de secrétaire d'État et dirigeant une administration d'État en charge de la coordination de la communication publique. La forme prise par cette administration fait pourtant débat sur l'ensemble de la période. Tenu par les règles du jeu du parlementarisme allemand, le porte-parolat s'est transformé d'institution centrale d'émission de la parole de l'exécutif en instance de régulation de l'équilibre de la parole au sein de l'équipe gouvernementale.The institutionalisation of a spokesperson office in Germany was early. It started with the creation in 1949 of a Federal press service (Bundespresseamt – BPA) headed by the government' spokesman, having the rank of State secretary, directing the State administration in charge of the coordination of this governmental communication. The form taken by this administration, however, continues over the entire period to be debated within the bureaucratic and political field. Strained by the rules of game of the German parliamentarism, the spokesperson office has moved from being the central institution for the government's speech toward a regulator of the balance of public communication within the government team.
- Rouage ou centre de l'État ? (II). Le Secrétariat général du Gouvernement en actes - Jean-Michel Eymeri-Douzans, Michel Mangenot p. 629-650
III – Se coordonner en pratiques
- À quoi riment les « RIM » ? Les réunions interministérielles ou l'ordinaire du travail gouvernemental - Delphine Dulong, Pierre France, Julie Le Mazier p. 697-712 Les réunions interministérielles dites « RIM » constituent l'ordinaire du travail de coordination interministériel. Pourtant, leur fonctionnement et déroulement concrets, unanimement décriés, font figure de boîte noire dans la sociologie de l'action publique. À partir d'une enquête par entretiens avec d'anciens conseillers ministériels et des hauts fonctionnaires, adossée à une enquête prosopographique sur les membres de cabinets des gouvernements Ayrault et Valls I, cet article propose de les étudier dans la perspective d'une sociologie compréhensive. Celle-ci conduit à nuancer l'idée communément admise selon laquelle « il ne se passe rien » en RIM. En effet, par-delà la ritualisation des échanges, les conseillers y jouent pour partie leur réputation et leur avenir professionnel. Les savoir-faire réputés nécessaires pour « gagner » ne sont toutefois pas à la portée de tous les conseillers et favorisent ceux qui disposent d'un capital bureaucratique.Joint ministerial meetings (RIM) are the common form of inter-ministerial coordination work. However, their concrete functioning, unanimously decried, is a black box in the sociology of public action. Based on a survey of members of ministerial private offices of Ayrault and Valls I governments, this article proposes to study them from the perspective of a comprehensive sociology. This leads to nuance the commonly accepted idea that “nothing happens” in RIM. Beyond the ritualization of exchanges, advisers' reputation and also their professional future are at stake at least partially. The skills deemed necessary to “win” are however not available to all advisers and favor those who have a bureaucratic capital.
- La coordination du travail législatif : pour ouvrir (enfin) la boîte noire parlementaire - Claire Bloquet, Damien Lecomte p. 713-726 La science politique tend à sous-étudier le travail de coordination législative qui a lieu entre gouvernement et Parlement, laissant le « fait majoritaire » expliquer en lui-même les décisions prises. Pourtant, ce « fait majoritaire » ne dispense pas l'exécutif de tout un travail politique pour obtenir la discipline de la majorité parlementaire : il est donc important d'ouvrir la « boîte noire » du Parlement et de ses interactions avec le Gouvernement. En raison de la coupure organique entre les deux institutions, la coordination du travail législatif nécessite des espaces de coopération initialement informels, dont les rôles se sont progressivement institutionnalisés : on présentera notamment les petits-déjeuners de la majorité, le portefeuille ministériel des Relations avec le Parlement ou les conseillers parlementaires au sein des cabinets ministériels, dans le but de donner des pistes de recherches sur un aspect du processus législatif trop souvent laissé dans l'ombre.Political scientists have had a tendency to under-study the intense coordination work the legislative process requires, leaving the explaining of the ultimate decisions down to the “majority rule”. Yet, the “majority rule” does not mean the government does not need a lot of political work to achieve parliamentary discipline: it is therefore crucial to open the “black box” of Parliament and its interactions with government. Due to the organic disconnection between the two institutions, the coordination of legislative work requires dedicated spaces of cooperation which, though first informal, slowly institutionalized through the period: this paper will present the “majority breakfasts”, the ministerial portefolio of Parliamentary Relations and the parliamentary advisors in the ministers' teams, in order to present a few lines of research on an aspect of legislative process too often overshadowed.
- À quoi riment les « RIM » ? Les réunions interministérielles ou l'ordinaire du travail gouvernemental - Delphine Dulong, Pierre France, Julie Le Mazier p. 697-712
IV – Temoignages
- Assurer la continuité et l'impartialité de l'État - Jean-Marc Sauvé, Jean-Michel Eymeri-Douzans, Michel Mangenot p. 727-743
- La plus britannique des administrations françaises : le Secrétariat général du Gouvernement - Serge Lasvignes, Jean-Michel Eymeri-Douzans, Michel Mangenot p. 745-762
- Cinq évolutions du travail en cabinet ministériel depuis 1982 - Yves Colmou, Sylvain Antichan, Julie Le Mazier p. 763-766
Varia
- Le service public face à la corruption systémique : faiblesse morale et vulnérabilité organisationnelle - Yves Boisvert, Luc Bégin p. 767-780 Dans une perspective de management des risques éthiques, il importe de comprendre aussi bien les faiblesses morales individuelles que ce qui contribue à les induire et à les renforcer. Ce texte présente une analyse du discours des managers municipaux ayant travaillé dans un contexte de crise de gouvernance liée à des allégations de corruption au Québec. Après avoir identifié les indices des faiblesses morales (aveuglement moral et désengagement moral), cette étude présente les facteurs ayant contribué à induire et à renforcer de telles lacunes morales. L'environnement de travail alimente et en même temps se nourrit des forces et faiblesses des acteurs qui le composent.From an ethical risk management perspective, it is equally important to understand the individual's moral weaknesses and what contributes to inducing and reinforcing them. This text presents an analysis of the speech of municipal managers who worked in a context of governance crisis related to allegations of corruption in Quebec. We will target clear evidence of moral weaknesses (moral blindness and moral disengagement) and we will present factors that have helped to induce and reinforce these moral deficiencies. It will be seen that the working environment feeds and at the same time feeds on the strengths and weaknesses of the actors that make it up.
- Le service public face à la corruption systémique : faiblesse morale et vulnérabilité organisationnelle - Yves Boisvert, Luc Bégin p. 767-780
Chroniques
- Chronique de l'administration - Antoine Fouilleron, Jean-François Monteils, Jean-Luc Pissaloux, Didier Supplisson, Frédéric Edel, Véronique Champeil-Desplats, Stéphanie Hennette-Vauchez p. 781-822
- Chronique du secteur public économique - André G. Delion, Michel Durupty p. 823-829
- Chronique de l'administration européenne - François Lafarge, Eleftheria Neframi, Michel Mangenot p. 831-860
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 861-865