Contenu du sommaire
Revue | Cahiers d'études africaines |
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Numéro | no 237, 2020/1 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
études et essais
- Le don et la « foutaise » : Une analyse de chants dans la campagne électorale de novembre 2012 dans des villages jàana (Burkina Faso) - Delphine Manetta p. 7-30 Cet article examine des chansons prononcées lors de meetings du CDP qui ont été organisés dans des villages jàana lors de la campagne électorale de 2012. Ces chansons permettent de penser le don de multiples points de vue en situant, simultanément, les chanteurs et les candidats comme donateurs et donataires. Dons d'éloges, elles ont également déguisé des appels au don d'argent que les candidats ont dû satisfaire. Surtout, ces chansons montrent la façon dont la « foutaise » s'incruste dans le don en dévoilant une lutte de pouvoir. La « foutaise » révèle, depuis les villages jàana, l'histoire du régime compaoriste jusqu'à sa chute. Elle exprime, en outre, une incertitude inhérente à l'acte de donner, qu'il s'agisse d'un chant ou d'argent, en invitant à penser le pouvoir en termes géographiques.
This article examines songs delivered during CDP's meetings in jàana villages for the electoral campaign of 2012. These songs question, from different perspectives, the relation of gift by situating simultaneously singers and candidates as the giver and the recipient. If they were songs of praise, they also disguised calls for money that the candidates had to satisfy. Especially, these songs show how “la foutaise” (“e bebieri”) is entrenched in the gift and reveals a power struggle. Though, “la foutaise” highlights the history of the compaorist regime until its fall from jàana villages. It also expresses the inherent uncertainty in the act of giving, whether a song or money is given, and finally leads to analyze power in geographical terms.
- La figure du « cadet » Grassfields : Contribution à l'histoire d'un concept anthropologique - Franck Beuvier p. 31-61 Cet article revient sur la genèse et l'élaboration progressive de la catégorie anthropologique de cadet dans les chefferies Grassfields. Cet examen rétrospectif témoigne d'un cadre de définition toujours en phase avec son temps, successivement établi dans la mouvance des débats — politiques, scientifiques et sociétaux — qui marquèrent la discipline. Délaissant la notion jumelle de « jeune », durablement privée d'une réelle valeur heuristique, ce projet de connaissance attaché au cadet participe de l'histoire de l'anthropologie et de l'africanisme. L'attention presque exclusive portée au couple aîné/cadet procède ici d'une large réévaluation des outils permettant de penser la nature économique et politique des sociétés observées sous l'angle de la domination et du conflit. Cette rétrospective révèle par ailleurs combien l'ethnographie, au sens d'un savoir pluriel élaboré sur une aire culturellement circonscrite, constitue, au delà des appartenances et des spécialisations, un corpus à part entière, un et indivisible.This article returns to the genesis and progressive development of the anthropological category of cadet in Grassfields chiefdoms. This retrospective examination shows a definition framework always in step with the times, successively established in the wake of the debates—political, scientific and societal—that marked the discipline. Abandoning the twin notion of “young,” permanently deprived of real heuristic value, this knowledge project attached to the cadet takes part in the history of anthropology and Africanism. The almost exclusive attention paid to the older/younger couple here proceeds from a broad reassessment of the tools allowing to think about the economic and political nature of the societies observed from the angle of domination and conflict. This retrospective also reveals how ethnography, in the sense of plural knowledge developed in a culturally circumscribed area, constitutes, beyond belonging and specialization, a corpus in its own right, one and indivisible.
- Genèse du nationalisme culturel haïtien : Le Cercle littéraire de 1836-1839 - Joseph Délide p. 63-88 Cet article présente une réflexion originale et très documentée sur une période-clé de l'histoire du nationalisme culturel haïtien, les années 1830, en particulier la production historienne et journalistique des intellectuels qui gravitent autour du journal Le Républicain en 1836-1837 et le journal L'Union en 1837-1838. L'auteur part du constat que la genèse du nationalisme culturel haïtien est généralement située dans la période d'occupation du pays par les États-Unis entre 1915 et 1934, avec la naissance du mouvement dit indigéniste. Il est impossible de penser ce mouvement sans rappeler la contribution des nationalistes des années 1830 comme les frères Nau, Lespinasse, Ardouin, Devimeux, Smith, Madiou. Cet article développe trois arguments fondamentaux qui décrivent le projet engagé des intellectuels haïtiens réunis autour d'un Cercle littéraire qui consiste à situer Haïti dans le contexte caribéen et en faire une patrie exemplaire de la liberté, affirmer la nécessité de construire une identité haïtienne libérée du moule français, et doter Haïti d'une histoire écrite par les Haïtiens pour les Haïtiens.This article introduces an original and well documented reflection on a key period in the history of Haitian cultural nationalism, the 1830s, in particular the historical and journalistic productions of intellectuals who gravitate toward Le Republicain newspaper in 1836 and 1837, and L'Union newspaper in 1837 and 1838. The author recognizes that the genesis of Haitian cultural nationalism was generally developed during the American occupation between 1915 and 1934, with the birth of the Indigenist movement. It is impossible to give thought to this movement without remembering the contributions from 1830 nationalists such as the Nau brothers, Lespinasse, Ardouin, Devimeux, Smith and Madiou. This article puts forward three fundamental arguments, which describe the commitment of Haitian intellectuals who came together to create a Literary Circle that places Haiti in the Caribbean context and as a model country for freedom, assert the need to define a Haitian identity free from the French mold, and equip Haiti with a history written down by Haitians for Haitians.
- An Independent Country or a Part of Morocco? : The Issue of the Independence of Mauritania - Konrad Banaś p. 89-113 Depuis la fin du XIXe siècle, la Mauritanie était sous l'influence de la France, laquelle arriva à son paroxysme en 1903, lorsque la Mauritanie devint une colonie française (1903-1960). Le processus de transformation de l'empire colonial français pendant la seconde moitié des années 1950 conduit enfin à son autonomie et, ensuite, à la pleine indépendance de la Mauritanie. Le Maroc (protectorat français de 1912 à 1956) s'opposa à une telle évolution afin de poursuivre son grand programme irrédentiste. L'État établi à Rabat considérait que la Mauritanie faisait partie de son territoire national et lança une offensive diplomatique qui visait le soutien de la communauté internationale face à l'indépendance de la Mauritanie en 1960. Grâce au soutien de l'URSS pour le Maroc lors de la 15e session de l'ONU, la candidature de la Mauritanie fut rejetée. Néanmoins, les négociations en coulisses permirent tout de même l'adhésion de la Mauritanie à l'ONU l'année suivante. L'attitude négationniste du Maroc provoqua son isolement et de mauvaises relations avec plusieurs États africains. L'objectif ici est d'examiner la genèse, le développement et les évolutions des relations entre la Mauritanie et le Maroc dans le contexte international. Afin de conduire une recherche aussi objective que possible, l'analyse repose sur des sources provenant de publications scientifiques en français, en anglais et en russe ainsi que de documents déclassifiés des archives du ministère des Affaires étrangères de la République de Pologne à Varsovie, ce qui permet d'offrir une approche plus large de ce problème depuis la perspective du bloc de l'Est.
Mauritania had been under the influence of France since the late nineteenth century, culminating in 1903, when it became a French colony (1903-1960). The process of transforming the French colonial empire in the second half of the 1950s led to autonomy, and then, to full independence of the country. Such a course of action was opposed by Morocco (a French protectorate from 1912-1956), which introduced the broad irredentist programme. The government in Rabat considered Mauritania a part of its territory and launched a diplomatic offensive aimed at gaining support in the international arena as of Mauritania's independence in 1960. Thanks to the USSR's support during the fifteenth un session, Mauritania's candidacy for this organisation was rejected. However, the backstage negotiations resulted in accession of Mauritania to the United Nations the following year. The negating attitude of Morocco resulted in isolation and poor relations between this country and many African states. The aim herein is to examine thoroughly the genesis, development and further evolution of Mauritanian and Moroccan relations within the international context. In order to make the research as objective as possible, sources analysed include press and scientific publications in French, English and Russian, as well as declassified documents from the Archives of the Ministry of Foreign Affairs Republic of Poland in Warsaw, which offer a wider approach to this problem from the perspective of the Eastern Bloc.
- Le don et la « foutaise » : Une analyse de chants dans la campagne électorale de novembre 2012 dans des villages jàana (Burkina Faso) - Delphine Manetta p. 7-30
notes et documents
- « Être chez-soi » à Bamako ou la vie après la mort - Isaïe Dougnon p. 115-140 Depuis les années 1990, les habitants de Bamako, capitale du Mali, mettent tout en œuvre pour construire leur propre maison en dépit des obstacles rencontrés. Pour les citadins, la vie après la mort n'est en effet possible que lorsqu'on a un « chez soi » — une maison à son nom — qui va, pour l'éternité, représenter son propriétaire. Cet article offre une analyse anthropologique de la construction d'une maison comme une réponse à la demande sociale de réalisation de soi dans un contexte urbain. Car « être chez soi » signifie « être soi-même », se réaliser ici-bas et s'assurer une vie après la mort. L'article analyse l'influence de cette « course pour la maison » sur la conduite, les habitudes, les rituels et les croyances des habitants de la ville de Bamako.Since the late 1990s, the capital city of Bamako (Mali) inhabitants do everything in their power to build their own houses against all odds. Life after death is indeed only possible to the townspeople if they have a “chez-soi”—a home of your own—that will forever be representative of their owner. This paper provides an anthropological analysis of house building as a response to the social demand for self-realization in the context of urban life. Indeed, “to be at home” means “to be oneself,” to realize oneself in life and after death. It analyzes the influence of this “house rush” on the conduct, habits, rituals and beliefs among city inhabitants.
- Du nouveau sur le procès Blaise Diagne–René Maran - Roger Little p. 141-150 Le Sénégalais Blaise Diagne (1872-1934), élu à la Chambre en 1914, franc-maçon depuis 1899, assimilationniste, fut nommé en janvier 1918 par Clemenceau commissaire général du recrutement indigène en Afrique. Dans un article paru dans Les Continents le 15 octobre 1924, on l'accuse d'avoir profité personnellement de ce poste, et cet article est attribué au Guyanais René Maran (1887-1960), né à la Martinique, prix Goncourt 1921 pour son roman Batouala, qui avait fondé le journal bimensuel avec le Dahoméen Kojo Tovalou Houénou (1887-1936), avocat et dandy. Diagne intente contre Maran un procès en diffamation qu'il gagne, signant ainsi l'arrêt de mort du journal. Des lettres inédites de Maran, dont la probité ne saurait être mise en doute, montrent que, contrairement à ce qu'on a cru jusqu'ici, il n'était pas l'auteur de l'article incriminé.The Senegalese Blaise Diagne (1872-1934), elected to Parliament in 1914, a freemason since 1899 and a partisan of assimilation, was named in January 1918 by Clemenceau commissioner general for native recruitment in Africa. In an article published in Les Continents on October 15, 1924, he was accused of profiting personally from this post, and the article was attributed to the Guyanese René Maran (1887-1960), born in Martinique, who won the Prix Goncourt in 1921 for his novel Batouala, and who had founded the bi-monthly newspaper with the Dahomean Kojo Tovalou Houénou (1887-1936), attorney and dandy. Diagne sued for libel and won, thereby ensuring the demise of the newspaper. Unpublished letters by Maran, whose integrity cannot be doubted, show that, contrary to what has been believed to date, he was not the author of the offending article.
- De briques et de tôles : Les enjeux idéels et matériels des édifices catholiques en Afrique de l'Ouest - Jean-Marie Bouron p. 151-167 De nos jours, les édifices catholiques sont souvent signalés dans les guides de voyage comme des lieux remarquables dans les villes africaines. À l'époque missionnaire pourtant, la construction des infrastructures chrétiennes répond plus à des impératifs prosaïques qu'à des enjeux esthétiques. La valeur patrimoniale des bâtiments est jugée secondaire par des missionnaires avant tout préoccupés par des questions financières et prosélytes. Ainsi les Pères Blancs qui opèrent en Haute-Volta et en Gold Coast intègrent-ils ces lieux dans leurs stratégies apostoliques pour donner de la visibilité à leurs activités sans pour autant grever leur budget de trop lourdes dépenses. C'est l'appropriation, par la suite, des lieux catholiques par les communautés de fidèles qui a donné un contenu identitaire aux édifices religieux. Devenus « géosymboles » de la chrétienté, plusieurs infrastructures missionnaires prennent une valeur symbolique et mémorielle à mesure que l'Église locale cherche à définir des espaces d'appartenance communs. Cet article s'appuie sur les cas de la Haute-Volta (devenue Burkina Faso) et de la Gold Coast (Ghana) pour interroger la patrimonialisation polysémique des bâtiments missionnaires aux époques coloniales et postcoloniales.
Nowadays, Catholic buildings are often mentioned in travel guides as remarkable places in African cities. In the missionary era, however, the construction of Christian infrastructures was more in response to prosaic imperatives than to aesthetic challenges. The buildings' heritage value was considered secondary for missionaries primarily concerned with financial and proselytizing challenges. The White Fathers operating in Upper Volta and the Gold Coast thus integrated these places into their apostolic strategies to give visibility to their activities without burdening their budgets with excessive expenses. It is the subsequent appropriation of Catholic places by communities of the faithful that gave an identity content to religious buildings. Having become “geosymbols” of Christianity, several missionary infrastructures take on a symbolic and memorial value as the local Church seeks to define common spaces of belonging. This article relies on the cases of Upper Volta (now Burkina Faso) and the Gold Coast (Ghana) to question the polysemous “heritage-building” of missionary infrastructures in colonial and postcolonial times.
- « Être chez-soi » à Bamako ou la vie après la mort - Isaïe Dougnon p. 115-140
chronique bibliographique
- Déconstruire ou reconduire. À propos de l'ouvrage Sexe, race & colonies - Elara Bertho p. 169-180 Cette lecture de Sexe, race & colonies. La domination des corps du XVe siècle à nos jours vise à en analyser les méthodes argumentatives et les impensés. La notion de « déconstruction », avancée par les directeurs d'ouvrage, pour qu'elle ne soit pas une simple profession de foi, doit s'appuyer sur une véritable analyse des images et des imaginaires. Il est temps que les discours sur l'« Autre » s'appuient sur une véritable prise en compte des histoires des colonisés, pour aller au-delà de l'ethnocentrisme et de la reproduction des stéréotypes.
This analysis of the book Sexe, race & colonies.
La domination des corps du XVe siècle à nos jours examines its methods of argumentation and its lacks. In particular, it criticizes the use made by the authors of the notion of “deconstruction”—reduced to a mere profession of faith, without any real analysis of images and imaginaries. In contrast, it calls for a true consideration of the perspective of the colonized, in order to go beyond ethnocentrism and stereotype reproduction.
- Déconstruire ou reconduire. À propos de l'ouvrage Sexe, race & colonies - Elara Bertho p. 169-180
Analyses et comptes rendus
- Catherine Baroin & Barbara Cooper (dir.). — La honte au Sahel. Pudeur, respect, morale quotidienne - Amalia Dragani p. 181-183
- Ursula Baumgardt (dir.). — Littératures en langues africaines. Production et diffusion - Vincent Hecquet p. 184-187
- Frédéric Bourdier & Chrystelle Grenier-Torres (dir.). — L'interdisciplinarité. Un enjeu pour le développement - Chantal Blanc-Pamard p. 188-191
- Claire Ducournau. — La fabrique des classiques africains : Écrivains d'Afrique subsaharienne (1960-2012) - Augustine H. Asaah p. 191-195
- Claire Ducournau. — La fabrique des classiques africains : Écrivains d'Afrique subsaharienne (1960-2012) - Pierre Halen p. 196-203
- Babacar M'Baye. — Black Cosmopolitanism and Anticolonialism : Pivotal Moments - El Hadji Samba Amadou Diallo p. 203-207
- Mariano Pavanello. — La papaye empoisonnée. Essais sur la société Akan des Nzema - Vincent Hecquet p. 207-210
- Simon Simonse. — Kings of Disaster: Dualism, Centralism and the Scapegoat King in Southeastern Sudan - Jon Abbink p. 211-213
- Katrina Daly Thompson. — Popobawa. Tanzanian Talk, Global Misreadings - Marie-Aude Fouéré p. 214-215