Contenu du sommaire : Faire avec la politique
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 32, no 128, 2019 |
Titre du numéro | Faire avec la politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 3-5
Dossier : Faire avec la politique. Novices, amateurs et intermittents en politique
- Faire avec la politique. Novices, amateurs et intermittents en politique - Éric Agrikoliansky, Philippe Aldrin p. 7-29 L'objectif de cet article est de (re)considérer l'importance et la fréquence des situations dans lesquelles des citoyens ordinaires peuvent se trouver pris dans des interactions durables avec les politiques. Il s'agit en particulier de s'intéresser aux novices qui s'engagent dans une activité de mobilisation et de représentation d'une cause sans pour autant s'appuyer sur une organisation structurée, des savoir-faire politiques ou du capital militant accumulé. Une telle perspective permet d'observer comment la compétence politique se forge en pratique, de saisir les tensions qui pèsent sur le travail de représentation et d'identifier en creux quelques spécificités du métier politique contemporain.There are all kinds of situations in which ordinary citizens may find themselves engaged in sustained interactions with politicians. This article focuses on novices – those citizens who become involved in advocacy and mobilization activity without the support of a structured organization, political skills, or any accumulated activist capital. Our sociological approach has several advantages. It reminds us that political skill is acquired through practice, reveals the tensions involved in advocacy work, and enables us to identify, in a regulated set of relationships, some of the specific characteristics of the political profession today.
- Dans les lisières. Une sociologie des acteurs secondaires de la politique dans deux petites villes françaises - Philippe Aldrin, Marie Vannetzel p. 31-63 Au quotidien, l'activité politique locale n'est pas seulement faite par des professionnels ou semi-professionnels de la politique. Chacune des dimensions pratiques de l'activité politique, depuis la composition des listes de candidats jusqu'à l'exercice quotidien du pouvoir municipal, comprend une zone frontière où l'on croise des « acteurs secondaires », novices, amateurs et intermittents qui y jouent des rôles divers : mandataires d'associations ou d'organisations, intermédiaires ou représentants de groupes sociaux, militants du terrain sans partis. Ensemble, ils constituent les « lisières » de la politique locale dont cet article propose une exploration sociologique à partir de deux petites villes françaises.On a day-to-day basis, local political activity does not only involve professional or semi-professional politicians. All of the practical dimensions of political activity, from the makeup of candidate lists to the daily exercise of municipal power, relies on the work of “secondary actors,” i.e., novices, amateurs, and part-timers, who perform various roles. They might be delegates of associations or organizations, intermediaries or representatives of social groups, or nonpartisan grassroots activists. Together, they make up the “edges” of local politics, which are the subject of this sociological discussion based on the case studies of two small French towns.
- Devenir syndicaliste malgré soi ? : La socialisation militante en tension des chauffeurs de VTC mobilisés - Sarah Abdelnour, Sophie Bernard p. 65-90 À l'automne 2015 apparaissent dans l'espace public les premières mobilisations des chauffeurs de VTC travaillant via des applications. À leur tête, des chauffeurs, qui deviendront de véritables meneurs du mouvement, organisant les actions et constituant des interlocuteurs légitimes des pouvoirs publics. L'observation des mobilisations des chauffeurs de VTC et les entretiens réalisés avec les meneurs du mouvement permettent de saisir la socialisation militante en tension de ces chauffeurs, des travailleurs indépendants se déclarant hostiles aux syndicats tout en devenant des représentants, parfois syndiqués. Si certaines compétences et savoir-faire ont été transmis via les professionnels de la contestation issus du monde syndical, d'autres résultent de la conversion de compétences professionnelles et de l'apprentissage sur le tas. Dialoguant avec la littérature portant sur la délégation de la parole dans les mobilisations, cet article dévoile les tensions qui caractérisent ces figures originales de militants, quasi-permanents syndicaux mais bénévoles. L'enquête permet de mettre en évidence la compétence politique déployée en pratique pour conserver sa légitimité en maintenant une position d'« entre-deux », entre chauffeur et syndicaliste.The first protests of French vehicle-for-hire drivers took place in fall 2015. Heading the action were the drivers who would in time become the true leaders of the movement, organizing collective action and becoming representatives in the eyes of public authorities. Based on the observation of the protests and interviews with the leaders of the movement, this article highlights the tensions involved in the activist socialization of the drivers, independent workers who are hostile toward unions, while being representatives and sometimes even unionists themselves. Discussing the literature on spokespeople during protests, this article reveals the preexisting resources and learning processes that transformed independent contractors into collective action leaders and representatives during political negotiations. The article offers an original representation of these unpaid semi-professional activists whose political skills might be the result of previous experiences, transmitted through professional unionists, and acquired on the job. The research also highlights the political skill deployed, which enables the drivers to maintain their legitimacy in various social spheres, remaining “in between,” as both drivers and unionists.
- Changer de vie. Les députés novices et la condition politique au XXIe siècle - Étienne Ollion p. 91-114 Les élections de 2017 ont plongé au cœur de la politique nationale plusieurs dizaines de personnes qui n'avaient jamais eu de mandat, de responsabilité, voire d'engagement politique. Cette arrivée de novices fut aussi massive qu'elle est rare. Depuis plusieurs décennies, la fermeture du champ politique sur lui-même avait rendu ces parcours statistiquement improbables. L'article propose d'étudier ces nouveaux entrants. Mais plutôt que d'étudier leur apprentissage du métier, la construction d'un rôle, ou les inégalités d'accès à différentes positions de pouvoir déjà bien documentés par d'autres travaux, il utilise cette entrée pour éclairer la condition politique contemporaine. L'ethnographie et les entretiens menés auprès de novices en politique révèlent trois traits saillants : les rythmes de travail dilatés ; la publicité que reçoivent les élus suite à leur entrée dans la sphère publique ; ou encore une conception dominante de la politique comme activité orientée autour de « coups ». Analyseurs en action des règles qui organisent un espace très codifié, les novices révèlent certaines normes du champ politique actuel. L'étude éclaire alors d'un autre jour les logiques d'accès différentiel à l'espace et à la parole publiques.The 2017 parliamentary elections saw dozens of political novices enter France's National Assembly, individuals who had never before been politically active. This arrival of novices was all the more remarkable at it was both a large-scale and rare phenomenon. Over the previous decades, the French political field had become even more closed in on itself, making this influx statistically unlikely. This article focuses on these newcomers, but instead of a conventional exploration of the way they learn their craft, the role they create for themselves, or even the discrimination they experience in accessing power, I use this mass entry situation to investigate what I term the “contemporary political condition.” An immersive ethnography carried out at the French Parliament during the first year reveals three prominent characteristics : novice MPs expressed surprise at the irregular pace of work, at the unexpected (and often unwanted) publicity surrounding their entry into the public sphere, and also at the agonistic way in which politics is “done,” even with a vastly renewed legislature.
- Apprendre à jouer (de) son rôle : L'acculturation des représentants artisans au jeu syndical institutionnel - Yolaine Gassier p. 115-142 Cette recherche entend étudier la manière dont des individus a priori en décalage avec un univers institutionnel au contact du politique parviennent à se forger des compétences pratiques. En se centrant sur les instances de « dialogue social régional », l'article analyse les conditions d'acculturation des représentants patronaux artisanaux amenés à y siéger. Si les dispositions sociales de ces artisans se trouvent initialement désajustées vis-à-vis de celles des autres représentants davantage conformes aux normes de l'institution, ils ne se trouvent pour autant pas dépourvus de ressources spécifiques. Déjà parce qu'ils côtoient au sein de leur organisation patronale un certain nombre de passeurs culturels qui accompagnent leur socialisation à l'institution. Aussi parce qu'au fil de leur expérience, ils réinvestissent une variété de compétences pratiques (relationnelles, sens du jeu politique) accumulées durant leur trajectoire, et plus ou moins liées à leur habitus militant.This study will explore the way in which individuals manage to develop practical skills in spite of being a priori out of step with an institutional universe that is in contact with politics. Focusing on bodies and organizations aimed at fostering “regional social dialogue,” this article analyzes how artisan business representatives who are brought in to participate in these groups assimilate into them. While their social dispositions might initially seem at odds with those of other representatives who are more in line with the institution's norms, artisans are not without their own specific resources. First, they rub shoulders, within their employers' organization, with a certain number of cultural intermediaries who aid their socialization within the institution. Furthermore, through their experience, they put to use a variety of practical skills gained during their career (such as people skills or their understanding of how to play the political game), which are to varying degrees related to their activist propensity.
- Le mouvement des Gilets jaunes : un apprentissage en pratique(s) de la politique ? - Zakaria Bendali, Raphaël Challier, Magali Della Sudda, Olivier Fillieule, Éric Agrikoliansky, Philippe Aldrin p. 143-177 À partir de novembre 2018 et pendant plusieurs mois, la vie politique et médiatique en France a été marquée par le mouvement dit des Gilets jaunes. Initialement dirigé contre la hausse du prix des carburants, ce mouvement social s'est développé à travers des blocages de routes, l'occupation permanente de ronds-points et des manifestations hebdomadaires dans les grandes villes françaises. Par ses traits atypiques, le mouvement des Gilets jaunes questionne la sociologie de la politisation, des mouvements sociaux et de l'apprentissage des activités militantes. L'objectif de ce débat est de réunir des chercheurs (Z. Bendali, R. Challier, M. Della Sudda et O. Fillieule) ayant mené des enquêtes sur les actions et les collectifs des Gilets jaunes. Ces enquêtes permettent de comprendre les modalités d'apprentissage pratique de l'action collective et de politisation dans et par la participation au mouvement des Gilets jaunes.From November 2018, for several months, French politics and media were dominated by the so-called “gilets jaunes” [yellow vest] movement. Initially aimed at protesting against the rise in fuel prices, this social movement developed through roadblocks, the permanent occupation of roundabouts, and weekly demonstrations in major French cities. Through its atypical features, the gilets jaunes movement prompts us to further investigate the sociology of politicization, social movements, and how people “learn” activism. The aim of this debate is to bring together researchers (Z. Bendali, R. Challier, M. Della Sudda, and O. Fillieule) who have conducted field surveys on the actions and organization of the movement. The data gathered help us to understand the practical ways in which collective action and politicization are learned in and through participation in the gilets jaunes movement.
- Faire avec la politique. Novices, amateurs et intermittents en politique - Éric Agrikoliansky, Philippe Aldrin p. 7-29
Varia
- Retour sur le « Consensus de Washington » : Le tournant libre-échangiste des projets d'infrastructures de transport de la Banque mondiale - Sidy Cissokho p. 179-205 L'expression « Consensus de Washington » est couramment utilisée pour désigner un ensemble de mesures d'inspiration libérale mises en œuvre à partir de la fin des années 1980 et principalement dédiées aux pays dits en voie de développement. L'emploi de cette expression homogénéisante tend cependant à appauvrir notre compréhension de ces politiques, de leur fabrique et de leur temporalité. En s'intéressant à la façon dont les projets d'infrastructures de transport de la Banque ont acquis une dimension libre-échangiste au sortir des années 1980, ce texte questionne certaines de nos certitudes à propos de ces mesures, de leur diffusion, et des groupes qui en ont été les promoteurs. Le tournant des projets d'infrastructures de transport de la Banque ne relève pas d'une conversion idéologique de ses employés au dogme néolibéral ; il est plutôt le produit d'une redéfinition des rôles à l'intérieur de l'organisation internationale. De plus, ce changement n'est pas porté par des économistes, mais par des ingénieurs. À partir de cet exemple, cet article appelle à porter une plus grande attention à la diversité des trajectoires historiques des politiques dites libérales plutôt qu'à leurs points communs.The term “Washington Consensus” is usually used to refer to a liberal-inspired set of measures implemented in the late 1980s, primarily aimed at developing countries. The use of this expression reduces our understanding of the creation and spread of these policies. By looking at how the World Bank's transport infrastructure projects became free-trade-oriented in the 1980s, this paper throws into question our knowledge about these measures, how they spread, and the groups that promoted them. This free trade dimension of the World Bank's infrastructure projects is not related to any ideological conversion of its employees to the neo-liberal dogma, but rather to the redefinition of roles within the organization's daily operations. Moreover, it is not supported by economists, but by engineers. Based on this example, the article advocates paying more attention to the diversity of liberal turns, rather than their common features.
- Retour sur le « Consensus de Washington » : Le tournant libre-échangiste des projets d'infrastructures de transport de la Banque mondiale - Sidy Cissokho p. 179-205