Contenu du sommaire : Rapports à l'espace et formes d'engagement : ancrage, attachement, territorialisation + Varia
Revue | L'Espace Politique |
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Numéro | no 38, 2019/2 |
Titre du numéro | Rapports à l'espace et formes d'engagement : ancrage, attachement, territorialisation + Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Rapports à l'espace et formes d'engagement : ancrage, attachement, territorialisation
- Rapports à l'espace et formes d'engagement.Attachements, territorialisation, échelles d'action - Patrice Melé, Catherine Neveu Introduction du numéro de la revue L'Espace politique, intitulé « Rapports à l'espace et formes d'engagement : ancrage, attachement, territorialisation »Introduction to the special issue “Relationships to space and forms of involvement. Attachements, territorialization, scales of action”
- Éprouver l'attachement au lieu : l'épreuve d'un conflit de proximité - Mathilde Caro A partir d'une monographie menée à Montorgueil, quartier gentrifié du centre historique de Paris, cet article propose d'étudier les modalités d'attachement au lieu comme support et vecteur d'engagement dans le cadre d'un conflit de proximité – la mobilisation de riverains contre l'implantation d'un fast-food – envisagé comme une expérience par laquelle s'éprouve l'attachement. La question suivante a, en filigrane, guidé notre recherche : comment ce lien au lieu, par définition pluriel car il relève de l'individuel et de l'affectif, peut-il conduire à une mobilisation collective ? Nous soumettons l'hypothèse de la coexistence d'une pluralité d'attachements, pouvant s'étendre au-delà d'une échelle locale et conduisant à une coopération pour la défense d'un lieu. Dans un premier temps, nous nous intéresserons au contexte socio-spatial du conflit de proximité étudié. Nous présenterons une grille de lecture – issue de la littérature ainsi que des observations ethnographiques et entretiens qualitatifs réalisés dans le cadre de cette lutte – permettant d'observer empiriquement l'attachement au lieu. Dans un second temps, nous présenterons trois formes d'attachement au lieu, à travers l'étude des registres de justification mobilisés par les acteurs à l'épreuve de ce conflit : l'attachement au lieu symbolique, électif et civique. A travers le concept d'attachement au lieu, cet article souligne qu'une expérience spatiale de mobilisation ne relève pas nécessairement de la préexistence d'un groupe localisé : la diversité des liens affectifs que les individus entretiennent avec un lieu peuvent coexister et conduire à une forme de coopération, recouvrant diverses formes et modalités d'engagement. Ce travail propose notamment de contribuer à l'approche de l'attachement au lieu, concept encore méconnu permettant de saisir la dimension spatiale de liens sociaux.Based on a monograph conducted in Montorgueil, a gentrified district of the historic center of Paris, this article analyses how forms of attachment to a place constitute a support and vector of commitment in a conflict of proximity (in that case, a mobilization of local residents against the opening of a fast-food). This conflict is considered as an experience through which attachment is felt and tested. The following question has guided our research: how can this link to a place - plural by definition since it has to do with the individual and the emotional - lead to collective mobilization? The author submits the hypothesis of the coexistence of a plurality of attachments, which can extend beyond a local scale and lead to cooperation for the defense of a place. First, the author considers the socio-spatial context of the conflict and presents how attachment to this place can be analyzed by focusing on the existing academic literature, observations and fieldwork interviews. Secondly, the author presents three forms of attachment to a place that have emerged from the empirical material, through the study of the repertoire of justifications mobilized by actors in the test of this conflict of proximity: symbolic, elective and civic place attachment. The symbolic attachment to a place refers to its representations, based on the promotion of tangible and intangible heritage, which is source of distinction. The elective one refers to frequentations, characterized by peer's aggregation and discriminating segregation. Civic attachment goes beyond the defense of a local space as a place where citizens' demands can be expressed. Through the concept of place attachment, this article emphasizes on the fact that a spatial experience of mobilization does not necessarily depend on the pre-existence of a local group. The diversity of emotional bonds that bound individuals to a place can coexist and lead to forms of cooperation, with various forms of engagement. This paper aims at contributing to the approach of place attachment, a central concept that opens up to the possibility of grasping a spatial dimension of social bonds.
- Patrimonialisations, territorialisations et mobilisations dans la banlieue rouge : Plaine Commune et le patrimoine de banlieue - Géraldine Djament A partir du cas de Plaine Commune, étudié sur la base d'un dépouillement du fonds Soucheyre des archives municipales de Saint-Denis et d'entretiens semi-directifs, l'article cherche à cerner les reconfigurations des relations entre territorialisation, mobilisations et patrimonialisation en banlieue rouge. Tandis que la banlieue rouge se caractérise historiquement par l'association entre territorialisation et mobilisations et par une patrimonialisation limitée, l'article retrace l'invention d'une politique patrimoniale par le deuxième âge du communisme municipal, en interaction avec la lutte contre les restructurations industrielles et avec la diffusion en banlieue de la nouvelle muséologie. Puis il présente la promotion d'un « patrimoine de banlieue » par les communistes « réformateurs » à la tête de l'intercommunalité et par des associations/institutions locales comme une hybridation des politiques sociales, patrimoniales et touristique répondant à la remise en cause du système territorial de la banlieue rouge dans la nouvelle étape du capitalisme. L'article montre enfin que la banlieue rouge est aujourd'hui le théâtre de mobilisations patrimoniales territorialisées qui visent à s'approprier et à transmettre l'usage commun du patrimoine industriel et le modèle généraliste du logement social. In fine, l'article montre que la banlieue constitue un observatoire de nouveaux régimes patrimoniaux alternatifs (il propose notamment l'hypothèse théorique de la patrimonialisation par appropriation territoriale, à prolonger par la comparaison avec d'autres expériences patrimoniales, par exemple en banlieue parisienne ou lyonnaise), porteurs de différentes formes de résistances et d'alternatives populaires à la métropolisation et assurent la transmission d'un modèle social.Based on the case of Plaine Commune, located in the northern Parisian red suburbs, studied on the basis of an analysis of the Soucheyre collection of the municipal archives of Saint-Denis and semi-directive interviews, the article seeks to define the reconfigurations of the relations between territorialisation, mobilizations and heritagization in the red suburb. While the red suburb is historically characterized by the association between territorialization and mobilizations and by a limited patrimonialization, the article traces the invention of a heritage policy by the second age of municipal communism, in interaction with the fight against industrial restructuring and with the spread of the new museology in the suburbs. Then it presents the promotion of a « typical suburban heritage » by the «reformers» communists at the head of the intercommunality and by local associations/institutions as a hybridization of social policies, heritage and tourism policies in response to the questioning of the territorial system of the red suburb in the new stage of capitalism. The article finally shows that the red suburb is today the scene of territorial heritage mobilizations aimed at appropriating and transmitting the common use of the industrial heritage and the generalist model of social housing. In the end, the article shows that the suburbs constitute an observatory of new alternative heritage regimes (it proposes in particular the theoretical hypothesis of the patrimonialisation by territorial appropriation, to be extended by comparison with other patrimonial experiences, for example in the suburbs of Paris or Lyon), carriers of different forms of resistance and popular alternatives to metropolisation and ensure the transmission of a social model.
- Exarcheia : lieu de refuge ou territoire à défendre ? Controverses autour de la gestion des indésirables - Simone Spera Cet article s'intéresse à la relation entre espace et action politique dans le quartier athénien d'Exarcheia, base territoriale du mouvement antiautoritaire grec. Depuis 2015, le quartier a vu l'essor de plusieurs squats de migrants. L'analyse des controverses suscitées par cette ouverture constitue le cœur de l'enquête, menée en combinant l'observation participante à l'intérieur d'un squat et l'analyse du discours de 35 publications de militants sur Indymedia, une plateforme en ligne du mouvement. L'étude des débats montre tout d'abord que l'état de transition et la précarité socio-économique des migrants entravent la construction d'un lien d'engagement avec le quartier. En second lieu, la participation de certains migrants au narcotrafic les rend des indésirables aux yeux des militants, qui dressent des frontières à leur encontre avec l'intention de défendre un territoire de lutte. Cette opération introduit cependant une forme d'autorité contredisant la construction d'Exarcheia comme lieu de refuge antiautoritaire. La recherche interroge finalement, à partir des réflexions des militants, la continuité entre le gouvernement étatique des indésirables et certaines actions punitives du mouvement. Cette étude enrichit par ce biais les conceptions du rôle de l'espace, considéré ici à la fois opportunité et contrainte pour l'action collective. Cet article propose donc une analyse pragmatique qui illustre la façon dont l'espace peut mettre à l'épreuve la cohérence idéologique d'un projet antiautoritaire.This article explores the relationship between space and political action in the Athenian neighborhood of Exarcheia, the geographical base of the Greek anti-authoritarian movement. Since 2015, several migrant squats have developed in the neighborhood. This article analyses the controversies sparked by the opening up of the neighborhood to migrants and marginalized urban groups. It draws on a mixed-methods inquiry, based on participant observation in one squat for two months, and on discourse analysis of 35 activists' publications on Indymedia, an online platform of the anti-authoritarian movement. Firstly, the study of these debates shows that the migrants' transience and socio-economic instability has hindered their ability to build a substantive relationship with the neighborhood. Secondly, the involvement of some migrants in drug dealing has made them undesirable in the eyes of certain anti-authoritarian activists, who have attempted to enforce physical and moral borders against them in order to preserve a territory of struggle. Such defensive measures, however, justified by the argument that « marginal groups » must take responsibility for their own emancipation, have involved exercises of authority which contradict the conception of Exarcheia as an anti-authoritarian place of refuge. Finally, drawing on the reflections of activists themselves, this research examines the link between the state management of the undesirables and retributive actions carried out by members of the movement. In this way, the study examines how space can put the ideological coherence of an anti-authoritarian project to the test. This article contributes to analyses of space as both opportunity and constraint for collective action: it shows Exarcheia's double nature of place embodying universalist political claims and representations, and of materially and socially bounded territory, necessary for the reproduction of these very representations.
- Quand s'engager ancre et s'ancrer « engage » : les voies plurielles de l'autochtonie au sein des réseaux d'aide aux exilés en Ariège - William Berthomière, Christophe Imbert Cet article entend tester l'hypothèse de la coexistence de plusieurs régimes d'autochtonie sur un même territoire. Cette hypothèse est testée en Ariège, à partir d'une analyse du lien entre ancrage et engagement. Une forme d'engagement a retenu plus spécifiquement notre attention : la mobilisation pour l'aide aux exilés. Pour mener à bien l'esquisse de ces formes de mobilisation territorialisées, le propos s'appuie sur une enquête en cours, engagée depuis 2016 dans le cadre du projet ANR Camigri. Le matériau de recherche mobilisé comprend 25 entretiens semi-directifs réalisés auprès d'une diversité d'acteurs, auxquels vient ajouter l'observation récurrente d'assemblées générales de collectifs en faveur de l'accueil des exilés. L'ensemble de ces éléments sont présentés en deux temps : à l'exposé des caractéristiques sociodémographiques de cette population « néo-pyrénéenne » succède une réflexion autour de la fabrique de l'ancrage à la lumière des lieux (marchés, épiceries et bars associatifs) et des registres d'action mobilisés par les acteurs des réseaux d'aide aux exilés. Les auteurs proposent d'éclairer les qualités et les spécificités de cet engagement en les réinscrivant dans une théorie du champ où solidarité, émancipation et libération définissent des dimensions de l'espace social des ancrages mis en œuvre par ces néo-ruraux. Ces trois dimensions prennent une grande visibilité dans les marchés où chaque nouvel arrivant peut se faire connaître et reconnaître. Les auteurs souhaitent souligner l'une des traductions possibles de la lecture des effets politiques et des ressorts sociologiques de ces ancrages, qui dessinent des modalités de création de liens sociaux variées au sein d'un territoire rural.In this article, we test the hypothesis of the coexistence of several autochthonous regimes within the same territory – specifically that of Ariège Department in southwest France – based on an analysis of the link between “anchoring” and “engagement.” We focus in particular on a specific form of engagement: the mobilization of aid for refugees. However diverse – and conflictual – it may be, engagement reveals both the spatial extent of the networks of involved actors and a specific relationship to the place of the latter, often from “neo-Pyrenean” environments and having acquired over the course of their lives cultural, economic, and activism capital, which they reinvest in their actions. To gain a deeper understanding of these forms of territorialized mobilization, we rely on responses to an ongoing survey begun in 2016 within the framework of the French National Research Agency (ANR) CAMIGRI project. We utilize, in particular, 25 semi-structured interviews conducted with a variety of actors, as well as regular observations of the general meetings of associations supporting the welcoming of refugees. We first discuss the socio-demographic characteristics of this “neo-Pyrenean” population, followed by a reflection on the construction of an “anchoring” in light of the places (markets, grocery stores, community cafes) and actions mobilized by the actors of refugee aid networks. These first survey results allow to shed light on the qualities and specificities of such engagement through the lens of a field theory where solidarity, emancipation, and liberation define the dimensions of the “anchors” implemented by these neo-rural actors. Such dimensions become particularly visible in the markets where each neo-rural dweller can be introduced and recognized. Finally, we endeavor to highlight one possible interpretation of the political effects and sociological drivers of these anchors, which represent various forms of social ties within a rural area.
- « Rituel du chaos ». Stabiliser un espace-temps politique dans une ville en perpétuel mouvement - Julie-Anne Boudreau Ancrée dans une ethnographie d'un marché de rue contreculturel à Mexico (Tianguis cultural del Chopo), cet article explore les formes d'engagement politique réticulaires qui se sont sédimentées depuis que le marché a commencé à occuper la rue il y a une quarantaine d'années. Comment saisir les effets des pratiques culturelles sur les rapports à l'espace, le temps long des constructions territoriales et la construction d'une subjectivité politique ? Comment cet espace-temps contreculturel est-il apparu dans la ville et que signifie-t-il pour notre compréhension du politique dans une ville ou la culture populaire joue un rôle politique important ? Ce sont les questions qui guident ce texte. Le travail s'appuie sur une démarche ethnographique (observations participantes, entretiens sous forme de récit de vie, démarche participative d'histoire orale).Nous expliquons d'abord pourquoi nous avons choisi la focale de la culture populaire pour comprendre le politique. Dans un second temps, à travers une description historico-ethnographique du Chopo depuis 1982, nous analysons la relation entre les mutations des modes d'habiter entre 1982 et 2019 et transformations des modalités d'engagement. En guise de conclusion, nous proposons quelques réflexions de nature plus théoriques sur l'engagement politique et le rapport à l'espace, au temps et aux rationalités dans un monde urbain. En effet, le Chopo rassemble par l'occupation temporaire de l'espace urbain des individus branchés à un flux d'information. La coprésence hebdomadaire dans la rue est fondamentale à ce réseau, surtout pour ses aspects expérientiels et affectifs. C'est justement ce qui génère subjectivité politique. Si les effets de ce type d'engagement politique sont difficiles à mesurer dans le sens où aucune revendication claire ne sont formulées au gouvernement, c'est avec une sensibilité plus ethnographique que nous pouvons palper les transformations dans les modes d'habiter engendrées par ces pratiques culturelles transgressives. Si nous mesurons le politique par la distribution institutionnelle du pouvoir et des ressources, le Chopo ne pourrait être qualifié de politique. Si par contre notre mesure du politique se centre sur les transformations des subjectivités et des modes d'habiter, le Chopo a des effets palpables, surtout en termes d'empowerment et de capacité à exprimer la différence.Based on an ethnography of a countercultural street market (Tianguis cultural del Chopo), this paper explores how networked and reticular forms of political engagement sedimented since the market began to occupy the street some forty years ago. How to understand the effects of cultural practices on the relationship to space, the longue durée of territorial constructions and the construction of political subjectivity? How did this countercultural space-time appear in Mexico City and what does it mean for our understanding of the political in a city where popular culture plays an important political role? These are the questions that guide this paper. Data was collected through an ethnographic approach (participant observations, life story interviews, participatory oral history).We first explain why we have chosen to focus on popular culture in order to study politics. Secondly, through a historical and ethnographic description of the Chopo since 1982, we analyse the relationship between lifestyle changes between 1982 and 2019 and the transformation of modalities of engagement. In conclusion, we propose some theoretical reflections on political action and the relationship to space, time and rationalities in an urban world. Indeed, the Chopo brings together individuals connected to a flow of information, through the temporary occupation of urban space. Weekly co-presence in the street is fundamental to this network, especially for its experiential and affective aspects. This is precisely what generates political subjectivity. While the effects of this type of political engagement are difficult to measure in the sense that no clear demands are made on the government, it is with a more ethnographic sensitivity that we can analyze lifestyle transformations engendered by these transgressive cultural practices. If we measure politics by the institutional distribution of power and resources, the temporary occupation of the street every Saturday could not be called politics. If, on the other hand, our measurement of politics focuses on transformations in subjectivities and ways of living, the Chopo has palpable effects, especially in terms of empowerment and the ability to express difference.
- Être Haïtien en Haïti : protestation et appartenance dans les débats sur le Champ de Mars à Port-au-Prince - Nadège Mézié Sur le Champ de Mars, centre névralgique de la capitale haïtienne où pouvoir et contre-pouvoir se confrontent, à quelques pas du palais national en reconstruction et d'autres ministères, des débats de rue ont lieu tous les jours de la semaine. Ils rassemblent entre 20 et 200 personnes, des hommes principalement venus de bidonvilles alentours et des étudiants. Ces débats ne sont pas encadrés par un parti politique. Les participants y parlent de religion, économie, géopolitique, éducation. Deux sujets, qui font entrer en collusion territoire et histoire, occupent une place centrale dans les discussions : la souveraineté et les délimitations de la communauté nationale. Les participants développent, dans un contexte de crise et d'émigration importante, un nationalisme qui repose sur un principe d'attachement exclusiviste : pour être Haïtien, il faut l'être en Haïti et ne pas songer à partir. Cet article, fondé sur une enquête ethnographique réalisée en 2017, se propose ainsi de mettre en lumière les différents niveaux de territorialité qui sont en jeu dans les débats (cercle des discussions, Champ de Mars, Port-au-Prince, Haïti, international) et leur articulation avec les imaginaires et les conceptions locales de la communauté nationale, de la souveraineté et de la citoyenneté. La rhétorique politique, la relation à l'espace et à l'histoire, les inquiétudes et les colères que l'on peut observer dans ces débats informent sur les grandes manifestations contre la corruption qui ont eu lieu dans le pays au cours de 2019.On the Champ de Mars, the neuralgic center of power and counter-power of the Haitian capital, a few steps from the national palace and other ministries, street debates are held every day of the week. They bring together between 20 and 200 people, mainly men from the surrounding slums and students. No political party frames these debates, and one can hear opinions from all the political spectrum. The participants discuss, with emphasis, social, political, economic, and religious issues concerning Haiti. Two topics are recurrent that engage both territory and history: sovereignty and the borders of the national community. In the context of acute polymorphous crisis and massive emigration, participants extol a nationalism that rests on the principle of an exclusivist belonging: to be Haitian implies that one must be in Haiti and not dreaming about leaving. Haitian creole is the only language accepted, and credit is given only for those who engage to stay despite “hell.” Heroic figures from the wars of independence, each of them represented by a statue on the Champ de Mars, are exalted. Build on ethnographic fieldwork conducted in 2017, the article examines various levels of territoriality at stake in these public debates (discussion circles, Champ de Mars, Port-au-Prince, Haiti, international) and their articulation with local conceptions (and imaginations) of the national community, its sovereignty, and the meaning of citizenship. The political rhetoric, the relation to space and history, the worries and anger present in these debates, inform us about the lockdown of the country, and the extensive anti-government and anti-corruption demonstrations that took place during 2019.
- Transferts migratoires, institutions sociales migrantes et territorialité morale transnationale - Thomas Lacroix Comment ceux qui sont restés parviennent-ils à exercer une autorité sur les migrants (notamment pour les contraindre à leur envoyer de l'argent) malgré la distance ? En d'autres termes, comment l'autorité circule-t-elle par-delà les frontières ? Depuis vingt ans, le concept de territoire est au cœur de la réflexion sur les spatialités et la mobilité des migrants. Mais la dimension politique de la territorialité a jusqu'ici été négligée par les travaux existants. Cet article renverse la problématique habituelle en abordant l'espace migratoire comme vecteur de l'exercice d'une autorité. Il s'appuie sur une série d'enquêtes qualitatives auprès d'émigrants en provenance du Moyen Atlas marocains et de Kabylie. Après une revue de la littérature sur l'usage de la notion de territoire dans les études migratoires, cet article montre comment se construit une territorialité transnationale par la création d'institutions sociales en migrations (familles transnationales, associations villageoises…) qui servent de relais de pouvoir. Le maillage transnational de ces institutions constitue le creuset de reproduction d'une géographie morale qui maintient les émigrés dans un jeu d'obligation envers ceux qui sont restés. Enfin, à travers l'exemple des projets de développement pour les villages de départ, cet article examine la façon dont le territoire transnational devient un véritable enjeu de négociation des droits et obligations des acteurs en migration.How do those who stayed behind exert their authority over emigrants (notably to make sure they keep on sending remittances) despite the distance? How does power circulate beyond borders? For the last twenty years, the concept of territory is at the core of the scholarship on migrants' spatiality and mobility. However, this paper turns upside down the common problematique by addressing the migratory space as a vector of the exercise of transnational authority. The paper draws on a series of qualitative investigation among emigrants from the Moroccan Middle-Atlas and Kabylia in Algeria. After a literature review of the use of the notion of territory in migration studies, it shows how a transnational territoriality is built up through the creation of migrant social institutions (transnational families, migrant associations and ethnic businesses) that serve as a relay for power dissemination. The transnational network of these social institutions is the crucible for the reproduction of a moral geography maintaining emigrants in a stance of obligation towards those who stayed. This moral geography is imbued with deeply ambivalent representations: the place of departure is simultaneously perceived as a place unable to sustain the social mobility of actors and a moral centrality. Conversely, the place of destination spurs a certain fascination while being perceived as corrupted by foreign values. This ambivalent moral geography underpins the moral economy of the relationship between migrants and non-migrants: while migration triggers fascination and envy, migrants are accused of selfishness and moral dubiousness when they do not abide to their duty of emigrants, and, in particular, when they refrain from transferring money to the left-behind. Finally, drawing on the example of development projects undertaken in villages of departure, the article examines the way the transnational territory becomes henceforth a real stake for the renegotiation of rights and duties between actors.
- Rapports à l'espace et formes d'engagement.Attachements, territorialisation, échelles d'action - Patrice Melé, Catherine Neveu
Varia
- Appropriation de marges frontalières d'Afrique centrale : cas du Parc national de Minkébé au Gabon - Stéphane Ondo Ze, Saturnin Ndong Ndong Cet article analyse les enjeux autour de la mise en place d'un espace protégé dans le massif forestier de Minkébé au Nord-est du Gabon. Il revient sur les différentes stratégies d'appropriation mises en œuvre par l'Etat gabonais afin de contrôler cette partie du territoire adossé aux dyades séparant le Gabon du Cameroun au Nord et du Congo à l'Est. Longtemps tenu à l'écart de la dynamique socio-économique, Minkébé est aujourd'hui la proie d'activités informelles et d'organisations illégales transétatiques. L'objectif de cette publication est de montrer le déploiement de l'autorité publique dans cette partie du pays par le biais d'un dispositif multifonctionnel.This article analyzes the stakes surrounding the establishment of a protected area in the Minkébé forest in northeast Gabon. It deals with the various strategies of appropriation implemented by the Gabonese State to control this part of the territory at this part of border that separating Gabon from Cameroon to the North and Congo to the East. Long kept out of the socio-economic dynamic, Minkébé is now the target of informal activities and illegal trans-state organizations. The purpose of this publication is to show the deployment of public authority in this part of the country through a multifunctional appartus
- Appropriation de marges frontalières d'Afrique centrale : cas du Parc national de Minkébé au Gabon - Stéphane Ondo Ze, Saturnin Ndong Ndong
Varia
- Les frontières, fronts inefficaces de la lutte contre le trafic international de drogue - Pierre-Arnaud Chouvy Au regard de l'évolution des productions illégales de drogue des dernières décennies, et même des dernières années, le bilan de la prohibition mondiale apparaît clairement négatif. L'échec des mesures de lutte contre le trafic de drogue est tout aussi évident, ainsi que le montre cet article à travers l'étude succincte des dimensions frontalières du trafic terrestre entre l'Afghanistan et l'Iran, du trafic aérien depuis l'Amérique andine, et du trafic maritime transatlantique. En effet, en dépit d'une débauche de moyens financiers, humains, matériels, technologiques, et malgré des taux d'interception parfois élevés, le trafic de drogue n'a jamais été sérieusement et durablement remis en cause. Après avoir constaté et expliqué l'inefficacité de la lutte contre le trafic de drogue aux frontières, cet article estime qu'une politique efficace de lutte contre les trafics doit d'autant plus éviter le tout répressif que son efficacité est aussi faible que son coût est élevé. In fine, les efforts d'interdiction ne devraient pas seulement viser à réaliser des saisies et à renforcer les contrôles aux frontières mais aussi à rendre l'espace et les sociétés moins propices aux trafics.Given the evolution of illegal drug production in recent decades and even in recent years, the outcome of global prohibition appears clearly negative. The failure of counter-trafficking measures is just as obvious, as shown at the border level in this article through the brief survey of ground trafficking between Afghanistan and Iran, of air trafficking from the Andes, and of transatlantic maritime trafficking. Indeed, despite a wealth of financial, human, material and technological means, and despite occasional high interception rates, drug trafficking has never been truly and durably challenged. After describing and explaining why counter-trafficking actions and policies have proved ineffective at the border level, this article posits that an effective counter-trafficking policy should avoid purely repressive approaches for their effectiveness is as low as their cost is high. In the end, interdiction measures should not be limited to interception actions and border control efforts but focus on making spaces and societies less conducive to trafficking.
- Chami, ville nouvelle et ville de l'or.Une trajectoire urbaine insolite en Mauritanie - Laurent Gagnol, Géraud Magrin, Raphaëlle Chevrillon-Guibert À partir du cas mauritanien, cet article traite des relations entre le développement spectaculaire du secteur minier, sous la forme d'une ruée vers l'or, et la dynamique de peuplement que tente d'encadrer une nouvelle politique nationale d'aménagement du territoire. À la suite de deux enquêtes exploratoires de terrain ayant permis d'interroger les différents types d'acteurs, cette analyse s'intéresse aux enjeux multiples liés à la coïncidence de deux expériences inédites pour la Mauritanie : d'une part, la création, en 2012, d'une ville nouvelle au Nord-Ouest désertique du pays, Chami, à la faveur de la reprise des politiques d'aménagement du territoire grâce à l'augmentation des rentes de l'État et, d'autre part, le développement spectaculaire de l'exploitation artisanale de l'or au Sahara et au Sahel qui s'est propagée en Mauritanie et qui a conduit à l'apparition, en 2016, d'une ruée vers l'or dans l'arrière-pays de Chami. Cette analyse montre que ces deux phénomènes se sont renforcés mutuellement, ce qui explique que les étapes du développement de Chami sont originales au regard des trajectoires urbaines minières. La ville créée par l'État est d'abord une ville presque fantôme, où les réseaux et les services précèdent les habitants avant que l'encadrement progressif de l'orpaillage et la centralisation de la transformation du minerai à Chami donnent consistance et énergie à cet organisme urbain devenu ville-champignon. Nous verrons que la ville reste néanmoins soumise à une forte incertitude qui tient à l'avenir de l'exploitation aurifère et aux choix qui seront faits par le gouvernement en matière de régulation de l'activité, notamment dans la répartition de la rente aurifère en fonction des acteurs (industriels ou artisanaux, étrangers ou nationaux) et dans la réduction de l'impact environnemental de cette ville minière située aux portes de la principale aire protégée du pays, le Parc national du banc d'Arguin.Based on the Mauritanian case, this article discusses the relationship between the spectacular development of the mining sector in the form of a gold rush and the settlement dynamics that a new national land use planning policy is attempting to frame. Following two exploratory field surveys that questioned the various actors, this analysis focuses on the multiple issues related to the coincidence of two unprecedented experiences in Mauritania : on the one hand, the creation in 2012 of a new town in the desert northwest of the country, Chami, thanks to the resumption of land-use planning policies thanks to the increase in state rents and, on the other hand, the spectacular development of artisanal gold mining in the Sahara and the Sahel which has spread to Mauritania and led to the appearance in 2016 of a gold rush in the hinterland of Chami. This analysis shows that these two phenomena have been mutually reinforcing, which explains why the stages of Chami's development are original with regard to urban mining trajectories. The town created by the State is first of all an almost ghost town, where networks and services precede the inhabitants, before the progressive supervision of gold mining and the centralisation of ore processing in Chami gave consistency and energy to this urban organism that became a mushroom town. We will see that the town is nevertheless subject to considerable uncertainty, which is due to the future of gold mining and the choices that will be made by the government in terms of regulating the activity, particularly in the distribution of the gold rent according to the actors (industrial or artisanal, foreign or national) and in reducing the environmental impact of this mining town located at the gateway to the country's main protected area, the Banc d'Arguin National Park.
- Le NIMBY ne suffit plus ! Étude de l'acceptabilité sociale des projets de méthanisation - Sébastien Bourdin Les projets d'énergies renouvelables sont loin de faire l'unanimité au niveau local alors qu'ils sont en général soutenus dans l'opinion publique comme moyens de lutter contre le changement climatique. L'attitude NIMBYiste est souvent relevée comme un facteur expliquant ces oppositions locales. Or, nous pensons qu'il existe d'autres déterminants plus importants et que l'acceptabilité sociale est un phénomène bien plus complexe. L'objectif de l'étude est donc d'identifier les facteurs expliquant les différences en termes d'acceptabilité sociale. Pour cela, nous nous appuyons sur le cas du déploiement de la méthanisation en France, au travers de l'analyse d'entretiens semi-directifs menés auprès de 49 parties prenantes de projets. Nous mettons en évidence le rôle de la gouvernance territoriale mais aussi de l'attachement au lieu comme paramètres majeurs permettant d'expliquer une plus ou moins grande acceptabilité locale. Loin d'être perçues comme freinant un projet, les oppositions citoyennes doivent être appréhendées comme faisant partie intégrante de la gouvernance territoriale, appelant la mise en place de démarches plus participatives.Renewable energy projects are far from being unanimously accepted at local level, while they are often supported by public opinion as a mean of combating climate change. Most of the time, the NIMBYist attitude is invocated as a factor explaining these local oppositions. However, we believe that social acceptability is a much more complex phenomenon. The objective of the study is therefore to identify the factors that explain the differences in terms of social acceptability. To do this, we rely on the case of the deployment of methanization in France, through the analysis of semi-directive interviews conducted with 49 project stakeholders. Our results suggest that NIMBYism is not the main factor explaining the difficulties of social acceptability in renewable energy projects. This principle only very rarely explains the behaviour of local residents (opposition and support) towards methanization units. Other much more important parameters come into play. For example, methanization units are more easily accepted when they are accompanied by an overall policy of territorial governance based on the creation of trust, a systematic integration of all stakeholders, including those who might be opposed to them. Relationship-based management at an early stage of the project considerably increases social acceptability. Our paper put forward the role of territorial governance but also of place-attachment as major parameters to explain a greater or lesser degree of local acceptability. Far from being perceived as a hindrance to a project, citizen opposition must be understood as an integral part of territorial governance, calling for the implementation of more participatory approaches.
- Les frontières, fronts inefficaces de la lutte contre le trafic international de drogue - Pierre-Arnaud Chouvy