Contenu du sommaire : Les Humanités environnementales : circulations et renouvellement des savoirs en France et en Allemagne
Revue | Revue d'Allemagne |
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Numéro | Tome 51, no 2, juillet-décembre 2019 |
Titre du numéro | Les Humanités environnementales : circulations et renouvellement des savoirs en France et en Allemagne |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Les Humanités environnementales : circulations et renouvellement des savoirs en France et en Allemagne
- Environmental Humanities: Wissenstransfer und Wissenserneuerung in Frankreich und Deutschland – Einleitung - Aurélie Choné, Tim Freytag, Philippe Hamman, Evi Zemanek p. 275-283
- Der Mensch als Gärtner oder Parasit der Erde: Narrative des Anthropozän in deutschsprachigen Qualitätszeitungen (2010-2016) - Gabriele Dürbeck p. 285-301 Alors qu'il n'est encore qu'une hypothèse géologique, l'Anthropocène s'est imposé dans les sciences de la nature, les sciences sociales, humaines et culturelles, ainsi que dans les arts et dans la sphère publique. Pour donner un aperçu de ce discours, le présent article distingue tout d'abord cinq récits sur l'Anthropocène : (1) celui de la catastrophe, (2) le récit judiciaire, (3) celui de la « Grande Transformation », (4) le récit biotechnologique et (5) le récit d'interdépendance de la nature et de la culture. Partant de là, l'article identifie et compare ces récits dans les quotidiens de langue allemande FAZ/FAS, SZ, NZZ et taz entre 2010 et 2016. En général, un article est publié en raison de l'actualité, à l'occasion de la reconnaissance officielle par les scientifiques d'une nouvelle époque géologique, lors d'une nouvelle exposition sur l'Anthropocène ou de la publication d'un nouveau résultat scientifique sur le sujet. Tous les journaux commentent la question controversée du début de cette nouvelle ère géologique. Bien que des voix divergentes se fassent entendre, on peut clairement distinguer certaines tendances : dans la rubrique « Savoir » de la FAZ dominent les récits optimistes de la « Grande Transformation » et de la biotechnologie d'une administration planétaire (avec la métaphore du jardinier du monde), même si l'on y perçoit quelques notes sceptiques. Dans la SZ, on retrouve ce type de récit dans la rubrique économique, tandis que le discours catastrophiste de l'Anthropocène (l'homme en tant que parasite de la Terre) l'emporte dans le feuilleton. La NZZ insiste aussi sur la dramaturgie de la catastrophe, mais n'exclut pas un retournement favorable si, au lieu de faire appel à une « équipe dirigeante » opérant par le haut, on recherche des solutions décentralisées à tous les niveaux et qui impliqueraient la société civile. Cette tendance domine également dans le taz, seul journal à recourir également au discours judiciaire et à la notion alternative de capitalocène, utilisée dans le champ des sciences humaines et culturelles.
- „Natur unter Menschenhand“? Zur Historisierung des Anthropozoikum-Konzepts von Hubert Markl im Hinblick auf die aktuelle Anthropozän-Debatte - Benjamin Thober p. 303-319 À partir des années 1980, le biologiste Hubert Markl a développé l'idée d'Anthropozoïque, en particulier pour attirer l'attention sur le problème de la disparition des espèces. En s'intéressant à ce terme précurseur de l'Anthropocène, cet article entend contribuer à historiciser le discours sur cette nouvelle ère terrestre. Il met en lumière la façon dont « l'ère de l'humain » est fondée et décrite dans différents contextes, au niveau discursif et narratif. Les images de l'homme qui sous-tendent ces différentes conceptions sont analysées en portant un regard critique sur les simplifications naturalistes et en ayant en particulier recours aux réflexions de Helmuth Plessner sur l'anthropologie philosophique.
- Ecocriticism/écocritique im deutschen und französischen Kontext: eine vergleichende Perspektive - Aurélie Choné p. 321-341 Compte tenu des différences de traditions culturelles et de discours environnementaux en France et en Allemagne, les études littéraires axées sur les questions environnementales ont déployé leurs nouveaux paradigmes dans des directions différentes en contexte français et allemand. La présente contribution analyse les chemins particuliers suivis par l'Ecocriticism allemand et l'écocritique française, les champs de recherche spécifiques qu'ils ont privilégiés et les points de convergence/comparaison qui peuvent émerger entre eux. Sans viser à l'exhaustivité, cet article brosse les grandes lignes de déploiement dans chaque contexte, afin de mettre en évidence des pistes pour une perspective comparative franco-allemande dans le domaine des relations entre littérature et écologie.
- Pour une écologie littéraire - Evi Zemanek p. 343-356 Cette étude repose sur la thèse selon laquelle les transformations écologiques façonnent les processus poétiques ainsi que les genres littéraires, induisant des changements dans le système de ces genres. Afin d'étudier ce phénomène, sont présentées, en complément de l'approche désormais largement diffusée de l'ecocriticism, la perspective et les potentialités d'une « écologie littéraire » inspirée de l'écologie culturelle et mise en perspective plus spécialement avec la poétique des différents genres. Ceci est étayé à l'exemple du « nouveau roman de village », plus particulièrement du roman de Juli Zeh, Unterleuten (2016), et du roman de Saša Stanišić, Avant la fête (2014), analysés à travers une approche combinant écologie littéraire, théorie de l'acteur-réseau et nouveau matérialisme.
- Le cheval astronomique à la croisée des savoirs : une lecture des scènes de foire dans Woyzeck de Georg Büchner - Elisabeth Hamm p. 357-370 Le présent article se propose d'effectuer une microlecture des « scènes de foire » tirées de Woyzeck de Georg Büchner, centrée sur le rôle que joue le cheval, afin de montrer concrètement en quoi les animal studies renouvellent l'approche du texte littéraire. Le cheval présent dans les fragments étudiés apparaît en effet comme le vecteur d'un savoir culturel et littéraire sur l'équidé au début du xixe siècle, et plus particulièrement du cheval de scène. Il est aussi le reflet du discours scientifique, anatomique et philosophique de l'époque. En offrant une nouvelle interprétation à un texte, les études animales littéraires révèlent ce qui se passe quand le cheval n'est plus compris qu'en tant que symbole ou motif pur. En ceci, elles influencent donc la manière dont l'objet littéraire et l'objet dramatique en soi peuvent être perçus, et répondent à la question : comment la littérature met-elle en scène les animaux ? Elles deviennent alors structurantes et redéfinissent les disciplines des sciences humaines et les études littéraires elles-mêmes.
- Zur Konstruktion „humanimaler“ Emotionen in Otto Alschers Die Bärin. Natur- und Tiergeschichten aus Siebenbürgen - Stefan Hecht p. 371-386 Les animaux sauvages occupent une place centrale dans le recueil d'histoires Die Bärin d'Otto Alscher, et les émotions, de et envers ces animaux, y jouent un rôle essentiel. Partant d'une étude en psychologie qui démontre la nécessité de recourir à plusieurs dimensions d'émotions pour comprendre celles qui se dégagent des mots ou des fragments de phrases, cet article analyse la construction linguistique des émotions dans les textes d'Otto Alscher. Il s'intéresse en particulier à la représentation de l'espace, des mouvements et de l'acoustique. En outre, l'analyse textuelle approfondit le rôle primordial des émotions morales et existentielles. Il en ressort une équivalence de la perspective humaine et animale et un rapprochement, voire une fusion des émotions des hommes et des animaux sauvages.
- De la gestion à la naturalité : le lynx vient-il déplacer les savoirs de la nature ? - Guillaume Christen p. 387-406 À partir d'un projet LIFE de réintroduction du lynx dans la forêt de biosphère transfrontalière Vosges du Nord-Pfälzerwald, cet article questionne la manière dont le retour du félidé est susceptible de transformer les pratiques de la nature. Le propos se focalise sur les acteurs (chasseurs, forestiers) dont les activités interviennent directement sur les écosystèmes forestiers et la faune. Ces acteurs, et notamment les chasseurs, ont déployé des savoirs et des pratiques gestionnaires de la nature sans devoir composer avec l'incertitude de la prédation. Le retour des grands carnivores vient-il alors bousculer des modes d'intervention historiquement ancrés ? Comment des savoirs de la nature – construits et pensés en l'absence de prédateur – peuvent-ils désormais cohabiter avec le retour d'une nature spontanée, incarnée dans la figure du lynx ?
- Pratiques de la transition agricole – deux exemples allemands - Nepthys Zwer p. 407-423 L'agriculture solidaire se conçoit comme une alternative à l'agriculture industrielle. En reprenant en main la production de leurs propres aliments, les gens deviennent des acteurs de la transition agricole. À partir des exemples de l'association SoLaVie Ortenau et de l'organisation à but non lucratif Teikei Coffee, le présent article examine comment ce concept peut être mis en œuvre. Chez SoLaVie, les consommatrices et consommateurs financent la production de légumes et reçoivent en retour une partie de la récolte. Chez Teikei Coffee, le café produit dans des fermes familiales au Mexique traverse l'Atlantique en voilier avant d'être distribué aux membres du groupe. L'auteure montre quels rapports ces entreprises entretiennent avec l'écologie et comment elles se conçoivent comme agents responsables et en tant qu'organisations et communautés.
- Quels savoirs de la « durabilité » en France et en Allemagne ? - Philippe Hamman p. 425-450 Cet article interroge les savoirs de la « durabilité » en France et en Allemagne, vus des sciences sociales. Considérant que les travaux et les controverses en sciences humaines et sociales sont des indicateurs valables non seulement d'une actualité de la recherche, mais aussi de débats sociétaux dont ils se font l'écho, il s'appuie sur des lectures croisées de manuels et d'ouvrages saillants allemands et français publiés depuis les années 2000.La démonstration est conduite en trois temps, examinant (1) en quoi le répertoire de la durabilité est « acté » en France et en Allemagne comme un objet pour des disciplines académiques, à travers l'exemple de manuels de sociologie de l'environnement ; (2) ce que désigne plus précisément ce registre en tant que tel au sein des analyses de sciences sociales dans les deux pays, à travers des ouvrages significatifs ; et (3) le développement, après la crise économique mondiale de 2007-2008, de répertoires critiques et alternatifs à la durabilité, à commencer par la « décroissance ». Ce parcours rappelle qu'il s'agit de questions proprement politiques, et non d'une évidence environnementale « en surplomb ».Au final, en termes de circulations, deux dynamiques corrélatives se dégagent. L'une est réflexive, en tant que corpus de connaissances, où il s'agit d'inventer de nouveaux cadres de pensée pour saisir les interactions environnement/société dans leur dimension relationnelle. L'autre est principe d'action, à visée d'intervention : cette démarche plus opératoire vise à faire émerger de nouvelles formes de vivre ensemble et d'agir sur le rapport des sociétés à l'environnement. C'est cette double entrée qui permet de lire la durabilité sous l'angle des Humanités environnementales, dont il s'agit d'une propriété caractéristique.
- La certification Passivhaus entre Allemagne et France - Marie Mangold p. 451-470 Cet article interroge la circulation de modèles et de savoirs sur la durabilité entre Allemagne et France à partir de l'exemple du référentiel Passivhaus. Cette certification se référant à une construction dite durable, développée en Allemagne au début des années 1980, se retrouve depuis une dizaine d'années en France à travers le développement et la structuration d'une offre de construction passive. Dans un premier temps est exposé le contexte de diffusion de ce référentiel, devenu modèle à l'échelle internationale. Puis, dans un second temps, la contribution livre une analyse des appropriations dont il fait l'objet à l'échelle locale, à partir d'enquêtes de terrain menées sur le marché de la maison individuelle en Alsace entre 2013 et 2018. Les jeux d'acteurs et controverses autour du contenu de la maison passive offrent alors, dans une troisième section, une lecture des échelles et des circulations de modèles de durabilité entre Allemagne et France, où la dimension internationale vaut comme référence locale de légitimation.
- Was geschieht, wenn das Kernkraftwerk geht? - Caroline Kramer p. 471-488 Cet article présente une étude portant sur les retombées sociales et économiques du démantèlement d'une centrale nucléaire. L'enquête montre qu'en dépit d'une méfiance à l'encontre de l'énergie nucléaire, la population et les experts régionaux consultés estiment que le démantèlement s'effectue en sécurité. Ils craignent cependant fortement que le site de stockage provisoire ne devienne un site de stockage définitif des matières radioactives. Selon eux, l'attractivité immobilière et économique de la commune dépend de la rapidité et de la sécurité du démantèlement, d'une politique de restructuration à long terme créant de l'emploi et de la façon dont sont pris en compte les atouts de la commune, tels que sa cohésion sociale et l'attachement des habitants à leur lieu de vie.
Varia
- L'histoire entre les lignes. Livre d'honneur des soldats saxons de Mediasch (Transylvanie, 1914-1918) - Catherine Roth p. 491-506 Le Livre d'honneur des soldats de la Guerre mondiale 1914-1918 de la paroisse luthérienne de Mediasch, en Transylvanie, rend hommage aux soldats tombés et publie des témoignages de leur famille d'une part, et de survivants d'autre part. Tous sont saxons de Transylvanie, une minorité germanophone. Cette source primaire, redécouverte par hasard, n'a jamais été analysée scientifiquement. Pourquoi certains soldats saxons ne sont-ils pas mentionnés ? Par ailleurs, ces hommes ont fait la guerre pour l'Empire austro-hongrois, mais rédigent leurs contributions en tant que minorité de Roumanie, ancien adversaire de la double monarchie. Comment gèrent-ils leur ancienne loyauté à l'Autriche-Hongrie, en l'affirmant et en s'attirant l'inimitié du nouvel État, ou en la reniant en faveur de la Roumanie ? L'étude montre qu'ils choisissent une troisième voie, en exprimant par l'implicite leurs anciennes convictions pour ne pas affronter ouvertement l'État roumain. Par divers biais, ils historicisent la mémoire et réécrivent l'histoire entre les lignes.The Honour Book of the Soldiers of the World War 1914-1918 of the Lutheran Parish of Mediasch, in Transylvania, honours fallen soldiers and publishes testimonials from their family or from survivors. All of them belong to a German minority, the Transylvanian Saxons. This primary source, which was rediscovered by accident, has never been scientifically analysed. Why are not all Saxon soldiers being mentioned? Furthermore, these men went to war for the Austro-Hungarian Empire but they write their contribution as a minority in Romania, former adversary of the dual monarchy. How do they deal with their previous loyalty towards Austria-Hungary, do they claim it and risk the enmity of the new state, or do they renounce to it in favour of Romania? The study shows that they choose a third path, expressing their old convictions through implicit meanings, in order to avoid a direct confrontation with the Romanian state. By various means, they historicize memory and rewrite history between the lines.
- « Notre combat pour la paix » : la France et le procès de Nuremberg (1945-1946) - Matthias Gemählich p. 507-525 L'article analyse le rôle de la France au procès de Nuremberg en 1945/46 sous plusieurs angles : d'abord, il montre dans quelle mesure le gouvernement français suivit au printemps 1945 les préparatifs du procès et quelles positions il adopta lors des négociations avec les autres puissances alliées. Il examine ensuite la composition de la délégation française auprès du Tribunal militaire international (TMI) de Nuremberg ainsi que les interventions des juristes français pendant les audiences du tribunal. En fin de compte, l'article s'interroge sur la perception du procès de Nuremberg en France et met en évidence que celui-ci fut largement considéré comme un échec politique et juridique par la population française.The article examines from different perspectives the role of France in the Nuremberg Trial of the German Major War Criminals before the International Military Tribunal (IMT) in 1945/1946. It highlights first to which extend the French government followed in spring 1945 the preparation of the trial and which positions it adopted in the negotiations with the other Allied powers. Thereupon, the composition of the French delegation in Nuremberg and their contributions during the proceedings of the IMT are analyzed. In its last part the article focuses on the attitude of the French population towards the events in Nuremberg and points out that the trial was widely seen by the French as a political and judicial failure.
- L'histoire entre les lignes. Livre d'honneur des soldats saxons de Mediasch (Transylvanie, 1914-1918) - Catherine Roth p. 491-506
Italiques
- Sasha Disko, The Devil's Wheels. Men and Motorcycling in the Weimar Republic - Louise-Hélène Filion p. 527-529
- Marion Aballéa, Un exercice de diplomatie chez l'ennemi. L'Ambassade de France à Berlin, 1871-1933 - Corine Defrance p. 529-530
- Matthias Gemählich, Frankreich und der Nürnberger Prozess gegen die Hauptkriegsverbrecher 1945/46 - Valéry Pratt p. 531-532
- Michel Fabréguet et Danièle Henky (dir.), Mémoires et représentations de la déportation dans l'Europe contemporaine - Ségolène Plyer p. 533-535
- Gwénola Sebaux (dir.), Identités, migrations et mobilités transnationales. Europe (xixe-xxie siècle). Étude de cas : Allemagne, Autriche, Roumanie, France, Israël - Ségolène Plyer p. 535-538
- Aurélie Choné, Isabelle Hajek, Philippe Hamman (éd.), Rethinking Nature. Challenging Disciplinary boundaries - Marie-Christine Zélem p. 539-544