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Revue | Sociologie du travail |
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Numéro | vol. 62, no 1-2, janvier-juin 2020 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - La rédaction
Articles
- Passer par les marges : le potentiel heuristique des « marginalia » pour l'étude de l'action publique - Pierre Pénet Cet article interroge la signification des marginalia, ces annotations qui figurent en marge des sources archivistiques léguées par les organisations et les administrations. Son premier objectif est de livrer une typologie permettant de distinguer plusieurs pratiques d'annotation (cognitive, éditoriale, discrétionnaire) en contexte administratif. Cette typologie vise autant à faciliter la collecte de ces traces empiriques qu'à permettre au chercheur d'en cerner les significations variées. Le second objectif est de montrer comment les marginalia peuvent faire avancer deux chantiers de recherche complémentaires sur l'action publique : le travail des agents de l'État et la sociogenèse des catégories d'action publique. L'émergence de la notation du crédit comme instrument d'action publique durant le New Deal sert d'illustration empirique au propos. À partir de l'étude des annotations marginales figurant sur des rapports financiers collectés dans les archives régionales de la réserve fédérale américaine, on montre que le recours à la notation a été diffusé « par le bas » et de façon informelle par des agents de l'État pour simplifier leur travail quotidien.This paper investigates the meaning of “marginalia,” i.e. the annotations which often appear in the margins of archival documents bequeathed by organisations and administrations. Its primary objective is to propose a typology for identifying different annotation practices (cognitive, editorial, discretionary) across administrative contexts. This typology aims both to facilitate the collection of marginalia and to help scholars better understand their varied meanings. Secondly, this article demonstrates the heuristic value of marginalia in two complementary areas of research: the everyday work of state agents and the production of categories of public action. Early instances of regulatory reliance on ratings during the New Deal serve as an empirical illustration. Based on the examination of annotations made in the margins of financial reports collected in the regional archives of the US Federal Reserve, this paper shows that the use of ratings in financial regulation began and was disseminated “from the bottom up” and informally by local state agents in order to simplify their daily work.
- Analyser les interactions de travail. Le cas de la surveillance par bracelet électronique - Christian Licoppe, Sylvaine Tuncer Le développement du placement sous bracelet électronique comme peine de substitution a conduit à la création de pôles centralisateurs de surveillance, où des agents traitent systématiquement les alarmes en appelant les personnes placées sous surveillance électronique au téléphone. Après avoir situé ces alarmes dans le contexte plus large de ce dispositif de surveillance, nous analysons les séquences d'ouverture de ces appels (enregistrés dans le cadre de l'étude), dans la perspective de l'analyse de conversation et de ses fondements ethnométhodologiques. Nous montrons en particulier les différentes manières dont les surveillants formulent la raison de l'appel, leurs implications morales et leurs conséquences sur la trajectoire des appels. Nous montrons également comment les appelés peuvent exploiter les ressources spécifiques de la conversation pour tenter de préempter les formulations de la raison de l'appel par les surveillants, et de minimiser ainsi les effets de pouvoir qu'entraînerait une accusation. Cette approche analytique permet donc, d'une part, de rendre visible la compétence interactionnelle particulière des agents surveillants, qui reste pourtant peu reconnue par l'institution, et, d'autre part, de rendre compte du vécu du travail de surveillance, de manière endogène à celui-ci, à partir d'événements interactionnels souvent trop fugitifs pour des approches ethnographiques classiques. L'article ouvre une perspective pour redonner une plus grande place aux interactions langagières dans les sociologies de l'activité.The development of electronic tagging as a substitute sentence has led to the creation of monitoring centres, where agents systematically handle alarms by telephoning the offenders. After placing these alarms in the broader context of this surveillance “assemblage”, we analyse the opening sequences of these calls (recorded within the framework of the study), from the perspective of ethnomethodology and conversation analysis. In particular, we show the different ways in which the surveillance professionals formulate the reason for the call (in this accusatory setting), their implications and their consequences for the trajectory of the calls. We also show how those who receive the calls can exploit the specific resources of the conversation to try to pre-empt the supervisors' formulations of the reason for the call, and thus minimize the power effects of an accusation. This analytical approach makes visible a particular interactional competence that is little recognized by the institution. It aims to account for the experience of supervisory work, from inside the very organization of the activity, by studying interactional events that are often too fleeting for more classical ethnographic approaches to be relevant. More generally, this approach opens up a perspective for restoring greater prominence to linguistic interactions in the sociologies of activity.
- Match Point. Spécialisation et différenciation sur le marché du travail des attachées de presse de cinéma - Nicolas Robette Le marché du travail des attachées de presse de cinéma en France possède des caractéristiques qui le distinguent de marchés du travail plus « standards » : de très petite taille, composé pour une large majorité de travailleuses indépendantes, adossé au travail par projet et marqué par une forte incertitude sur la qualité du service, il se rapproche en cela de marchés du travail artistique. Pourtant, bien qu'imbriqué dans un univers artistique, le travail de relations presse est un élément d'une stratégie plus générale de promotion des œuvres, dont la dimension commerciale est centrale. Cette ambivalence se retrouve dans la structure du marché, entendue comme l'espace différencié des positions qui composent et constituent ce marché, et qui mêle (et oppose) plusieurs ordres hiérarchiques — économiques et artistiques, en particulier. Aux différentes positions sur le marché sont associées des catégories de spécialisation, qui ne se résument cependant pas uniquement aux hiérarchies mises au jour. De plus, la position sur le marché a des implications pour les attachées de presse, en termes d'ethos professionnel, de conditions d'emploi, de contenu du travail et de compétences. Cette étude de cas pose plus généralement la question de l'homologie entre les champs de production des biens symboliques et les marchés du travail des différentes catégories d'intermédiaires qui interviennent dans le processus de production.The job market for press relations in French cinema has characteristics that distinguish it from more “standard” job markets: very small, composed for the most part of independent workers, backed by “project” work and marked by a great deal of uncertainty about the quality of the service, it is similar to markets for artistic work. Yet while embedded in an artistic universe, press relations are part of a more general strategy for the promotion of works of art, whose commercial dimension is central. This ambivalence is reflected in the structure of the market, understood as the differentiated space of the positions that make up and constitute this market, and which mixes (and opposes) several hierarchical orders — economic and artistic in particular. Different market positions are associated with categories of specialisation, which are not just limited to the hierarchies that come to light. In addition, the market position has implications for press attachés, in terms of professional ethos, employment conditions, job content and skills. More generally, this case study raises the question of the homology between the fields of production of symbolic goods and the labour markets of the different categories of intermediaries involved in the production process.
- La moralisation des robots sociaux par leurs utilisateurs - Céline Borelle La possibilité, dans un avenir proche, de nouer une relation personnelle et durable avec des robots sociaux est régulièrement annoncée. Cependant, l'écart entre cet horizon et la réalité reste grand. Les questions éthiques exprimées dans l'espace public sont-elles trop en décalage avec le stade actuel de développement de la robotique sociale ? Qu'en pensent les personnes qui tentent d'utiliser cette technologie ? En s'appuyant sur une enquête comparative d'un an menée sur deux robots sociaux utilisés dans des lieux accueillant des enfants avec un trouble du spectre autistique, cet article est consacré aux enjeux moraux tels qu'ils sont problématisés dans des expériences situées. On s'attache à étudier la manière ambivalente dont les professionnels en centres de soin définissent la place de ce nouvel artefact interactionnel. On montre d'abord comment les robots sociaux sont des êtres dont il faut produire la sociabilité, en abandonnant le projet de « vie autonome » au profit d'interactions programmées. On souligne ensuite comment les professionnels hésitent à établir le robot comme un support thérapeutique comme les autres, en s'interrogeant sur la nécessité de le manier différemment. Enfin, on analyse comment les usages de ce support sont entourés de précautions particulières : le cadrage de la relation que les enfants entretiennent avec le robot et la limitation de la capacité de jugement de ce dernier. Cette analyse révèle comment les acteurs s'engagent dans un travail réflexif de moralisation des robots sociaux.The possibility, in the near future, of establishing a personal and lasting relationship with social robots is regularly proclaimed. However, the gap between this horizon and the reality remains large. Are the ethical questions expressed in the public space too out of sync with the current stage of development of social robotics? What do people who try to use this technology think? This article proposes to focus on moral issues as they are problematised in situated experiences. It is based on a one-year comparative survey of two social robots used in care centres for children with autism spectrum disorder. We attempt to study the ambivalent way in which professionals in care centres define the place of this new interactional artefact. We first show how social robots prove to be beings whose sociality must be produced, by abandoning the project of “independent living” in favour of programmed interactions. We then highlight how professionals are reluctant to establish robots as a therapeutic support just like any other, and question the need to handle them differently. Finally, we analyse how professionals take special precautions with regard to this support by framing the relationship that children have with robots and by limiting the latter's capacity to judge. This analysis reveals how the actors engage in the reflexive work of moralising social robots.
- Passer par les marges : le potentiel heuristique des « marginalia » pour l'étude de l'action publique - Pierre Pénet
Comptes rendus
- Smaïn Laacher, Croire à l'incroyable. Un sociologue à la Cour nationale du droit d'asile - Estelle d' Halluin
- Dimitris Dalakoglou, The Road: An Ethnography of (Im)mobility, Space, and Cross-Border Infrastructures in the Balkans - Alex Mahoudeau
- Marco Saraceno, Pourquoi les hommes se fatiguent-ils ? Une histoire des sciences du travail (1890-1920) - Guillaume Lecoeur
- Olivier Fillieule, Isabelle Sommier, Sophie Béroud, Camille Masclet et le Collectif Sombrero, Changer le monde, changer sa vie. Enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France - Bernard Pudal
- Amin Allal, Myriam Catusse et Montserrat Emperador Badimon (dir.), Quand l'industrie proteste. Fondements moraux des (in)soumissions ouvrières - Élisabeth Longuenesse
- Alain Dewerpe, Les mondes de l'industrie. L'Ansaldo, un capitalisme à l'italienne - Claude Didry
- Judith Rainhorn, Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal - Rémy Ponge
- Lucie Bonnet, Métamorphoses du logement social. Habitat et citoyenneté - Virginia Santilli
- Cédric Lomba, La restructuration permanente de la condition ouvrière. De Cockerill à ArcelorMittal - Arnaud Vendeur
- Margaret Maruani (dir.), Je travaille, donc je suis. Perspectives féministes - Gabrielle Schütz
- Dominique Pasquier, L'internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale - Gaële Henri-Panabière
- Antonio A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic - Hadrien Coutant
- Pierre-Michel Menger et Simon Paye (dir.), Big data et traçabilité numérique. Les sciences sociales face à la quantification massive des individus - Henri Bergeron
- Jérôme Denis, Le travail invisible des données. Éléments pour une sociologie des infrastructures scripturales - Samuel Coavoux
- Pierre Leroux et Erik Neveu (dir.), En immersion. Pratiques intensives du terrain en journalisme, littérature et sciences sociales - Gilles Bastin
- Gilles Laferté, Paul Pasquali et Nicolas Renahy (dir.), Le laboratoire des sciences sociales. Histoires d'enquêtes et revisites - Alain Chenu
- Actualité et pratique de la recherche-action - Pascal Ughetto
- Michel Grossetti, Jean-François Barthe et Nathalie Chauvac, Les Start-up, des entreprises comme les autres ? Une enquête sociologique en France - Laure de Verdalle
- Michel Callon, L'emprise des marchés. Comprendre leur fonctionnement pour pouvoir les changer - Pauline Barraud de Lagerie
- Joël Ruet, Des capitalismes non alignés : les pays émergents, ou la nouvelle relation industrielle du monde - Hadrien Clouet
- Richard E. Ocejo, Masters of Craft: Old Jobs in the New Urban Economy - Pauline Delperdange
- Michel Peraldi, Marrakech, ou le souk des possibles. Du moment colonial à l'ère néolibérale - Lucia Direnberger
- Josh Pacewicz, Partisans and Partners: The Politics of the Post-Keynesian Society - Daniel Gaxie
- Willy Beauvallet et Sébastien Michon (dir.), Dans l'ombre des élus. Une sociologie des collaborateurs politiques - Didier Demazière
- Will Atkinson, Class - Quentin Ravelli
- Les enseignants face aux transformations de la société française - Tristan Poullaouec
- Céline Borelle, Diagnostiquer l'autisme. Une approche sociologique - Pauline Blum
- Guillaume Dumont, Grimpeur professionnel. Le travail créateur sur le marché du sponsoring - Julie Landour
- Flora Bajard, Les céramistes d'art en France. Sens du travail et styles de vie - Géraldine Farges
- Gilles Laferté, L'embourgeoisement : une enquête chez les céréaliers - Loïc Mazenc