Contenu du sommaire : Vaincre sans convaincre
Revue | Monde Chinois |
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Numéro | no 60, décembre 2019 |
Titre du numéro | Vaincre sans convaincre |
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- Soft Power, Sharp Power ou Huàyǔquán. La Chine en quête de suprématie - Jean-Yves Heurtebise, Emmanuel Dubois de Prisque p. 5-6
Dossier. Vaincre sans convaincre : la diplomatie publique chinoise et ses limites
- Soft Power, Soft Concepts and Imperial Conceits - Philip Golub p. 7-20 Le soft power est un concept omniprésent dans les discours de politique internationale, notamment étatsuniens et chinois, mais sans réelle substance théorique et pratique. Partant d'une critique de l'approche behavioriste de Joseph Nye, cet article mobilise Gramsci et Bourdieu pour analyser le pouvoir symbolique/idéationnel dans les relations internationales. Il montre qu'il est nécessaire de mobiliser davantage le corpus sociologique critique pour saisir les mécanismes de pouvoir et de légitimation. Il soutient que la théorie du soft power n'est pas tant descriptive que prescriptive et constitue une rhétorique politique performative qui transfigure, dissimule et euphémise les rapports de force et de domination dans la politique mondiale.Soft Power is a ubiquitous but weakly specified concept used in U.
S. and Chinese elite international relations discourses. Starting from a critical examination of Joseph Nye's behaviourist framework, this article mobilizes Gramscian and Bourdieusian theory to analyse symbolic/ideational power in world politics. It suggests the need to mobilize social theory more thoroughly to grasp the mechanisms of power legitimation and argues that Soft Power theory is not so much descriptive as prescriptive and serves as a performative power discourse that transfigures, dissimulates and euphemizes relations of force and dominance in world politics. - From Olympic Boycott to Soft Power: The PRC's Evolving Olympic Aspirations, 1980-2008 - Joseph Eaton p. 21-35 J'examine deux événements précis de la République populaire de la Chine (RPC) lors des Jeux olympiques (JO) - le premier, la participation de la Chine au boycott dirigé par les États-Unis des JO d'été 1980 à Moscou et la façon dont les médias chinois ont interprété ce boycott ; le second, les aspirations de la Chine à renforcer son image mondiale à travers des JO de 2008 à Pékin. Ces deux événements témoignent un changement des attentes de la Chine en matière de compétition sportive et de soft power entre 1980 et 2008. Bien que la puissance relative de la Chine ait augmenté de façon exponentielle entre 1980 et 2008, il est cependant possible d'interpréter ces épisodes de la même façon : la volonté constante de la ROC d'employer des compétitions sportives internationales pour renforcer son image. Pourtant, des doutes subsistent quant à l'efficacité de la Chine d'utiliser le sport olympique comme outil de soft power.I examine two chapters within the Olympic experience of the People's Republic of China (PRC) – the first, China's participation in the American-led boycott of the 1980 Moscow Summer Olympics and how the PRC media interpreted the boycott; the second, China's professed aspirations for boosting its global image by means of the 2008 Beijing Olympics. These two chapters in the PRC's Olympic experience tell of the changes brought about in the PRC's expectations for sporting competition and capacity for soft power between 1980 and 2008. While China's relative power had grown exponentially between 1980 and 2008, there are similarities between how the two episodes might be understood, most notably in the PRC's constant desire to use international sporting initiatives for to enhance its international image. Still, doubts remain as to the effectiveness of China's use of olympic sport as a tool of soft power.
- China and European union's soft power: comparing policies and perceptions - Olivier Arifon p. 36-46 Cet article présente un cadre d'analyse pour comprendre et des arguments pour évaluer le soft power de l'Union européenne et de la Chine. Depuis les travaux de Joseph Nye, les recherches portent sur l'importance des processus de réception des messages par le public et sur l'image qui en découle.En comparant le contenu et le discours autour du soft power avec les positions des deux espaces à l'aide d'Index reconnus proches des items de Nye, culture, valeurs politiques et politique étrangère, nous pointons des contradictions. Celles-ci sont discutées en se référant à la notion de crédibilité.This paper presents a framework and proposes arguments to evaluate soft power elaborated by the European Union (EU) and China. Since the presentation of Joseph Nye's concept of soft power, scholars have emphasized the importance of the audience and message reception.By comparing soft power content and discourses in accordance, or not, with perception represented here by a selection of recognized indexes, we argue that contradictions exist, and we discuss them by referring to the notion of credibility.
- How to evaluate the Chinese interference in the EU: Mapping China's Influence Strategy in Brussels - Quentin Genaille p. 47-63 Depuis les années cinquante, un réseau d'organisations chinoises dense a émergé pour devenir aujourd'hui l'une des pierres angulaires de l'influence chinoise à Bruxelles. Cet article adopte une approche quantitative du soft power chinois résultant de la cartographie exhaustive des principales organisations ayant des objectifs d'influence des processus décisionnels européens et du public. Alors que les relations entre ces organisations s'étendent de la collaboration sporadique au financement régulier, ces dernières peuvent être divisées en trois catégories interconnectées selon leur domaine d'action politique : la recherche, la culture et le commerce. Cet article cherche à donner des outils de compréhension des méthodes concrètes d'influence chinoise à Bruxelles. De fait, la présence d'organisations et de leaders d'opinion cultivant les récits pro-Pékin participe à la normalisation des valeurs et des aspirations de la Chine dans le monde. Dès lors, le discours du Parti communiste chinois dans l'UE bénéficie d'une plus grande visibilité et légitimité mises au service d'objectifs plus larges de changement systémique dans l'architecture des organisations internationales, comme il est déjà perceptible dans certaines institutions.Since the 1950's, there has been an emergence of China-oriented organisations that have matured into a strong network which acts as a cornerstone of the Chinese influence in Brussels. This paper takes a quantitative approach at China's soft power strategy, and creates a comprehensive mapping of most China-related organisations that play a role in targeting European decision-makers and the public. Whilst the relations between the organisations can range from episodical collaboration to regular funding, they can be divided into three interconnected policy areas: research, culture, and commerce. Following the mapping, this paper seeks to provide a more concrete understanding of how Chinese influence plays out in Brussels. This paper argues that the everlasting presence of organisations and spin doctors that cultivate pro-Beijing narratives helps to normalise the values of Chinese aspirations in the world. Consequently, the discourse of the Chinese Communist Party in the EU benefits from increased visibility and legitimacy, which in turn could serve greater goals of systemic change in the architecture of international organisations, as already visible in some institutions.
- La Francophonie : mécanisme d'inflexion de la politique africaine du Vietnam face au soft power chinois - Hong Khanh Dang p. 64-82 Dans un contexte d'accélération de la mondialisation, de nouvelles dynamiques sur la scène internationale sont observées parmi lesquelles figurent la croissance économique très élevée de certains pays du Sud et le développement remarquable de leur coopération avec l'Afrique. Au cœur de cette dynamique portée par la Chine, la coopération Vietnam-Afrique, quoiqu'ayant un mimétisme évident avec la coopération Chine-Afrique, s'en distingue par l'appartenance du Vietnam et d'un grand nombre de pays africains à la Francophonie. Ce lien francophone tissé à travers une histoire commune liée à la décolonisation, est aujourd'hui maintenu sous un autre angle au sein de cette organisation internationale regroupant 88 États et gouvernements ayant le français en partage en 2020. L'analyse de la politique étrangère du Vietnam vers l'Afrique en comparaison avec celle de la Chine, ainsi que l'étude de la Francophonie en tant qu'une institution internationale à vocation politique et culturelle nous permettra de clarifier si elle pourrait constituer un mécanisme d'inflexion dans une politique africaine du Vietnam qui est actuellement trop sino-orientée face au soft power chinois.In a context of accelerated globalization, new dynamics are observed, such as the strong economic growth of Southern countries and their remarkable cooperation with African countries. At the heart of this dynamic led by China, the Vietnam-Africa cooperation, having a clear imitation with the China-Africa cooperation, is distinguished by the belonging of Vietnam and a large number of African countries to the Francophonie. This francophone link, woven through a common history linked to decolonization, is today maintained from another angle within this international organization regrouping 88 states and governments sharing French in 2020. The analysis of the foreign policy of the Vietnam to Africa in comparison with that of China and the study of the Francophonie as an international institution with a political and cultural vocation will allow us to clarify if it could constitute a mechanism of inflection in an African policy in Vietnam that is currently too sino-oriented towards Chinese soft power.
- L'ordre néo-maoïste du discours (analyse d'un usage récent de Foucault en Chine) - Emmanuel Dubois de Prisque, Jean-Yves Heurtebise p. 83-101 Cet article décrit la transformation subie par l'analyse foucaldienne de la relation entre pouvoir et discours dans le contexte de sa « traduction » par l'intelligentsia de la République populaire de Chine (notamment l'élite intellectuelle néo-maoïste et post-coloniale) sous le terme de 话语权 (huàyǔquán) que l'on peut traduire par « pouvoir discursif » ou par « droit à la parole ». Nous analyserons d'abord l'usage pro domo par le pouvoir et les intellectuels chinois de l'analyse du pouvoir proposée par Foucault dans L'Ordre du discours, analyse qui s'est cristallisée en Chine dans l'expression de huày quán, usage qui est à la fois paradoxal et juste. Nous définirons ensuite les rapports entre le concept de huàyǔquán développé en Chine et celui de soft power : si la notion de soft power, empruntée des Etats-Unis, est omniprésente en Chine, elle est problématique pour les autorités chinoises qui lui préfèrent parfois celle de huàyǔquán pour des raisons que nous expliciterons. Enfin, nous montrerons que les œuvres du dernier Foucault, et notamment le développement d'une « politique de la vérité » à travers le concept de parrêsia, mettent en lumière la différence profonde entre l'analyse du pouvoir du dernier Foucault et son utilisation stratégique par les intellectuels et officiels chinois.This article analyses the process by which Foucault's understanding of the relationship between power and discourse has been transformed by Chinese PRC contemporary intellectuals (notably Neo-Maoist post-colonial thinkers) who coined the concept of huàyǔquán (话语权) – meaning both ‘discursive power' and ‘right to speak'. We will first study Chinese intellectuals' and politicians' use of Foucault's The Order of Discourse to demonstrate how the Chinese concept of huàyǔquán is, to some extent, true to the original. Second, we will inquire into the relationship between the Chinese concept of huàyǔquán and the American concept of soft-power: though Nye's concept of soft-power is commonplace in China, its use proves to be problematic for Chinese authorities who promote the concept of huàyǔquán – for different reasons we will analytically disclose. Finally, we will contend that Foucault's last works, especially his conception of a “politic of truth” through the concept of parrêsia, evidence the deep conceptual and political gap between Foucault's analysis of politics and its strategic reinterpretation by contemporary Chinese intellectuals.
- Soft Power, Soft Concepts and Imperial Conceits - Philip Golub p. 7-20
Traductions
- Introduction - David Bartel p. 102-103
- Cartographie de la postmodernité chinoise - Wang Ning, David Bartel p. 104-119 Pour Wang Ning, l'existence en Chine d'une forme de postmodernisme ne fait pas de doute malgré le défaut de certaines conditions de la postmodernité. Dans ce texte, Wang regarde comment l'extension global du postmoderne, étudiée depuis ses pratiques critiques et créatives, a généré un phénomène hétéroclite. Il cartographie ici pour nous les similarités et les différences entre le « postmodernisme » chinois et sa contrepartie occidentale.For Wang Ning, the existence in China of a form of postmodernism is not in doubt despite the lack of certain conditions of postmodernity. In this text, Wang looks at how the global extension of the postmodern, studied from its critical and creative practices, has generated a heterogeneous phenomenon. Here, he maps for us the similarities and differences between Chinese “postmodernism” and its Western counterpart.
- Le postmodernisme et la Chine - Arif Dirlik, Zhang Xudong, David Bartel p. 120-132 Ce texte est l'introduction d'un recueil d'articles éponymes publié en 2000, après presque une décennie de convalescence intellectuelle et de succès économique. De cette situation nait la complexité de la postmodernité chinoise, enfant de la modernité économique, et orpheline des Lumières des années 1980. Ce texte cherche à définir le champ postmoderne en Chine, en questionnant la pertinence d'une épistémè postindustrielle et occidentale rapportée au monde chinois. En introduisant la notion de post-socialisme pour historiciser la présent chinois, les auteurs clament qu'il est « fructueux de postuler un postmoderne chinois » pour sortir la tête haute, de la révolution et du nationalisme.This text is the introduction to a collection of eponymous articles published in 2000, after almost a decade of intellectual recovery and economic success. From this situation is born the complexity of Chinese postmodernity, the child of economic modernity, and orphan of the Enlightenment of the 1980s. This text seeks to define the postmodern field in China, by questioning the relevance of a postindustrial and Western episteme to the Chinese world. Introducing the concept of post-socialism to historicize Chinese present, the authors claim that it is “fruitful to postulate a postmodern Chinese” to come out of revolution and nationalism with your head held high.
Varia
- The “China virus” and its Mutation - Ji Zhe p. 133-137 Le déterminisme culturel et le déterminisme institutionnel ont été les principaux arguments utilisés par le Parti communiste chinois pour légitimer son autoritarisme après 1989. Cependant, sous le règne de Xi Jinping le déterminisme institutionnel a été beaucoup plus souligné et mis en œuvre. La supposée réussite du PCC face à la pandémie de Covid-19 lui a finalement donné la légitimité qu'il cherchait pour mettre en avant son avantage institutionnel selon lequel la victoire du PCC et les échecs de l'Occident prouve que l'autocratie peut être bien plus efficace que la démocratie pour répondre aux crises. Il est prévisible que la menace que fait peser le PCC sur la liberté de l'humanité sera plus grande dans le monde de l'après Covid-19.Cultural determinism and institutional determinism have been the primary instruments used by the CPC to legitimate its post-1989 authoritarianism, but the latter has been much more explicitly emphasized and firmly enforced under Xi's reign. The supposed successful response of the CPC to the COVID-19 pandemic finally provided the legitimacy it sought to propagandize its institutional advantage: the PRC's victory and the failure of the West showed that autocracy can be far more effective than democracy in responding to crises. It is predictable that the threat to mankind's freedom from the CPC will be greater and more aggressive in the post-COVID-19 world.
- Leçons d'un lettré chinois du dix-septième siècle sur l'extrémisme religieux - Thierry Meynard, Yang Hongfan p. 138-149 L'extrémisme religieux est un phénomène historique fréquent. Quand le christianisme arriva en Chine au seizième siècle, il fut à la fois victime du gouvernement impérial qui n'admettait aucune organisation parallèle, mais afin de s'implanter il développa aussi tout un discours antibouddhiste. Cette étude présente d'abord le contexte des attaques chrétiennes envers le bouddhisme et les réactions tardives du milieu bouddhiste au début du dix-septième siècle, puis elle analyse le cas assez exceptionnel d'un bouddhiste chinois qui fut attiré un certain temps par le christianisme avant de le rejeter complètement et de lancer lui-même une campagne anti-chrétienne. Nous montrerons comment les idées bouddhistes et confucéennes sur la réalité ultime l'ont finalement conduit à aller au-delà de l'extrémisme du sectarisme religieux.Religious extremism is a frequent historical phenomenon. When Christianity entered China in the Sixteenth century, it was a victim of the imperial government which did not allow any parallel organization, but itself developed an anti-Buddhist discourse to take root. This study presents first the context of the Christian attacks towards Buddhism and the late reactions from the Buddhists in the beginning of the Seventeenth century. Then, it analyzes the exceptional case of a Chinese Buddhist who was drawn for a time towards Christianity and then rejected it entirely up to the point of launching an anti-Christian campaign. We shall show how Buddhist and Confucian ideas about ultimate reality finally led him beyond the extremism of religious sectarianism.
- The “China virus” and its Mutation - Ji Zhe p. 133-137
Note de lecture
- Note de lecture - Jean-Yves Heurtebise p. 150-164