Contenu du sommaire : Soudan. Jusqu'au bout du régime al-Inqaz
Revue | Politique africaine |
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Numéro | no 158, 2020/2 |
Titre du numéro | Soudan. Jusqu'au bout du régime al-Inqaz |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Le Dossier. Soudan. Jusqu'au bout du régime al-Inqaz
- Introduction au thème. Soudan, la fin d'une domination autoritaire ? - Jean-Nicolas Bach, Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Alice Franck p. 5-31
- Les kayzan au quartier : milieu partisan et trajectoires de distinction dans les quartiers populaires du Grand Khartoum - Lucie Revilla p. 33-55 L'analyse de l'ancrage social du National Congress Party (NCP) dans les quartiers populaires du Grand Khartoum permet de saisir les registres d'affiliation partisane et les modes organisationnels pris par le mouvement islamiste au Soudan. J'explore les formes de présentation de soi induites par un engagement au NCP, ainsi que les logiques sociales qu'engendre la présence du parti à l'échelle du quartier. La promotion des militant·e·s par la valorisation de modèles d'accomplissement moral reste soumise à la discipline partisane et au « travail émotionnel » mis en œuvre au sein des structures locales du parti, qui façonnent autant qu'ils répriment les dispositions des individus.Analysis of the social anchoring of the National Congress Party (NCP) in working-class neighborhoods in Greater Khartoum reveals the multiple registers of party affiliation and the organizational modes taken by the Islamist movement in Sudan. I explore the forms of self-presentation shaped by affiliation with the NCP, as well as the social logics generated by the party's presence at the neighborhood level. The promotion of activists through ideals of morality is conditioned by party discipline and emotional labor within local party structures, which shape as much as they repress the individual dispositions.
- La fabrique locale de l'autoritarisme soudanais : singularités et banalités de la domination au Nord Kordofan - Anne-Laure Mahé p. 57-79 À partir d'une enquête de terrain menée en 2015, cet article analyse la mise en œuvre d'une politique de développement participatif dans la province du Nord Kordofan au Soudan. Il propose de l'interpréter comme une modulation particulière du régime autoritaire de l'Inqaz. D'un côté, les autorités locales mobilisent un discours sur la spécificité de la région et la rupture avec le passé immédiat pour susciter l'adhésion. De l'autre, elles ont recours à des pratiques caractéristiques du régime et de son utilisation de l'économie du don, et, au-delà, du fait autoritaire dans le Soudan postcolonial.Based on field research conducted in 2015, this article analyzes the implementation of a participatory development policy in the Sudanese province of North Kordofan. I propose to interpret it as a particular modulation of the authoritarian Al-Ingaz regime. On the one hand, local authorities rely on a discourse surrounding the region's specificity and the idea of breaking with the immediate past in order to gain support. On the other hand, they resort to practices characteristic of the regime and its use of the economy of the gift, and, beyond that, of authoritarianism in postcolonial Sudan.
- L'al-Azhar subsaharienne sur le chemin de la résilience ? L'université internationale d'Afrique après la chute d'Omar al-Bashir - Khadidja Medani p. 81-100 L'université internationale d'Afrique est une université islamique khartoumaise qui a pour vocation de former des étudiants étrangers. Bien qu'officiellement transnationale et indépendante, l'université, parrainée par Omar al-Bashir depuis 1991, a été largement instrumentalisée par le régime de l'Inqaz. L'étude de cette institution donne à voir un exemple concret de la réalisation du « projet civilisationnel » du gouvernement islamiste soudanais. À travers le développement de cet exemple, cet article interroge la capacité de résilience d'une institution mise au service du gouvernement d'Omar al-Bashir après la chute de son régime.The International University of Africa is an Islamic university in Khartoum that is specifically aimed at educating foreign students. Although officially transnational and independent, the university, sponsored by Omar al-Bashir from 1991, has been largely instrumentalized by the Al-Ingaz regime. The study of this institution provides a concrete example of the realization of the “civilizational project” of the Sudanese Islamist government. Through this example, the article examines the resilience of an institution in the service of al-Bashir's government following the fall of his regime.
- Les tribulations de la justice pénale internationale : chronique des poursuites judiciaires inquiétant l'ancien président soudanais - Philippe Gout p. 101-122 La destitution de l'ancien président soudanais al-Bashir en avril 2019 a suscité d'enthousiastes réactions dans les milieux de l'information et académique, en particulier sur la perspective renouvelée que cet accusé soit enfin attrait devant la Cour pénale internationale. Pourtant, la légitimité de la CPI à poursuivre l'ancien président soudanais n'est pas une évidence et les justifications apportées par cette dernière relèvent d'une technique juridique critiquable tout en révélant les difficultés de la Cour à départir sa stratégie de poursuites d'un agenda judiciaire américain embarrassant. Loin de signifier un rapprochement avec la CPI, les poursuites pénales engagées contre al-Bashir devant les tribunaux soudanais sont le dernier rempart imaginé par l'exécutif soudanais contre l'intrusion de la Cour de La Haye dans la souveraineté pénale de l'État.The deposing of the former Sudanese president Omar al-Bashir in April 2019 sparked enthusiastic reactions in the media and academic communities, particularly concerning the renewed prospect of bringing al-Bashir before the International Criminal Court (ICC). However, the legitimacy of the ICC to prosecute the former Sudanese president cannot be taken for granted. The justifications put forward stem from a questionable legal technique that reveals the court's difficulties in departing from the American prosecution agenda. Far from indicating the merging of the Sudanese and ICC prosecution agendas, the criminal proceedings brought against al-Bashir in the Sudanese courts represent the government's last bastion against the ICC's intrusion into the penal sovereignty of the Sudanese state.
- Pratiques de pouvoir, conflits miniers et économie de l'or au Soudan durant le régime d'al-Inqaz - Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Enrico Ille, Mohamed Salah p. 123-148 Notre article revient sur les pratiques de pouvoir et les négociations opérées par le régime d'al-Inqaz dans la dernière décennie à partir de l'étude du secteur minier soudanais devenu en quelques années la pierre angulaire de l'économie soudanaise et une des principales sources d'enrichissement de ce régime. Basée sur de nombreuses enquêtes de terrain dans la capitale et en région, notre analyse questionne le modèle de l'État soudanais et les rapports de domination du centre avec ses périphéries. Elle souligne la fluidité des ressorts de cette domination autoritaire et la diversité de ces relations en montrant néanmoins comment l'État central, et en son sein l'appareil de sécurité, s'est accaparé la nouvelle rente au détriment du local. Ce travail permet d'appréhender les conceptions que les forces de sécurité se font de ces relations centre-périphéries mais aussi public-privé, conceptions qui nourrissent leurs manières de gouverner et qui constituent ainsi un enjeu central du moment révolutionnaire actuel dans la mesure où il préfigure les tensions entre civils et militaires.Our article reviews the practices of power and negotiations prevalent under the Al-Ingaz regime over the last decade (2010–2019) based on a study of the mining sector in Sudan, which became, over the course of a few years, a cornerstone of the Sudanese national economy and one of the main sources of enrichment for the regime. Based on broad field research in the capital and several regions, our analysis examines the model of the Sudanese state and the relations of domination of the center over the peripheries. It highlights the fluidity of authoritarian domination and the diversity of these power relations, while also demonstrating how the central state, using its security apparatus, monopolized rent-seeking to the detriment of local interests in the mining areas. This allows us to understand how the security forces conceptualized their relations with the population in terms of center–periphery, but also public–private. This conceptualization fed their way of governing and lies at the heart of the current revolutionary moment insofar as it preconfigured the fundamental tension between civil and military rule.
- Trois décennies de politiques de logement populaire à Khartoum : entre violence, clientélisme et consensus social - Alice Franck p. 149-174 Cet article souhaite contribuer au débat général sur les politiques de logement populaire dans les villes du Sud en développant le cas de l'agglomération du Grand Khartoum. Il revient sur les trois décennies au pouvoir d'Omar al-Bashir (de 1989 à 2019) qui correspondent à un mouvement en matière de politique de logement des classes populaires et s'articulent à une autre échelle avec des choix plus larges du régime. Basé sur un travail de terrain de longue durée, cet article aborde la manière dont s'articule, dans le temps et dans l'espace, les programmes d'éradication de l'habitat informel, d'allocation de parcelles et de logement populaire. En écho, il interroge la violence d'un régime dans la ville et la difficile formulation d'une résistance des périphéries.This article aims to contribute to the general debate on social housing policies in cities in the Global South by expanding on the case of Greater Khartoum. It analyzes the three decades in power of Omar al-Bashir (from 1989 to 2019), corresponding to a movement in terms of housing policy for the working classes, which can be linked to the regime's broader choices on another scale. Based on long-term fieldwork, this article discusses the way in which programs for the eradication of informal housing, the allocation of plots of land, and social housing were connected in time and space in the Sudanese capital. In response, it examines the regime's violence in the city and the difficulty of formulating resistance from the peripheries.
- “It all Started with Bread-and-Butter Issues.” Interview with Abdalbasit Saeed about the 2019 Sudanese Revolution - Barbara Casciarri, Abdalbasit Saeed p. 175-186 Cet entretien, mené par Barbara Casciarri, chercheuse au Soudan depuis 30 ans, avec Abdalbasit Saeed, anthropologue soudanais, revient sur les moments clefs de l'insurrection débutée en décembre 2018 et achevée avec la chute du régime en avril 2019. Convergences et divergences avec les révolutions de 1964 et 1985 y sont analysées, de même que la composition de classe du mouvement et les nouveaux acteurs politiques comme les Comités de résistance. Le soutien exprimé au processus révolutionnaire ne manque pas d'en souligner certaines contradictions idéologiques ou des points aveugles, comme la marginalisation des groupes urbains périphériques et des nomades.This interview, conducted by Barbara Casciarri, a researcher in Sudan for thirty years, with Abdalbasit Saeed, a Sudanese anthropologist, focuses on key moments of the uprising that began in December 2018 and that led to the fall of the regime in April 2019. It analyzes the convergences and divergences with the revolutions of 1964 and 1985, as well as the class composition of the movement and the new political actors, such as Resistance Committees. Despite the support expressed for this revolutionary process, it points out some of its ideological contradictions or blind spots, such as the marginalization of peripheral urban groups and nomads.
- « L'histoire n'est jamais écrite. » Entretien avec Roland Marchal sur la révolution de 2019 au Soudan - Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Roland Marchal p. 187-203 Dans cet entretien autour de la révolution soudanaise mené par Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Roland Marchal, sociologue spécialiste du politique au Soudan, revient sur trente ans de pouvoir du régime d'al-Inqaz. Il développe son analyse à partir de ses thèmes de prédilection : l'économie politique et la dimension régionale et conflictuelle de cette expérience spécifique. Il revient également sur l'idéologie du pouvoir et sur les figures qui l'ont incarnée en proposant une grille de lecture originale qui éclaire les enjeux actuels.In this interview about the Sudanese Revolution conducted by Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Roland Marchal, a sociologist specialist of politics in Sudan, looks back on the thirty years in power of the Al-Ingaz regime and beyond. His analysis is based on his favorite themes: political economy and the regional and conflictual dimensions of this experience of government. He also discusses the ideological dimension of the regime and its evolution through the trajectories of its leaders — a useful interpretive framework that sheds light on current issues.
Recherches
- Aide internationale, production de services publics et souveraineté étatique : l'exemple des réfugiés centrafricains dans l'Est-Cameroun - Claire Lefort p. 205-222 En 2013-2014, l'afflux de réfugiés centrafricains au Cameroun provoque la mise en place de nombreux projets d'aide d'urgence à destination des populations déplacées. Au niveau local, par les formes concrètes et empiriques qu'elles revêtent, ces interventions humanitaires participent d'une transformation de l'espace public et de la production de services sociaux. Mais ces derniers, par les récupérations dont ils peuvent faire l'objet de la part des services étatiques, permettent également de réfléchir aux dynamiques socio-politiques et de gouvernance camerounaises, dans un contexte de délitement de l'action publique et de gestion centralisée et inégale des ressources du pays.In 2013–2014, the influx of Central African refugees in Cameroon led to the implementation of many emergency aid projects targeting displaced populations. At the local level, these humanitarian interventions helped reshape public spaces and the production of social services. In a context of disintegration of public action and centralized and uneven management of the country's resources, these transformations enable us to rethink the dynamics of Cameroon's governance and sociopolitical situation.
- « L'ennuyeux » formalisme d'État. Distanciation-discipline et gouvernance urbaine en République démocratique du Congo - Stéphanie Perazzone p. 223-254 À partir de données de terrain collectées en République démocratique du Congo (RDC), cet article analyse les effets du formalisme d'État comme modalité de la « gouvernance réelle » des villes, profondément marquées par la privatisation des services et la dilution de la séparation entre public et privé. Le texte démontre qu'au-delà de l'informalisation des échanges, la mise en action quotidienne de routines procédurières formelles continue d'occuper une fonction d'objectivation de la distinction État/société (distanciation), notamment par l'émergence historique d'une obéissance collective normalisée (discipline) à l'imaginaire bureaucratique, conférant à l'État son statut de force dominante globale en RDC, comme dans le reste du monde.Drawing on ethnographic data collected in the Democratic Republic of the Congo (DRC), this article examines the effects of state formalism, conceptualized as part of the everyday dynamics of “real governance” in urban centers. By unravelling the profoundly ambivalent characteristics of statehood, as both an intangible and concrete political artefact, the text shows the various ways by which formal practices can recreate and objectivize the state–society distinction (distantiation), via long-term processes of collective obedience (discipline) toward the idea of the state as a dominant force both within Congolese society and across our contemporary international order.
- Aide internationale, production de services publics et souveraineté étatique : l'exemple des réfugiés centrafricains dans l'Est-Cameroun - Claire Lefort p. 205-222
Lectures
- Revue des livres - p. 255-265