Contenu du sommaire : Marche en ville : enjeux sociaux et politiques
Revue | Espaces et Sociétés |
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Numéro | no 179, 2019/4 |
Titre du numéro | Marche en ville : enjeux sociaux et politiques |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
I - Marche en ville : enjeux sociaux et politiques
- Éditorial - Jérôme Monnet, Ruth Pérez López, Jean-Paul Hubert p. 7-15
- Entretien avec Jan Gehl : « There is much more to walking than walking » - Charles Capelli, Damien Chardonnet-Darmaillacq p. 17-39 Les idées de Jan Gehl ont été diffusées dans le monde entier par ses projets et de nombreux ouvrages depuis 1971. Il est l'un des représentants les plus reconnus du new urbanism et de l'urbanisme durable. Défenseur d'un design urbain axé sur l'utilisateur, il a centré ses études sur l'Homo sapiens comme acteur social physiquement impliqué dans la ville « vivable ». Lors de deux journées d'entretiens, les 6 et 7 juillet 2017, il revient sur son travail en le présentant au prisme des enjeux contemporains de la valorisation des usages urbains. Il en ressort une considération non pas de la marche en soi mais de ses enjeux sociaux et politiques, avec le droit à l'espace, l'évolution de la ville vivante et la fabrique de la ville par et pour la dimension humaine après le modernisme. Les travaux de Gehl pour différentes villes, dont Copenhague, mettent l'accent sur les caractères sociaux, culturels, multi-scalaires et politiques dans l'appréhension de la valorisation de l'espace public et, par extension, de la marche en ville.The ideas of Jan Gehl, one of the most recognized representatives of new urbanism and sustainable urban planning, have been disseminated worldwide by his projects and numerous books since 1971. Defender of a user-oriented urban design, he focused his studies on Homo sapiens as a social actor physically involved in the livable city. During two days of interviews, on July 6 and 7, 2017, he returns to his work with the prism of the contemporary stakes of urban uses valorization. It reveals a consideration not of walking in itself but of its social and political stakes, with the right to space, the evolution of the livable city and the fabric of the city by and for the human dimension after modernism. Jan Gehl's work for various cities, including Copenhagen, focuses on the social, cultural, multi-scalar and political features in the apprehension of the enhancement of the public space and by extension, walking in the city.
- Du renouveau de la marche en milieu urbain - Frédéric Héran p. 41-57 Les piétons ont longtemps été négligés par les politiques de déplacements urbains. L'urbanisme fonctionnaliste en serait la cause première. L'article propose une autre explication qui rend mieux compte de ce désintérêt, puis de l'attrait récent pour la marche, au moins dans les zones denses des grandes villes. Le « tout automobile », défini comme la priorité accordée à la voiture en toutes circonstances, a relégué les piétons dans des espaces résiduels et limité leurs mouvements. Mais ce paradigme est aujourd'hui en crise à cause des externalités négatives qu'il génère. Aussi, depuis quelques années, un nouveau paradigme émerge, reposant sur le principe d'« une voirie pour tous ». Il remet le piéton au sommet de la hiérarchie des modes de déplacement et considère les autres modes comme de simples relais du piéton. Les politiques de déplacements urbains cherchent désormais à améliorer la marche en ville, en requalifiant les espaces publics et en traitant les coupures urbaines.Pedestrians have long been neglected by urban travel policies. Functional urbanism would be the first cause. The article proposes another explanation that better accounts for this disinterest and then for the recent attractiveness for walking, at least in the densely populated areas of large cities. The “all-car”, as we say in French, defined as the priority given to the car in all circumstances, relegated pedestrians to residual spaces and limited their movements. But this paradigm is now in crisis because of the negative externalities it generates. Also, in recent years, a new paradigm has emerged, based on the principle of “streets for all”. It puts the pedestrian at the top of the transport modes hierarchy and considers the other modes as simple relays of the pedestrian. Urban transport policies are now seeking to improve walking in cities, re-qualifying public spaces and dealing with severance effect of transport infrastructures.
- Civisme et mesures disciplinaires dans l'espace public. De l'éloge de la marche urbaine à sa réglementation - Ion Martínez Lorea p. 59-76 Ces dernières années, la marche a été placée au cœur des politiques urbaines de nombreuses municipalités. Dans le cas de la ville de Pampelune (Navarre), un processus de restructuration urbaine a été amorcé dès la fin du xxe siècle, lequel insiste sur la piétonnisation du centre historique et exalte la figure du citoyen-piéton en tant qu'usager idéal de l'espace public. Cette transformation en zone piétonne est présentée par le gouvernement local comme une appropriation de la ville en quête d'un espace plus humain, intégrateur et respectueux, à la fois pour ses habitants et ses visiteurs. Cependant, nous pouvons observer qu'une telle transformation urbaine s'accompagne d'un nouveau cadre normatif qui ne constitue pas tant une conquête pour le citoyen-piéton, mais l'exigence que ce dernier s'adapte à cet espace « amélioré ». Cet article analyse comment les mesures adoptées ces dix dernières années par la ville de Pampelune autour de l'usage civique de l'espace public ont entraîné la réglementation croissante de ce dernier. Il en résulte ainsi la prétention de réduire la marche à un procédé individualisé cherchant à discipliner la vie des rues.In recent years, “pedestrianization” has become the central focus of urban policies in many municipalities. In the case of Pamplona (Navarre), we observe an urban restructuring process which has started since the later 20th century, focusing on the pedestrianization of the historic centre and exalting the figure of the pedestrian-citizen as the ideal user of the public space. This transformation is presented by the local government as the appropriation of the city in search of a more humane and inclusive space, respectful of its residents and visitors. However, it appears that such urban transformation comes with a new regulatory framework and is not so much a conquest for the pedestrian-citizen, but rather the requirement that the latter adapt to the “upgraded” environment. This paper explains how the measures regarding the civic use of public space and adopted during the last decade by the city of Pamplona have caused its growing regulation. Thus resulting in the ambition of reducing the act of walking to an individual process attempting to control street life.
- Flâner ou filer : une approche quantifiée de l'influence du contexte sur le type de pratique piétonne - Julie Chrétien p. 77-91 La marche est successivement et parfois simultanément un moyen de transport et une activité de loisir. Il est utile de comprendre l'articulation de ces deux facettes dans la mesure où le sens que les acteurs urbains lui donnent peut influencer les politiques publiques qui lui sont consacrées. Cet article vise une meilleure connaissance du poids respectif de la « marche-loisir » et de la « marche utilitaire » en milieu urbain et de l'influence du cadre spatial et temporel du déplacement sur la prévalence des deux logiques. À l'aide de l'Enquête globale transport 2010, nous montrons qu'à la différence de la marche utilitaire, la marche-loisir n'est pas influencée par la densité du cadre urbain mais augmente quand les contraintes d'emploi du temps diminuent. Cependant, les quatre cinquièmes des déplacements à pied relèvent d'une pratique utilitaire, ce qui invite à repenser la place prépondérante occupée par la marche-loisir dans les discours et dans les politiques de promotion de la marche.Walking is successively and sometimes simultaneously a means of transport and a leisure activity. In so far as the way urban actors perceive pedestrian practices can have consequences on the public policies that are devoted to it, it is useful to gain insight on the articulation of these two aspects. This article aims at a better knowledge of the proportion of walking trips in urban environment that are done for leisure and of the influence of the spatial and temporal context of the trip on the prevalence of the two logics. Using the 2010 Transport Survey of the Parisian Region, we show that, unlike utilitarian pedestrian practices, leisure practices are not influenced by the density of the urban setting, but increase when time-use constraints decrease. However, four-fifths of pedestrian journeys are utilitarian, which calls for a rethinking of the importance given to recreational pedestrian practices in policies which promote walking.
- Déplacements en Pédibus à l'épreuve des modes d'habiter - Éléonore Pigalle p. 93-110 Instauré par un groupe de parents bénévoles, le Pédibus a fait son apparition à Lausanne dès 1999 en réponse à des problèmes d'insécurité liés à l'automobile lors des déplacements scolaires. Si ses effets ont fait l'objet de recherches, les facteurs d'implication favorables à l'engagement dans ce dispositif restent peu explorés. Nous avons mené une enquête par questionnaire auprès de parents d'élèves lausannois. Avec 218 participants, nous avons réalisé une analyse en composantes principales (acp) fondée sur les habitudes modales des enfants, les représentations et les choix résidentiels des parents. Une typologie de cinq profils répartis spatialement a été élaborée : Pédibus engagés, ultra-piétons, indifférents à l'usage du Pédibus, utilitaires et automobilistes fervents. La discussion est focalisée sur les dispositions sociales en faveur de l'engagement collectif tel que le Pédibus.Organized by a group of volunteer parents, the Walking School Bus (wsb) was developed in Lausanne as an alternative to children being dropped at school by parent's car. If its effects have been explored, the factors of involvement favorable to the commitment in this initiative remain scarce. We did an investigation by questionnaire of parents in Lausanne. With 218 participants, we performed a principal component analysis (pca) based on modal habits, perceptions and residential choices. Using the pca, a typology including five clusters was generated, spatially distributed: Activists wsb, Ultra-pedestrians, Indifferent to wsb, Pragmatics and Fervent motorists. The discussion focuses on the social provisions in favour of collective commitments such as wsb.
- Micropolitiques de la marche et inégalités urbaines : une exploration à partir de l'expérience vécue - Soledad Martínez Rodríguez, Francisca Avilés Arias p. 111-127 Les déplacements à pied dans la ville sont divers, complexes et difficiles à classifier : on marche avec différents objectifs, les rencontres de tout type se succèdent, de même que diverses conditions sociales et subjectives sont négociées. L'acte quotidien de mettre un pied devant l'autre revêt une dimension politique qu'il peut être difficile d'observer et analyser sans les outils qui permettent de l'identifier. Cet article propose d'explorer et décrire l'expérience vécue comme manière d'accéder aux micropolitiques auxquelles donne lieu la pratique de la marche. À travers l'observation des variations du rythme et de l'attention dans les trajets à pied dans Santiago du Chili, nous abordons la dimension expérientielle des inégalités urbaines. Nous aidons ainsi à comprendre comment celles-ci s'imbriquent dans la pratique quotidienne, en renforçant ou restreignant les capacités d'actions des marcheurs et leurs possibilités d'expérience de la ville.Urban pedestrian journeys are diverse, complex and difficult to classify: people walk with distinct purposes and different kinds of encounters occur along the way, leading to different social and subjective negotiations. The everyday act of putting one foot in front of the other has a political dimension that requires specific tools to be grasped and analyzed. This article proposes exploring and describing the lived experience of walking as a way of envisaging the micropolitics that transpires while people move by foot. By observing rhythm and attention variations within pedestrian journeys in Santiago de Chile, we address the experiential dimension of urban inequalities. We contribute, thus, with an understanding of how inequalities embed themselves in everyday practices, enabling or constraining walkers' capacities for acting and their possibilities for experiencing the city.
- Entre marche-déplacement et marche-plaisir : le cas des mobilités de joueurs urbains connectés - Céline Quellet p. 129-144 Dans cette contribution, je souhaite interroger la distinction entre marche-déplacement et marche-loisir et celle des espaces réservés à chacune, en regard de la pratique des Location-Based Mobile Games (lbmg). Utilisant la géolocalisation des joueurs, ces jeux requièrent en effet qu'ils se déplacent dans la ville pour jouer, les conduisant à l'utiliser comme terrain de jeu. Après avoir évoqué les spécificités de ces jeux qui mêlent le jeu et la vie quotidienne et leurs espaces, je m'intéresse au caractère hybride des mobilités des joueurs. Enfin, malgré leur potentiel à brouiller la distinction entre le fonctionnel et le loisir et à rendre caduque la spécialisation fonctionnelle des espaces, je montre que les lbmg ne contribuent cependant pas nécessairement à effacer la ségrégation des espaces et les inégalités d'accès dont souffre la marche urbaine.In this paper, I would like to question the distinction between walking to go somewhere and walking for one's sole pleasure, and the spaces which are designed for that regarding the use of Location-Based Mobile Games (lbmgs). Using the players' localization, these games require for them to move inside the city to play, which leads to using the whole city as their playground. After mentioning the special features of these games, which gather playing and daily life and blend the spaces, I will evoke the hybrid aspect of the player's mobility. Finally, despite their potential to blur the distinction between functional things and leisure and to make the functional distinction of spaces obsolete, I will show that lbmgs do not nevertheless contribute to erase the segregation of spaces nor the access inequalities of the city for pedestrians.
- La marche dans la production de l'inégalité sociale. La collecte informelle des déchets à Buenos Aires - Mariano Perelman p. 145-160 Au tournant du xxie siècle, Buenos Aires a vu apparaître des fouilleurs de poubelles à la recherche de matériaux réutilisables. Leur visibilité n'était pas seulement due à leur grand nombre mais au fait que les cartoneros à la recherche principalement de cartons ont commencé à parcourir les rues des quartiers les plus centraux de la capitale. Malgré cela, leur marche a été peu étudiée. Dans cet article je propose un regard sur cette collecte informelle des résidus caractérisée par son déplacement pédestre. Mon argumentation se base sur mes enquêtes de terrain où j'ai eu l'opportunité d'observer que c'est en marchant que sont produites les interactions qui donnent naissance aux conditions rendant possible cette activité productive. En même temps, ces interactions créent des vécus de la ville très différents et jouent dans la construction d'une expérience et d'un ordre urbain spécifiques, empreints d'inégalité.Since the beginning of the 21st century, Buenos Aires has assisted to the visibility of people scavenging garbage in search of reusable materials. Their visibility was not only due to its massiveness. It was because the cartoneros began to walk through the streets of the downtown districts. In spite of this, walking and displacements have been little barely. In this article I look at the informal collection of waste from the walking. My argument is that it is in this process in which a series of interactions that make collection possible. Besides there is a construction of an uneven urban experience. Addressing the moments of walking and interactions based on mobilities – or the impossibility of this to happen – will shed light on the collection itself as well as on the daily construction of the urban order. By the multiplicity of minimal acts that occur while walking unequal ways of living are produced.
II - Varia
- La société Ḥuḍni d'Algérie : colonisation et transformation des formes d'habitat domestique (fin XIXe - mi-XXe siècle) - Hynda Boutabba, Mohamed Mili, Abdallah Farhi p. 161-184 Le Ḥuḍna, cette steppe concave située au sud des hauts plateaux du centre de l'Algérie, présentait jusqu'à la fin du XIXe siècle un paysage sobre jalonné par des habitations ambulantes, des tentes appelées gitûn par les Ḥuḍni, les habitants de la région. Cet abri s'adaptait remarquablement aux conditions d'existence de ces nomades, ainsi qu'à l'hostilité du milieu naturel. Dès le début des années 1870, la colonisation française procéda à la destruction du nomadisme en mettant fin aux complémentarités saisonnières des terres de parcours qui existaient entre la région du Ḥuḍna et celle des hautes plaines, ce qui mena à une sédentarisation progressive de cette société et à l'adoption d'un habitat fixe : ad-dār. Cet article a pour objectif, à travers une approche historico-architecturale, d'une part, de rendre compte des changements de conditions socio-économiques qui, résultant de la colonisation, ont contribué à la sédentarisation de cette société et, d'autre part, d'analyser les effets de cette sédentarisation sur l'évolution de l'habitat domestique de la société Ḥuḍni. L'étude porte sur une période allant de la fin du xixe siècle aux années 1950.The Ḥuḍna, this concave steppe located south of the highlands in the center of Algeria, presented until the end of the 20th century, a sober landscape punctuated by itinerant dwellings, tents called gitûn by Ḥuḍni, inhabitants of the region. This shelter adapted remarkably to the conditions of existence of these nomads and to the hostility of the natural environment. In the early 1870s, the French colonization, proceeded to the destruction of the nomadism by putting an end to the seasonal complementarities of the rangelands which existed between the region of Ḥuḍna and that of the high plains, which led to a progressive sedentarisation of this society and to the adoption of a fixed habitat: ad-dār. In this article, we try, thanks to a historic-architectural approach, on the one hand, to report on the socioeconomic conditions that contributed to the sedentarisation of this society and, on the other hand, to analyze the effects of this sedentarisation on the evolution of the domestic habitat of the Ḥuḍni society. The study covers a period from the end of the 19th century to the 1950s.
- La société Ḥuḍni d'Algérie : colonisation et transformation des formes d'habitat domestique (fin XIXe - mi-XXe siècle) - Hynda Boutabba, Mohamed Mili, Abdallah Farhi p. 161-184
III - Rétrospective
- La longue marche (en ville) des sciences sociales - Denis Bocquet p. 185-192
IV - Compte rendu de thèse
- Comprendre le recours aux soins des familles sans logement en Île-de-France - Myriam Baron p. 193-199
Notes de lecture
- Sciences sociales et émotions - Maurice Blanc p. 201-208
- Jean-Paul THIBAUD, "En quête d'ambiances. Éprouver la ville en passant", Genève, MétisPresses, 2015, 325 p. - Antonin Margier p. 209-212
- Barbara MOROVICH, "Miroirs anthropologiques et changement urbain. Qui participe à la transformation des quartiers populaires ?" Paris, L'Harmattan, 2017, 294 p. - María A. Castrillo Romón p. 212-215
- Samia HENNI, "L'architecture de la contre révolution : l'armée française dans le nord de l'Algérie", Paris, Éditions B42, 2019, 344p. - Manel Souidi, Maurice Blanc p. 216-218
- Matteo ROBIGLIO, "Re-USA. 20 American Stories of Adaptive Reuse: A Toolkit for Post-Industrial Cities", Berlin, Jovis, 2017, 239 p. - Denis Bocquet p. 218-220