Contenu du sommaire : Matériaux du spinozisme
Revue | Astérion |
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Numéro | no 23, 2021 |
Titre du numéro | Matériaux du spinozisme |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Introduction - Pierre-François Moreau
- Suicide, conatus et conflictualité chez Spinoza - Eunju Kim La doctrine du conatus chez Spinoza est formulée de façon si radicale que le suicide apparaît comme incompréhensible. Cela contraste avec la référence importante aux actes suicidaires dans ses ouvrages. Pour résoudre ce contraste et défendre la compatibilité entre le suicide et le conatus, nous proposons une lecture nouvelle de la proposition 5 de l'Éthique III sur la contrariété. Nous dégageons la complexité de chaque individu, la conflictualité entre ses parties, et enfin le conatus de chacune de ces parties, qui jouit, en fonction des relations avec les choses extérieures, d'une certaine indépendance par rapport au conatus de l'individu dans son ensemble.Spinoza expounds the doctrine of self-preservation (conatus) in such a profound way that suicide seems incomprehensible. However, this affirmation contrasts with the frequent references to suicidal acts in his works. To address this contrast and thus support the compatibility between suicide and conatus, I refer to a new reading of Proposition 5 of Ethics III on contrariety. I reveal the complexity of every individual, the existence of conflictuality between their parts and the conatus of each part, which, depending on relationships with external things, enjoys a degree of independence from the conatus of the individual as a whole.
- Hobbes et Spinoza lecteurs de Tacite : histoire et politique - Marta Libertà De Bastiani Les tacitistes utilisent l'œuvre de l'historien pour en extraire des conseils aux gouvernants. Hobbes et Spinoza se servent au contraire des récits de Tacite comme matériaux pour constituer leur théorie des affects et expliquer le rôle que jouent ceux-ci dans la politique. Dans leur structure théorique, ils donnent aux exemples une fonction confirmative et une fonction anthropologique ; Spinoza leur donne en outre une fonction anticipatrice. La fonction confirmative a également pour rôle d'empêcher la théorie politique de se transformer en utopie.Tacitists use the historian's work as a source of advice for rulers. Hobbes and Spinoza, however, use Tacitus' accounts as materials with which to formulate their theory of affects and to explain the role they play in politics. In their theoretical structure, they give the examples a confirmatory function and an anthropological function; Spinoza also gives them an anticipatory function. The confirmatory function also has the role of preventing political theory from turning into a utopia.
- Spinoza et le Dieu qui peut tout - Alain Gervais Ndoba Spinoza, comme la tradition judéo-chrétienne, affirme la toute-puissance divine, mais dans une perspective profondément différente. En effet, la conception traditionnelle selon laquelle « Dieu peut tout » suppose que Dieu possède le pouvoir de manipuler la nature et les circonstances à sa guise. Cette idée justifie l'institution d'un culte par les hommes afin d'implorer la miséricorde de Dieu en leur faveur. Or cette interprétation du pouvoir de Dieu ne diffère en rien de celle des hommes de pouvoir, qui peuvent modifier la situation d'un homme selon leur bon plaisir. Spinoza critique cette interprétation qui attribue à Dieu un comportement humain. Il part de l'idée d'infini, au sens de ce qui ne peut être entravé par autre chose, pour montrer qu'il n'y a rien en dehors de Dieu capable de le limiter. Spinoza pose l'infinité de Dieu comme gage de sa liberté. À l'idée d'infini s'ajoute la compréhension de la nature de Dieu qui conditionne celle de sa puissance. Cette puissance, loin de prendre la forme d'une action arbitraire, suit les lois qui lui sont d'emblée fixées par la nature dont elle constitue l'expression nécessaire, à la fois complète et parfaite.Spinoza, like the Judeo-Christian tradition, affirms divine omnipotence, but from a profoundly different perspective. Indeed, the traditional view that “God can do anything” assumes that God has the power to manipulate nature and circumstances as He pleases. This idea justifies the institution of worship by mankind in order to implore God's mercy on their behalf. However, this interpretation of God's power is no different from that of men of power, who can change a man's situation at their pleasure. Spinoza criticises this interpretation which attributes human behaviour to God. He starts from the idea of infinity, in the sense of that which cannot be hindered by anything else, to show that there is nothing outside of God capable of limiting it. The idea of infinity is supplemented by the understanding of the nature of God which determines the understanding of his power. This power, far from taking the form of an arbitrary action, follows the laws which are from the outset set by nature, of which it is the necessary, both complete and perfect, expression.
- Le bien de l'homme chez Spinoza : vers un existentialisme positif - Ursula Renz Comment la conception de l'homme impliquée dans les notions et principes métaphysiques de la première et de la deuxième partie de l'Éthique peut-elle être conciliée avec le rôle que l'orientation vers le bien de l'homme joue dans la pensée éthique et politique de Spinoza ? L'article suivant propose de dissoudre cette tension en attribuant à Spinoza une sorte d'existentialisme. Or, cet existentialisme n'est caractérisé ni par une réflexion sur la mortalité humaine, ni par l'invocation de la notion des possibilités humaines. En revanche, l'existentialisme spinoziste fait usage d'une notion tout à fait positive de la finitude humaine, et c'est de cette dernière idée que dérive la notion d'humanité. Cette lecture existentialiste du spinozisme exige que nous renoncions à toute interprétation de la doctrine du conatus dans des termes essentialistes. Mais elle ne conteste pas que la notion de conatus soit utilisée par Spinoza pour défendre son naturalisme. Contrairement aux approches existentialistes de Jean-Paul Sartre ou Martin Heidegger, l'existentialisme spinoziste ne s'oppose pas au naturalisme. L'article énonce finalement la double thèse que (1) le rationalisme spinoziste implique l'affirmation que l'homme peut accéder aux propriétés fondamentales de l'être, à savoir l'intelligibilité et la perfection de tout étant, et que (2) cela peut être éprouvé dans des expériences humaines affectives communes.How can the conception of man in Spinoza's metaphysical principles and concepts put forward in parts one and two of the Ethics be reconciled with the orientation towards the human good in Spinoza's views on ethics and politics? This article sets out to dispel this tension by ascribing a kind of existentialism to Spinoza. This existentialism is characterised neither by an emphasis on human mortality, nor by the invocation of the idea of human possibility. Instead, Spinozistic existentialism uses a wholly positive notion of the finitude of human existence, and it is from this idea that the notion of humanity is derived. While this existentialist interpretation of Spinozism requires us to refrain from interpreting Spinoza's famous conatus doctrine in essentialist terms, it does not deny that this notion is used by Spinoza to defend his incremental naturalism. It rather indicates that, in contrast to the existentialist approaches of Jean-Paul Sartre and Martin Heidegger, Spinoza's version of existentialism is not opposed to naturalism. The article concludes with the dual hypothesis that inherent in Spinoza's rationalism is the notion of man's having access to the fundamental properties of being, namely the intelligibility and perfection of all beings, and that that can be experienced in shared human emotional experiences.
Varia
- Historicisme et lutte de classes chez José Carlos Mariátegui - Jean-Ganesh Leblanc L'œuvre du Péruvien José Carlos Mariátegui place au cœur de ses analyses les catégories de praxis et de lutte des classes. Pour ce faire, il intègre de manière originale un marxisme de tradition historiciste. Cet article revient dans un premier temps sur les questions qui traversent ce courant, pour ensuite opérer une revue de la réception du terme historicisme dans les textes de Mariátegui. Dans un troisième temps, il propose de relire sa proposition stratégique révolutionnaire à l'aune d'une mobilisation des catégories de tradition, de mythe et d'histoire.In the works of José Carlos Mariátegui, the analyses focus on the categories of praxis and class struggle. Mariátegui is then to be counted among the ranks of those Marxists who claim to belong to a historicist tradition. This article first provides an overview of the issues relating to this movement, and then examines Mariátegui's reception of the term historicism. Lastly, it sets out to re-examine his revolutionary strategic proposition in the light of the use of the categories of tradition, myth and history.
- L'héritage conservateur du néolibéralisme - Martin Beddeleem, Nathanaël Colin-Jaeger Les années 1930 et 1940 marquent une période de crise pour le libéralisme. Des auteurs aussi divers que Friedrich Hayek, Wilhelm Röpke, Walter Lippmann ou encore Michael Polanyi et Louis Rougier se réunissent lors de deux événements fondateurs, le colloque Walter Lippmann en 1938 et la création de la Société du Mont-Pèlerin en 1947, pour repenser le libéralisme. Cette refonte du projet libéral les pousse à établir un diagnostic relatif à la crise du libéralisme, remontant, pour les auteurs mentionnés, à la Révolution française. Cet article se propose de montrer la cohérence du projet néolibéral à partir de leur diagnostic historique dans cette période de crise. En effet, en critiquant la Révolution française et ses effets comme participant d'un rationalisme néfaste, ayant donné naissance aussi bien au laissez-faire qu'aux divers collectivismes, les néolibéraux reprennent explicitement des concepts des critiques de la révolution, au premier rang desquels Edmund Burke. Le concept de tradition, compris comme recouvrant des règles sociales et juridiques ayant lentement évolué de façon à constituer des dispositifs de coordination permettant nos actions, est ainsi très largement repris et valorisé par les néolibéraux. Nous interprétons ainsi la théorie néolibérale à partir de cette recatégorisation du concept de tradition, et pointons les affinités des positions néolibérales avec le conservatisme philosophique. Ce rapprochement fait apparaître plusieurs tensions conceptuelles entre d'une part un évolutionnisme culturel et d'autre part la défense de valeurs occidentales substantielles.The 1930s and 1940s marked a period of crisis for liberalism. Authors as diverse as Friedrich Hayek, Wilhelm Röpke, Walter Lippmann, Michael Polanyi and Louis Rougier came together at two seminal events, the Walter Lippmann Colloquium in 1938 and the creation of the Mont-Pèlerin Society in 1947, to rethink liberalism. This rethinking of the liberal project prompted them to carry out a diagnosis of the crisis of liberalism, which, for the authors mentioned, dated back to the French Revolution. This article seeks to demonstrate the coherence of the neoliberal project from their historical diagnosis in this period of crisis. Indeed, by criticising the French Revolution and its effects as part of a harmful rationalism, which gave rise to both a laissez-faire approach and various collectivisms, neoliberals explicitly took up concepts from critics of the revolution, especially Edmund Burke. The concept of tradition, understood as covering social and legal rules that have slowly evolved to constitute coordination mechanisms that allow our actions, is thus very widely taken up and valued by neoliberals. We, therefore, interpret neoliberal theory on the basis of this recategorisation of the concept of tradition, and point out the affinities between neoliberal positions and philosophical conservatism. This alignment reveals several conceptual tensions between cultural evolutionism on the one hand and the defence of significant Western values on the other.
- Historicisme et lutte de classes chez José Carlos Mariátegui - Jean-Ganesh Leblanc