Contenu du sommaire : La colonialité du pouvoir en migration(s)
Revue | Migrations société |
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Numéro | vol. 32, no 182, octobre-décembre 2020 |
Titre du numéro | La colonialité du pouvoir en migration(s) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Immigration et terrorisme : « corrélation magique » et instrumentalisation politique - Vincent Geisser p. 3-13
La colonialité du pouvoir en migration(s) coordonné par Colette Le Petitcorps et Amandine Desille
- La colonialité du pouvoir aujourd'hui : approches par l'étude des migrations - Colette Le Petitcorps, Amandine Desille p. 17-28 Ce dossier recherche la forme de pouvoir que constitue la « colonialité » aujourd'hui, par l'examen de la gestion raciste, ethnique et genrée des déplacements d'individus et par l'analyse des rapports sociaux dans les espaces concernés par les migrations. Les contributions de ce dossier prennent pour objet les techniques de gouvernance des mouvements de population, les systèmes de règle satisfaisant la violence sur les personnes migrantes et les pratiques institutionnelles entretenant les rapports de subalternisation qui prennent leurs racines dans l'histoire des colonisations. Le double sens du titre indique que nous recherchons aussi les « voyages » de ces dispositifs de pouvoir dans l'espace et dans le temps, en scrutant leurs adaptations et leurs renouvellements en fonction de l'état des rapports de force dans les contextes précis que nous étudions.
- Le « nécropouvoir » dans le contrôle migratoire et ses implications genrées dans les périphéries postcoloniales françaises de l'Océan Indien - Nina Sahraoui p. 29-42 Cet article analyse la gestion migratoire à Mayotte à l'aune du concept de « nécropolitique » inspiré des écrits d'Achille Mbembe. Cette notion permet de rendre compte de l'exercice d'un pouvoir en périphérie postcoloniale qui expose les non-citoyens à de multiples violences. Dans un premier temps est mis en lumière le caractère systématique de pratiques dérogatoires telles que les arrestations expéditives et l'éloignement d'enfants sur la base de rattachements hâtifs à un adulte. La suite de l'article s'intéresse plus spécifiquement aux implications genrées de cette nécropolitique en examinant, d'une part, la façon dont la production de l'illégalité à grande échelle exacerbe la précarité des femmes comoriennes et, d'autre part, comment les risques létaux de la traversée deviennent une dimension de ces vies précaires. L'article s'appuie sur un travail de terrain de trois mois mené en 2017 auprès de femmes comoriennes, de professionnels de santé du secteur de la périnatalité, ainsi qu'auprès de diverses associations locales et nationales.
- Continuité coloniale et gestion démographique des Antilles françaises, 1950-1980 - Stéphanie Condon p. 43-57 Peu de temps après la transition des Antilles françaises du statut de colonie à celui de département d'outre-mer, les populations de ces territoires sont devenues la cible d'une politique active de réduction démographique. Le constat du « surpeuplement » des îles de la Guadeloupe et de la Martinique et la nécessité d'agir de façon urgente ont conduit les planificateurs de l'État, d'une part, à organiser le départ vers l'Hexagone de milliers de jeunes Antillais et, d'autre part, à adapter la loi nataliste afin de pouvoir encourager la limitation des naissances. En parallèle à ces actions, sous couvert d'une importation de compétences techniques ou administratives, de nombreux natifs de la métropole ont été envoyés dans ces territoires. Mais loin d'être des résidents de passage, nombreux sont ceux et celles qui s'y sont installés durablement et les flux se sont amplifiés. Cet article examine l'émergence d'une catégorie — les Métros — bénéficiant de conditions de vie privilégiées par rapport à la majeure partie des habitants des Antilles. Il s'agit ainsi d'explorer dans quelle mesure les politiques de réduction de la croissance de certaines catégories de population et l'encouragement de la migration de Français métropolitains vers les Antilles peuvent se lire comme des pratiques racialisantes et genrées et illustrant le cadre colonial de la gestion des populations. L'analyse s'appuie sur un regard croisé de diverses sources archivistiques, littéraires et statistiques.
- La judaïsation de la ville d'Acre : « diversité », « authenticité » et « identité méditerranéenne » comme moyens de déplacement des Palestiniens - Amandine Desille, Yara Sa'di-Ibraheem p. 59-75 Dans cet article, nous soutenons que les politiques néolibérales ont non seulement contribué à maintenir les processus de déplacement et de dépossession des Palestiniens dans les villes dites mixtes en Israël, mais ont également créé de nouvelles techniques et opportunités pour accélérer la judaïsation des quelques espaces palestiniens restants. Cette recherche vise à éclaircir les discours et les pratiques administratives relatifs aux mobilités de personnes (telles les personnes immigrées juives ou les touristes/visiteurs) qui constituent une composante majeure du maintien du régime colonial dans les espaces urbains d'Israël. À cette fin, les auteurs ont mené une enquête dans la ville d'Acre, une ville palestinienne avant 1948, aujourd'hui située dans le nord-ouest d'Israël. Les résultats révèlent qu'un changement radical dans les tentatives de judaïsation de la ville a eu lieu : à travers les discours et les politiques liés à des concepts tels que la « diversité », « l'authenticité », ou la marketisation d'Acre comme ville « méditerranéenne », nous constatons une catégorisation accrue de celles et ceux qui sont désirables ou qui ne le sont pas — Israéliennes et Israéliens de naissance, personnes immigrées originaires de diverses régions, Palestiniennes et Palestiniens —, et donc la permanence des catégorisations ancrées dans des hiérarchies coloniales.
- Muséologie et colonialité du pouvoir : L'exemple de la « participation » des diasporas africaines au processus de rénovation du Musée royal de l'Afrique centrale de Tervuren - Nouria Ouali p. 77-95 L'article propose d'analyser la dynamique entre les membres des diasporas africaines noires de Belgique et les représentants du Musée royal de l'Afrique centrale de Tervuren (mrac) lors de sa rénovation (2014-2018). Créé en 1898 dans le Palais des colonies de l'exposition universelle de Bruxelles sous le nom de « musée du Congo », ce musée (renommé en 2018 Africa Museum) incarne, pour ces diasporas, l'héritage colonial par excellence de la Belgique et constitue un terrain d'enjeux matériels (œuvres d'art/biens mal acquis durant la colonisation, décolonisation de la muséographie) et symboliques majeurs. L'analyse met en lumière la persistance du poids de l'héritage colonial et de la colonialité du pouvoir sur les diasporas africaines de Belgique qui s'est manifestée, en l'occurrence, dans la difficulté de celles-ci à faire valoir ses points de vue sur la rénovation et son aspiration à décoloniser l'approche muséale du mrac.
- La domestication des femmes pauvres. Histoire et échec d'une entreprise colonialiste ressassée à l'Île Maurice - Colette Le Petitcorps p. 97-112 Dans un village côtier de l'Île Maurice, une école de « techniciennes de maison » tente d'éduquer, d'hygiéniser et de rendre les femmes du village employables dans les emplois domestiques et hôteliers, afin de servir les nouveaux résidents étrangers de la côte. Peu de villageoises ont toutefois voulu suivre cette formation. Cet article vise à retracer la provenance et les objectifs du projet pédagogique de cette école, en analysant les cadres d'interprétation et les émotions de ses fondateurs, en recherchant l'histoire des catégorisations et des techniques d'éducation de ces femmes, et en tenant compte des tensions que les réfractaires à l'école introduisent dans les rapports sociaux qui encadrent l'action pédagogique. La démarche adoptée rend compte du dispositif colonial de pouvoir encore en vigueur aujourd'hui, qui a disséminé les normes de la bourgeoisie européenne de façon mondialisée, par la domestication des femmes pauvres, notamment par les réseaux religieux, pour contrôler la masse des travailleurs dans les métropoles comme dans leurs colonies. L'article montre également que les résistances de femmes à leur domestication dans le village côtier étudié participent au contexte dans lequel les techniques de pouvoir sur les femmes sont mises en œuvre et réélaborées.
- « La couleur du travail » : une anthropologie historique de la fabrique de la race dans la plantation - Cristiana Bastos, Colette Le Petitcorps, Amandine Desille p. 113-126 Cristiana Bastos a mené ses travaux aux États-Unis et au Portugal sur la biopolitique en contexte colonial, l'histoire de la santé, les dynamiques de populations liées aux mobilités transnationales et la production de catégories racialisées. Cet entretien revient sur les origines de son travail conceptuel en mettant l'accent sur les découvertes empiriques qui l'ont conduite à repenser les liens entre les migrations portugaises et la colonisation. Sont évoquées les expériences de terrain qui l'ont détournée de l'étude des colons dans l'empire portugais, pour explorer plutôt les vies des travailleurs engagés portugais, pris dans les flux transimpériaux de main-d'œuvre vers les économies de plantation telles le Guyana ou Hawaï. L'originalité de sa contribution au champ de recherches anthropologiques et historiques sur les plantations réside dans l'articulation de plusieurs régimes d'exploitation de la force de travail importée dans son analyse de la construction sociale des différences, ce qui est rendu explicite par l'étude du cas peu connu des travailleurs engagés portugais. Le projet de recherche ERC Advanced Grant The Colour of Labour. The Racialised Lives of Migrants qu'elle conduit actuellement à l'Université de Lisbonne est l'aboutissement de cette réflexion : celui-ci interroge les racines historiques de la racialisation dans la forme coloniale spécifique de la plantation agricole.
- Bibliographie sélective - p. 127-128
- La colonialité du pouvoir aujourd'hui : approches par l'étude des migrations - Colette Le Petitcorps, Amandine Desille p. 17-28
Varia
- « Entre-lieux » : les foyers de travailleurs migrants et la vie « entre » - Radoslav Gruev p. 131-150 Dans cet article nous nous intéresserons aux foyers de travailleurs migrants, pensés à l'origine comme des solutions provisoires pour des travailleurs eux aussi temporaires, à travers la notion d'« entre-lieu ». Cette dernière renvoie à la fois à l'idée de déplacement et à la migration, mais aussi à un espace de transition, de transaction et de passage, qui permet aux acteurs sociaux de s'inscrire dans des pratiques de l'entre-deux, dans des interstices de la vie sociale pouvant leur procurer certains avantages. Ce type de structure constitue à la fois une sorte de sas de (ré)intégration, mais aussi un moyen de rester plus longtemps dans une situation « entre ». L'exemple le plus parlant reste celui des immigrés âgés (les chibanis) qui effectuent des « navettes » entre leur lieu de résidence et leur pays d'origine, dans une situation de double absence/double présence, entre ici et là-bas, dans un espace essentiellement de l'entre-deux.
- « Entre-lieux » : les foyers de travailleurs migrants et la vie « entre » - Radoslav Gruev p. 131-150
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 143-150
Nouveautés documentaires du CIEMI
- Nouveautés documentaires du CIEMI - p. 151