Contenu du sommaire : Le corps humain selon Thomas d'Aquin : nature et destinée
Revue | Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques — RSPT |
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Numéro | Tome 103, no 4, octobre-décembre 2019 |
Titre du numéro | Le corps humain selon Thomas d'Aquin : nature et destinée |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Préface : Qu'est-ce qu'un corps selon Thomas d'Aquin ? - Marta Borgo p. 571-581 Dans cet aperçu, la notion de corps, qui joue un rôle majeur dans la théologie de l'Aquinate, de la création à l'eschatologie, est étudiée dans une perspective philosophique. Les différents sens que Thomas attribue au mot « corps » sont notamment caractérisés, selon qu'il se réfère aux réalités extra-mentales ou à notre manière d'en comprendre et d'en analyser la structure. S'inspirant d'Aristote et Porphyre d'un côté, d'Avicenne de l'autre, Thomas distingue ainsi non seulement entre le corps en tant qu'accident quantitatif et en tant que détermination substantielle, mais aussi entre le corps pris en tant que partie d'un être corporel et en tant que tout. Parmi d'autres aspects, la relation que le corps entretient avec la matière est précisée.In this overview, the notion of the body, which plays a major role in Aquinas' theology, from creation to eschatology, is explored from a philosophical perspective. The different meanings that Thomas attaches to the word « body » are notably characterized, depending on whether it refers to extra-mental realities or to our way of understanding and analyzing their structures. Inspired by Aristotle and Porphyry on the one hand, and by Avicenna on the other, Thomas thus distinguishes not only between the body as a quantitative accident and as a substantial determination, but also between the body taken as a part of a bodily being and as a whole. Among other matters, the body's relationship with matter is clarified.
- De l'aimant à l'homme : propriété occulte, âme et hiérarchie des formes chez Thomas d'Aquin - Nicolas Weill-Parot p. 583-601 Dans le De operationibus occultis naturae, Thomas d'Aquin explique la notion de propriété occulte découlant de la forme spécifique des choses inanimées, qui rend compte de phénomènes inexplicables par le seul agencement des qualités premières, conformément à un cadre philosophique et médical hérité en partie de Galien et Avicenne. Pour Thomas, ces propriétés ne sont qu'un étage dans une présentation d'un ordre hiérarchisé des êtres définis par l'union hylémorphique et couronné par l'homme, dont la forme substantielle est l'âme. On trouve des parallèles à cette construction dans le De mineralibus d'Albert le Grand. D'autres occurrences dans le corpus des œuvres de Thomas d'Aquin, où l'aimant doté d'une propriété attractive est comparé à l'homme doté d'une âme, permettent de mieux comprendre pourquoi Thomas d'Aquin accepte les propriétés occultes spécifiques ou substantielles, mais rejette les propriétés occultes individuelles ou accidentelles.In De operationibus occultis naturae, Thomas Aquinas explains the notion of occult properties arising from the specific forms of inanimate things, which accounts for phenomena that cannot be explained by the mere arrangement of primary qualities, in accordance with a philosophical and medical framework partly inherited from Galen and Avicenna. For Thomas, these properties are only one level in a hierarchically ordered array of beings defined by the hylemorphic union and crowned by man, whose substantial form is the soul. One finds parallels to this construction in Albert the Great's De mineralibus. Other occurrences in Thomas Aquinas'works, where the magnet endowed with an attractive property is compared to man endowed with a soul, allow us to better understand why Thomas Aquinas accepts specific or substantial occult properties, but rejects individual or accidental occult properties.
- Génération charnelle et transmission du péché originel chez Thomas d'Aquin - Iacopo Costa p. 603-623 Cette étude explore la position de Thomas d'Aquin au sujet du rôle de la chair dans la transmission du péché originel. Elle montre la différence entre la position définitive de Thomas à ce sujet (notamment dans le De malo) et celle, plus proche d'Albert le Grand et de Bonaventure, qu'il avait soutenue dans son Commentaire des Sentences.This study explores Thomas Aquinas' position on the role of the flesh in the transmission of original sin. It shows the difference between Thomas' definitive position on this subject (namely in the De malo) and that, closer to Albert the Great and Bonaventure, which he had supported in his Commentary on the Sentences.
- Tommaso d'Aquino Sulla Complessione corporea - Gabriella Zuccolin p. 625-648 Au Moyen Âge, la théorie médicale de la complexio n'est pas confinée dans le domaine restreint de la théorie ou de la pratique de la médecine. Elle implique une anthropologie déterminée, qui ne concerne pas seulement la santé et le bien-être de l'homme, mais, dans certaines limites, la nature même de celui-ci ou, pour mieux dire, la manière dont la nature spécifique de l'homme s'articule avec la variété et la différence des tempéraments et des dispositions individuelles : ce qu'est chaque individu dépend de la complexion qui lui est propre. Cette anthropologie médicale dépasse les limites de sa discipline et pénètre aussi la théologie, par une série d'implications, pas toujours prévisibles, qui concernent la place de l'homme dans l'univers, l'eschatologie, la démonologie et aussi la christologie. Le but de cette étude est de rendre compte de certaines de ces implications en regard de la pensée de Thomas d'Aquin. Les différents lieux où Thomas étudie la complexion corporelle – il en considère les implications dans les domaines intellectuel et moral – montrent une sorte d'assimilation de l'anthropologie médicale (indirectement galénique, mais surtout avicennienne) à l'intérieur de son horizon de pensée, constitué par la philosophie naturelle aristotélicienne et par les exigences propres à sa théologie.The medical theory of complexio was not confined to the restricted field of medicine during the Middle Ages: it conveyed a precise anthropology, in which not only the health of the human being comes into play, but, within certain limits, its very nature, or rather the way in which this specific nature manifests in a variety of individual dispositions. What each individual is, ultimately depends on her/his complexio. This peculiar medical anthropology crosses disciplinary boundaries and enters the strictly theological field, through a series of sometimes unpredictable implications that affect the place of human beings in the Universe, eschatology, demonology and even Christology. My contribution tries to give an account of some of these aspects with respect to Thomas Aquinas. The different places in which Thomas dwells on the theme of bodily complexio, and considers its different implications in both the intellectual and moral field, show a kind of assimilation of medical anthropology (indirectly through Galen, but mainly through Avicenna) within his own horizon of thought, constituted by Aristotle's natural philosophy and Aquinas own theological requirements.
- Transmutatio corporalis. Le corps et les passions selon Thomas d'Aquin - Carla Casagrande p. 649-671 Dans cet article j'analyse le concept de transmutatio corporalis dans la théorie des passions de Thomas d'Aquin. Je prends en considération surtout le traité sur les passions contenu dans la Somme de théologie, mais aussi d'autres textes du maître dominicain : le Commentaire sur les Sentences, les Questions disputées sur la vérité, le bref traité Sur le mouvement du cœur. Tout d'abord, je montre comment l'idée de transmutatio corporalis est essentielle pour la définition thomasienne de la passion, puis j'identifie en quoi consiste cette modification corporelle dans les principales passions. Je termine avec l'analyse de la transmutatio corporalis dans la dynamique entre l'âme et le corps, m'arrêtant notamment sur l'idée de la redundantia, à savoir le processus circulaire par lequel l'âme modifie le corps et le corps modifié intervient sur l'âme.This article analyses the concept of transmutatio corporalis within Aquinas' theory of passions. It analyzes above all the Treatise on passions included in the Summa Theologiae, but also other texts of the Dominican master: the Commentary on the Sentences, the Disputed Questions on Truth, the brief treatise On the Movement of the Heart. First of all it shows how much the idea of transmutatio corporalis is essential for the Aquinas' definition of passion, then it identifies what constitutes bodily modification in the main passions of the Aquinas'system. It concludes with an analysis of the transmutatio corporalis in the dynamics between soul and body, stopping in particular on the idea of redundantia, that is, the circular process through which the soul modifies the body and the modification of the body intervenes to modify the soul.
- L'anatomie du corps ressuscité comme matrice anthropologique chez Thomas d'Aquin - Catherine König-Pralong p. 673-687 En enquêtant sur la nature du corps ressuscité, cet article montre que la théologie des mystères de Thomas d'Aquin abandonne les principes péripatéticiens de sa théologie spéculative et de sa philosophie. Le corps ressuscité manifeste la perfection de la nature individuelle en supprimant la nature spécifique. Se démarquant de longues traditions physicalistes (corpusculaires) initiées par les Pères de l'Église, Thomas d'Aquin conçoit le corps ressuscité comme un « vivant ». Pour l'au-delà, le modèle biologique aristotélicien se révèle cependant caduc, puisque les corps ressuscités, bien qu'ils « vivent », n'y sont plus ordonnés à la perpétuation et à la perfection de l'espèce. La réalité du paradis n'est plus celle de l'espèce, d'un tout qui serait plus que la somme de ses parties, mais celle de singuliers ressuscités comme âmes rationnelles informant des corps individuels, sans que soient réalisées les fonctions vitales dont l'homme fait l'expérience sur terre. L'anatomie du corps ressuscité fonctionne ainsi comme matrice anthropologique chrétienne maximisée, qui soustrait l'homme à l'ordre de la nature pensée sur un mode spéciste.By investigating the nature of the resurrected body, this article shows that Aquinas' theology of the mysteries abandons the peripatetic principles of his speculative theology and his philosophy. The resurrected body manifests the perfection of the individual nature by suppressing the specific nature. Departing from long-held physicalist (corpuscular) traditions initiated by the Fathers of the Church, Aquinas conceives of the resurrected body as « living ». For the afterlife, the Aristotelian biological model proves obsolete, since resuscitated bodies, though « living », are no longer ordered to the perpetuation and perfection of the species. The reality of paradise is no longer that of the species, that is, of a whole which would be greater than the sum of its parts, but that of singulars resurrected as rational souls informing individual bodies, without the vital functions man experiences on earth. The anatomy of the resurrected body thus functions as a maximized Christian anthropological matrix, which removes man from the order of nature thought out in a speciesist mode.
- La Sépulture comme aumône corporelle : Son inscription dans le septénaire des œuvres de miséricorde - Jean-Christophe de Nadaï p. 689-702 Chez les prédécesseurs de Thomas, l'aumône corporelle de la sépulture semblait devoir se résoudre dans l'aumône spirituelle de la prière en faveur du défunt, par l'avertissement que procure ce signe qu'est le tombeau. Thomas lui-même recueille cette tradition dans le Scriptum super Sententiis, mais l'infléchit notablement dans la Somme : elle est un acte de piété à l'adresse du corps lui-même, prenant le relai de l'affection, proprement humaine, que le défunt avait de sa propre chair.In Thomas's predecessors, the corporal alms of burial seemed to be resolved in the spiritual alms of prayer on behalf of the deceased, by the warning provided by the sign that is the tomb. Thomas himself recovers this tradition in the Scriptum super Sententiis, but redirects it noticeably in the Summa : it is an act of piety addressed to the body itself, following up on the properly human affection that the deceased had for his own flesh.
- E. Przywara et l'« école » Maréchal-Heidegger. La culture du « problématique » - Julien Lambinet p. 703-732 Toute une génération de penseurs catholiques allemands du XXe siècle a cru pouvoir se rattacher à la pensée de la finitude développée par M. Heidegger pour la faire dialoguer avec, d'une part l'idéalisme allemand, et d'autre part surtout, la métaphysique de Thomas d'Aquin et l'ouverture à Dieu Ipsum esse per se subsistens qu'elle semblait ménager via la différence ontologique. À cet égard, ils effectuaient bon gré mal gré une tentative de conciliation toute kantienne en ses origines, entre le thomisme transcendantal du jésuite belge J. Maréchal et la pensée de Heidegger. Przywara, en dépit d'un apparent souci commun de concilier métaphysiques de la « finitude » et de l'« infinitude », n'épargne pas ce qu'il appelle « école heideggerienne catholique ». Nous tâcherons de comprendre ici précisément pourquoi, en donnant un aperçu de la lecture effectuée par le jésuite allemand, tant des entreprises maréchalienne et heideggerienne pour elles-mêmes que de quelques tentatives de leurs confrontations.A whole generation of twentieth-century German Catholic thinkers believed they could engage with the thought of finitude developed by Mr. Heidegger to bring it into dialogue with German idealism on the one hand, and above all, on the other hand, with Aquinas' metaphysics and the openness to God, Ipsum esse per se subsistens, for which it seemed to find a place by way of the ontological difference. In this regard, they carried out, willy-nilly, an attempted a reconciliation, entirely Kantian in its origins, between the transcendental Thomism of the Belgian Jesuit J. Marechal and the thought of Heidegger. Przywara, despite an apparent common concern to reconcile the metaphysics of « finitude » and « infinitude », is unsparing with what he calls « the Heideggerian Catholic school ». Here we try to understand precisely why, by providing an overview of the reading advanced by the German Jesuit, both of the Marechalian and Heideggerian enterprises themselves, as well as of some attempts at confrontating them with one another.
- Recensions et notices - p. 733-746