Contenu du sommaire : Mobilisations antifascistes

Dans les années 1920-1930, le mouvement ouvrier européen est traversé par des luttes politiques et des débats stratégiques autour de la montée du fascisme. Ces débats sont ici restitués par Ugo Palheta qui revient sur la complexité des positionnements antifascistes avancés par les communistes (y compris oppositionnels) et sociaux-démocrates. Il analyse leurs effets dans le rapport de forces avec les forces fascistes des pays concernés et vise à éclairer les stratégies contemporaines.

L'alliance entre antifascisme et féminisme a été puissamment réactivée ces dernières années face à la montée en Espagne d'un parti d'extrême droite, VOX, qui a fait de l'antiféminisme un de ses signes d'identité. Les féministes actuelles revendiquent à nouveau, comme ce fut le cas lors du passage à la démocratie en 1975, l'héritage des féministes antifascistes des années 1930. Mercedes Yusta Rodrigo met au jour le caractère en réalité complexe et conflictuel des rapports entre antifascisme et féminisme pour ces militantes engagées dans les années qui vont de la Seconde République au début de la dictature de Franco, afin de retracer la généalogie perdue des féministes antifascistes.

L'hégémonie conquise par les droites italiennes à partir des années 1990 a imposé une relecture falsificatrice des antifascismes de l'entre-deux-guerres, d'autant plus virulente que, à l'instar des « valeurs de la Résistance » en France, « l'antifascisme » avait servi de référent unificateur commode à l'ensemble du champ politique depuis la Seconde guerre mondiale. L'une des opérations majeures consiste à dépolitiser l'antifascisme en le détachant de tout horizon anticapitaliste et à le circonscrire à une « parenthèse » historique définitivement close. Or, ce que montre en particulier l'analyse du mouvement laïque et non communiste Giustizia e Libertà, c'est que l'antifascisme le plus actif est d'emblée conçu pas seulement de manière défensive mais comme une lutte perpétuelle pour l'émancipation de toutes les oppressions.

Depuis 1945, la thématique du « fascisme » est réapparue à plusieurs périodes de l'histoire italienne, mettant inévitablement en jeu des acteurs politiques et sociaux différents. Cette récurrence de la question du « fascisme », ou plutôt du « néofascisme », a souvent été lue de manière approximative, à partir d'explications apparemment évidentes mais trompeuses du point de vue d'une lecture historique globale. C'est le cas, par exemple, de l'idée que l'Italie n'aurait jamais complètement affronté le fascisme et que, par conséquent, un fonds de chemise noire serait toujours resté attaché aux Italien·nes comme une ancienne malédiction. De manière tout aussi triviale, on présume, surtout à gauche au cours des dernières décennies, une sorte de trait biologique du peuple italien, lié à l'absence fantomatique d'un « processus de Nuremberg » italien ou, en trivialisant encore davantage, à l'amour congénital de l'Italie pour « l'homme fort ». En réalité, un regard historique plus attentif peut restituer l'action et le poids politique et social des néofascistes à certaines périodes spécifiques, et dresser ainsi une carte des « acteurs antifascistes » qui, dans les différentes phases, se sont mobilisés.

Le parcours antifasciste du Parti communiste de Yougoslavie a été une importante source d'inspiration pour la gauche mondiale dans la seconde moitié du XXe siècle. Pour l'essentiel de la gauche non stalinienne, la tactique du Front populaire est une forme « défensive » et « opportuniste » de collaboration des ouvrier·ères et des paysan·es avec la bourgeoisie, qui a produit un fiasco en France et en Espagne. Pourtant, le Front populaire a connu de multiples incarnations divergentes. En Yougoslavie, cette stratégie d'alliance a permis au parti communiste dirigé par Josip Broz Tito de jouer un rôle de premier plan au sein de la coalition avec la bourgeoisie, assurant le contrôle du mouvement antifasciste et l'orientant vers une politique anticapitaliste révolutionnaire. Cette réussite repose en partie sur un contexte spécifique à la Yougoslavie ; elle montre néanmoins les perspectives qu'ouvre une orientation offensive de la stratégie de Front populaire.

Comment on les a eus la dernière fois… et pourquoi ce sera différent cette fois. Quelle a été et quelle doit être la place de l'activisme culturel dans la lutte contre le fascisme ? David Renton revient sur l'histoire de Rock Against Racism, de la Anti Nazi League, à partir de son livre Never Again : Rock Against Racism and the Anti-Nazi League 1976-1982 (Londres, Routledge, 2018).

Au-delà du kitsch et de la pompe du marketing, les Clash ont encore quelque chose à nous apprendre sur l'art en tant que site de lutte. Il n'y a pas que les images de leur performance lors du Carnaval Against Nazis, organisé à Londres en avril 1978 par Rock Against Racism et la Anti-Nazi League. Comme l'écrit Alexander Billet, « l'importance des Clash ne réside pas tant dans leur « génie » que dans leur décision de participer en tant qu'artistes à un monde chaotique et sombre […]. Au-delà de la déflagration sonore surproduite par le marketing, les Clash étaient prêts à plonger tête baissée dans la contradiction et à tirer sur ses points de suture jusqu'à ce qu'ils sautent. »

Dans cette contribution, Paul Guillibert revient sur les reconfigurations idéologiques de l'extrême droite en se focalisant sur ce qu'il est convenu de nommer « l'écofascisme ». L'auteur précise la rationalité typique de ce phénomène politique au carrefour d'une idéologie raciste et néo-malthusienne, en explicitant à la fois ses racines historiques et ses dimensions nationalistes, racistes et patriarcales. Face à ce phénomène, l'auteur appelle à l'articulation du militantisme antifasciste avec le militantisme écologiste.

Le 2 septembre 2019, Iannis Delatolas, membre de Marx21, a retrouvé Petros Constantinou pour parler du travail que mène KEERFA (Mouvement uni contre le racisme et la menace fasciste) pour construire un front uni face au racisme anti-immigré et au fascisme en Grèce. En 2012, l'entrée d'Aube dorée au Parlement grec a provoqué une onde de choc dans le monde entier. Cette organisation néo-nazie violente a tenté de tirer profit de la crise économique et politique en Grèce. La crise humanitaire provoquée par les mesures d'austérité sauvages et la réduction des dépenses sociales, et les licenciements (alias Mémorandum d'accord) imposés par l'UE, le FMI et la BCE ont créé des souffrances, un climat de peur et d'incertitude qu'Aube Dorée a tenté d'utiliser. Sa présence au Parlement a servi d'écran à ses commandos de rue, et ses bureaux parlementaires ont permis aux troupes de souffler entre deux attaques violentes. Les victimes étaient des migrant·es, des réfugié·es, des personnes LGBTQ, des anarchistes et des gauchistes. Le mouvement antifasciste a alors émergé, après le meurtre de l'artiste hip hop Pavlos Fyssas – pour lequel 7 cadres d'Aube Dorée viennent (octobre 2020) d'être condamnés, pour « avoir dirigé et appartenu à une organisation criminelle ». L'interview revient sur le rôle que le KEERFA a joué dans l'organisation d'un front uni contre le racisme et le fascisme, et qui a conduit à la crise actuelle d'Aube Dorée.

Selon l'eurodéputé Anticapitalistas (ex-Podemos) Miguel Urbán [2], le parti Vox, fondé en 2013 à partir d'une scission du Parti Populaire, représente à la fois « le franquisme sociologique » et les secteurs les plus conservateurs, héritiers du national-catholicisme espagnol et actuellement regroupés dans divers mouvements extra-institutionnels tels que la plateforme Hazte Oír ou le Forum espagnol de la famille, qui a popularisé la notion d' « idéologie du genre » (formulée par le pape François). Cette forme d'organisation rappelle ainsi celle du Tea Party nord-américain. Vox mène un intense travail de requalification des violences de genre en « violences intrafamiliales » pour défaire la politisation féministe du sujet et recadrer les faits de violence en termes de relation inter-individuelle. Il recourt également à la « racialisation du sexisme » [3], en imputant les faits de violences sexuelles dans l'espace public aux migrants, voire à leur culture musulmane et/ou africaine. Enfin, il attaque les politiques de lutte contre les violences de genre directement au sein des institutions andalouses [4]. Dans cet entretien, nous revenons avec deux militantes sur les résistances féministes antifascistes qui se sont déployées depuis 2018 en Andalousie, Ana Luna et Auxi Leon. Toutes deux militent au sein du mouvement féministe autonome, la tendance libertaire du féminisme espagnol. Ana Luna, 25 ans, originaire de Málaga, est étudiante et fait partie du collectif féministe non mixte « Café feminista ». Auxi León, 37 ans, originaire des Canaries, réside en Andalousie depuis 17 ans. Elle fait partie du collectif « La Medusa » et est journaliste pour le média féministe indépendant La Poderio. Elle travaille au sein de l'ONG « Mujeres en Zonas de Conflicto ».

En octobre 2019, une mobilisation massive a débuté à partir de la hausse des tarifs des transports publics à Santiago du Chili, débouchant sur la déclaration de l'état d'urgence par le gouvernement chilien, d'un couvre-feu et la concession de pouvoirs extraordinaires à la police et l'armée dans la gestion de l'ordre public. María Belén Fernández Cáceres et Jorge Costa Delgado reviennent sur le déroulement d'un scénario qui a pu rappeler la dictature de Pinochet, trente ans plus tard, pour mettre en évidence l'intérêt du cas chilien pour qui interroge le sens de politiques qu'il convient de qualifier de fascistes et la manière de lutter contre elles. L'exemple le plus évident en est l'impunité de la répression policière et des violations des droits humains, justifiée dans les discours présidentiels par la désignation d'un ennemi intérieur dont il faudrait purifier la Nation, et la manière dont les manifestant.es réussissent à lui résister.

Le durcissement de la répression du régime de R. Erdogan depuis 2015, dirigée contre les minorités ethniques et culturelles, les droits des femmes et les oppositions tant institutionnelles qu'issus de la société civile, a mené à une réorganisation de la résistance en Turquie. Buket Turkmen s'appuie sur plusieurs mobilisations de femmes depuis le mouvement de Gezi pour montrer comment ces activistes développent des résistances discrètes tout en se remobilisant lors de manifestations féministes récentes.

Le régime politique indien, sous la houlette depuis 2014 du « parti indien du peuple » (BJP) et du premier ministre Narendra Modi, s'apparente de plus en plus clairement à un régime fasciste. Le réseau des organisations affiliées au Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), « organisation volontaire nationale » créée en 1925 par appropriation de la matrice mussolinienne, et dont le BJP est l'aile politique, a conquis un grand nombre d'institutions centrales comme locales tout en intensifiant ses pratiques de terreur (harcèlements, lynchages, fake news… contre les minorités en particulier religieuses et contre les opposant·es) et en emportant largement la bataille idéologique. Le rouleau compresseur de la « Hindutva » (« indianité ») a pourtant semblé se fissurer début 2020 suite aux mobilisations de masse contre de nouvelles lois sur la citoyenneté ciblant explicitement les minorités musulmanes, finalement suspendues par le gouvernement en invoquant la pandémie du Covid-19. Aminah Mohammad-Arif revient ici sur les différentes forces mobilisées contre la normalisation fasciste d'une société comptant plus d'un 1/6e de la population mondiale.

Il existe aujourd'hui en France de nombreuses organisations qui se définissent spécifiquement comme antifascistes. Nous avons souhaité en réunir quelques-unes pour une table ronde qui permette à la fois de mieux les faire connaître et de contribuer à la discussion de leurs analyses, de leurs options stratégiques et de leurs pratiques militantes. La conjonction des agendas militants et sanitaires en a décidé autrement. Trois collectifs ont néanmoins pris le temps de répondre par écrit ou enregistrements audios à quelques questions communes. On y voit des différences d'appréciation, d'élaboration et d'intervention, liées notamment à des analyses différentes du fascisme et de la manière dont il progresse et s'enracine, mais aussi à la vocation spécifique de chaque organisation : La Horde se veut un outil transversal au service des groupes antifascistes, tels que La Jeune Garde Lyon et l'Action Antifasciste Paris-Banlieues (AFA-PB), eux-mêmes forgés dans des contextes sociaux, politiques et militants différents. Mais on y voit également d'indéniables convergences – autour notamment de la perception d'une urgence antifasciste, de l'ancrage dans une histoire qui est aussi une alliance entre générations militantes, ou encore de la double nécessité de l'autonomie antifasciste et de son articulation avec les luttes de classe, antiracistes, féministes et écologiques.

Auteur de nombreux ouvrages très fouillés sur les extrêmes droites, René Monzat fait aussi partie des fondateur·trices et animateur·trices de Ras l'front. De 1990 à la fin des années 2000, ce réseau à la fois très dense et peu centralisé a été l'un des fers de lance de la lutte antifasciste en France. D'abord militant d'extrême gauche investi dans de nombreuses mobilisations (des luttes lycéennes à la solidarité avec les luttes démocratiques dans les pays du bloc de l'Est, en passant par le syndicalisme étudiant et évidemment le combat antifasciste), René Monzat revient dans cet entretien sur la trajectoire de Ras l'front, ce qu'a été sa stratégie dans la lutte contre l'ascension du Front national, les apports mais aussi les limites de ce mouvement. Il s'interroge pour finir sur ce que pourrait être l'antifascisme aujourd'hui, plaidant pour une connexion plus étroite avec l'antiracisme politique et la nécessité d'un projet de société alternatif au néolibéralisme comme aux extrêmes droites identitaires.