Contenu du sommaire : Politique(s) des dystopies
Revue | Quaderni |
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Numéro | no 102, hiver 2020-2021 |
Titre du numéro | Politique(s) des dystopies |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Maquetter une revue : des formes aux positionnements scientifiques et des positionnements aux formes - Olivier Bertrand, Étienne Candel p. 5-8
- Éditorial : Chaque jour, la fin du monde - Emmanuel Taïeb, Étienne Candel p. 9-11
- Avant-propos : Retour vers le futur ? La dystopie aujourd'hui - Cécile Leconte, Cédric Passard p. 13-24
- Entre désenchantement et problématisation : le cyberpunk comme panorama - Yannick Rumpala p. 25-38 Le cyberpunk a renouvelé et marqué la littérature de science-fiction des années 1980 avec un agencement de motifs empreints d'exubérance technologique (notamment tout ce qui touche au « cyber »), sur fond de néo-féodalisme économique et de décrépitude sociale (l'aspect « punk »). Si le critère pour définir une dystopie est la dégradation des conditions d'existence pour la grande majorité d'une population, les représentations du cyberpunk semblent largement y répondre. Une des forces apparentes de ce courant est d'avoir remis les évolutions et avancées technologiques dans des dynamiques socio-économiques de fond, celles d'un technocapitalisme en devenir, et d'en donner aussi à voir les contreparties potentielles sous la forme de pathologies sociales. Cette contribution prolongera ainsi l'idée selon laquelle la fiction, y compris dans sa version anticipatrice et spéculative, peut être considérée comme un laboratoire pouvant aider à la compréhension d'évolutions et tendances sociales. À partir d'un corpus principalement littéraire, il s'agira de mettre en relief les dimensions structurantes du cyberpunk pour sérier les éléments qui sont problématisés et montrer ce que les hypothèses ainsi déplacées temporellement vers un futur à coloration dystopique peuvent apporter à la pensée politique.Cyberpunk renewed and marked the science fiction literature of the 1980s with an arrangement of motifs imbued with technological exuberance (especially everything related to the “cyber” dimension), against a backdrop of economic neo-feudalism and social decay (the “punk” aspect). If the criterion for defining a dystopia is the deterioration of living conditions for the vast majority of a population, the representations of cyberpunk seem to largely answer it. One of the apparent strengths of this current is to put technological evolutions and advances in profound socio-economic dynamics, those of a technocapitalism in the making, and also to show the potential counterparts in the form of social pathologies. This contribution will thus extend the idea according to which fiction, including in its anticipatory and spe-culative version, can be considered as a laboratory that can help in understanding social developments and trends. From a mainly literary corpus, it will be a question of highlighting the structuring dimensions of cyberpunk to classify the elements which are problematized and show what the hypotheses thus shifted temporally towards a future with dystopian colouring can bring to political thought
- Les récits de désastre global entre lenteur dystopique, précipitation collapsologique et instantanéité apocalyptique - Luc Semal p. 39-54 Depuis la rubrique « science-fiction » publiée dès les années 1970 dans le mensuel écologique La Gueule ouverte et jusqu'à nos jours, les récits science-fictionnels de dystopie ou de désastre global constituent une source de réflexion et un espace de réflexivité pour l'écologie politique. Cette fonction s'accentue aujourd'hui, dans un contexte d'assombrissement des horizons écologiques et climatiques, et à mesure qu'un hypothétique développement durable perd peu à peu en plausibilité. Cet article vise à étudier pourquoi l'extraordinaire diversité des récits de désastres globaux peut aider à identifier et problématiser les questions que soulève l'écologie politique quand elle s'efforce d'imaginer, à l'ombre de la catastrophe amorcée, le devenir des sociétés humaines dans les décennies à venir, et au-delà. Il s'agira notamment de relativiser la notion d'effondrement en la réinscrivant dans un paysage plus vaste, à partir de trois questions : celle du régime de responsabilité à l'origine du désastre, celle du caractère répétitif ou inédit du désastre, et celle du rythme de concrétisation du désastre – entre lenteur dystopique, précipitation collapsologique et instantanéité apocalyptique.From the « Science Fiction » column appearing as early as the 70s in the ecologist newspaper La Gueule ouverte, and up to the present day, sci-fi narratives of global dystopia or disaster have provided green politics with food for thought and a space for reflexivity. This function is intensifying nowadays, in a context of darkening ecological and climatic horizons, and as sustainable development gradually loses credibility. This paper aims to explore how the extraordinary diversity of global disaster narratives can help to identify and problematise the questions that green politics raises as it tries to imagine, in the shadow of the disaster that has begun, the future of human societies in the coming decades and beyond. In particular, the notion of collapse will be put into perspective by inscribing it into a broader landscape, through three key issues : exploring who or what is responsible for the original disaster, the repetitive versus unprecedented nature of the disaster, and the tempo at which the disaster is occurring – be it slow dystopia, fast collapse or instantaneous apocalypse.
- Un futur noir sans futur. Politique de la dystopie et politique du temps dans deux épisodes de "Black Mirror" - Antoine Faure, Macarena Urzúa Opazo p. 55-70 La série Black Mirror (Channel 4 2011-2014, Netflix 2014) est une dystopie dont le travail de sérialisation joue sur un imaginaire politique. Ce texte porte sur la dimension politique des temporalités de la dystopie lorsqu'elle emprunte le format de la série et ses modes de circulation. Pour ce faire, les relations entre passé, présent et futur dans deux épisodes de Black Mirror seront questionnées, à partir de l'articulation entre le fond, la forme et le format de ceux-ci. En sondant la mise en abyme du « régime d'historicité » de Black Mirror, apparaît une dystopie présentiste, un futur noir sans futur, dont l'esthétique narrative remet en cause un discours recroquevillé sur des alternatives à court terme, dans un monde pourtant libéral et démocratique. L'analyse de Black Mirror montre comment une dystopie contemporaine met en scène une politique du temps en neutralisant le futur et les possibilités politiques, au sein d'une critique de l'immédiateté du présent et un passé rendu omniprésent par les archives algorithmiques.The TV show Black Mirror (Channel 4 2011-2014, Netflix 2014) is a dystopia, where the work of serialization plays a major role over a political imaginary. This article deals with the political dimension of dystopia's temporalities when it adopts a serial format and and its means of circulation. In order to do so, we question the relation between the past, the present and these future in two episodes of Black Mirror, starting with the articulation between their content, form and format. We propose, by a way of enquiring the “mise en abyme” of Black Mirror's “regime of historicity”, that a presentist dystopia appears. Thus, a dark future without a future, whose aesthetics narrative calls into question a discourse intertwined on short-term alternatives, in a world that is, however, liberal and democratic. This Black Mirror's analysis shows how a contemporary dystopia stages a politics of time by neutralizing the future and its political possibilities, within a critique of the present's immediacy and a past made omnipresent by algorithmic archives.
- Trepalium : quand une série dystopique participe de la dramaturgie des problèmes publics - Héloïse Boudon p. 71-86 Diffusée à l'hiver 2016, la mini-série française Trepalium inaugure le cycle de fiction dystopique de la chaîne franco-allemande Arte, mettant en scène une société alternative scindée en deux par un mur et ostracisant les citoyens sans-emploi. De fait, les thématiques afférentes sont développées au cours des intrigues : inégalités sociales, stigmatisation du chômage mais aussi souffrance au travail. Nous nous interrogeons sur la fonction d'opérateur qu'endosse la série dans la sphère publique, susceptible de mettre en visibilité des problèmes publics et d'en construire des cadrages successifs au fil de la narration. En ce sens, scénaristes, producteurs et diffuseurs peuvent se concevoir comme des « entrepreneurs de morale » recourant à la sérialité dystopique afin de parvenir à la construction d'une « dramaturgie » des problèmes publics par le truchement de l'univers diégétique.Broadcasted in the winter of 2016, the French mini-series Trepalium inaugurates the dystopian fiction cycle of the Franco-German channel Arte, imagining an alternative society split in two by a wall and ostracizing unemployed citizens. In fact, the related themes are developed during the intrigues : social inequalities, stigmatization of unemployment but also suffering at work. In this article, we question the function of operator that the series assumes in the public sphere, likely to highlight social problems and construct successive framing of them throughout the narration. In this sense, screenwriters, producers and broadcasters can conceive of themselves as “moral entrepreneurs” resorting to dystopian seriality in order to achieve the construction of a “dramaturgy” of social problems through the intermediary of the diegetic universe.
- Vers une réception politique des dystopies destinées aux jeunes :le cas des séries de films "Hunger Games", "Divergente" et "Le Labyrinthe" - Sandra Hamiche p. 87-104 Ce texte interroge la persistance de la dimension politique des dystopies dans le cadre de leur réappropriation par l'industrie hollywoodienne dans des films à destination de la jeunesse au cours des années 2010. À travers l'étude de la réception des trois séries de films dystopiques à succès Hunger Games, Divergente et Le Labyrinthe, il cherche à mettre en avant des conditions et processus d'appropriation politique de ces objets culturels par un public de jeunes français. Les résultats permettent de décrire certains des mécanismes sur lesquels pourrait s'appuyer une réception politique à savoir : le repérage d'une intentionnalité communicationnelle, l'attribution d'une dimension didactique à ces films ou encore, la discussion de leur réalisme.This survey questions the persistence of dystopias' political dimension within their Hollywoodian reappropriation in 2010's youth movies. Through a reception study of the three successful dystopian movie series The Hunger Games, Divergent and The Maze Runner, this text defines a set of political appropriation conditions and processes by a young audience. Results provide a description of some of the mechanisms on which a political reception could stand, among others : the identification of a communicational purpose in these films, the attribution of a didactic dimension, and the discussion of their realism.
- Capes rouges et bonnets blancs : une « contagion iconographique » de "The Handmaid's Tale" au service d'une internationalisation des mobilisations féministes ? - Florence Ihaddadene, Emily Lopez Puyol p. 105-124 La mobilisation de l'iconographie de la série télévisée The Handmaid's Tale par différents collectifs féministes permet de questionner les possibilités d'internationalisation et de circulation d'un message politique commun. À partir des entretiens réalisés avec des collectifs de France, États-Unis et Argentine — pays où ces mobilisations ont été particulièrement médiatisées — cet article propose d'analyser les différentes appropriations et effets de la dystopie comme stratégie esthétique. Que ce soit la dystopie comme crainte pour l'avenir ou comme dénonciation actualisée du passé, l'appropriation collective de ce déguisement reflète des inquiétudes communes bien plus que d'une idéologie collective. Si la question des violences faites aux femmes directement par l'Etat apparaît comme centrale, cette contagion iconographique contribue in fine à invisibiliser les fractures sociales qui traversent les mouvements féministes.The mobilization of the iconography of the television series The Handmaid's Tale by different feminist collectives allows us to question the possibilities of internationalization and circulation of a common political message. Based on interviews conducted with collectives in France, the United States and Argentina — countries where these mobilizations have been particularly well publicized in the media — this article proposes to analyze the different appropriations and effects of dystopia as an aesthetic strategy. Whether it is dystopia as fear for the future or as an updated denunciation of the past, the collective appropriation of this disguise reflects common concerns much more than a collective ideology. If the issue of violence against women directly by the state appears to be central, this iconographic contagion ultimately contributes to the invisibility of the social fractures that traverse feminist movements.
Interview
- « J'écris sur tout ce qui nous menace » : Une interview de Jean-Pierre Andrevon - Cécile Leconte, Cédric Passard p. 125-132
Politique
- L'apologie du catholicisme dans les romans de Michel Houellebecq : entre rétro-fiction conservatrice et progressisme dystopique - Yann Raison du Cleuziou p. 133-156 Bien qu'il ne soit pas catholique, Michel Houellebecq a fait l'apologie des positions éthiques du pape Jean-Paul II. Cet article analyse le sens de l'usage du catholicisme dans ses premiers romans. Le recours à l'ordre social chrétien sert à instruire par comparaison le procès de l'ordre social engendré par le libéralisme, ainsi qu'à décrire les fonctions d'intégration sociale que l'ordre futur devrait restaurer. L'avenir devra être religieux, comme le passé, et refermer la parenthèse du libéralisme. Mais c'est la science seule qui peut désormais assumer cette mission. Et cette transition du magistère des prêtres à celui des scientifiques n'est pas qu'un transfert d'autorité, c'est une redéfinition de l'humanité. L'Homo sapiens doit laisser place à un héritier scientifiquement « augmenté ». Dans les romans de Houellebecq, cette tension entre un passé définitivement révolu et un avenir indésirable est un ressort fondamental d'expression de la dimension tragique de l'existence des occidentaux à la fin du XXe siècle.Although he is not a Catholic, Michel Houellebecq has defended the ethical positions of Pope John Paul II. This article analyzes the meaning of the use of Catholicism in his early novels. The recourse to the Christian social order serves to instruct by comparison the process of the social order generated by liberalism, as well as to describe the functions of social integration that the future order should restore. The future must be religious, like the past, and close the parenthesis of liberalism. But it is science alone that can now take on this mission. And this transition from the magisterium of priests to that of scientists is not just a transfer of authority, it is a redefinition of humanity. Homo sapiens must give way to a scientifically “augmented” heir. In Houellebecq's novels, this tension between a past that is definitely gone and an undesirable future is a fundamental springboard for expressing the tragic dimension of the existence of Westerners at the end of the 20th century.
- L'apologie du catholicisme dans les romans de Michel Houellebecq : entre rétro-fiction conservatrice et progressisme dystopique - Yann Raison du Cleuziou p. 133-156
Livres en revue
- Paul Bacot, "La métropole de Lyon et les élections métropolitaines" - Cynthia Ghorra-Gobin p. 157-160