Contenu du sommaire : Affaires de foi. Éthiques et pratiques économiques au temps des Réformes religieuses
Revue | Revue de l'histoire des religions |
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Numéro | tome 237, no 4, octobre-décembre 2020 |
Titre du numéro | Affaires de foi. Éthiques et pratiques économiques au temps des Réformes religieuses |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Affaires de foi. Éthiques et pratiques économiques au temps des Réformes religieuses : Avant-propos - Marion Deschamp, Eléna Guillemard p. 507-510
- Martin Luther, entre économie de la foi et économie domestique - Marion Deschamp p. 511-539 En élaborant sa doctrine de la justification par la foi, Martin Luther a initié une redéfinition radicale de l'économie du salut. Celle-ci passe du modèle du rachat de la faute au modèle du don gratuit, valant effacement gracieux d'une dette par elle-même insolvable. Or, l'étude de son rôle dans la gestion des finances de son ménage mettra en évidence le lien existant entre cette nouvelle économie de la foi et la tenue de son économie domestique. Nous montrerons que les pratiques économiques de Luther semblent moins reposer sur une éthique fusionnant mode de vie ascétique et lucratif que sur une théologie de la gratuité. La place centrale accordée à l'économie du don gratuit, sans contredon, nous incitera à revisiter les thèses wébériennes sur l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme.Luther's doctrine of justification by faith alone resulted in a radically new understanding of the economy of salvation. Sinners could no longer redeem their sins, but were granted salvation as a free gift from God, who graciously cancelled the insolvent debt they owed him. By scrutinizing how Luther managed his personal finances, this paper aims to highlight the connection existing between this new economy of faith and his own household economy. I will argue that Luther's economic practices relied more on a theology of gratuity than on an ethic of both ascetic and lucrative way of life. The central role of an economy of free giving (without counter-giving) will allow us to take another look at Weber's theses on Protestant ethics and the spirit of capitalism.
- Calvin, la grâce et l'éthique de la dette - François Dermange p. 541-558 En insistant sur la grâce, la Réforme a voulu rompre avec une comptabilité des œuvres. En imputant aux élus les mérites du Christ, Dieu met à leur compte, sans préalable ni condition, ce qui vient les sauver, annulant toute dette à son égard. Cette conception de la grâce a-t-elle eu un effet transformateur sur les relations économiques et la dette ? À travers ses commentaires bibliques et ses sermons, Calvin s'efforce de montrer que oui. Sans remettre en cause la propriété et le crédit, il tente d'en limiter les dérives par un double critère : l'équité envers les débiteurs, rapportée à la justice divine, et la libéralité, rapportée à la grâce. Il fait des conséquences pour les pauvres le seul critère de jugement éthique des mécanismes de crédit. Cette perspective n'est pourtant pas parvenue à prendre forme dans le droit, restant cantonnée à la discipline ecclésiastique et à la seule appréciation des riches qui se voulaient hommes et femmes de bien.By insisting on grace, the Reformation wanted to break with the account-keeping of works. God imputes the merits of Christ to the chosen ones, and by doing so, unconditionally credits them with what saves them, cancelling any debt owed to him. But does this conception of grace have a transformative effect on economic relationships and debt? Calvin strives to ensure this. Without questioning the legitimacy of ownership and credit, he puts forward two criteria in order to limit their excesses: equity towards debtors, in relation to divine justice, and liberality towards the poor, in relation to grace. He makes consequences for the poor the only criterion for the ethical judgment of credit mechanisms. This perspective, however, failed to become a law, remaining confined to ecclesiastical discipline and to the sole discretion of the rich.
- Pierre Viret et la vraie charité. Le difficile renouvellement de la charité privée après la suppression du culte des morts à Lausanne - Claire Moutengou-Barats p. 559-578 La suppression des pratiques catholiques visant à assurer le salut du fidèle est l'un des changements clefs apportés par la Réforme. Dans cet article, je propose d'examiner la position encore peu étudiée du réformateur suisse Pierre Viret dans ce débat, à partir des années 1530. Je me penche sur le développement d'arguments d'ordre éthique, utilisés pour condamner les pratiques « superstitieuses » que Viret accuse de saper les bases de la charité chrétienne en permettant au fidèle de s'acheter le salut. En lieu et place de donner pour le « culte des morts »,Viret exhorte le chrétien à aider son frère pauvre dans le besoin, selon le message délivré par le Christ. Son discours laisse transparaître une sensibilité propre et des influences diverses (humaniste et zwinglienne notamment) qui permettent de réviser l'image de Viret comme simple épigone de Jean Calvin.One of the most important developments of the Reformation was the suppression of Catholic practices aimed at ensuring the salvation of the believer. In this article, I aim to examine the position of the Swiss Reformer Pierre Viret on this debate, from the 1530s onwards. I will especially look into his use of ethical arguments that lead him to condemn the “superstitious” practices undermining, in his view, the foundations of Christian charity by encouraging Christians to buy their salvation. Instead of giving to the “cult of the dead”, Viret exhorted the faithful to help poor brothers in need, according to the message delivered by Christ. His works denoted a specific sensitivity and a use of various influences (Humanism, Zwinglianism) that allow us to take another look at Viret´s reputation as a mere epigone of Calvin.
- La sécularisation : à quel prix ? Les religieuses au monde, enjeux économiques des Réformes (France, Suisse, Angleterre) - Eléna Guillemard p. 579-605 En renouvelant les discours sur la sécularisation des religieuses, les réformateurs protestants ouvrent la voie à une série de réflexions sur les aspects concrets de la sortie des couvents. La solution privilégiée est le mariage des ex-religieuses, à la fois palliatif économique et garde-fou contre tout débordement charnel. Les autorités protestantes peuvent choisir de financer ces mariages par des dots ou des pensions, alors que le pouvoir royal complique, en France, l'accès aux héritages des anciennes religieuses qui se seraient mariées, voire, en Angleterre, les force à divorcer. Or face aux constructions théoriques et juridiques, les parcours individuels de sécularisation des religieuses révèlent le plus souvent une précarisation sociale et économique, même dans le cas d'un mariage.By renewing discourses on the secularisation of nuns, protestant reformers opened the way to a series of reflexions, focusing on political and down-to-earth aspects of the departure from convents. The first solution offered to ex-nuns was marriage, which was considered as an economic and moral solution preventing carnal excesses. Protestant authorities would offer them dowries, whereas in France, these women struggled to inherit if they married, and, in Marian England, were even forced to divorce. The individual trajectories followed by secularised nuns must be questioned. Indeed, they reveal that this process mostly led this women to experience social and economic precarity, even in the case they were married.
- L'économie de l'asile. L'accueil des réfugiés en Suisse et en Allemagne au XVIIe siècle, entre charité et rentabilité - Naïma Ghermani p. 607-625 La question de la charité protestante, ou de la charité dans les pays protestants, a suscité une historiographie aussi vaste que nuancée. Celle-ci a beaucoup souligné la concomitance entre la sécularisation de la charité et le protestantisme. Quoique fort intéressante, la question de la sécularisation ou de la non-sécularisation des instances charitables connaît aussi ses limites. Cet article se propose à l'inverse d'interroger l'économie de la charité à partir de l'exemple de l'accueil des réfugiés religieux qui ont massivement cherché asile dans de nombreux pays d'Europe et notamment dans la Confédération helvétique. Il entend mettre en évidence les effets d'identification et d'exclusion que les registres et la comptabilité charitables mettent en œuvre.The question of Protestant charity or of the practice of charity in Protestant countries has generated a rich and nuanced historiography which has greatly emphasized the concomitant development of Protestantism and of the secularization of charity. Though of great interest, this debate on the secularization or non-secularization of assistance also proves to be limited. By contrast, this paper proposes to question the economy of charity on the basis of the example of the assistance given to religious refugees searching for asylum in numerous European countries, particularly in Switzerland. It intends to show the identification and exclusion mechanisms that the records and the charity account books produced.
- Economy and Confession: The Business Practices of Augsburg Merchant Companies in the Reformation Era - Mark Häberlein p. 627-646 Cet article explore la manière dont les débuts de la Réforme protestante ont affecté les stratégies commerciales et économiques des compagnies marchandes d'Allemagne du Sud, et avant tout celles qui rendaient des services commerciaux et financiers à l'Église catholique. Mise à part la compagnie des Fugger, dont les activités ont été étudiées en détail par Aloys Schulte et Götz von Pölnitz, cette approche s'applique particulièrement à la Compagnie des Welser d'Augsbourg, qui commerçait sur une base régulière avec la Curie et des membres du clergé. Fondé sur l'exploitation de sources nouvellement mises au jour, cet article déploie une perspective comparatiste pour analyser les changements des pratiques commerciales et financières des deux grandes compagnies d'Allemagne du Sud à l'ère de la Réforme, dans leurs relations avec l'Église.The essay examines how the coming of the Protestant Reformation affected the business strategies and economic practices of south German merchant companies – especially those firms that rendered important commercial and financial services to the Roman Church. Apart from the Fugger Company, whose activities in Rome have been studied in detail by Aloys Schulte and Götz von Pölnitz, this theme is especially relevant for the Welser Company of Augsburg, which regularly handled business transactions with the curia as well as with individual clergymen. Based on newly discovered sources, the article develops a comparative perspective on the changing commercial and financial practices of the pre-eminent south German mercantile companies of the Reformation era regarding their relations with the church.
- Économie de la foi : les bienfaiteurs laïcs des collèges et missions jésuites entre l'Europe et les Indes (XVIe-XVIIe s.) - Ariane Boltanski, Aliocha Maldavsky p. 647-673 Cet article explore les enjeux pour les laïcs de la participation au financement de collèges jésuites aux XVIe et XVIIe siècles entre l'Europe et les Indes. Dans la continuité de l'investissement nobiliaire dans les institutions religieuses, conçu au Moyen Âge comme une forme de caritas, l'engagement des laïcs à l'époque moderne renvoie aussi bien au devoir d'état, à des enjeux sotériologiques qu'à la défense de la foi et à sa propagation, notamment en contexte missionnaire. Pour les laïcs, participer à la fondation d'un collège jésuite implique l'exercice de droits, réels ou honorifiques, qui se heurtent à la volonté des jésuites de limiter leurs prérogatives. Le salut, espéré dans l'au-delà, s'entend comme un retour sur investissement, la charité demeurant incluse dans une économie de la grâce.This article explores the stakes of lay people's participation in the financing of Jesuit colleges in the 16th and 17th centuries between Europe, East and West Indies. In the continuity of noble investment in religious institutions, conceived in the Middle Ages as a form of caritas, the commitment of the laity in early modern times refers at the same time to the “duty of the state”, to soteriological issues and to the defence of the faith and its propagation, especially in missionary contexts. For lay people, participating in the founding of a Jesuit college implies the exercise of rights, real or honorific, which could butt up against the will of the Jesuits to limit their prerogatives. Salvation, hoped for in the afterlife, is understood as a return on investment, and charity remains included in an economy of grace.
- From Communalism to Capitalism: Mennonites and Money in the Early Dutch Republic - Mary S. Sprunger p. 675-703 Le comportement des mennonites d'Amsterdam au XVIIe siècle montre qu'un réseau social resserré par la participation à une communauté de culte distincte, ainsi que les enseignements anabaptistes d'une unité de foi et de pratique, ont contribué à leur réussite financière, au sein d'un milieu social, économique et politique fertile. Cet article explore la manière dont le communalisme économique radical cède la place, sous le régime de la tolérance, au capitalisme marchand des débuts, comme en témoignent la richesse des membres et la structure financière de l'Église même. Les mennonites urbains de l'âge d'or néerlandais évoluent pour fonctionner dans une société orientée par le profit, malgré les enseignements de Menno Simons.The behavior of 17th-century Mennonites in Amsterdam shows that a tight-knit social network formed by participation in a distinct worshipping community, coupled with Anabaptist theology that taught a unity of faith and practice, contributed to financial success given a fertile social, economic and political milieu. This case-study-based article explores how radical economic communalism prominent in early Dutch Anabaptism gave way under toleration to early merchant capitalism, evidenced not only in the wealth of individual members but in the financial structure of the church itself. The Dutch Golden Age urban Mennonites evolved to function in a profit-driven society, despite early teachings of Menno Simons.