Contenu du sommaire : Que peut l'État ?
Revue | Pouvoirs |
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Numéro | no 177, 2021/2 |
Titre du numéro | Que peut l'État ? |
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- La théorie de l'État en France face à son histoire - Grégoire Bigot p. 5-15 La théorie de l'État, qui date en France de la IIIe République, a pour objet de caractériser juridiquement l'État afin que les rapports politiques trouvent leur résolution dans des rapports de droit. A priori anhistorique, elle supporte mal l'épreuve de l'histoire. La juridicité de l'État est en effet à peu près nulle avant sa réinvention par les universitaires. Depuis le Moyen Âge, c'est le souverain incarné (le roi) ou la souveraineté désincarnée (la Couronne) qui sont les lieux d'imputation de la souveraineté et du droit. En 1789, c'est la Nation qui capte seule la souveraineté tandis que les droits sont posés au fondement du politique. Parce que le constitutionnalisme libéral est ainsi un constitutionnalisme sans État, la théorisation de l'État ne saurait être une opération politiquement neutre.The purpose of the theory of the state, which emerged in France under the Third Republic, is to provide a judicial definition of the state so that political relations may be resolved on the basis of legal relations. A priori a-historical, it has not stood the test of time so well. The judicialization of the state was practically inexistant before it was reinvented by scholars. From the Middle Ages, it was the sovereign incarnate (the king) or the sovereign desincarnate (the crown) that controlled sovereignty and the law. In 1789, it was the nation alone which embodied sovereignty, whereas rights partook of the foundation of politics. Because liberal constitutionalism does not take the state into consideration, the theorisation of the state cannot be a politically neutral operation.
- La force de l'État à la française - Pierre Birnbaum p. 17-24 La force de l'État à la française réside dans sa différenciation des institutions religieuses comme des puissances de l'économie et des pouvoirs politiques. Devenu un acteur solidement institutionnalisé grâce à son armée de fonctionnaires, il a construit sa nation de citoyens et pris en charge sa régulation économique, ce qui le distingue nettement des États britannique, allemand et américain, par exemple. Face aux défis externes contemporains (globalisation, construction européenne, etc.) ou internes (nouveau management, corruption, etc.), l'État chavire mais demeure pourtant fidèle à sa logique.The might of the state in France lays in its differentiation from religious institutions, economic forces and political powers. Having become a strongly institutionalized actor thanks to its army of civil servants, it has built a nation of citizens and taken charge of economic regulation, which distinguishes it clearly from the British, German and American states. Confronted with contemporary external challenges (globalisation, European construction), or domestic ones (new management, corruption, etc.), the state has vascillated, but has, however, remained true to its rationale.
- L'Europe, contrainte ou renfort ? - Myriam Benlolo-Carabot p. 25-37 Le sentiment d'une érosion inexorable des pouvoirs de l'État face à l'Union européenne est désormais largement répandu. Il repose sur des éléments divers qui tendent à présenter le droit de l'Union comme un ensemble monolithique, mis en œuvre par un pouvoir centralisé habilité à imposer la norme européenne, y compris dans le champ des compétences régaliennes de l'État. De telles assertions négligent la complexité et la spécificité de la contrainte européenne, laquelle diffère en fonction notamment des caractéristiques et du processus d'élaboration de l'acte adopté, de la nature de la compétence attribuée à l'Union ou de l'étendue des dérogations accordées aux États. Finalement, ce sont les termes du débat lui-même, en particulier la notion de « souveraineté », qui sont redéfinis, l'État trouvant dans l'Union un cadre renouvelé d'exercice de ses pouvoirs.The feeling of a relentless erosion of the power of the state at the hand of the European Union has become widespread. It is based on various elements which tend to present eu law as monolithic, and implemented by a centralized power allowed to impose European norms, includling to domains that fall within the sphere of competence of the states' sovereign powers. Such assertions ignore the complexity and specificity of the European constraint, which varies according to the characteristics and processes of elaboration of a particular law, the nature of the competence granted to the eu or the extension of the derogations accorded to the member states. In the end, the terms of the debate themselves—in particular the notion of “sovereignty”—are being redefined as the state finds in the Union a renewed framework to exercice its power.
- L'État a-t-il été affaibli par la décentralisation ? - Alain Rousset p. 39-48 Démontrant que le rapport de Michel Rocard Décoloniser la province n'a pas pris une ride, et rappelant l'intuition du général de Gaulle en 1969, l'auteur promeut une décentralisation digne de ce nom, sur le modèle des grands pays fédéraux, en appelant à la clarification des compétences, à la responsabilisation des régions et à leur émergence comme véritable classe moyenne institutionnelle. À travers un détour par « sa » Nouvelle-Aquitaine, il illustre tant ce qui fonctionne que le chemin qu'il reste à parcourir.Demonstrating that Michel Rocard's report Décoloniser la province (decolonizing the provinces) has not aged, and recalling General de Gaulle's 1969 intuition, the author promotes a decentralization worthy of the name, on the model of the large federal countries. He calls for a clarification of competences, the empowerment of the regions and their emergence as a real institutional middle class. Looking at “his own” Nouvelle-Aquitaine region, he illustrates both what works and what remains to be done.
- Ce que peut l'État face aux plateformes - Romain Badouard p. 49-58 Alors que les États sont généralement considérés comme impuissants face aux plateformes, des initiatives en matière de régulation des réseaux sociaux menées en Europe prouvent que le droit n'a pas dit son dernier mot sur la gouvernance d'internet. À travers l'exemple de la lutte contre les discours de haine et les fausses informations, cet article explore les différents leviers d'action des États dans le domaine de la régulation des contenus en ligne.While states are usually seen as powerless in relation to the platforms, a number of European initiatives regarding the regulation of the social networks indicate that the law has not yet said its last word with regard to the governance of the internet. Based on the examples of the struggle against hate speech and fake news, the article explores the different levers of action of the state for the regulation of online content.
- L'État et l'opinion - Yves Surel p. 59-69 Lieu commun de la vie politique, la relation entre l'État et l'opinion est depuis longtemps considérée comme une interaction complexe. Cet article montre que, si les décideurs tiennent bien compte de l'opinion, ils le font de manière différente selon les contextes, et la manipulent parfois pour la constituer en ressource de pouvoir. Mais, parce que derrière elle se cache l'électeur, l'opinion constitue aussi une pression ou une menace diversement intégrée par les acteurs politiques au moment de prendre une décision.Cliché of political life, the relationship between the state and public opinion has long been considered a complex interaction. The article shows that, while decision-makers do pay attention to public opinion, they do it differently depending on the context, and sometimes they even manipulate it to use it as a source of power. Because the elector hides behind public opinion, it also represents a pressure or a threat diversly integrated by political actors when they make their decisions.
- La contrainte du droit - François Brunet p. 71-82 Si l'État est encore largement le maître du droit, l'idée d'une soumission de l'État au droit n'est pas dépourvue de sens, bien que la contrainte qu'exerce le droit sur l'État soit fragile et réversible. En effet, le droit impose à l'État de respecter les formes juridiques et, désormais, les droits fondamentaux. Mais, pour que le droit s'impose à l'État, encore faut-il que les exigences du droit soient crédibles et surtout que l'État témoigne d'une considération pour le droit.While it remains largely in control of the law, the idea of the submission of the state to the law is not meaningless. As a matter of fact, the law forces the state to respect legal forms and, nowadays, fondamental rights, but for the law to impose itself to the state, its demands must be credible and, above all, the state must show some consideration for it.
- La contrainte budgétaire - Gérald Sutter p. 83-94 Analyser la contrainte budgétaire pesant sur l'État revient à dissiper un faux-semblant. En première analyse, que l'on adopte un point de vue juridique ou économique, une telle contrainte apparaît largement virtuelle, ce dont témoignent d'ailleurs la dynamique d'augmentation et le niveau actuel de l'endettement public. Pourtant, la volonté de rétablir l'équilibre budgétaire afin d'assurer la soutenabilité des finances publiques a conduit l'État à mettre en œuvre, avec constance, une politique de maîtrise des dépenses publiques. Ainsi, l'existence d'une contrainte budgétaire à long terme justifie l'exercice d'une contrainte budgétaire à court terme, dont les effets sont bien réels.Analysing the budgetary constraint on the state means clearing up a misunderstanding. First, whether we look at it from a judicial or economic viewpoint, such a constraint seems in large part virtual, a fact that is demonstrated by the upward trend of the current level of public debt. Yet, the desire to restore a balanced budget to guarantee the sustainability of public finances has led the state to implement, consistently, a policy of public spending control. So, the existence of a long term budgetary constraint justifies the exercise of a short term budgetary constraint whose effects are real.
- L'État régulateur : le pouvoir de ne pas toujours pouvoir - David Martimort p. 95-108 À la lumière de la théorie des incitations, l'État est ici envisagé comme un nœud de contrats entre le citoyen, le politique, le bureaucrate et la sphère économique. Or le caractère incomplet de ces contrats structure les formes prises par l'action publique. Cet essai montre comment le lien entre le citoyen et le politique s'en trouve délité et, par là même, l'implication démocratique du premier menacée.In the light of the theory of incentives, the state is here considered as a chain of contracts between the citizen, the politician, the bureaucrat and the economic sphere. Yet, the incomplete character of these contracts shapes the forms of public action. This essay illustrates how the link between the citizen and the politician is thereby weakened, and the democratic implication of the citizen threatened.
- L'État à l'épreuve du coronavirus - Jacques Chevallier p. 109-120 Confronté à l'épreuve du coronavirus depuis début 2020, l'État révèle un visage nouveau : activant ses prérogatives régaliennes, il apparaît tout à la fois comme le grand ordonnateur de la vie sociale et le grand maître du jeu économique. Reste à savoir si cette inflexion laissera des traces durables, en préfigurant l'avènement d'un nouveau modèle d'État.Confronted with the coronavirus since early 2020, the French state has revealed a new face: using its sovereign prerogatives, it appears both as the great manager of social life and the great master of the economic game. It remains to be seen whether this inflexion will leave lasting imprints that would prefigure a new model of the state.
- Pour que l'État puisse mieux - Emmanuelle Wargon p. 121-127 Pour améliorer la vie des Français, établir des rapports et faire adopter des lois n'est pas suffisant. L'État peut sans aucun doute mieux faire, s'il définit de façon beaucoup plus précise et concrète les transformations auxquelles il veut parvenir, si sa volonté de provoquer des changements tient dans le temps, et si la mise en œuvre des politiques publiques l'obsède réellement.For the state to improve the life of French citizens, publishing reports or passing laws is not enough. No doubt, the state can do better if it defines more precisely and concretly the transformations it seeks to achieve, if its determination to introduce changes holds over time and if it is really obsessed with the implementation of public policies.
- L'élection présidentielle américaine de 2020 : une victoire démocrate, une menace pour la démocratie - Michel Rosenfeld, Marie-Céline Pallas p. 131-141
- Laïcité, que d'erreurs on commet en ton nom ! - Stéphane Pinon p. 143-151
- Repères étrangers : (1er octobre – 31 décembre 2020) - Pierre Astié, Dominique Breillat, Céline Lageot p. 153-161
- Chronique constitutionnelle française : (1er octobre – 31 décembre 2020) - Jean Gicquel, Jean-Éric Gicquel p. 163-200