Contenu du sommaire : L'organisation du travail, une question politique
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 106, été 2021 |
Titre du numéro | L'organisation du travail, une question politique |
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L'organisation du travail, une question politique. Qui fait quoi, pour qui, comment et pourquoi ?
- Éditorial - Vincent Bourdeau, Auréline Cardoso, Simon Cottin-Marx, Stéphane Le Lay, Baptiste Mylondo, Olivier Roueff p. 7-16
- Démocratiser, émanciper, libérer le travail : enjeux politiques en Europe occidentale, du XIXe au XXIe siècle - Alexis Cukier p. 18-26 Ce texte propose de distinguer trois types de projet politique de transformation du travail au sein du mouvement ouvrier en Europe occidentale : la démocratisation de l'organisation du travail, l'émancipation de la division sociale du travail, la libération du procès de travail. Il revient d'abord sur trois auteurs du XIXe siècle qui ont contribué à définir ces positions : Pierre-Joseph Proudhon, Paul Lafargue et Karl Marx, puis analyse certains des enjeux contemporains de ces distinctions, concernant l'articulation entre luttes syndicales, féministes, antiracistes et écologistes.
- « Il faut une théorie de la coopération, du travail vivant individuel et collectif. » - Christophe Dejours, Simon Cottin-Marx, Stéphane Le Lay p. 27-40 Dans cet entretien, Christophe Dejours revient sur les raisons historiques qui ont façonné l'impensé politique de l'organisation du travail : du côté des employeur·ses, captation scientifique par les ingénieurs du thème de l'organisation du travail ; du côté des travailleur·ses, faiblesse militante et philosophique d'une conception robuste de la coopération. Christophe Dejours dégage les conditions d'apparition et de préservation d'un travail vivant. Il souligne ainsi l'importance d'espaces délibératifs autour de l'activité partagée, espaces qui doivent être nourris moins d'attitudes psychologiques, d'empathie et de bienveillance à l'égard des travailleur·ses que d'une véritable connaissance de l'activité de travail, des exigences épistémiques de la coopération. Une science du travail doit être remise au centre de la lutte pour la politisation de son fonctionnement.
- Le travail et sa division mondiale : la mondialisation au prisme des rapports sociaux et des luttes à mener - Jules Falquet, Auréline Cardoso, Olivier Roueff p. 41-48 Les travaux de Jules Falquet, chercheuse féministe, proposent d'analyser les phénomènes de mondialisation et de développement du libéralisme, notamment au prisme de l'imbrication des rapports sociaux de sexe, de classe et de race. Elle s'intéresse également aux mouvements sociaux contestant le développement de la mondialisation capitaliste, particulièrement en Amérique latine et dans les Caraïbes.
- Que font les profs ? - Thomas Coutrot p. 49-59 De 2001 à 2012, le Syndicat national de l'enseignement secondaire et l'équipe de psychologie du travail et de clinique de l'activité fondée par Yves Clot ont mené une importante recherche-action auprès des enseignant·es. Il s'agissait de faire émerger le « travail réel » réalisé au sein des classes afin de permettre aux enseignant·es d'en prendre conscience, de se le réapproprier et de fonder des transformations et des revendications à partir de la réalité de l'activité. Cette expérience a produit une mine d'informations mais a eu peu d'effet sur les pratiques syndicales. Thomas Coutrot fait l'hypothèse que ceci s'explique par l'évitement, au nom du maintien d'une façade d'unité du métier, des débats politiques sur les finalités du travail éducatif, et en particulier sur la division autoritaire ou démocratique du travail entre professionnel·les et destinataires – prendre en compte ou pas l'activité des élèves dans la relation pédagogique, au-delà des détournements néolibéraux de quelques « trucs » des pédagogies actives.
- À l'épreuve du télétravail - Sophie Binet, Alexandra Jean, Frédérique Letourneux, Emre Öngün, Karel Yon p. 60-69 Les confinements consécutifs à la crise sanitaire ont brutalement fait basculer de larges franges de travailleur∙euses dans le télétravail. L'expérience du télétravail est cependant socialement sélective et socialement différenciée, comme le rappellent nos trois intervenantes. À partir de points de vue différents, mais ayant chacune été directement confrontée aux enjeux du télétravail, elles abordent des questions aussi importantes que la façon dont l'organisation du travail à distance sape ou reconfigure les collectifs de travail, exacerbe les inégalités de genre et met au défi l'action syndicale.
- Les coopératives d'activités et d'emploi, une alternative organisationnelle fragile - Antonella Corsani, Fanny Darbus, Stéphane Le Lay, Baptiste Mylondo p. 72-81 Les coopératives d'activités et d'emploi, apparues dans les années 1960, relancées dans les années 1990, et officiellement instituées en 2004, sont des « entreprises partagées » au sein desquels, des entrepreneur·es salarié·es développent des activités économiques qui leur sont propres, mais mutualisent une partie des moyens de gestion et de fonctionnement. Dans cette table ronde, Antonella Corsani et Fanny Darbus, sociologues, confrontent leurs analyses, interrogent ce modèle d'organisation du travail et ses conséquences sur les conditions de travail, le rapport à celui-ci, mais aussi ce qu'il fait aux inégalités et à la santé au travail.
- La création d'entreprise, remède aux maux du travail salarié ? - Julie Landour p. 82-89 Apparu en France dans les années 2010, le phénomène des Mompreneurs (pour « mamans entrepreneures ») repose sur la triple promesse d'une conciliation de la vie professionnelle et familiale, d'une souplesse plus grande dans l'aménagement des temps du travail, d'une indépendance nouvelle capable de donner ou redonner du sens à un travail salarié souvent vécu dans la souffrance. L'article, à partir d'une série d'entretiens avec des « mompreneurs », fait le point sur le passage des attentes à la réalité : qu'en est-il de la conciliation entre vie familiale et professionnelle ? L'indépendance à l'égard d'un patron ne se paie-t-elle pas de nouvelles dépendances à l'égard des client∙e∙s (qu'il faut chercher, qu'il faut satisfaire) ? Les protections liées au salariat ne se révèlent-elles pas mieux assurées que les gains d'une indépendance moins vécue que rêvée ?
- Aide à domicile : le développement du travail gratuit pour faire face aux objectifs inconciliables des politiques publiques - François-Xavier Devetter, Annie Dussuet, Emmanuelle Puissant p. 90-98 L'aide à domicile se caractérise par des conditions d'emploi et de travail très dégradées, comme l'attestent les multiples recherches sur le secteur. Bien que la crise COVID ait mis une nouvelle fois en lumière le caractère indispensable de ces activités, l'amélioration des conditions d'emploi et de travail des aides à domicile continue de buter sur des obstacles socialement ancrés et accentués par les politiques des trente dernières années – en particulier sur l'ancrage de la division du travail de soin dans les rapports sociaux de sexe.
- Le rapport subjectif au travail dirigé par les algorithmes. Être livré à soi-même sur une plateforme capitaliste - Fabien Lemozy, Stéphane Le Lay p. 99-107 À partir d'une enquête en psychodynamique du travail auprès de livreur·ses de plateformes allégées de travail, les deux auteurs montrent que si l'imaginaire social véhiculé par les plateformes de livraison en appelle à la subjectivité des travailleur·ses quand elle s'adresse à eux, le rapport subjectif au travail est en réalité entravé par l'organisation du travail, essentiellement dirigée par des algorithmes. L'action d'une forme de management désincarné renforce les processus de domination au travail d'une manière inédite : en mettant en jeu la passion pour l'autonomie et le désir de liberté, il peut finalement s'avérer dangereux pour la santé des livreur·ses, lorsque leurs croyances et leur investissement psychique sont finalement déçus.
- Les communautés intentionnelles : des utopies concrètes du travail - Michel Lallement, Simon Cottin-Marx, Auréline Cardoso p. 110-120 Depuis plusieurs années, Michel Lallement a choisi de mobiliser les outils de la sociologie du travail pour étudier les « utopies concrètes », à travers des immersions dans plusieurs communautés ou collectifs de travail, ou une analyse sociohistorique d'expériences utopiques de travail. Ses travaux nous fournissent des pistes stimulantes pour penser la possibilité d'un travail émancipateur ; cela implique de déconstruire un ensemble de caractéristiques habituellement associées au travail (hiérarchie, contrainte, division…), pour penser le travail avant tout comme une nécessité, une activité porteuse d'utilité sociale. Dans cette perspective, le travail s'étend bien au-delà de l'emploi et englobe un faisceau de tâches qui sont habituellement reléguées au privé, à l'individuel (faire des courses, écrire, prendre soin des autres…).
- Exigence, compétences, pression et coopération au sein d'une boulangerie autogérée - Pierre Pawin, Adeline de Lépinay p. 121-129 Vouloir fonctionner en autogestion, c'est vouloir inventer un autre rapport au travail, au travail collectif, à l'outil de production, à la production. C'est accepter de se confronter à de nombreuses contradictions, car quand l'exigence n'est plus de créer du profit pour les actionnaires, reste l'exigence de produire ensemble chaque nuit du bon pain et des croissants « plus beaux que ceux des capitalistes ». Retour, avec un de ces co-fondateurs, sur l'expérience de la boulangerie autogérée La Conquête du Pain, à Montreuil-sous-Bois (93).
- Un Planning Familial en autogestion : exercice de socio-analyse - Auréline Cardoso p. 130-136 Le Planning Familial, association féministe et d'éducation populaire, est plus connu pour son action envers le public que pour les modes d'organisation du travail salarié et bénévole qui peuvent s'y déployer. À partir de l'exemple du Planning Familial de la Haute-Garonne, cet article propose une analyse critique de la mise en œuvre d'un fonctionnement autogestionnaire, au sein d'une association féministe où travaillent des salariées et des bénévoles
- La dégénérescence dans les coopératives autogérées et des moyens de la combattre - Samuel Hévin p. 137-144 On ne compte plus aujourd'hui les espoirs déçus d'initiatives alternatives, porteuses, à leurs débuts, de valeurs fortes ayant peu à peu cédé la place au pragmatisme économique. Principes démocratiques et organisation alternative du travail se heurtent souvent à des contraintes économiques, mais subissent aussi l'effet de contraintes organisationnelles internes. C'est ce qui ressort des approches classiques de la dégénérescence des organisations. Celles-ci affirment que la nécessaire adaptation à l'environnement tend à faire émerger, au sein de structures pourtant pensées comme alternatives, une bureaucratie qui finit par prendre le pas sur les valeurs politiques initialement incarnées par l'organisation. Cet article propose une étude de ce processus de dégénérescence et des moyens d'y résister à travers l'exemple de la coopérative AlterConso.
- Autogestion et entreprises libérées : une réappropriation en trompe-l'œil ? - Camille Boullier, Clément Ruffier p. 145-152 Cet article revient sur les circulations rhétoriques et pratiques entre autogestion et entreprise libérée, à l'heure où cette dernière se présente de manière anhistorique, indifférente aux débats des années 1970-1980 autour des questions d'organisation du travail et de participation. Il met en regard autogestion et formes contemporaines d'organisation du travail autour de la notion d'entreprise libérée, en s'appuyant sur différents terrains pour mettre en lumière, au-delà des points de croisement et de circulation entre ces deux approches, leurs différences essentielles.
- Division sexuelle du travail et domination sociale : retour sur quelques idées reçues - Christophe Darmangeat, Vincent Bourdeau, Ariel Guillet, Chloé Santoro p. 153-161 Christophe Darmangeat réfléchit depuis de nombreuses années à la question de la division sexuelle du travail dans les sociétés pré-étatiques. Auteur de Le Communisme primitif n'est plus ce qu'il était. Aux origines de l'oppression des femmes (Smolny, 2012), il n'a cessé d'interroger la manière dont les sociétés organisent le travail et ses conséquences en termes d'oppression ou d'exploitation.
Itinéraire
- Coopérer, (s')éduquer, développer pour changer le monde - Jean-François Draperi, Simon Cottin-Marx, Olivier Roueff p. 164-182 Dans cet itinéraire, Jean-François Draperi raconte son parcours de théoricien de l'économie sociale (et solidaire) et de pédagogue qui, dans la lignée d'Henri Desroche, met en œuvre des pratiques d'éducation populaire. Il transmet dans cet entretien un véritable pan d'histoire du monde coopératif, de la coopération, en soulignant leur aspect révolutionnaire et toujours d'actualité.
- Coopérer, (s')éduquer, développer pour changer le monde - Jean-François Draperi, Simon Cottin-Marx, Olivier Roueff p. 164-182