Contenu du sommaire : Nazisme et serment de fidélité
Revue | Histoire@Politique |
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Numéro | no 40, janvier-avril 2020 |
Titre du numéro | Nazisme et serment de fidélité |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Le serment de fidélité dans le nazisme : représentations et pratiques - Marie-Bénédicte Vincent
- Le serment de fidélité dans la SS. Un prisme de lecture pour écrire l'histoire du national-socialisme - David Gallo Le présent article se penche sur le rituel du serment de fidélité instauré au sein de la SS (Schutzstaffel) entre 1934 et 1945, l'utilisant comme un prisme de lecture qui permet de mieux comprendre les racines idéologiques du nazisme, certains des rouages du pouvoir au sein du « Troisième Reich », ainsi que certains des aspects de la postérité de celui-ci. Une première partie examine les racines de la pratique du serment, à la croisée de la tradition monarchique et militaire, de la mythopoétique nationaliste à l'origine de l'idée d'une « fidélité germanique », et du répertoire militant de la droite radicale des années 1920. Un second mouvement analyse les fonctions que remplissaient au sein du système national-socialiste le serment de fidélité de la SS et la cérémonie qui l'accompagnait : outil renforçant la cohésion des institutions nazies ; élément de la concurrence polycratique entre elles ; rouage permettant l'exercice d'un pouvoir délivré des limites et médiations normatives ou bureaucratiques caractéristiques du fonctionnement réglé de l'État ; « acte d'institution » permettant au groupe d'imposer à ses membres une identité sociale et d'intérioriser le modèle normatif prescrit par l'institution. Une attention particulière est également apportée aux évolutions du serment entre 1941 et 1945, la militarisation de la SS et l'internationalisation de son recrutement ayant conduit à des accommodements destinés à préserver le consentement d'une troupe de plus en plus hétérogène. Enfin, dans un troisième temps, sont étudiées la place du serment à l'heure de l'effondrement du régime nazi puis de sa postérité.The present article examines the loyalty oath ritual practiced by the SS (Schutzstaffel) between 1934 and 1945 in order to shed light on the ideological roots of Nazism, some aspects of the machinery of power in the “Third Reich” and some of the oath's after lives. In the first part, I consider the oath's roots in monarchic and military tradition, the nationalist mythopoetics from which the idea of “Germanic loyalty” sprang and the activist repertory of the far right in the 1920s. I then examine the role played within the National Socialist system by the SS loyalty oath and the ceremony accompanying it, showing how it was at once a tool for promoting the cohesion of Nazi institutions, a vector of polycratic competition between them and a mechanism allowing power to be exercised independently of the normative and bureaucratic limits and mediations characteristic of the orderly operation of the state. The oath was also an “instituting act” by means of which the group imposed a social identity upon its members and induced them to interiorize the normative model prescribed by the institution. Close attention is also given to the manner in which the oath evolved between 1941 and 1945: as the SS was militarized and its recruitment became increasingly international, changes were made to preserve the consent of an ever-more heterogeneous group. In the third part, finally, I study the role played by the oath during the collapse of the Nazi regime and its afterlives.
- Rituels nazis de serment. Interprétation de la conjoncture du serment sous le « Troisième Reich » - Karl Borromäus Murr Cet article explore la signification politique de la conjoncture exceptionnelle du serment de loyauté national-socialiste, qui a abouti à de nombreuses cérémonies de prestation de serment. Il se concentre sur la dimension rituelle de la prestation de serment, examinée comme un exemple d'une politique national-socialiste de l'émotion. Le serment a servi de mobilisation idéologique de la société allemande au sens de production de loyauté politique ayant trouvé une large résonance sociale.This article explores the political significance of the exceptional conjuncture of the National Socialist loyalty oath, which culminated in numerous mass oath-taking ceremonies. It focuses on the ritual aspect of oath-taking, examining it as an example of a National Socialist politics of emotion. By producing a form of political loyalty with broad social appeal, the oath contributed to the ideological mobilization of German society.
- Verfassungseid ou Führereid pour les militaires ? Une polémique de deux historiens nationaux-socialistes, Reinhard Höhn et Ernst Rudolf Huber, concernant l'assermentation des soldats - Fritz Taubert La question du serment s'avère essentielle pour les libéraux du Vormärz, c'est-à-dire la période de 1830 à 1848. Les libéraux en Allemagne envisagent d'intégrer les armées allemandes dans un système de monarchie constitutionnelle et non plus « absolutiste ». Les militaires devaient-ils prêter serment sur la constitution, et non plus sur le prince ? Cent ans plus tard, dans les années 1930 et 1940, le débat du Vormärz a été repris par deux historiens nationaux-socialistes, Reinhard Höhn et Ernst Rudolf Huber. Ce débat historique leur sert d'exemple pour déterminer quelle nature juridique devrait avoir l'État populaire (Volksstaat) nazi avec le Führer comme autorité suprême (question fortement débattue dans les cercles juridiques autour de Carl Schmitt). Entre 1938 et 1944, en pleine guerre mondiale, les deux historiens se livrent à une polémique sur la place du serment des militaires entre la période des réformateurs prussiens (fin des guerres napoléoniennes) et 1848 et la nature des concepts étatiques des libéraux. In fine, les deux historiens nationaux-socialistes arrivent au même résultat, à savoir que la question a été résolue de façon définitive par le serment sur la personne de Hitler, le Führereid.The issue of the oath proved essential for the liberals of the Vormärz – that is, the period from 1830 to 1848. In Germany, liberals considered integrating the German armies into a constitutional monarchist system rather than an “absolutist” one. Should soldiers swear an oath to the constitution rather than to the prince ? One hundred years later, in the 1930s and 40s, the Vormärz debate was revived by two National Socialist historians, Reinhard Höhn and Ernst Rudolf Huber. For them, this historical debate could help determine the appropriate legal nature of the Nazi People's State (Volksstaat), with the Führer as supreme authority (a question extensively discussed in the legal circles centered on Carl Schmitt). Between 1938 and 1944, in the midst of world war, the two historians engaged in a polemic regarding the role of soldiers' oaths between the period of the Prussian reformers (post-Napoleonic wars) and 1848 and the manner in which the liberals conceived of the state. Ultimately, the two National Socialist historians reached the same conclusion – to wit, that the issue had been definitively resolved by the oath to the person of Hitler, the Führereid.
- La fidélité des soldats de la Wehrmacht à Hitler à travers leur correspondance - Marie Moutier-Bitan « Soyons braves comme le souhaite notre Führer. » Voici ce qu'écrivait H.D. à son amie en septembre 1939. Les correspondances des soldats de la Wehrmacht nous ouvrent des perspectives de recherche sur les rapports que ceux-ci entretenaient avec Hitler. Au début de la guerre, la figure de Hitler s'impose comme une personnification de la patrie, du peuple allemand et du foyer. Au fur et à mesure que la guerre s'enlise, Hitler demeure ce lien ténu entre le front et l'arrière, mais l'amertume effrite l'engouement des premières victoires. Les années 1944-1945, le noyau Hitler-patrie-famille se délite, le « nous » collectif sombre, à la faveur de la famille, concentrant toutes les inquiétudes.“We have to be brave, as our Führer wishes,” H.D. wrote to his girlfriend in September 1939. The correspondence of Wehrmacht soldiers offers a possibility for researching their relationship to Hitler. At the beginning of the war, the figure of Hitler came to personify the fatherland, the German people and home. As the war bogged down, Hitler continued to provide this link between front lines and home front but bitterness sapped the enthusiasm of the early victories. In 1944-45, the Hitler-fatherland-family nexus crumbled and the collective “us” foundered, giving way to the family as the focus of all worries.
- Le serment de fidélité à Hitler selon Ernst Kaltenbrunner, un nazi autrichien « illégal » devenu chef du Reichssicherheitshauptamt (1943-1945) - Marie-Bénédicte Vincent L'article analyse la conception du serment de fidélité du nazi autrichien Ernst Kaltenbrunner (1903-1946), qui fut le successeur de Heydrich à la tête du Reichssicherheitshauptamt à partir du 30 janvier 1943. Ce haut dignitaire du régime, condamné à mort en 1946 lors du procès de Nuremberg, est moins étudié que d'autres criminels nazis. L'article examine dans un premier temps la manière dont Kaltenbrunner érige le serment de fidélité au Führer en valeur suprême du combattant nazi, dans ses rapports secrets consacrés à l'enquête de police diligentée après l'attentat manqué contre Hitler du 20 juillet 1944. Dans un second temps, l'article revient sur la trajectoire en amont de Kaltenbrunner au sein du parti nazi autrichien, notamment durant la période « illégale » où celui-ci fut interdit entre le 19 juin 1933 et l'Anschluss du 12 mars 1938. C'est au cours de cette période clef que fut éprouvée la fidélité des militants nazis autrichiens, qui furent par la suite récompensés par Hitler.This article examines the manner in which the Austrian Nazi Ernst Kaltenbrunner (1903-1946) –from January 30th, 1943, Heydrich's successor as head of the Reichssicherheitshauptamp – conceived of the loyalty oath. Sentenced to death in 1946 during the Nuremberg trial, this high-ranking regime official has received less study than other Nazi criminals. The article begins by examining how Kaltenbrunner presented the oath of loyalty to the Führer as the supreme value of the Nazi combatant in the secret reports he submitted as part of the police investigation launched following the failed attack against Hitler on July 20th, 1944. The article then revisits Kaltenbrunner's earlier trajectory in the Austrian Nazi Party, particularly during the “illegal” period when the party was banned (19 June 1933 to the Anschluss of 12 March 1938). It was over the course of this key period that the loyalty of Austrian Nazi activists was tested, a loyalty for which they would later be rewarded by Hitler.
Varia
- Le serment de la Légion française des combattants : l'ordinaire combattant au service de la propagande de Vichy - Anne-Sophie Anglaret Unique organisation de masse du régime de Vichy, la Légion française des combattants est composée principalement d'anciens combattants, qui doivent prêter un « serment du légionnaire ». Celui-ci semble représenter un acte d'allégeance au nouveau régime, mais il s'agit en réalité d'une récupération de traditions et de valeurs combattantes déjà ancrées dans les associations de l'entre-deux-guerres. Efficace en termes de propagande, ce serment n'entraîne pourtant aucune obligation concrète même si, dans ses formes plus tardives destinées à des groupes d'élite, il indique la recherche par le régime d'engagements plus actifs.The Vichy regime's only mass organization, the Légion française des combattants mainly consisted of veterans who had to swear a “legionnaire's oath”. This may seem to represent a pledge of allegiance to the new regime but in truth was an appropriation of combatant traditions and values with roots in interwar associations. While effective as propaganda, the oath did not entail any concrete obligation, though its later forms, intended for elite groups, do reveal the regime's search for more active commitment.
- Jalons pour une nouvelle histoire de la sortie de guerre froide - Sophie Momzikoff Cet article a pour objectif de proposer des jalons pour écrire une nouvelle histoire de la sortie de guerre froide. Appréhendée comme un processus aux rythmes variés selon les échelles, les secteurs et les acteurs, la sortie de guerre froide dépasse les bornes chronologiques quelque peu figées de 1989, 1990 ou de la chute de l'URSS fin 1991. La mobilisation de ce concept permet en outre d'analyser la gestion faite par la nouvelle Russie de la sortie de guerre froide et sa réintégration au système international. Par là même, c'est également toute une histoire internationale du post-soviétisme qui reste à construire.The aim of this article is to pave the way for writing a new history of the end of the Cold War. Understood as a process of variable pace, depending on the scale, sector and actors, the end of the Cold War exceeds the rather rigid chronological limits of 1989, 1990 and the fall of the USSR in 1991. Mobilizing this concept moreover allows one to examine the manner in which Russia managed its exit from the Cold War and its reintegration into the international system. An entire international history of post-Sovietism thereby remains to be written.
- Le serment de la Légion française des combattants : l'ordinaire combattant au service de la propagande de Vichy - Anne-Sophie Anglaret
Pistes & débats
- Des « vieilles colonies » aux outre-mer : essai d'historiographie - Sylvain Mary, Edenz Maurice Cet article dresse un bilan des évolutions historiographiques de l'étude des « vieilles colonies » transformées en départements d'outre-mer (Dom) en 1946. Il montre que pendant longtemps l'écriture de l'histoire de ces territoires n'a pas été l'apanage des historiens. Une première génération d'historiens professionnels a néanmoins commencé à poser, à partir des années 1960, les fondements d'une historiographie, parallèlement à l'installation sur place des premières structures universitaires dans le domaine des sciences humaines. Depuis lors, l'histoire de ces territoires ne cesse de s'enrichir. Les thèses les plus récentes proposent des recherches qui décloisonnent l'objet au moyen d'une histoire globale et connectée faisant la part belle aux approches transversales et comparatistes. Le champ des investigations demeure très ouvert et les sources largement accessibles et inédites.This article surveys historiographical developments in the study of the “old colonies” that were transformed into overseas departments (Dom) in 1946. For a long time, writing the history of these territories was not the preserve of historians. Starting in the 1960s, a first generation of professional historians nevertheless began to lay the foundations of a historiography in tandem with the establishment in these places of the first academic structures in the human sciences. Since then, the history of these territories has been steadily enriched. The most recent doctoral dissertations present research that decompartmentalizes the object by way of a global and connected history, with a strong emphasis on transversal and comparative approaches. This field of research very much remains open, its sources widely accessible and hitherto unexplored.
- Des « vieilles colonies » aux outre-mer : essai d'historiographie - Sylvain Mary, Edenz Maurice