Contenu du sommaire : Nouvelles gauches et extrêmes gauches européennes à l'épreuve des années 1970
Revue | Histoire@Politique |
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Numéro | no 42, septembre-décembre 2020 |
Titre du numéro | Nouvelles gauches et extrêmes gauches européennes à l'épreuve des années 1970 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Nouvelles gauches et extrêmes gauches européennes à l'épreuve des années 1970. Périodisation, cultures politiques et circulations transnationales - Lucia Bonfreschi, Frank Georgi
- Un internationalisme pratique. La culture politique de la IVe Internationale dans les années 1970 - Ludivine Bantigny, Fanny Gallot Parmi les gauches révolutionnaires, la IVe Internationale accorde une place essentielle à la subjectivité, à la capacité d'agir des protagonistes, bref à un marxisme humaniste. Au cours de l'immédiat après-1968, dans les courants communistes révolutionnaires, la conviction est forte que la révolution est imminente ou en tout cas qu'elle surgira à moyen terme, dans cinq ou dix ans en Europe. Mais au fil des années 1970, cette espérance s'amenuise et se fragilise. À partir des archives de la IVe Internationale, peu ou pas explorées, cette contribution revient sur la culture politique d'une organisation internationale et ses pratiques militantes qui s'appuient sur l'examen de la situation sociale, économique et politique, la stratégie à mettre en œuvre et le programme pour une société alternative au capitalisme et à l'économie de marché.Among the revolutionary leftists, the Fourth International gives an essential place to subjectivity, to the protagonists' capacity for action, in short to a humanist Marxism. In the immediate post-1968 period, in the revolutionary communist currents, there is a strong conviction that revolution is imminent, or at least that it will arise in the medium term, in five or ten years in Europe. But as the 1970s went by, this hope faded and became more fragile. From the archives of the Fourth International, little or not explored, this contribution returns to the political culture of an international organization and its militant practices, which are based on the examination of the social, economic and political situation, the strategy to be implemented and the program for an alternative society to capitalism and the market economy.
- L'autonomie politique dans l'Europe des années 1970 : approches transnationales d'un phénomène protéiforme - Jean-Octave Guérin-Jollet Au sein du large spectre de courants qui existent aux marges du champ politique dans les années 1970, l'autonomie constitue un phénomène spécifique. La plupart de ses composantes se revendiquent d'une certaine continuité avec le « soulèvement mondial de la jeunesse » de 1968. Mais elles s'affirment dans le même temps comme en rupture avec l'événement, entretenant avec celui-ci et son héritage une relation contradictoire et antagoniste. À cela s'ajoute que cette décennie constitue un moment charnière de l'histoire des autonomes, alors que les différents mécanismes qui participent de l'effacement des offres politiques classiques s'agrègent à des processus de développement de cultures politiques hétérodoxes, à la mise en place de réseaux de communications et d'échanges internationaux, à l'émergence d'un phénomène profond et de rejet des formes d'organisations et des pratiques politiques traditionnelles à l'échelle de toute l'Europe. Dès l'origine, l'autonomie apparaît comme un phénomène transnational. S'il est difficile de l'ériger en culture politique à part entière en raison de son absence d'unité doctrinale et des conflits qui la traversent, elle participe néanmoins de la construction d'une identité collective qui s'affirme à la fin des années 1970.Within the broad array of currents that existed on the margins of the political field in the 1970s, autonomy constituted a specific phenomenon. Most of those involved in it laid claim to some continuity with the “global youth uprising” of 1968. At the same time, however, they presented themselves as breaking with the event, maintaining a contradictory and antagonistic relationship with 1968 and its heritage. The 1970s were also a turning point in the history of autonomies: during this time, the elimination of the classic political “supply” merged with processes driving the emergence of heterodox political cultures, the establishment of communications and international exchange networks and the advent of a deep-rooted rejection of traditional organizational forms and political practices across Europe. From the outset, autonomy appeared a transnational phenomenon. While it is difficult to characterize it as a political culture in its own right due to its lack of doctrinal unity and the conflicts that cut across it, it nevertheless contributed to the construction of a collective identity that asserted itself in the late 1970s.
- L'élaboration transnationale de la « nouvelle gauche » des années 1970 : l'apport des échanges syndicaux franco-italiens - Claude Roccati Au tournant de la décennie 1970, la culture dite de « deuxième gauche » se nourrit d'échanges entre politiques et syndicalistes français et italiens. Ces échanges conduisent à renouveler le socialisme défendu par cette gauche non communiste, en l'appuyant sur le « contrôle ouvrier » et les luttes de la base. Le réseau à la source de ces échanges s'est en fait dessiné bien plus tôt mais il devient visible dans le contexte de l'après-1968. Si les échanges semblent diminuer rapidement, en raison de contingences nationales mais aussi du fait de divergences entre partis et syndicats, leur influence se prolonge dans la deuxième partie de la décennie au niveau syndical. Les réflexions partagées entre CFDT et CGIL autour de « l'austérité négociée » participent au recentrage de la confédération française.At the outset of the 1970s, the culture of what was known as the deuxième gauche, or “New Left”, was enriched by exchanges between French and Italian politicians and trade unionists. Drawing upon grassroots struggles and the notion of “workers' control”, these exchanges led to a revival of the socialism promoted by this non-communist left. The network at the origin of these exchanges had actually emerged much earlier but only became visible in the post-1968 context. While these exchanges seem to have rapidly dissipated as a result of national contingencies and disagreements between parties and labor unions, their influence over labor unions persisted through the second half of the decade. Shared discussions between the CFDT and CGIL concerning the issue of “negotiated austerity” contributed to reorienting the French confederation's adoption of a more centrist position.
- Le « contrôle ouvrier » : diffusion et disparition d'un imaginaire - Hélène Hatzfeld Le « contrôle ouvrier » a mobilisé des syndicats, des associations et des intellectuels en France, en Grande-Bretagne, en Belgique et en Italie, de la fin des années 1950 au milieu des années 1970. Pouvant faire référence à la fois aux conseils ouvriers et à la démocratie industrielle, il a été une expression de mutations sociétales et de nouvelles exigences politiques. Ravivé par les grèves et les luttes sociales des années 1968, il a suscité un imaginaire politique de démocratie directe avant d'être relayé par l'autogestion ou de disparaître.“Workers' control” mobilized trade unions, associations and intellectuals in France, Great Britain, Belgium and Italy from the late 1950s to the mid-1970s. With reference to both workers' councils and industrial democracy, it was an expression of societal changes and new political demands. Revived by the strikes and social struggles of the 1968's, it gave rise to a political imagination of direct democracy before being relayed by self-management or disappearing.
- Une utopie ouvrière à l'aube de la société post-industrielle. Le « Balai libéré » et les expériences d'autogestion en Belgique - Nicolas Verschueren L'histoire de l'autogestion en Belgique a été très peu étudiée. Or, il ne s'agit nullement d'un sujet marginal ou d'un événement éphémère. Cette histoire est parsemée d'expériences d'une ampleur et d'une durée de vie hors du commun. Alors que le thème autogestionnaire s'érode rapidement à la fin des années 1970, les expériences belges se poursuivent jusqu'à la fin de la décennie suivante. L'histoire du « Balai libéré » est représentative des particularités de l'autogestion belge. Le récit d'une trentaine de femmes de ménage qui licencient leur patron pour lancer leur autogestion en compagnie de militants de la démocratie chrétienne est devenu l'un des emblèmes souvent cités mais jamais étudiés de l'histoire politique et sociale belge.The history of workers' self-management in Belgium has been little studied. Yet this is neither a minor subject nor mere ephemera. This history is scattered with experiments that stand apart for their scale and persistence. While the theme of self-management began to rapidly lose ground starting in the late 1970s, the Belgian experiments continued through to the end of the following decade. The history of Balai libéré exemplifies the particularities of Belgian self-management. The account of thirty cleaning women who sacked their boss to embark on workers' self-management with the support of Christian democratic activists has become an oft-cited but never studied symbol of Belgian social and political history.
Varia
- Le Conseil privé et la politique étrangère du Japon à l'ère du « gouvernement des partis » (1920-1930) - Éric Seizelet Le Conseil privé de l'empereur occupe une place singulière comme organe suprême de consultation de l'empereur sous le Japon impérial. Souvent qualifié de « troisième chambre », cet organe, bastion du conservatisme, entra souvent en conflit avec les gouvernements de partis qui émergent progressivement à la faveur du changement de règne en 1912 et surtout après la fin de la Première Guerre mondiale. En s'appuyant sur le rôle du Conseil en matière de conclusion des traités, et notamment lors de la conférence de Londres sur le désarmement naval de 1930, cet article illustre les stratégies développées par le Conseil et ses alliés pour mettre en difficulté la fragile inflexion du régime vers le parlementarisme, favorisant ainsi, sans l'avoir voulue, la réaction militariste des années 1930.In imperial Japan, the Emperor's Privy Council occupied a singular place as the emperor's supreme consultative body. A bastion of conservatism often described as a “third house”, the Privy Council often came into conflict with the party Cabinets that gradually emerged with the advent of a new reign in 1912 and especially after the First World War. By focusing on the Council's role in concluding treaties, particularly the 1930 London Conference on Naval Disarmament, this article depicts the strategies pursued by the Council and its allies to undermine the regime's fragile turn towards parliamentarianism, in this way unintentionally paving the way for the militarist reaction of the 1930s.
- Le Conseil privé et la politique étrangère du Japon à l'ère du « gouvernement des partis » (1920-1930) - Éric Seizelet
Pistes & débats
- Que reste-t-il des « Trente Glorieuses » ? - Nicolas Delalande, Éric Monnet, Laure Quennouëlle-Corre, Laurent Warlouzet Si les « Trente Glorieuses » ont été remises en cause par les historiens pour ses dégâts environnementaux, elles n'en restent pas moins une période de croissance exceptionnelle et de forte réduction des inégalités de patrimoine et de revenu. Or les ressorts de ce phénomène d'expansion et son délitement dans les années 1970 restent un sujet d'interrogation pour les historiens comme pour les économistes. Au croisement des deux logiques, le livre récent d'Éric Monnet, mêlant l'approche qualitative d'étude du processus de décision sur la base d'archives chère aux historiens, et la démarche quantitative propre aux économistes, propose son interprétation à travers une étude portant sur la politique monétaire de la Banque de France. Il est ici discuté par trois historiens de l'économie, qui remettent en perspective ses apports, d'abord dans une vision politique d'histoire de l'État par Nicolas Delalande, ensuite avec un regard plus institutionnel et financier chez Laure Quennouëlle-Corre, et enfin avec une perspective franco-européenne chez Laurent Warlouzet. L'auteur, Éric Monnet, conclut ce tour d'horizon par son propre éclairage.While the “Trente Glorieuses” have been called into question for the environmental damage they caused, they nevertheless remain a period of exceptional growth characterized by a significant reduction of inequalities in income and wealth. For historians and economists alike, however, the sources of this expansionist phenomenon and its unravelling in the 1970s continues to raise questions. Mixing the qualitative approach much-loved by historians, who study archives for insight into the decision-making process and the quantitative approach characteristic of economists, Éric Monnet's book offers an interpretation of Banque de France monetary policy at the intersection of two logics. In the present article, three economic historians discuss this interpretation and contextualize its contributions: Nicolas Delalande offers a political vision of state history; Laure Quennouëlle-Corre brings a more institutional and financial perspective to bear; and Laurent Warlouzet examines the question at the Franco-European level. In its conclusion, Éric Monnet offers his own perspective on this survey.
- À propos du populisme - Marc Lazar À partir d'une lecture de sept ouvrages consacrés au populisme, l'auteur discute différentes approches de ceux-ci proposées par des philosophes, des politistes et des historiens. Il s'intéresse à la question épineuse de la notion de populisme et aux rapports qui s'établissent entre les populistes et la démocratie. Il examine le positionnement qu'adoptent les chercheurs en sciences sociales par rapport au populisme et plaide en faveur du respect de la neutralité axiologique.On the basis of a reading of seven books devoted to populism, the author discusses the various ways in which philosophers, political scientists and historians have approached the phenomenon. He addresses the thorny question of how populism is to be defined and the relationship between populists and democracy. He also examines how social scientists position themselves with regard to populism and argues for respecting value neutrality when addressing the topic.
- Crédit local et politique nationale en France et en Italie - Francesco Sanna L'histoire des institutions du crédit local manque encore d'une étude qui, après avoir pris en compte les facteurs socio-économiques, analyse leur caractère et leur influence politique dans leur ensemble. L'évolution et les fonctions assumées par les différents types de banques locales ont eu une importance considérable lors de l'industrialisation des pays européens. Alors qu'en Italie, le mécanisme de nomination du conseil d'administration est devenu fondamental dans chaque caisse d'épargne et les luttes de pouvoir se sont concentrées sur ce point, en France, la centralisation plus accentuée, empêche la gestion des établissements de crédit locaux – qui bénéficient d'une autonomie moindre – d'échapper au contrôle du gouvernement et le crédit peut être accordé en poursuivant des objectifs politiques hostiles au pouvoir établi. Le type de régime politique ne pouvait donc pas être remis en cause par les banques françaises locales, alors qu'en Italie, après la Première Guerre mondiale, elles en sont venues à troquer leur stabilité interne contre la redéfinition du régime politico-institutionnel.To date, the history of local credit institutions has not been studied in a way that takes socio-economic factors into consideration or examines their nature and political influence as a whole. The development and roles assumed by the various types of local bank played a significant role in the industrialization of European countries. Whereas the mechanism for appointing the board of directors occupied a fundamental place in every Italian savings bank and became the main site for power struggles, the more pronounced centralization of France prevented the management of local credit institutions from escaping government supervision and credit can't be given by pursuing objectives hostile to the government. In contrast to Italy, where in the wake of the First World War banks traded their internal stability for a redefinition of the politico-institutional regime, French banks were thus unable to challenge the type of political regime.
- Que reste-t-il des « Trente Glorieuses » ? - Nicolas Delalande, Éric Monnet, Laure Quennouëlle-Corre, Laurent Warlouzet