Contenu du sommaire : Santé critique 2
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
---|---|
Numéro | no 239, septembre 2021 |
Titre du numéro | Santé critique 2 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- La santé publique comme objet sociologique : Trajectoires de recherche, productions scientifiques et configurations institutionnelles - Maud Gelly, Audrey Mariette, Laure Pitti p. 4-9 Tout en maniant des paradigmes différents d'analyse, les trois sociologues que nous avons interviewé·e·s dans le cadre de ce dossier témoignent des enjeux de l'autonomie d'une recherche sociologique qui se donne la santé – et notamment la santé publique – pour objet. Le premier entretien permet de revenir sur l'histoire d'un courant de sociologie critique à travers la trajectoire de Patrice Pinell. Formé à la médecine puis à la biochimie dans les années 1960 avant de se convertir à la sociologie et de diriger, pendant plus de dix ans, une unité de recherches psychanalytiques et sociologiques en santé publique au sein de l'Inserm, ce dernier fait de la santé et de la médecine des objets de sociologie générale et critique, en développant une analyse socio-historique du champ médical. Le second entretien interroge les enjeux des recherches sociologiques sur la santé dans des mondes professionnels et des institutions de santé publique, à partir de deux trajectoires professionnelles et scientifiques : celle de Cécile Fournier, chercheuse à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), et celle de Gabriel Girard, chargé de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) après un parcours dans le domaine de la santé publique au Québec.While they mobilize different paradigmatic analytical tools, the three sociologists we interviewed in the framework of this special issue underscore the stakes of construing health – and particularly public health – as an autonomous sociological field of inquiry. The first interview traces the history of a stream of critical sociology through the trajectory of Patrice Pinell. Trained in medicine, than biochemistry in the 1960s before converting to sociology, Pinell directed, for over ten years, a unit on psychoanalytical and sociological research on public health at the Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). He shaped health and medicine as general and critical objects of sociology, by developing a socio-historical analysis of the medical field. The second interview examines the stakes of sociological research on health within public health professional fields and institutions as reflected in the professional and scientific trajectories of two individuals: Cécile Fournier, researcher at the Institute for Research and Information in Health Economies (Irdes), and Gabriel Girard, research fellow at the Inserm following a trajectory in the field of public health in Quebec.
- Faire de la médecine et de la santé un objet de sociologie générale - Patrice Pinell p. 10-19
- Venir à la sociologie par la santé publique, faire de la santé publique en sociologue - Cécile Fournier, Gabriel Girard p. 20-29
- Subvertir la médecine, politiser la santé en quartiers populaires : Dynamiques locales et circulations transnationales de la critique sociale durant les années 1970 (France/Québec) - Audrey Mariette, Laure Pitti p. 30-49 Cet article étudie les processus de politisation de la médecine et de la santé en quartiers populaires durant les années 1970 en croisant une approche comparative internationale et une analyse des circulations transnationales de la critique sociale, entre la France et le Québec. Il se centre sur les dynamiques contestataires portées par différents groupes professionnels dans le champ de la santé – en particulier médecins et travailleur·euse·s sociales, en France, ou « organisateur.rice.s communautaires », au Québec – et sur les pratiques qu'ont pu recouvrir, à compter des années 1970, une médecine attentive à la question sociale ou une santé dite communautaire à l'échelle locale. L'article analyse d'abord ces expériences critiques du pouvoir médical en France durant les années 1970 pour rendre compte des similitudes et des différences avec celles menées à la même période au sein de la province canadienne francophone, dans une autre configuration politique et étatique. Il revient ensuite sur les circulations transnationales de ces formes de politisation de la médecine et de la santé, et étudie leurs évolutions au tournant des années 1980. Ce faisant, l'article discute la thèse de la mise sous silence de la critique sociale par le néolibéralisme à compter des années 1980.This article examines the process of politicization of medicine and health in popular neighbourhoods in the 1970s by combining an international comparative approach and an analysis of transnational circulations of social critique, between France and Quebec. It focuses on protest dynamics fuelled by different professional groups within the health field – in particular medical practitioners and social workers, in France, or “community organizers”, in Quebec – and on practices designed, from the turn of the 1970s, to deliver medical services sensitive to the social question or a so-called community health at the local level. The article starts by analysing these critical experiences of medical power in France during the 1970s before examining similarities and differences with those developed over the same period in the Francophone Canadian region – in a different political and state configuration. It then traces dynamics of transnational circulation of these forms of politicization of medicine and health, and looks at their evolution in the 1980s. It thereby discusses the thesis of a silencing of social critique through the neoliberal expansion from the turn of the 1980s.
- La racialisation des patient·e·s « roms » par les médecins urgentistes : Invisibilisation des précarités et révélation des ambitions professionnelles - Dorothée Prud'homme p. 50-65 Cet article met au jour la racialisation à laquelle procèdent les médecins urgentistes envers des patient·e·s qu'elles et ils identifient comme roms – soit des patient·e·s perçu·e·s comme conjuguant altérité « ethno-raciale » et précarités socio-économique, résidentielle et administrative – expliquant par « leur différence culturelle » leurs motifs de recours aux services d'urgences. Ces motifs sont pourtant identiques à ceux invoqués par la majorité des publics de ces services eux aussi caractérisés par leurs conditions économiques, résidentielles ou administratives précaires. L'analyse de la conception que les ugentistes se font de leurs missions professionnelles et des enjeux de rentabilité financière que les réformes du new public management imposent à ces services, révèle les usages fonctionnels de la racialisation. En invisibilisant leur précarité socio-économique, administrative ou résidentielle, la racialisation des patient·e·s « roms » permet ainsi aux médecins urgentistes des hôpitaux publics de valoriser la réalisation de prouesses médicales au détriment de tâches susceptibles de mener à leur déclassement professionnel.This article underscores the racialization of certain categories of patients – identified as Roma – by emergency physicians through a process combining an “ethnoracial” othering with socio-economic, residential and administrative precariousness to foreground “their cultural difference” as a prime motivation factor for their reliance on emergency services. Yet – these motivations are similar to those invoked by the majority of individuals using these services – who are also characterized by precarious economic, residential or administrative conditions. The analysis of the representation that emergency physicians draw of their professional missions and the stakes of financial return that new public management reforms impose on their services helps put to light the fonctional usages of this racialization. By invisibilizing the socio-econmic, administrative or residential precariousness of the targeted group, the racialization of the “Roma” patient thereby enables emergency physicians operating within public hospitals to valorize their medical achivements despite functions seen to downgrade their professional status.
- Dispensé·e·s d'être malades : Les travailleur·euse·s des toutes petites entreprises (coiffure, restauration, bâtiment), des salarié·e·s jamais malades ? - Fanny Darbus, Émilie Legrand p. 66-81 La statistique publique montre que la santé des salarié·e·s des « très petites entreprises » (TPE) est meilleure qu'ailleurs alors même que la présence de risques professionnels y est plus forte et que la prévention y est très peu développée. À partir d'études empiriques menées au sein de trois secteurs fortement représentés dans les TPE : la coiffure, la restauration et le bâtiment, cet article explore le paradoxe des TPE en s'intéressant à la culture somatique de ces salarié·e·s. Il montre ainsi comment, à différentes étapes, la culture somatique portant à l'endurance des troubles de santé conduit à des stratégies de contournement des troubles eux-mêmes. Cette endurance se rapporte tour à tour à des effets d'ethos professionnel et aux rapports différenciés que les salarié·e·s des TPE entretiennent à l'avenir. Quand les troubles de santé deviennent trop « incapacitants » pour tenir le cours ordinaire de l'activité, s'arranger en interne et s'arrêter en évitant formellement l'arrêt maladie prévalent, la grande majorité des troubles de santé des salarié·e·s de TPE passant ainsi « sous les radars » de la statistique publique.According to official statistics, the health of individuals employed within “very small enterprises” (VSEs) is better than in other sectors despite the prevalence of higher professional risks and the lesser development of preventative measures. Based on an empirical study carried out in three sectors strongly represented in VSEs – hairdressing, catering and construction – this article explores the paradox of VSEs by examining the somatic culture of these employees. In so doing, it shows that, at different stages, the somatic culture produced to endure health problems leads to strategies of circumvention of these issues. This endurance reflects both the effects of professional ethos and the differentiated relationships of VSE employees with their future. When their health issues become excessively “debilitating” to endure their daily tasks, most of them make internal, unofficial arrangements to stop working without officially going on sick-leave, which means that the majority of health issues of VSE employees falls under the radar of public statistics.