Contenu du sommaire : Frontières et souveraineté : quelles déclinaisons américaines ? + Varia
Revue | L'Espace Politique |
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Numéro | no 42, 2020/3 |
Titre du numéro | Frontières et souveraineté : quelles déclinaisons américaines ? + Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Frontières et souveraineté : quelles déclinaisons américaines ?
- Borders in Transition: North American Borders in Comparative Perspective - Victor Konrad, Guadalupe Correa-Cabrera Bien que les voisins nord-américains semblent diverger de manière significative en matière de politiques, d'orientations et de perspectives, le Canada, les États-Unis et le Mexique restent liés par la géographie tout comme par les frontières qui les séparent. Alors que cette étude reconnaît la divergence nord-américaine au XXIe siècle, nous soutenons que, en examinant les frontières et les zones frontalières nord-américaines dans une perspective comparative, il est possible de voir plus clairement les liens, les « coutures » et les connections entre ces pays et de mieux comprendre la façon dont l'Amérique du Nord fonctionne. La pandémie actuelle illustre l'évolution de la fonction et de la signification des frontières dans une Amérique du Nord post-humaniste, où les frontières contribuent à la fois à contenir la propagation du virus et à soutenir une intégration irréversible et des systèmes de mobilité continentale.Although North American neighbours appear to be diverging significantly in politics, policies and outlooks, Canada, the United States, and Mexico remain linked by geography and the borders that also divide them. Whereas this study acknowledges North American divergence in the 21st century, we argue that by examining North American borders and borderlands in comparative perspective it is possible to see more clearly the linkages, seams and connectivities, and establish a realization of how North America works. The current pandemic illustrates the changing function and meaning of borders in a post-humanistic North America, where borders both help to contain the spread of the virus and sustain irreversible integration and systems of continental mobility.
- La délimitation maritime en mer de Beaufort, entre immobilisme et indifférence ? - Marine Boulanger, Frédéric Lasserre Plusieurs revendications sur des espaces maritimes en Arctique se traduisent par des litiges entre États riverains, même si nombre de disputes ont été résolues à travers des négociations. Parmi ces litiges, on retrouve le différend entre États-Unis et Canada portant sur les limites de leur Zone Économique Exclusive en mer de Beaufort. Il s'agit d'un litige relativement ancien (1977) et qui, malgré les relations cordiales entre Ottawa et Washington, ne semble pas connaitre de solution. Cet article se propose d'analyser la situation en mer de Beaufort, afin d'évoquer des clefs de réflexion sur le pourquoi de la pérennisation de ce différend. Il s'agit de proposer une lecture synthétique d'éléments juridiques et de documents gouvernementaux permettant de rendre compte du faible empressement des gouvernements à résoudre ce litige de basse intensité.Several claims on maritime spaces in the Arctic have resulted in disputes between riparian states, even though many of these disputes have been solved through negotiations. Among these disputes, we find the disagreement between the United States and Canada concerning the limits of their Exclusive Economic Zone in the Beaufort Sea. This is a relatively old dispute (1977) which, despite the cordial relations between Ottawa and Washington, does not seem to find a solution. This article aims at analyzing the situation in the Beaufort Sea, in order to present the reasons for the continuation of this dispute. Based on legal elements and government documents, the objective is to offer a synthetic reading of the factors that explain the weak commitment of the American and Canadian governments to solve this low-priority dispute..
- Pouvoir, préservation, prédation. Les frontières d'Amérique latine témoins d'un continent sous tensions - Lucile Medina Les frontières ont été depuis mars 2020 les instruments de logiques de fermeture simultanée partout dans le monde. En même temps, la poursuite des mouvements migratoires a montré toute leur porosité. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement aux frontières étatiques de l'Amérique latine car cette situation inédite a montré une nouvelle fois combien elles sont l'objet de processus contradictoires et sont soumises à des logiques schizophrènes qui entrent en tension et traduisent les dynamiques actuelles du sous-continent. A partir d'une lecture par les border studies, et plus spécifiquement par la géographie politique des frontières, cet article interroge les processus de bordering à l'œuvre sur les frontières en Amérique latine et les dynamiques contradictoires que l'on peut observer aujourd'hui. Autour des frontières se dessinent de nouvelles réalités complexes, qui renvoient tantôt l'image d'un continent fragmenté tantôt d'une intégration sous-continentale croissante. Les tensions politiques, économiques mais aussi sociales auxquelles sont soumises aujourd'hui les frontières latino-américaines peuvent se résumer autour de trois notions qui nous paraissent rendre compte des grands enjeux qui se posent aujourd'hui dans ces espaces : pouvoir, préservation, prédation. Chacune cristallise des dialectiques fortes qui seront envisagées tour à tour : surinvestissement politique vs abandon des marges, intégration transfrontalière vs sécurisation, préservation vs prédation.Since March 2020, borders have been the instruments of simultaneous closure rationales throughout the world. At the same time, the continuation of migratory movements underlined their porosity. We focus on Latin America's state borders because this unprecedented situation shown once again how they are subject to contradictory processes and schizophrenic rationales that come into tension and reflect the current dynamics of the sub-continent. From an approach based on the border studies theoretical framework, and more specifically through the political geography of borders one, this article deals with the bordering processes at work on the Latin America borders's and the contradictory dynamics that we can observe there today. Around borders, new complex realities are emerging, which sometimes give the image of a fragmented continent and sometimes a increasing integration to the sub-continental. The political, economic and social tensions to which the Latin American borders are subjected today can be summarized around three notions - power, preservation and predation - which seem us reflecting the major issues at stake in these spaces today. Each of these three notions crystallizes strong dialectics which will be considered in turn: political over-investment vs. abandonment of the margins, cross-border integration vs. securitization, preservation vs. predation.
- Les îles Malouines entre le Royaume-Uni et l'Argentine : construction et déconstruction d'une frontière - Marc Fourches Le Royaume-Uni et l'Argentine sont en conflit au sujet de la souveraineté sur l'archipel des Malouines, territoire d'outre-mer britannique dans l'Atlantique Sud. Ce différend se traduit par une une activité institutionnelle de la part des États dans la sphère diplomatique, en particulier au sein des organisations internationales, mais également en dans les politiques intérieures. Cette activité se traduit par la production d'un imaginaire se déployant tout particulièrement dans le cadre d'un nationalisme territorial argentin. Cet article s'appuie, entre autres, sur la notion de « nationalisme ordinaire » (ou « nationalisme banal ») développée par Michael Billig et celle de « nationalisme flagrant » proposée par Matthew Benwell. Il montre comment la frontière entre l'Argentine et les îles est tour à tour affirmée et effacée par les institutions dans le cadre de leur action sur la délimitation, mais également dans l'imaginaire collectif par les passeports, la toponymie, les représentations du territoire véhiculées par des cartes, des objets du quotidien ou publiées dans les médias. Ces éléments contribuent à façonner la relation des individus à la frontière. Ainsi est mise en évidence la façon dont un « nationalisme flagrant » contribue à produire un imaginaire national ordinaire.The Falkland Islands (Malvinas) are a British Overseas Territory (BOT) and have been on the United Nations list of Non-Self-Governing Territories (NSGT) since 1946. Argentina claims sovereignty over the archipelago and a number of other islands in the South Atlantic, leading to a simmering dispute, which turned in a full-scale war in 1982. The Argentine claim is based on the notion of continuity between the former Spanish empire and the states that were born following its demise in the early 19th century. In this vision, the British presence on the islands is viewed as a clear infringement of the territorial integrity inherited from the former colonial power. The United Kingdom's position was initially based on an early claim to the islands, before the end of Spanish colonial rule in South America and the peaceful occupation for a long period of the disputed territory and more recently on the right of the population to self-determination. Since the war, the dispute has remained central to the Anglo-Argentine relationship with periods of rapprochement and tension. Recent questions include the extension of the Exclusive Economic Zones and the competing claims by Argentina and the UK. Drawing on Michael Billig's notion of banal nationalism and Matthew Benwell's additional concept of blatant nationalism, this paper seeks to show how Argentina's territorial nationalism tries to dissolve the border with the Falkland Islands (Malvinas). By analyzing various elements in which banal nationalism is embedded such as passports, place names, maps, signposts or stamps the paper provides a picture of how blatant and banal nationalisms are connected. The evidence found suggests that this works at two levels: the institutions define and implement a set of policies whose purpose is to deny the existence of a border separating two sovereignties in international forums. These policies also contribute to the flagging of Argentine nationhood in a way that directly affects the individual's imaginary and their relationship to the border. This may make later negotiations more difficult if the concessions needed to reach a solution to the dispute are viewed as a betrayal of popular expectations.
- Borders in Transition: North American Borders in Comparative Perspective - Victor Konrad, Guadalupe Correa-Cabrera
Varia 2020
- Pour une géopolitique extrospective du développement urbain : Malaga et Mazara del Vallo, la coopération transfrontalière par le pragmatisme territorial - William Kutz, Ilaria Giglioli Cet article contribue à la recherche sur la géopolitique urbaine par une théorisation « extrospective » du pouvoir local sur la scène internationale – c'est-à-dire une orientation du développement socio-économique qui encourage tant la concurrence que la coopération entre les entités métropolitaines au-delà des frontières de l'État-nation. Empiriquement, l'article se concentre sur une étude comparative des initiatives de développement extrospectives qui ont récemment émergé en réponse aux effets de la crise économique mondiale à Malaga (Espagne) et à Mazara del Vallo (la Sicile). Nous examinons les dimensions symboliques, infrastructurelles et territoriales de ces processus afin de suggérer une conception plus transversale de la géopolitique locale que celle généralement déployée par la recherche scientifique actuelle. Ce faisant, cette approche, que nous qualifions « d'extrospective » encourage une réflexion sur trois aspects qui sous-tendent le raisonnement géopolitique de l'École française : (a) ceux concernant les politiques territoriales internes et externes à l'État-nation ; (b) l'enjeu de rivalité entre pouvoir économique et pouvoir politique ; (c) le rôle du conflit ou du consensus comme facteurs qui animent l'action sur un territoire. Dans ce contexte, cette étude vise à élargir les perspectives par lesquelles se constitue la géopolitique urbaine contemporaine.This article contributes to research on urban geopolitics through an extrospective theorization of local territorial influence on the international stage. Empirically, the article focuses on a comparative study of extrospective development initiatives from Malaga (Spain) and Mazara del Vallo (Sicily) that have recently emerged in response to the effects of the Great Recession. We examine the symbolic, infrastructural and territorial dimensions of these strategically outward-oriented processes in order to advocate for a more transversal conceptualization of local geopolitical power than has been typically employed in current research. In doing so, our specifically extrospective approach provides a pathway for thinking across three key analytical distinctions that underpin geopolitical reasoning in the French School of Geopolitics: (i) those concerning territorial actions internal and external to the nation-state; (ii) the rapport between political and economic power rivalries, and; (iii) the role of conflict or consensus animating territorial action. Together, the issues seek to provide political geographers with scope to imagine alternative spaces by which local geopolitics is constituted today.
- Le monde après la Guerre froide selon James Bond et Mission impossible. Postmodernité et post-politique - Manouk Borzakian, Nashidil Rouiaï Dans cet article, nous interrogeons les modalités de représentation des bouleversements géopolitiques intervenus depuis le début des années 1990 dans le cinéma d'espionnage occidental. Pour ce faire, nous étudions les enjeux politiques et leur spatialisation dans les huit derniers films de la saga James Bond et les six de la saga Mission impossible, tous sortis entre 1995 et 2018. Ces films peinent à penser le monde en dehors des repères binaires de la Guerre froide, mais dessinent tout de même les grandes lignes d'une « géopolitique postmoderne » dont les caractéristiques sont d'autant plus saillantes après le 11 septembre 2001 (globalisation, multipolarité et nouveaux défis liés aux pouvoirs et contre-pouvoirs réticulaires). Ils décrivent un monde instable, illisible, marqué par l'infiltration généralisée des lieux de pouvoir par des ennemis toujours plus indistincts. Ils mettent en scène les inquiétudes liées au cyberespace, l'effacement relatif des États-nations et l'omniprésence d'une menace diffuse pesant sur l'Occident, émanant d'individus psychologiquement instables. En somme, ils participent à l'élaboration d'un discours visant à dépolitiser la géopolitique, dont ils réduisent les enjeux à la nécessaire défense de l'ordre établi contre les assauts d'entités géographiquement et politiquement mal définies.In this article, we question the modalities of representation of the geopolitical upheavals that have occurred since the early 1990s in Western spy cinema. To do so, we study the political issues and their spatialization in the last eight films of the James Bond saga and the six of the Mission Impossible saga, all released between 1995 and 2018. These films make it difficult to think our world outside the binary markers of the Cold War; nevertheless, they draw the outlines of a "postmodern geopolitics", with characteristics that are particularly salient after September 11, 2001 (globalization, multipolarity and new challenges linked to networked powers and counter-powers). They describe an unstable, illegible world, marked by the widespread infiltration of the power structures by increasingly indistinct enemies. They stage the anxieties linked to cyberspace, the relative disappearance of nation-states and the omnipresence of a diffuse threat against the West, emanating from psychologically unstable individuals. In short, they participate in the elaboration of a discourse aiming to depoliticize geopolitics, reducing its stakes to the necessary protection of the established order against the assaults of geographically and politically poorly defined entities.
- Pour une géopolitique extrospective du développement urbain : Malaga et Mazara del Vallo, la coopération transfrontalière par le pragmatisme territorial - William Kutz, Ilaria Giglioli
Varia 2021
- Territorialiser la domination ethnique : le ghetto musulman de Juhapura à Ahmedabad (Inde) - Charlotte Thomas Le présent article examine les dynamiques territoriales ayant présidé aux pogroms anti-musulmans survenus en 2002, en Inde, dans l'État du Gujarat, et menés par des hindouistes. En prenant le cas particulier de la capitale économique, Ahmedabad, et en mobilisant une ethnographie fine et de longue durée, l'article défend la thèse selon laquelle la spatialisation des attaques a engendré une dynamique singulière de ségrégation. En l'espèce, le ciblage systématique des espaces mixtes, c'est-à-dire ceux fréquentés à la fois par des hindous et des musulmans, a conduit l'ensemble de la minorité à se ségréger à Juhapura, un espace périphérique d'Ahmedabad. En quête d'un entre-soi ethnique perçu comme protecteur, les musulmans de castes inférieures, moyennes et supérieures se sont ainsi retrouvés à partager un espace commun. Cette reconfiguration contrainte est inédite au regard des dynamiques traditionnelles de peuplement fondées sur l'organisation économique de l'espace urbain, et non pas ethnique. Le territoire musulman ainsi formé est analysé comme un ghetto (Wacquant) et appréhendé comme un dispositif spatial de domination (Foucault) des autorités hindouistes à l'égard des musulmans. Notamment caractérisé par le retrait choisi de la puissance publique, le ghetto est conséquemment aménagé par ses habitants. De façon a priori paradoxale, cet auto-développement induit le retournement de l'identité dégradée associée au ghetto et permet à ses habitants de résister à la domination qui s'exerce sur eux par le truchement de ce dispositif spatial.This article analyses the spatial dynamics underneath the pogroms that took place in 2002, in Gujerat, India. Attacks were carried by Hinduist militants and solely targeted Muslims. Based upon a long-term ethnography, the article assesses the specific case of Ahmedabad, the economic main city of Gujerat. It defends the main argument that the specific location of violence nurtured a unique dynamic of segregation. Namely, the systematic targeting of mixed areas –spaces that were lived by both Hindus and Muslims– pushed the Muslim minority to gather in a peripheric area named Juhapura. Hence, high-, middle- and low-casts Muslims all gathered at the same place to look for a safe and secure ethnic entre-soi. This is an unprecedent reconfiguration of Indian residential patterns for space was traditionally organized according to economic cleavages, not ethnic ones. I analyze this newly constituted territory as a ghetto (Wacquant) and consider it to be a spatial dispositive of domination in a Foucaldian sense. From a Hinduist perspective, the ghetto intends to dominate the Muslim minority. One of the main features of the ghetto is indeed the selective neglect from the authority that its inhabitants have to face. But the lack of public amenities pushes them to manage the territory of the ghetto by themselves. In an apparent paradox though, by doing so the inhabitants consequently reverse the identity stigma that goes with the fact of living in a ghetto. Ultimately, they hence resist the domination that the ghetto aims at exerting on them via the ghetto.
- Quand le débat public échoue à prévenir le conflit : retour sur la contestation d'un projet industriel de transition énergétique dans les Landes (France) - Sylvie Clarimont Les dispositifs participatifs dans le domaine de l'environnement et de l'aménagement tendent à se généraliser (Alban et al., 2005). En France, la participation habitante est encouragée par un important mouvement législatif à partir des années 1980-1990 qui a conduit à la mise en place de différents types de dispositifs de consultation de la population (Raymond, 2009), les uns pérennes, les autres plus ponctuels. L'action publique doit désormais intégrer la participation habitante. Ce développement de la démocratie participative fait cependant l'objet de nombreuses critiques. Certains y voient un risque d'affaiblissement de la démocratie représentative ; d'autres regrettent, au contraire, le manque d'ambition des processus participatifs qui aboutissent rarement à la co-décision et sont souvent inégalitaires. En France, le débat public a été institué par la Loi n° 95-101, du 2 février 1995, relative à la protection de l'environnement. Il a été mis en place pour trouver une solution au blocage de grands projets, notamment ferroviaires (Lolive, 1999), observé au début des années 1990 et dont les causes seraient un déficit d'information un manque de prise en compte des populations concernées (Dziedzicki, 2001). C'est un dispositif de consultation ouvert à tous les citoyens et prévu pour des projets d'aménagement à fort impact environnemental. Il vise à construire l'acceptabilité sociale d'un projet à partir de la confrontation de points de vue différents. Dans les faits, cette arène publique ne parvient pas toujours à construire le consensus. Quelle est la place accordée à la parole contestataire dans un dispositif participatif qui vise à éviter le conflit pour faire émerger un accord négocié sur un projet ? Quelle est la réalité de l'empowerment des citoyens dans le débat public ? L'article vise à répondre à ces questions en évaluant la qualité de la participation, dans le cas d'un débat public organisé en 2011-2012, dans le sud des Landes. Ce débat portait sur un projet industriel de stockage de gaz qui devait contribuer, selon le porteur de projet, à la transition énergétique. La méthode de recherche repose sur l'analyse d'un corpus textuel constitué par les verbatim des neuf réunions publiques organisées par la Commission locale chargée d'organiser le débat public (CPDP) et sur l'observation participante (puisque l'auteur a été membre de cette commission. Quelques résultats principaux peuvent être mis en avant : — Dans ce débat public, les possibilités d'expression des citoyens étaient très encadrées. — Pourtant, la participation citoyenne à ce débat public a été très importante. — Dans et aux marges du dispositif participatif, un mouvement structuré et argumenté d'opposition au projet s'est peu à peu mis en place. — L'apparition de ce conflit a des causes multiples et s'explique notamment par les spécificités du territoire du projet.— Les citoyens mobilisés contre le projet n'ont jamais boycotté ou empêché le débat public, mais ils l'ont détourné de son dessein originel pour en faire une tribune de la contestation.— Certaines recherches ont souligné l'instrumentalisation des citoyens mobilisés (Neveu, 2011) ou leur dépolitisation (Gourgues, 2018) dans le débat public, c'est le contraire qui a été observé dans le cas étudié.Participatory practices in the environment and planning fields are tending to become more widespread (Alban et al., 2005). In France, citizen participation has been encouraged by a significant legislative trend since the 1980s and 1990s, which has led to the implementation of various types of public consultation processes (Raymond, 2009), some permanent, others temporary and most of which now have to include the participation of residents (Blondiaux, 2008; Muller, 2005). This development in participatory democracy, however, has come in for much criticism (Gourgues et al., 2013): some see the risk of it weakening representative democracy; others, on the contrary, deplore the lack of ambition of participatory processes, which rarely lead to co-decisions and often fail to secure equal expression for all points of view. In France, the Public Debate process was established by law under Act n°95-101 of February 2, 1995 on protection of the environment. The aim was to find a solution to address the strong opposition to major infrastructure projects, particularly high-speed railway lines (Lolive, 1999), observed in the early 1990s, the causes of which were considered to be a lack of information and a lack of consideration for the local populations affected (Dziedzicki, 2001). This consultation process is open to all citizens and was designed for major development projects with a high environmental impact. It aims to build up the social acceptability of a project through exchanges of different points of view (Gaudin, 2007; Doury et al., 2006; Blondiaux, 2008; Oiry, 2015). In reality, this public sphere for consultation does not always succeed in building consensus. How far are contentious positions taken into account in a participatory process that aims to avoid conflict in order to bring about a negotiated agreement on a project? How real is citizen empowerment in such public debates?This article aims to answer these questions by assessing the quality of participation in the case of a public debate process organized in 2011-2012 in south-western France (Landes département). This debate concerned an industrial gas storage project which, according to the project leader, would contribute to the energy transition. The research method was based on analysis of a textual corpus made up of verbatim transcriptions of the nine public meetings organized by the local committee in charge of organizing the public debate (CPDP) and on participant observation (the author being a member of this committee).The following results can be highlighted: - During this public debate, possibilities for citizens' expression of their views were very restrictive. - However, citizen participation in the public debate was very high.- During and outside the public debate process, a well-structured and cogently argued opposition movement to the project was gradually set up.- The emergence of this conflict has multiple causes and can be explained in particular by the specific characteristics of the area affected by the project.- The citizens mobilizing against the project never boycotted or obstructed the public debate process, but diverted it from its original purpose to turn it into a forum for protest.- While some researchers have emphasized the instrumentalization of mobilized citizens (Neveu, 2011) or their depoliticization (Gourgues, 2018) in public debates, the opposite was observed in the case studied here.
- L'implication des élites économiques locales dans la lutte contre le sans-abrisme à Portland. Vers une instrumentalisation de l'accompagnement social ? - Antonin Margier Cet article interroge le rôle pris aujourd'hui par les élites économiques urbaines dans la gouvernance du sans-abrisme ainsi que les modalités et les significations de cette implication. Afin d'appréhender ces enjeux, cet article s'appuie sur une enquête de terrain menée à Portland (États-Unis) où plus de 4 000 personnes étaient recensées comme sans-abri en 2019. En s'appuyant sur les actions menées par le Business Improvement District ainsi que sur l'exemple du financement philanthropique de deux refuges par des promoteurs immobiliers, cet article met en lumière l'ambivalence de ces interventions et la façon dont les choix opérés par ces acteurs économiques peuvent tout autant offrir des réponses sociales et sanitaires à la précarité qu'à l'invisibiliser dans une perspective de valorisation économique. En mettant notamment en lumière les rapports de force entre les élites économiques locales et les pouvoirs publics sur les interventions à mener, cet article interroge leur influence sur les politiques sociales et la façon dont leurs interventions peuvent accompagner et soutenir ou au contraire limiter et contrarier les stratégies mises en œuvre par les pouvoirs publics.Although the influence of the private sector on urban planning is well established in urban studies and geography, the ways in which business and property owners take part in the management of homelessness has received far less attention. This article focuses on Portland (OR) in the United States as a means of understanding the motivations that underlie the role of the private sector and its impact on public policies. To this end, I focus on the support by Portland's downtown Business Improvement District of homeless outreach programs, and on the funding of two homeless shelters by business elites / philanthropists. I argue that although public authorities have different views on the actions to be taken to end homelessness, business elites often manage to bring initially-reluctant public authorities to support their projects in what might be termed a forced-march cooperation. I also highlight the ambivalence of the private sector and business elites' participation in homelessness management, given that the outreach programs they support and the homeless facilities they fund provide services for the homeless while simultaneously removing them from visible public space. In this sense, the involvement of business and property owners is also a way for them to protect their own interests.
- L'aménagement des gares du Grand Paris Express face à la gouvernance complexe de la région-capitale. L'instrument du comité de pôle comme réponse pour une meilleure coordination des acteurs ? - Matthieu Schorung L'articulation entre l'urbanisme et les réseaux de transports collectifs se trouve plus que jamais au centre des préoccupations et des attentes des acteurs de l'aménagement et des transports. L'intérêt est très marqué de la part des milieux de la recherche et des professionnels pour les questions relatives à la conception de modes d'urbanisation plus durables, moins coûteux en déplacements et moins dépendants de l'automobile. La promotion d'une ville structurée autour des réseaux de transports mêle le schéma d'une organisation urbaine polycentrique à celui de la ville compacte, permettant à celle-ci de sortir d'une représentation limitée aux espaces centraux. Cette évolution des doctrines urbanistiques s'est accompagnée d'un foisonnement de nouveaux outils d'action publique élaborés par les institutions étatiques, les gouvernements métropolitains, les collectivités locales voire les autorités en charge des transports afin de favoriser la coordination urbanisme-transport. En Île-de-France, l'aménagement des gares et des quartiers de gare liés au projet du Grand Paris Express a donné lieu à la mise en place de « comités de pôle » qui visent à surmonter la pluralité des domanialités, des maîtrises d'ouvrage et des opérateurs, et à construire des accords sur la base desquels les acteurs s'appuient pour mettre en œuvre l'action collective. Ce papier analyse ce nouvel instrument d'action publique à la fois dans son fonctionnement, dans ses missions et dans ses jeux d'acteurs. Cela permet d'aborder, sous l'angle de la coordination urbanisme-transport, la question de la gouvernance de la région-capitale et de conclure à la difficile coordination des acteurs et des échelles en particulier dans le Grand Paris.The link between urban planning and transport networks is more than ever at the center of the concerns and expectations of the planning and transport actors. There is a strong interest from the research and professional communities in issues related to the design of more sustainable modes of urbanization, less costly in travel and less dependent on the automobile. The promotion of a city structured around transport networks mixes the polycentric urban organization scheme with that of the compact city, allowing the latter to move away from a representation limited to central spaces. This evolution of urban planning doctrines has been accompanied by a proliferation of new public action tools developed by state institutions, metropolitan governments, local authorities and even transport authorities to promote urban planning-transport coordination. In the Île-de-France region, the development of stations and station areas linked to the Grand Paris Express project has led to the establishment of “hub committees” that aim to overcome the plurality of ownership, project management and operators, and to build agreements on the basis of which actors can implement collective action. This paper analyzes this new instrument of public action in terms of its functioning, its missions and its interplay of actors. This makes it possible to address, from the angle of urban planning-transport coordination, the issue of governance in the capital region and to conclude that it is difficult to coordinate actors and scales, particularly in Greater Paris.
- Pourquoi les projets d'aménagement portuaire suscitent moins d'opposition et de recours que les projets d'autoroutes et de LGV ? - Geneviève Zembri-Mary Les conflits autour des projets de construction et d'extension des infrastructures de transport sont classiques, mais diffèrent selon les modes. Cet article a pour objet d'analyser les raisons pour lesquelles la contestation des associations et du public autour des projets portuaires est moins forte et a moins de conséquences sur ces derniers (retard, surcoût, annulation, recours, modification, etc.) que dans le cas des projets de LGV et d'autoroutes. En effet, il n'y a pas de publication qui fasse d'analyse simultanée des trois modes sur la question du conflit et de la contestation, qui prenne en compte les nouvelles modalités de participation issues des textes de 2008 et de 2011, et qui traite de l'impact de la participation et des conflits sur le projet. Cet article repose sur trois hypothèses : les motifs de la contestation semblent être différents entre les modes ; les formes et l'intensité de la mobilisation semblent être différentes ; les conséquences de la contestation pour le projet semblent être différentes. Ces conséquences peuvent être assimilées à des risques potentiels en management de projet. La première partie dresse un état de l'art des recherches sur la participation et les conflits. La deuxième partie expose la méthodologie. Huit projets de transport ont été analysés au moyen de trois indicateurs : les motifs de contestation ; les formes et l'intensité de la mobilisation ; les conséquences possibles pour le projet. La troisième partie analyse les différences constatées entre chaque mode. Les résultats de la partie 4 expliquent que les contestations ont moins de conséquences pour les projets portuaires par rapport à d'autres modes du fait de l'attachement des habitants au site, des emplois créés, de la difficulté pour les associations à évaluer les impacts environnementaux des constructions sur le milieu marin (ce qui leur permet plus difficilement de faire un recours) et du périmètre des projets.Conflicts regarding transport infrastructure projects are usual, but they seem different according to the mode. The purpose of this article is to analyze the reasons why the disputes regarding seaports projects are less strong and have less consequences on them (delay, additional cost, cancellation, appeal, modification, etc.) than in the case of highways and high-speed lines projects. Indeed, there is no publication which draws a comparative analysis of the three modes on conflicts and protests, which takes into account the new modes of participation resulting from the texts of 2008 and 2011, and which addresses the impact of participation and conflicts on the project. This article is based on three hypotheses: reasons which might explain protests seem to be different between the modes; the forms and intensity of mobilization appear to be different; the consequences of the challenge for the project seem to be different. These consequences can be assimilated to potential risks in project management. The first part provides a state of the art of research on participation and conflict. The second part presents the methodology. Eight transport projects were compared using three indicators: the grounds for contestation; the forms and intensity of mobilization; the possible consequences for the project. The third part analyzes the differences observed between each mode. The results of part 4 explain that disputes have fewer consequences for seaport projects compared to other modes because of attachment of inhabitants to the site, jobs created, difficulty for associations to assess the impact of construction on marine environment (which allows less easy to appeal) and the perimeter of projects.
- Territorialiser la domination ethnique : le ghetto musulman de Juhapura à Ahmedabad (Inde) - Charlotte Thomas