Contenu du sommaire : Paysages moraux des drogues
Revue | Politique africaine |
---|---|
Numéro | no 163, 2021/3 |
Titre du numéro | Paysages moraux des drogues |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Édito - Vincent Bonnecase, Julien Brachet p. 5-6
Dossier. Paysages moraux des drogues
- Introduction au thème. La prohibition par le bas : négociations morales et contestations locales - Corentin Cohen, Gernot Klantschnig p. 7-22
- Fumoirs et relations d'interdépendance : négocier l'ordre social à Abobo, Abidjan - Maxime Ricard, Kouamé Félix Grodji p. 23-43 Les fumoirs comme lieux d'échange et de consommation de différentes drogues en Côte d'Ivoire sont devenus avec le temps des institutions sociales. Dans la commune d'Abobo à Abidjan, ceux-ci sont une partie intégrante d'une économie de la violence qui s'est construite sur le terreau d'un ghetto social, renforcée par l'effet paroxystique de la guerre. Les relations d'interdépendance construites autour de ces fumoirs constituent des configurations réunissant une diversité d'acteurs, façonnant l'ordre social. La légitimité des fumoirs se négocie ainsi à travers des pratiques à la fois coercitives et morales. Ce sont des rapports de force, mais aussi une production de sens via des relations magico-religieuses.An economy of violence was built in the commune of Abobo in Côte d'Ivoire on the fertile ground of a social ghetto, and was reinforced by the paroxysmal effect of the war. Smokehouses as part of the social world of drugs have over time become social institutions. The relations of interdependence built around them constitute configurations bringing together a diversity of actors, shaping the social order. The legitimacy of smokehouses is thus negotiated through practices that are both coercive and moral. These entail power relations, but also the production of meaning via magico-religious relationships.
- Between Drugs and Society: Moral Experiences and Drug Addiction in Ouagadougou - Annigje van Dijk, Roger Zerbo p. 45-60 Cet article questionne les mondes moraux et les expériences d'usagers de drogues tels qu'ils ont été rapportés par des personnes dépendantes de l'héroïne et/ou de la cocaïne à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Les expériences de ces usagers sont marquées par un conflit permanent entre le besoin de consommer des drogues et l'incapacité simultanée de vivre une « bonne vie », c'est-à-dire d'assurer le rôle social associé à différentes étapes de la vie. Cette recherche s'ajoute ainsi aux rares travaux scientifiques qui se sont attachés à comprendre le monde des drogues en Afrique du point de vue des consommateurs.This article engages with the local moral worlds and the reported experiences of people addicted to heroin and/or cocaine in Ouagadougou, the capital of Burkina Faso. Drug users' experiences were coloured by a continuous conflict between the need to use drugs and a simultaneous inability to live a “good life”: that is, to fulfill the social role associated with their “life stage.” We add to a small body of research that has sought to understand the worlds of drugs in Africa from the perspectives of people who engage in drug use.
- Des élites touarègues face aux trafics de drogues. Quelles recompositions morales et sociopolitiques ? - Adib Bencherif p. 61-83 Depuis le milieu des années 2000, les trafics illicites au Sahel, notamment les trafics de drogue, sont régulièrement analysés à travers un prisme sécuritaire. Le présent article, basé sur un terrain de recherche au Mali et au Niger entre 2016 et 2017, adopte une approche critique, explicitant les enjeux associés aux « données » et aux récits collectés sur les trafics de drogue et soulignant ce qu'ils révèlent ou laissent parfois supposer dans le contexte d'une économie politique régionale en transformation. Ayant eu principalement accès à des élites touarègues, l'auteur présente leurs perceptions et leurs économies morales autour des trafics de drogue. À travers les récits de ces élites, il se penche sur les dynamiques de pouvoir et les potentiels effets provoqués par l'économie de la drogue au sein des communautés touarègues au Mali et au Niger. L'article analyse plus spécifiquement les préoccupations des élites par rapport aux trafics de drogue, à l'instar de l'évolution des liens matrimoniaux, de l'avènement de nouvelles notabilités, de la perte de contrôle sur la « jeunesse » et de l'affaiblissement de certaines réalités statutaires.Since the mid-2000s, illicit trafficking in the Sahel, in particular drug trafficking, has regularly been analyzed through a security lens. This article, which is based on field research in Mali and Niger between 2016 and 2017, takes a critical approach in order to explain the issues associated with the “data” and “narratives” collected on drug trafficking. It highlights what they reveal or suggest in the context of a changing regional political economy. Having mainly interviewed Tuareg elites, the author presents their perceptions and moral economies around drug trafficking. Through the narratives of these elites, he analyzes more specifically their concerns about the revision of marital ties, the advent of new notabilities, the loss of control over “youth,” and the weakening of certain statutory realities.
- Opioid of the People: The Moral Economy of Tramadol in Lagos - Gernot Klantschnig, Ini Dele-Adedeji p. 85-105 Cet article propose un examen approfondi du marché illicite du tramadol à Lagos. S'appuyant sur des entretiens avec des commerçants de ce médicament et des acteurs de son contrôle, il questionne les récits moraux que les agents de l'État et du marché adoptent pour légitimer leur travail. À travers le prisme de l'économie morale, nous montrons en quoi ces récits sont liés à des luttes de pouvoir plus larges au sein du marché pharmaceutique et entre les instances de régulation. L'article soutient que la nature morale ambiguë du tramadol est essentielle pour comprendre un médicament officiellement stigmatisé et, pourtant, largement utilisé et commercialisé.This article provides an in-depth examination of the illicit tramadol market in Lagos. It draws on interviews with tramadol regulators and traders to explore the moral narratives that state and market actors adopt to legitimize their work. Through a moral economy lens, we show how these narratives are linked to wider power struggles within the pharmaceutical market and between regulatory agencies. The article argues that the ambiguous moral nature of tramadol is critical for understanding a drug that is officially despised and yet so widely used and traded.
Recherches
- L'irrévérence politique ou le pillage symbolique du chef de l'État gabonais - Placide Ondo p. 107-125 Ce texte traite de la lutte politique au Gabon. Il montre que la confiscation du pouvoir par l'actuel chef de l'État à l'issue du scrutin présidentiel de 2016 a provoqué chez ses adversaires une entrée dans la « résistance » afin de le délégitimer. Ces derniers développent alors l'irrévérence comme action contestataire envers ce régime. Ils la chargent des ressentiments accumulés depuis l'arrivée d'Ali Bongo au pouvoir en 2009 pour alimenter les agressions symboliques. La stratégie consiste, d'une part, à diversifier les types d'agression et les angles d'attaque et, d'autre part, à répartir les agressions entre différents espaces symboliques et physiques.This text deals with the political struggle in Gabon. It shows that the confiscation of power by the current head of state following the 2016 presidential election caused his opponents to form a “resistance” in order to delegitimize him. The latter then developed irreverence as a protest action against this regime. They charge it with the resentments accumulated since Ali Bongo came to power in 2009 in order to fuel symbolic attacks. The strategy consists, on the one hand, in diversifying the types of aggression and the angles of attack, and, on the other hand, in distributing the aggressions between different symbolic and physical spaces.
- Politiser le « vide sécuritaire » : à propos des groupes d'autodéfense koglweogo au Burkina Faso - Zakaria Soré, Muriel Cote, Bouraïman Zongo p. 127-144 Au Burkina Faso, l'émergence récente des groupes d'autodéfense « koglweogo » est souvent mise en lien avec la notion de « vide sécuritaire ». Cependant, considérer l'émergence des koglweogo comme la manifestation de l'absence de l'État dépolitise les rapports de force qui sous-tendent le phénomène des groupes d'autodéfense. En nous appuyant sur l'analyse des justifications de l'émergence et du travail des koglweogo et de la politique de police de proximité censée leur donner un mandat officiel, nous mettons plutôt en lumière les luttes de pouvoirs qui se jouent autour de la détermination de la notion de sécurité même. C'est à travers ces rapports de force politiques et économiques que nous comprenons l'émergence et le « succès » de ces groupes dans une dynamique de formation de l'État.In Burkina Faso, the recent emergence of the “koglweogo” vigilante groups is often explained as a result of a “security vacuum.” This explanation, however, tends to depoliticize the power relations that underlie the phenomenon of vigilantism. In this article we analyze the justifications for the emergence and work of koglweogo groups and for the national policy of community-based policing that aims to give these groups a mandate. This analysis helps shine a light on the power struggles that underlie the determination of the notion of security itself. It is through these political and economic power relations that we understand the emergence and “success” of these vigilante groups within a dynamic of state formation.
- The Mulele “Rebellion”: Bodily Pain and the Politics of Death (Democratic Republic of the Congo, 1963-1968) - Emery M. Kalema p. 145-172 Cet article traite de diverses manières de « donner la mort » pratiquées pendant la rébellion muléliste en République démocratique du Congo (1963-1968), ainsi que de la politique qui les sous-tendait, comme se souviennent certains survivants. S'appuyant sur des entretiens oraux approfondis, aussi bien que sur des documents d'archives de la rébellion et sur un corpus théorique de psychanalyse et de phénoménologie, cet article soutient que la rébellion et l'État congolais avaient une manière particulière d'infliger la douleur et la souffrance aux corps de leurs ennemis. Cette façon d'administrer la douleur et la souffrance était un produit hybride. Elle s'appuyait sur la triple logique de la cruauté, de l'excès et du sadisme, et avait d'énormes conséquences tant pour les morts que pour les vivants.This article discusses the various acts of “giving death” during the Mulele rebellion (1963–1968), the pain and suffering these actions caused, and the politics underpinning them, as recalled by survivors. Drawing on extensive oral interviews and an archive of materials created during the rebellion, as well as a body of psychoanalytic and phenomenological theory, the article argues that the rebellion in its most extreme manifestation and the Congolese state had a particular way of inflicting pain and suffering on the bodies of their subjects, their enemies. The way this pain and suffering were administered was a product of a form of hybridization that relied heavily on the triple logic of cruelty, excess, and sadism. It consisted in seizing people, torturing them, and pursuing them beyond all suffering. This system had huge consequences for both the dead and the living: on the one hand, it led to the emergence of an entangled relationship between them, while on the other, it condemned the living to carry the dead with them throughout their lives as a heavy, inseparable burden.
- L'irrévérence politique ou le pillage symbolique du chef de l'État gabonais - Placide Ondo p. 107-125
Lectures
- Revue des livres - p. 173-184