Contenu du sommaire : La semaine
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 52, 2021 |
Titre du numéro | La semaine |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
La semaine : découpe et usages du temps social (XIXe-XXe siècles)
- Quelle semaine ! - Marie-Ève Thérenty p. 9-23
- Hétérogénéité hebdomadaire : Une taxonomie des nombreux types de semaine dans l'Amérique du XIXe siècle - David Henkin, Jean-Charles Khalifa p. 25-43 L'homme moderne vit sur un rythme hebdomadaire. Bien qu'elle ne soit ni ancrée dans le monde observable ni une subdivision naturelle d'une unité calendaire plus large, la semaine de sept jours, institution anormale, n'en constitue pas moins un cadre indispensable de comptabilisation du temps dans la plus grande partie du monde moderne, avec des conséquences importantes pour l'expérience ordinaire et la conscience temporelle. Il est frappant de constater que la semaine bouleverse les dichotomies critiques qui organisent les études scientifiques du temps et s'intègre mal dans les récits conventionnels de l'histoire de la mesure de ce temps. Les sociologues, historiens et critiques culturels distinguent les expériences anciennes du temps en tant que naturelles, cycliques et hétérogènes, de ses expériences modernes et occidentales, quant à elles artificielles, linéaires et homogènes. Les semaines ne se laissent assimiler à aucun des deux termes de cette dichotomie ; ce sont des cycles artificiels qui imposent néanmoins une hétérogénéité aux jours qui composent la série. La semaine défie également toute classification historique facile. C'est d'une part un très vieux système de suivi invoqué par les critiques traditionnels de la société sécularisée de consommation perpétuelle en tant que rempart contre les empiètements de la modernité. Mais c'est aussi un dispositif mécanique qui s'est révélé particulièrement adapté aux relations de marché, à la réorganisation capitaliste du travail, aux exigences de la communication à distance et aux logiques d'une société impersonnelle.Modern subjects live by the week. Though it is neither anchored in the observable world nor nested neatly into any larger calendar unit, the anomalous institution of the seven-day week forms an indispensable framework for reckoning time in most of the modern world, with broad implications for ordinary experience and temporal consciousness. Strikingly, the week unsettles the critical dichotomies that organize scholarly studies of time and fits awkwardly into conventional narratives of the history of timekeeping. Sociologists, historians, and cultural critics distinguish older experiences of time as natural, cyclical, and heterogeneous from modern, Western experiences of time as artificial, linear, and homogeneous. Weeks conform to neither side of that divide; they are artificial cycles that nonetheless impose heterogeneity on the days that comprise the series. The week defies easy historical classification too. It is on one hand a very old tracking system invoked by traditional critics of 24/7 secular, consumer society as a bulwark against the encroachments of modernity. But it is also a mechanical device that has proven especially congenial to market relations, capitalist reorganization of labor, the demands of long-distance communication, and the logic of impersonal society.Weeks also do quite different kinds of work, well beyond their imposition of regular bimodal cycles of work and rest. Drawing on and introducing a larger study of the historical development of the modern week in the United States, this essay offers a taxonomy of the four different ways in which weeks organized temporal experience in a set of North American societies that were unusually attached to seven-day timekeeping.
- Plier la semaine au rythme du politique ? : Tentatives révolutionnaires d'organisation du temps (de la Révolution française à la Seconde Guerre mondiale) - Fabien Conord p. 45-61 De la Révolution française à la Seconde Guerre mondiale, plusieurs essais de redécoupage du temps social voient le jour ou sont simplement esquissés, en France mais aussi en Union soviétique ou même dans les anciens empires musulmans en voie de modernisation. Cet article retrace l'histoire de ces tentatives, en expose les motivations mais aussi les résistances que rencontrent ces politiques qui bouleversent l'organisation sociale en essayant de se soustraire au référentiel religieux. Il constate l'échec final de la plupart de ces expériences, qui demeurent limitées dans le temps (une douzaine d'années en France comme en URSS) et peinent à passer de la sphère politique aux réalités de la vie populaire.From the French Revolution to the Second World War, several attempts to redistribute social time see the light of day or are simply sketched out, in France but also in the Soviet Union or even in the old Muslim empires in the process of modernization. This article traces the history of these attempts, explains their motivations but also the resistance encountered by these policies which upset social organization by trying to escape the religious frame of reference. It noted the ultimate failure of most of these experiments, which remained limited in time (a dozen years in France as in the USSR) and struggled to move from the political sphere to the realities of popular life.
- Jours tranquilles à Matignon : gérer la semaine de Pierre Mauroy entre Lille et Paris - Pierre-Emmanuel Guigo p. 63-78 Véritable « enfer » selon le titre de l'ouvrage que Raphaëlle Bacqué a dédié aux Premiers ministres de la Ve République, Matignon soumet ses occupants à un rythme effréné. L'étude des agendas de Pierre Mauroy et du journal de marche de l'aide de camp du Premier ministre permet toutefois de voir que la semaine de celui qui est aussi maire de Lille est très structurée avec des rendez-vous récurrents fixés avec ses ministres, le chef de l'État, ses collaborateurs ou à l'Assemblée nationale. L'urgence peut bien évidemment s'imposer, notamment lors des grandes décisions économiques (dévaluation de juin 1982, « tournant de la rigueur »), des réformes structurelles, mais plus qu'un chambardement de l'organisation, c'est un agenda qui s'allonge, profitant des interstices laissés vacants. L'originalité de la semaine de Pierre Mauroy à Matignon réside dans ses week-ends qu'il consacre quasi systématiquement à un retour dans sa ville de Lille dont il continue à assumer les tâches de maire. Cette ubiquité entre Lille et Paris est rendue possible par des moyens logistiques exceptionnels.True "hell" according to the title of the work that Raphaëlle Bacqué dedicated to the prime ministers of the Fifth Republic, Matignon is subduing its occupants at a breakneck pace. The study of Pierre Mauroy's agendas and of the Prime Minister's aide-de-camp journal allows us to see that the week of this Prime minister who is also mayor of Lille is very structured with recurring meetings established with his ministers, the Head of State, his collaborators or in the National Assembly. Urgency can obviously be imposed, in particular during major economic decisions (devaluation of June 1982, “turn of the rigor”), structural reforms, but more than a upheaval of the organization it is an agenda which lengthens, taking advantage of the gaps left vacant. The originality of Pierre Mauroy's week at Matignon lies in his weekends, he devotes almost all of it to a return to his city of Lille, where he continues to assume the duties of mayor. This ubiquity between Lille and Paris is made possible by exceptional logistical means.
- La semaine, une division pratique mais tardive du temps scolaire ? (XVIe-XXIe siècles) - Jean-François Condette p. 79-100 On assiste sur plusieurs siècles à la mise en place d'un temps scolaire où les unités de décompte sont plurielles, mais qui s'autonomise partiellement du temps de la vie religieuse et de celui de la vie économique, cherchant à renforcer l'efficacité pédagogique. Si l'heure devient une unité de compte majeure, la semaine s'affirme à partir du XIXe siècle, d'abord dans le secondaire puis dans le primaire, comme une référence essentielle qui organise l'année scolaire, sert de cadre à la fabrication des emplois du temps et à la gestion du service des enseignants. Il existe cependant constamment des durées différentes comme le mois, le trimestre, le semestre, qui jouent un rôle non négligeable, alors que la notion d'année reste incontournable pour structurer le parcours scolaire de l'élève. La semaine est soumise à de multiples enjeux qui peuvent s'opposer, au croisement des logiques du respect des rythmes de l'enfant et de l'adolescent, de l'organisation des loisirs familiaux et des intérêts économiques, comme le révèlent les tensions récentes autour de « la semaine de quatre jours ».Over several centuries, we witness the establishment of a school time in which the units of counting are plural, but which is partially autonomous from the time of religious life and that of economic life, seeking to reinforce pedagogical efficiency. If the hour became a major unit of account, the week asserted itself from the 19th century onwards, first in secondary and then in primary schools, as an essential reference which organized the school year, served as a framework for the creation of timetables and for the management of teachers' services. However, there are always different durations such as the month, quarter, semester, which play a significant role, while the notion of year remains essential to structure the student's school career. The week is subject to multiple issues that may conflict, at the intersection of the logic of respect for the rhythms of the child and the adolescent, the organization of family leisure activities and economic interests, as revealed by the recent tensions surrounding the « four-day week ».
- Temps organisé ou temps dilaté : Des jours dans les asiles du département de la Seine (1838-1950) - Véronique Fau-Vincenti p. 101-118 L'organisation du temps et des semaines dans les asiles et hôpitaux psychiatriques a été précédée par un ordonnancement architectural des établissements publics qui se sont imposés comme « ville dans la ville ». Ces cités thérapeutiques ont renfermé des enfants, des femmes et des hommes, dont la plupart en perdition sociale. Afin de les soigner et dans l'espoir de leur permettre de réintégrer le monde hors les murs de l'asile, le premier traitement qui leur ait été proposé consistait en un emploi du temps règlementé. Travail au quotidien et loisirs aux interstices, les semaines de milliers d'interné·e·s déclaré·e·s « valides » se trouvèrent calquées sur celles de millions de Françaises et de Français salarié·e·s. Néanmoins, pour d'autres interné·e·s placé·e·s en cellule d'isolement en raison de leur comportement, les jours, les semaines ou les mois accoucheront d'un temps dilaté et inoccupé qui leur fera perdre le sens du temps et de ses rituels institués.The organisation of a daily and weekly routine in the asylums and psychiatric hospitals was preceded by a structural planification within the public institutions which established themselves as “cities within the city”. These therapeutic ‘towns' housed children, women and men, most of whom came from situations of social perdition. With a view to their eventual return to society, the first therapy was the imposition of a work schedule. Daily work punctuated with leisure time, those residents declared to be able-bodied found their weekly schedule based on that of the millions of french workers. However, those residents placed in isolation for behaviour found their days, weeks and months stretching out into an endless emptiness, leading to the loss of bearings and of previously acquired routines...
- Temps de l'école, rythme du foyer : Étude des injonctions temporelles dans les hebdomadaires pour petites filles du début du XXe siècle - Béatrice Guillier p. 119-135 À la fin du XIXe siècle, des maisons d'édition spécialisées dans les manuels scolaires lancent de nombreux journaux illustrés destinés aux petites filles de moins de quinze ans. Ils connaissent immédiatement un fort succès. Cet article explore le rôle joué par le format hebdomadaire de ces publications dans l'incorporation des normes temporelles par les petites filles du début du XXe siècle. Les illustrés témoignent du contrôle croissant par les institutions du temps de travail de la population, à présent segmenté en semaine de travail, et rendent compte de la pression exercée sur l'emploi du temps des filles par les rythmes imposés à l'école et à la maison. Leur étude éclaire la position doublement dominée des petites filles, contraintes en tant que femmes et en tant qu'enfants. La pratique des travaux d'aiguille, point d'orgue de leur apprentissage, participe de la construction de la petite fille en tant qu'« être périodique » inscrit dans un rythme cyclique.In the late nineteenth century, a lot of successful magazines for girls are edited by French publishers specialized in school books. This paper explores how these magazines' weekly format promotes new time standards for girls at the turn of the century. With the advent of the weekly work schedule, the working time is increasingly controlled by public institutions. Illustrated magazines of this period reveal the pressure exerted by new rhythms towards young girls at school and at home. As children and as women, young readers are doubly dominated. Needlework, a big part of their education, contribute to the constitution of the little girl as a « periodical living being » enclosed in a cyclical rhythm.
- Après la bataille ? : Formules et plasticité du journal hebdomadaire d'information au XXe siècle - Marie-Ève Thérenty p. 137-152 Cet article porte sur la gestion du temps de la semaine dans les hebdomadaires d'information qui connaissent le risque d'avoir un temps de retard, par rapport aux quotidiens et aux autres médias (radio, télévision). L'article présente les deux modèles historiques français d'hebdomadaires d'information, les « hebdomadaires de lecture » et les « miroirs photographiques » jusqu'à l'instauration en 1964 du format newsmagazine. Il montre les procédés poétiques inventés par les hebdomadaires pour concurrencer avec succès les quotidiens et les autres médias : événementialisation, éditorialisation, illustration. Il insiste enfin sur la présence à côté de l'actualité hebdomadaire d'une semaine cycle avec un traitement de l'actualité récursif qui accompagne les nouveaux rythmes collectifs et professionnels, qui construit des communautés et véhicule des styles de vie.This article deals with the management of the time in weekly news magazines which are at risk of being behind the daily newspapers and the other media (radio, television). The article presents the two historical French models of weekly news magazines, the "reading weeklies" and the "photographic mirrors" until the introduction of the newsmagazine format in 1964. It shows the poetic processes invented by the weeklies to compete successfully with the daily newspapers and other media: eventialization, editorialization, illustration. Finally, the paper insists on the presence of a weekly news cycle alongside the weekly news, with a recursive treatment of the news that accompanies the new collective and professional rhythms of the week, that builds communities and conveys lifestyles.
- Une histoire de la semaine sportive en Europe occidentale - Paul Dietschy p. 153-171 L'invention de la semaine sportive accompagne autant la transformation des exercices physiques que celle du temps social. Avec l'industrialisation et l'urbanisation disparaissent les jeux traditionnels souvent violents associés au calendrier religieux ou s'immisçant dans le temps poreux du travail. Les sports se développent pour occuper le repos compensateur d'un labeur devenu intense et éreintant. La semaine footballistique se cantonne d'abord au samedi et au dimanche quand les épreuves hippiques et cyclistes débordent du week-end. Le temps hebdomadaire du sport est autant un moment pour soi qu'un lieu de contrôle et d'édification pour les pédagogues, le clergé, l'armée, le patronat et les régimes totalitaires et autoritaires. Les transformations technologiques et sociales du second xxe siècle ont pour conséquence la dilatation de la semaine sportive et son investissement par les femmes et les seniors. Le sport est partie prenante du temps partiellement poreux de la semaine postmoderne.The invention of the sports week accompanied the transformation of physical exercise as much as that of social time. During industrialisation and urbanization times, the traditional games, often violent and linked to the religious calendar, disappeared, as did the porous time of work. Sports developed to compensate for the intense and gruelling workload. The football week was initially confined to Saturdays and Sundays, while horse-racing and cycling events were held over the weekend. The weekly sport time is as much a time for oneself as a place of control and edification for pedagogues, the clergy, the army, the employers and totalitarian and authoritarian regimes. The technological and social transformations of the second twentieth century have resulted in the dilatation of the sports week in which the participation of women and seniors is increasing. Sport is part of the partially porous time of the postmodern week.
- La semaine sanglante : une formule ? - Aude Dontenwille-Gerbaud p. 173-192 L'épisode tragique de la fin mai 1871 où les troupes républicaines versaillaises entrent dans Paris insurgé pour mettre fin à l'expérience de la Commune se nomme classiquement semaine sanglante. Cet article interroge le choix graphique d'emploi de majuscules, de minuscules et de guillemets dans l'écriture du syntagme. Dans une démarche en analyse du discours, l'historienne travaille un corpus hétérogène constitué de textes littéraires, d'ouvrages politiques, d'articles de presse ou encore d'analyses historiographiques couvrant la large période de mai 1871 à nos jours. Cette recherche exploratoire ne prétend en rien à l'exhaustivité et demande à être poursuivie, notamment par la constitution d'un corpus en langue anglaise.The tragic episode of the end of May 1871, where republican troops of Versailles entered the rebel city of Paris to put an end to the Commune experiment, was classically named la semaine sanglante (the bloody week). This paper interrogates the graphic choice in the use of upper, lower cases and quotation marks in the writing of the syntagm. In a discourse analysis methodology, historians work a heterogeneous corpus constituted of literary and political texts, newspaper articles and historiographic analysis covering the wide period from May 1871 to 2021. This exploratory study does not claim exhaustivity and requires to be continuated by the constitution of an English corpus, in particular.
Lieux et ressources
- « Des succès ! des succès ! des succès ! » : La Belle Époque de l'édition musicale populaire : l'éditeur Salabert au cœur de l'industrie de la chanson - Marie Goupil-Lucas-fontaine p. 195-213
Regards croisés
Trames
Retours sur…
- Le prince déguisé : Retour sur une fiction politique - Jean-Noël Tardy p. 255-266
Actualités
- Quand l'art se désexpose - Pascal Dibie p. 269-274
Grand entretien
- « Rien de ce qui est criminel ne nous est étranger » - Catherine Chauchard, Julie Verlaine p. 277-285
Hors cadre
- Hartung, dans l'ombre de la négritude - Thomas Schlesser p. 289-318 Les liens entre le peintre abstrait Hans Hartung et le mouvement littéraire dit de « la négritude » n'ont jamais été l'objet d'une enquête en profondeur. Pourtant, une recherche au plus près des archives permet de constater que l'artiste a été l'objet d'une vive reconnaissance de la part de Césaire juste après la guerre et de Senghor dans les années 1970-1980. Des projets communs et quelques collaborations ont vu le jour. Surtout, alors que Hartung, politiquement conservateur, peut sembler, à bien des égards, fort éloigné des causes décoloniales, son propre trajet d'Allemand exilé en France et naturalisé après avoir versé son sang pour les alliés contre le nazisme fait écho à celles-ci. D'où la naissance d'affinités et même de rencontres surprenantes, comme celle entre le peintre et Cheikh Anta Diop en 1948 alors que ce dernier n'a que 24 ans. Enfin, c'est en arrière-plan la personnalité extraordinaire de l'historienne de l'art et critique Madeleine Rousseau que permet de mieux faire valoir une telle étude. Ainsi des réseaux trop peu observés apparaîtront ici pour affiner la connaissance de la négritude et de Hans Hartung.
- Hartung, dans l'ombre de la négritude - Thomas Schlesser p. 289-318