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Revue | Participations |
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Numéro | no 30, 2021/2 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Ce qu'être représenté·e veut dire. La relation de représentation du point de vue des citoyen·nes - Lorenzo Barrault-Stella, Julien Talpin p. 7-38 Cet article introductif prend le parti de l'interdisciplinarité pour questionner à nouveaux frais la relation de représentation politique du point de vue des représenté·es. En prenant appui sur le renouveau constructiviste de l'analyse de la représentation en théorie politique, les auteurs proposent un regard de sociologie politique sur la réception des prétentions à la représentation par les groupes sociaux censés être représentés. Ancrant l'analyse dans le prolongement des controverses autour de la défiance politique des citoyen·nes et de celles relatives aux impensés des études sur le travail politique, ils suggèrent combien saisir le rapport des représenté·es à leurs représentant·es nécessite de s'intéresser prioritairement à leurs pratiques, soulignant les apports d'approches empiriques intensives à même de ne se pas se limiter à enregistrer des discours et des représentations. La mise en relation dans le dossier d'études de cas relatives à des groupes et contextes socio-spatiaux contrastés en France met en exergue des régularités dans les conditions d'identification à des représentant·es politiques et souligne comment diverses inégalités sociales, genrées et ethno-raciales se réfractent dans l'ordre politique. Au final, le sentiment de représentation semble davantage structuré par ce que font les représentant·es que par ce qu'elles et ils sont, ce résultat témoignant de l'intériorisation relative des cadres légitimes pour penser la représentation dans la société française.This introduction offers an interdisciplinary perspective that questions the relationship of representation as seen from below, from the citizens' point of view. Based on the constructive turn of political theory in the analysis of representation, the authors offer a perspective from political sociology on the reception of representative claims. Following academic discussions about political mistrust and the blind spots of the studies focusing on political work, they suggest that understanding citizens' relationships with their representatives primarily requires analyzing their practices. They emphasize the virtue of intensive empirical and qualitative approaches that make it possible to go beyond the mere description of discourses and opinions. The comparison of the different case studies presented in this special issue, in different socio-spatial contexts in France, highlights some common features and regularities in the conditions of identification with political representatives. In so doing, the article shows how various forms of social, gendered, and ethno-racial inequalities are refracted in the political order. Finally, feelings of representation appear to be shaped primarily by what representatives do, rather than who they are. This result testifies to the relative internalization of legitimate frameworks for thinking about representation in contemporary France.
- Un déficit de représentation ? Sentiment de représentation et participation électorale dans une ancienne municipalité communiste - Samir Hadj Belgacem p. 39-63 Cet article envisage le lien entre représentation et participation électorale pour les habitant·es des cités de logement social. Au-delà de leur seule perception, il étudie l'articulation entre la participation et les liens avec les représentant·es. À partir d'une enquête socio-historique au Blanc-Mesnil, ville anciennement communiste, il formule plusieurs hypothèses concernant la faiblesse du sentiment de représentation politique qui prédomine parmi les habitant·es des cités de logement social. L'enquête rend compte de la montée de l'abstention au cours des années 1980. La contestation de la représentation par les élu·es de la majorité de gauche se déploie durant les années 1990-2010. Des porte-parole émergent alors pour tenter de représenter les habitant·es des cités au sein de l'exécutif municipal. Leurs difficultés, tant à se faire reconnaître comme des interlocuteurs et interlocutrices légitimes qu'à participer à la liste de gauche, renforcent la défiance vis-à-vis des élu·es de la majorité. Ces porte-parole et candidat·es à la représentation (presque exclusivement masculins) participent activement à la construction du sentiment de représentation parmi les habitant·es. Dans le cadre public, ils insistent en particulier sur l'importance de la représentation sociale et territoriale et sur la connaissance des difficultés des habitant·es. Cependant, en variant les situations d'énonciation, l'identification aux représentant·es peut aussi prendre une dimension ethno-raciale, qui demeure largement circonscrite au « texte caché », car jugée illégitime.This article considers the link between representation and the electoral participation of residents from social housing estates. Beyond their perception, it studies the relationship between participation and links with representatives. Based on a sociohistorical survey in Le Blanc-Mesnil, a former communist municipality, it formulates several hypotheses concerning the weakness of the sense of political representation that prevails among the inhabitants of social housing estates. The survey notes the rise of abstention during the 1980s. Opposition to representation by the elected representatives of the left-wing majority grew during the years 1990–2010. Spokespersons then emerged to try to represent the inhabitants of housing estates within the municipal executive. Their difficulties, both in being recognized as legitimate interlocutors and in participating in the left-wing list, reinforced the mistrust of elected representatives among the majority. These spokespersons and candidates for representation (almost exclusively male) actively participate in the construction of the inhabitants' sense of representation. In the public sphere, they insist in particular on the importance of social and territorial representation and on knowing the inhabitants' difficulties. However, by varying the enunciative situation, identification with the representatives can also take on an ethno-racial dimension, which remains largely confined to the “hidden text,” because it is considered illegitimate.
- Les minorités doivent-elles être représentées par des minorités ? Une color line dans les représentations ordinaires de la représentation en France - Camille Hamidi p. 65-96 Cet article s'inscrit dans le développement des travaux s'intéressant à la représentation des minorités ethniques en politique en France, en l'examinant sous l'angle des « prétentions à la représentation » des citoyens et citoyennes ordinaires. L'enquête s'appuie sur la réanalyse d'un corpus de trente entretiens, menés dans les quartiers populaires de Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise, entre 2007 et 2009. Il montre que les prétentions à la représentation sur une base ethnique sont faibles dans les discours des personnes interrogées, à rebours des revendications qui peuvent exister dans certaines sphères militantes. Toutefois, les interrogé·es ont des représentations structurées sur la question, lorsqu'on les sollicite. Une analyse approfondie, menée à l'aide d'un CAQDAS, permet de mettre en lumière des réponses très différentes à la question de savoir s'il est légitime de « voir la couleur » dans l'espace public, et des façons d'envisager la représentation miroir très contrastées. Elle met ainsi en évidence l'existence d'une color line dans les représentations ordinaires de la représentation.This article deals with the question of the representation of ethnic minorities in politics in France, examining it from the angle of the “representative claims” of ordinary citizens. The fieldwork is based on the reanalysis of a corpus of thirty interviews, conducted in the working-class neighborhoods of Vaulx-en-Velin, in the suburbs of Lyon, between 2007 and 2009. It shows that representative claims made on the basis of ethnicity are scarce in the discourse of the interviewees, contrary to the claims that may exist in certain militant spheres. However, interviewees have structured representations on the issue when questioned. An in-depth analysis, conducted using a CAQDAS, sheds light on very different responses to the question of whether it is legitimate to “see color” in public space, and on very contrasting ways of looking at mirror representation. It thus highlights the existence of a color line in the ordinary representations of representation in France.
- Distance de classe, distance ethnique ? La réception des prétentions à la représentation politique à Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) - Stéphanie Guyon p. 97-128 À partir d'une enquête ethnographique, et à travers deux figures de candidat·es (le maire créole et son opposante amérindienne), cet article analyse les transformations des relations entre représentant·es et représenté·es des groupes minorisés à Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) dans les années 2000. Il appréhende le rôle de l'homologie sociale dans la perception qu'ont les habitant·es de celles et ceux qui prétendent les représenter et ce qui forge le sentiment d'être bien représenté à l'intersection du genre, de l'ethnicité et de la classe. Il s'intéresse aussi à la politisation des enjeux de représentation de ces groupes et à ses effets sur les relations de clientèle.Based on an ethnographic survey, and through two candidates (the Creole mayor and his Amerindian opponent), this article analyzes changes in the relationship between representatives and those represented from minority groups in Saint-Laurent-du-Maroni (French Guiana). It looks at the role that social homology plays in the residents' perceptions of those who claim to represent them, and it considers what creates a sense of being well represented at the intersection of gender, race, and class. It also deals with the politicization of issues regarding the representation of these groups and its effects on client relations.
- Près des yeux, loin du cœur. Relations informelles avec les élu·es et sentiment bourgeois de représentation politique - Kevin Geay p. 129-156 Les relations interpersonnelles avec les élu·es sont les premières désignées lorsqu'il s'agit d'expliquer le consentement bourgeois à la délégation. Comme si la relation représenté·es/représentant·es était toujours une scène d'harmonie, les hiatus inhérents à ce type de côtoiement ne sont jamais évoqués. Ils nous informent pourtant, en creux, sur les conditions du sentiment bourgeois de représentation : les habitants et les habitantes des beaux quartiers attendent du ou de la mandataire qu'il ou elle témoigne de son identité bourgeoise, non pas in abstracto, mais en actualisant dans l'interaction des dispositions au contrôle de soi, à la condescendance et à l'entretien du capital social.When it comes to explaining bourgeois consent to political delegation, the academic literature turns to face-to-face interactions between upper-class voters and politicians in social situations, as if this interplay were always harmonious. This article shows that many problems can arise when politicians engage with upper-class voters. It argues that this dysphoria is interesting as it shows what sorts of behavior on the part of politicians throw upper-class voters off balance: the inability to properly convey ego-control and to show signs that suggest a personal relationship exists between them and their voters.
- La politique en recours ? Les relations de proximité des petits commerçants avec les équipes municipales - Stéphane Cadiou p. 157-186 Cet article part du constat de la prégnance diffuse parmi les commerçant·es de détail d'un discours de complainte s'ancrant dans une dégradation de leurs conditions d'activité. Il entend étudier la représentation de cette complainte dans les espaces locaux, à partir du cas de la ville de Nice dont l'orientation économique et politique a conféré une saillance toute particulière au groupe des commerçant·es. La perspective d'analyse conduit à envisager aussi bien les attentes des commerçant·es à l'égard des représentant·es politiques, que leurs efforts pour contrôler la relation de représentation. L'article insiste tout particulièrement sur le confinement de cette relation comme condition de sa fluidité, tout en soulignant la fragilité de ce lien.This article starts from the observation that a discourse of lament anchored in the degradation of their working conditions is widespread among retail traders. It intends to examine the representation of this lament in local spaces, starting with the case of the city of Nice, whose economic and political orientation has given a particular prominence to the group of retailers. The perspective of analysis leads us to consider both the expectations of shopkeepers toward their political representatives, and their efforts to control the relationship of representation. The article places particular emphasis on the confinement of this relationship as a condition of its fluidity, while underlining the fragility of this link.
- Les électrices de Marine Le Pen votent-elles pour une femme ? Les conditions de réception d'une proposition de représentation genrée - Christèle Lagier p. 187-217 Cet article analyse les conditions favorables à l'expression d'une proposition de représentation genrée par Marine Le Pen dans le champ politique et médiatique en France. Il propose d'objectiver les conditions de réception de celle-ci par les électrices et électeurs FN/RN. Il souligne en quoi le genre semble être moins décisif de ce point de vue que la proximité de classe. Lorsque des identifications féminines font sens, elles le font par rapport aux figures masculines et d'abord à travers la perception d'un champ politique qui demeure un domaine masculin. Loin d'être avancée comme raison du vote, lorsque l'identité féminine est convoquée c'est pour dénoncer la figure menaçante de l'homme immigré calée sur les fondamentaux programmatiques du parti.This article analyzes the conditions favorable to the expression of a proposal of gendered representation by Marine Le Pen in politics and the media. It proposes to objectify the conditions for the reception of this proposal by FN/RN voters. It underlines how gender seems to be less decisive from this point of view than class proximity. When female identifications make sense, they do so in relation to male figures and first and foremost through the perception of a political field that remains a male domain. Far from being put forward as a reason for voting, when the female identity is called upon it is to denounce the threatening figure of the immigrant man who is aligned with the party's programmatic fundamentals.
- « On veut faire de la politique autrement », ou la fabrique d'un engagement politique sur mesure dans les associations parisiennes - Mathilde Renault-Tinacci p. 221-247 Dans un contexte de défiance à l'égard des organisations politiques traditionnelles, d'érosion de la croyance dans la capacité des régimes parlementaires à porter l'expression publique des populations, l'auteure a souhaité s'intéresser à celles et ceux qui cherchent par l'engagement associatif à « faire de la politique » autrement, et ce sur le territoire parisien. On les nomme : « les alternatifs politiques ». En s'appuyant sur une triangulation des méthodes qualitatives et quantitatives, l'auteure a analysé le rapport au politique de ces militants et militantes œuvrant au sein d'associations, mais aussi leurs profils, leurs attentes, leurs exigences et leurs pratiques de réappropriation associative du politique.In a context of mistrust of traditional political organizations, and the erosion of belief in the ability of parliamentary regimes to promote the public expression of citizens, the author wished to focus on those who, through their associative commitment, are trying to “do politics” differently in Paris. We call them: “political alternatives.” Based on a triangulation of qualitative and quantitative methods, the goal of this article is to analyze the link between these associative activists and politics, but also their profiles, expectations, and practices for reappropriating politics through their involvement in the non-profit sector.
- Intégration des usagers et usagères et extractivisme des savoirs expérientiels : une critique ancrée dans le modèle écologique des savoirs dans le champ de la santé mentale - Baptiste Godrie p. 249-273 Cet article critique le modèle intégrationniste de participation des usagers et usagères dans les institutions sociosanitaires au Québec et en France, caractérisé par un rapport extractiviste aux savoirs issus du vécu de ces personnes ainsi que par une vision individualiste, dépolitisée et non conflictuelle de la participation. L'exemple des groupes d'entendeurs et entendeuses de voix suggère un autre rapport aux savoirs expérientiels, que le modèle de l'écologie des savoirs proposé par Boaventura de Sousa Santos permet de mieux comprendre. L'article s'appuie la littérature scientifique ainsi que sur des données empiriques issues des recherches réalisées par l'auteur depuis 2009 dans le champ de la santé mentale.This article criticizes the integrationist model of user participation in health and social services institutions in Quebec and France. This model is characterized by an extractivist relationship to knowledge derived from users' experiences, as well as an individualistic, depoliticized, and non-confrontational vision of participation. Hearing voices support groups suggest a different relation to experiential knowledge, which we analyze using the “ecology of knowledges” model developed by Boaventura de Sousa Santos. The article is based on a literature review and empirical data from research conducted by the author since 2009 in the field of mental health.