Contenu du sommaire : Agir contre le racisme et la discrimination
Revue | Revue internationale des sciences sociales |
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Numéro | no 183, mars 2005 |
Titre du numéro | Agir contre le racisme et la discrimination |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Agir contre le racisme et la discrimination
- Résumés - p. 3
- Editorial - p. 9
Mesurer la discrimination
- La mesure des discriminations raciales : l'usage des statistiques dans les politiques publiques - Patrick Simon p. 13 La plupart des « sociétés multiculturelles » dans le monde tentent d'agir contre les discriminations raciales et certaines, moins nombreuses, ont adopté des politiques volontaristes de promotion de l'égalité qui s'appuient sur un monitoring statistique. L'utilisation intensive de statistiques est requise par l'action contre les discriminations indirectes, concept juridique récemment importé dans l'ensemble des pays de l'Union européenne depuis 2000. Cependant, l'élaboration et la collecte de données statistiques informant sur les discriminations raciales nécessitent la mise en place d'un dispositif technique qui soulève des questions de stratégie politique et de méthodologie d'action. En s'appuyant sur les résultats d'une étude comparative des statistiques mobilisées dans les dispositifs antidiscriminatoires aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, aux Pays-Bas et en Australie, notre analyse compare les différents modes de collecte et nomenclatures en les replaçant dans leur contexte pour relever les compromis effectués entre les impératifs juridiques et politiques de lutte contre les discriminations et des objectifs de reconnaissance des identités s'inscrivant dans un projet multiculturaliste.
- Le rôle des statistiques sur l'origine ethnique et la "race" dans le dispositif de lutte contre les discriminations au Canada - Maryse Potvin p. 31 Cet article resitue l'historique de la mise en place du dispositif antidiscriminatoires au Canada, ainsi que les définitions légales et pratiques des catégories statistiques sur la « race » et l'origine ethnique dans une stratégie d'égalité effective et de lutte contre les discriminations. Il montre comment la construction de ces catégories, leur évolution, la transformation des nomenclatures et les débats qu'elles ont suscitées s'inscrivent dans l'histoire des rapports de pouvoir entre les différents groupes majoritaires et minoritaires au Canada. Il fait également ressortir que le recours aux statistiques ethnoraciales, aujourd'hui reconnu comme fondamental, tant par les cours de justice que dans l'élaboration des législations et des politiques publiques, témoigne d'une articulation renforcée entre les domaines de la recherche, du droit et des politiques dans la lutte contre les discriminations au Canada depuis une trentaine d'années.
- Mobiliser les pouvoirs de la statistique pour l'action discriminatoire : le cas du Royaume-Uni - Joan Stavo-Debauge p. 49 L'article entreprend d'éclairer les liens entre le droit antidiscriminatoire, considéré sous l'angle de sa mise en œuvre et de son devenir en termes de politiques publiques, et la statistique en montrant comment, tant chez les chercheurs que chez les activists et « policy makers », la défiance initiale à fait place à une confiance mise dans l'équipement de catégories ethniques et/ou raciales. Une première partie est relative aux dispositions légales et à leurs contraintes d'opérationnalisation. Celle-ci s'efforce de rendre compte de la centralité du dispositif d'« ethnic monitoring » et du tournant « multiculturaliste » de la politique antidiscriminatoire anglaise. L'auteur se penche ensuite sur les justifications et critiques dont ont fait l'objet la confection puis le renouvellement des catégories ethniques inscrites dans le recensement en 1991 et 2001.
- De l'épée au bouclier : des usages discriminatoires et antidiscriminatoires de la race aux Etats-Unis - Ann Morning, Daniel Sabbagh p. 63 Aux États-Unis, on sait que les politiques antidiscriminatoires se sont appuyées sur les catégories raciales jadis explicitement utilisées à des fins de discrimination. Après avoir brièvement retracé l'histoire des dispositifs officiels en matière de classification raciale et examiné leurs relations avec les lois et les pratiques racistes, l'article décrit l'élaboration progressive d'un ensemble de garanties juridiques contre la discrimination raciale, évolution qui trouve son point d'aboutissement dans le Civil Rights Movement des années 1950, 1960 et 1970. Il est expliqué comment les statistiques raciales interviennent dans la mise en œuvre de la législation antidiscriminatoire et indiqué quelles catégories raciales sont aujourd'hui utilisées à cette fin. Les débats soulevés par la collecte d'informations sur les appartenances raciales destinées à faciliter ladite mise en œuvre sont également évoqués. En conclusion, il est suggéré que, si le principe d'une classification raciale officielle suscite depuis peu des critiques politiques autonomes, l'élément le plus notable est la prise de conscience actuellement perceptible des tensions existant entre les exigences du système mis en place pour faire respecter les lois antidiscriminatoires et l'émergence d'un « droit » des Américains à définir eux-mêmes librement leur appartenance raciale, bref, entre la politique de la répartition et celle de la reconnaissance.
- Le suivi des minorités ethniques aux Pays-Bas - Virginie Guiraudon, Karen Phalet, Jessika ter Wal p. 83 L'article résume d'abord l'histoire des politiques relatives aux minorités ethniques aux Pays-Bas et le développement des catégories « minorité ethnique » et « allochtone » originales en ce qu'elles font du handicap socioéconomique une dimension constitutive du statut de minorité et replacent la question des minorités dans le cadre politique néerlandais plus large du système dit des « piliers ». L'article examine ensuite la place des statistiques dans l'élaboration des politiques gouvernementales, sachant que le recensement national n'est plus effectué depuis 1971, et s'attache plus précisément au cas de l'éducation, où des efforts statistiques majeurs sont consacrés à l'identification des processus de handicap et d'intégration. Enfin, l'article examine brièvement les débats actuels sur la situation des minorités ethniques aux Pays-Bas dans le contexte d'une remise en cause de plus en plus vive des modèles néerlandais existants en matière de politiques concernant les minorités.
- La mesure des discriminations raciales : l'usage des statistiques dans les politiques publiques - Patrick Simon p. 13
"Ethnicité" et "race" aux Etats-Unis
- Des mobilisations de pur prestige ? La contestation des classifications ethniques du recensement fédéral aux Etats-Unis (1850 - 1940) - Paul Schor p. 97 Le recensement américain se caractérise notamment par l'importance qu'il accorde, aujourd'hui encore, à la race. Si le recours aux catégories raciales en tant que support des politiques publiques de discrimination positive fait débat, il n'en va pas de même pour leur présence dans le recensement, ce qui tend soit à occulter les fonctions qui ont pu être celles des catégories ethniques et raciales dans la période antérieure au mouvement des droits civiques, soit à voir dans ces catégories un simple résidu du système de discrimination « négative » d'autrefois. Pourtant, une histoire de ces catégories dans le recensement américain qui les réduirait aux deux fonctions consistant à identifier les populations d'origine non-européenne, puis les « nouveaux immigrants » passibles d'une discrimination officielle dans un premier temps, identifier leurs descendants supposés pour les faire bénéficier de politiques publiques compensatoires dans un second temps, se ferait au détriment d'une histoire plus complexe et encore largement méconnue : celle de la construction sociale de ces catégories. Cet article, en examinant plusieurs cas où des groupes se sont mobilisés pour exiger de l'administration qu'elle prenne en compte différemment leur existence dans un contexte où nul avantage matériel n'était en vue, entend donc historiciser les catégories statistiques de la race et de l'ethnicité, que l'on ne saurait comprendre en les réduisant à leur seul usage contemporain.
- Mulâtre et autres métis. Les attitudes à l'égard du métissage aux Etats-Unis et en France depuis le XVIIe siècle - George Fredrickson p. 111 L'auteur examine et compare les attitudes que les Américains et les Français ont à l'égard du métissage depuis le XVIIe siècle, époque où leurs relations avec les peuples non européens du monde atlantique se sont considérablement étendues. Il propose une typologie des réactions possibles aux croisements entre races, et soutient que les habitants des colonies anglaises qui deviendront les États-Unis ont adopté très tôt à l'égard des mariages interraciaux, notamment entre Noirs et Blancs, une attitude extrêmement restrictive qui s'est maintenue pendant la plus grande partie de l'histoire des États-Unis, et dont l'influence se fait encore sentir. Entre le XVIIe et le milieu du XXe siècle, les Français ont souvent adhéré à des conceptions suivant lesquelles les caractéristiques raciales sont innées ou déterminées par des facteurs biologiques, mais leur attitude à l'égard du mariage ou du concubinage interracial était généralement plus pragmatique. Dans certaines situations, les théoriciens français des relations interraciales dans le cadre de l'empire colonial défendaient et même préconisaient certains types de métissage. La différence d'attitude entre Américains et Français peut se résumer ainsi: au cours de leur histoire, les Blancs américains ont poursuivi l'idéal de la pureté raciale avec beaucoup plus d'ardeur et de constance que les Français. La meilleure façon de faire comprendre cette différence est d'évoquer la condition unique en son genre des Afro-Américains, qui forment, à cause de la couleur de leur peau, un groupe de parias sans véritable équivalent en France métropolitaine.
- La construction de la citoyenneté américaine : une question de droits ou une question de races ? - Magali Bessone p. 121 La citoyenneté américaine, telle qu'elle est proclamée dans la Déclaration d'Indépendance, repose sur le jusnaturalisme. Toutefois, le vocabulaire même de la Déclaration signale également la présence d'une autre dimension idéologique que celle des théories du droit naturel et du contrat social. La « nature » et le « Dieu de la nature » sous les auspices desquels se place la Déclaration ne représentent pas seulement les fondements rationnels de lois morales appelées à s'incarner dans des lois positives. Ils renvoient aussi à un ordre censé refléter la volonté divine, ordre qui institue des divisions et des hiérarchies au sein même de la « nature » en question – y compris la nature humaine. C'est l'alliance, voire la fusion de ces deux dimensions inhérentes à la notion de nature – référent ultime garantissant la validité de certains principes protecteurs et socle légitimant des inégalités apparentes – qui constitue sans doute le principal trait distinctif de la philosophie politique américaine. L'objet de cet article est d'analyser l'imbrication des deux logiques apparemment contradictoires que constituent l'universalisme et le « racialisme » et le rôle de celle-ci dans la genèse de la nation américaine, en suivant la trace des deux logiques du discours fondateur de Thomas Jefferson à la subversion critique de W.E.B. Du Bois.
- La race comme crime civique - Loïc Wacquant p. 135 En jouant un rôle central dans le gouvernement post-keynésien de division raciale et de la gestion de la pauvreté, le système carcéral surdimensionné caractéristique des États-Unis est devenu un facteur prééminent dans le (re)modelage de la race et de la citoyenneté. Il ne se borne pas à matérialiser le clivage racial par son assimilation pratique de la couleur noire à la criminalité et à la violence pathologique. Tout comme l'esclavage avait réalisé la « mort sociale » des captifs africains importés et de leurs descendants avant l'abolition, l'incarcération massive d'Afro-Américains entraîne la mort civique de ceux qu'il piège en les excluant du contrat social. Les détenus sont la cible d'un triple mouvement d'enfermement exclusionniste qui leur refuse l'accès au capital culturel institutionnalisé, leur interdit de bénéficier de la redistribution sociale et les disqualifie de la participation politique. La législation de déchéance pénale des droits civiques qui interdit à près de deux millions d'Américains noirs de voter les (re)place dans le rôle historique d'antithèse vivante de l'« Américain modèle ». L'étroite parenté entre la rhétorique et la politique d'expurgation politique des détenus au tournant du siècle et celles de l'exclusion des Noirs au cours des époques précédentes permet de penser que la blackness constitue le crime civique primordial selon la conception durkheimienne du crime considéré comme « un acte qui blesse des états forts de la conscience collective », en l'occurrence la représentation idéalisée que l'Amérique se fait d'elle-même comme la terre promise de la liberté, de l'égalité et de l'autodétermination. En réactivant et en modernisant la logique de l'infamia racialisée, l'excommunication des criminels nous rappelle que la division en castes est un élément constitutif et non pas tératologique du républicanisme américain. Elle atteste le caractère stratifié et restrictif de la citoyenneté américaine à l'aube du nouveau millénaire.
- Le "racial redistricting" aux Etats-Unis : une introduction à la jurisprudence de la Cour suprême - Jean-François Mignot p. 153 Le racial redistricting est un mode de redécoupage électoral mis en place aux États-Unis pendant les années quatre-vingt-dix. Il a pour objectif et pour effet d'augmenter le nombre de circonscriptions à majorité noire ou hispanique en vue d'accroître le nombre des élus ayant reçu la majorité des suffrages des membres de ces minorités. Le racial redistricting est donc un dispositif public qui prend explicitement en compte l'identité ethno-raciale des individus. Son apparition s'explique par le fait que, dans le contexte juridique et politique de la fin des années 1980, les redécoupeurs avaient tout intérêt à adopter un tel dispositif en vue de pérenniser leur présence aux postes de pouvoir. Mais à peine le racial redistricting était-il introduit que sa constitutionnalité allait être mise en doute. La Cour Suprême définit alors les conditions de validité des classifications raciales dans le processus du redécoupage électoral. Sa jurisprudence complexe répond notamment au souci de minimiser la visibilité de la prise en compte du facteur racial dans le découpage électoral, et ceci en vue d'intégrer plus complètement les Noirs (et les Hispaniques) dans le système politique américain.
- Des mobilisations de pur prestige ? La contestation des classifications ethniques du recensement fédéral aux Etats-Unis (1850 - 1940) - Paul Schor p. 97
Tribune libre
- Politiques ciblées dans les sociétés multiculturelles : acceptation, négation et substitutions - Franck de Zwart p. 163 Les politiques de redistribution ciblées dans les sociétés multiculturelles peuvent poser un « dilemme de reconnaissance » : les groupes bénéficiaires doivent être officiellement reconnus, définis et parfois mobilisés, ce qui renforce les distinctions entre les groupes et menace donc de favoriser les conflits, la discrimination et l'inégalité au lieu d'y remédier. Nombre de gouvernements sont très conscients de ce dilemme et, pour le résoudre, ils modifient le système des catégories utilisées dans les politiques de redistribution. Dans la présente étude, on se penchera sur les choix qui s'offrent aux gouvernements – acceptation, négation et substitution – en se concentrant sur cette dernière. La substitution consiste pour un gouvernement à définir pour ses politiques de redistribution des objectifs qui évitent d'accentuer ou de reconnaître des distinctions gênantes entre les groupes tout en permettant une redistribution au profit de ces groupes. La question qui se pose est de savoir si cela fonctionne. La substitution est de plus en plus recherchée dans des pays du monde entier, mais ses effets n'ont guère été étudiés. Deux cas exemplaires sont ici présentés : celui de l'Inde et celui du Nigéria, deux pays qui font l'expérience de la substitution depuis les années 1950, ce qui offre d'amples possibilités d'en étudier les effets à long terme.
- "Refléter la diversité de la population française" : naissance et développement d'un objectif flou - Gwénaële Calvès p. 177 Si « refléter la diversité de la population française » est aujourd'hui un objectif affiché par les partis politiques, les chaînes de télévision, les grandes entreprises ou les établissements d'enseignement supérieur, le lieu de sa formulation initiale est la fonction publique de l'État. Dans ce contexte, le thème en question est indissociable de l'importation d'un modèle de « bureaucratie représentative » spécifiquement américain, importation elle-même déterminée par des considérations pragmatiques et liée aux problèmes spécifiques rencontrés par deux corps de la fonction publique : l'armée et la police nationale. En revanche, la généralisation à tous les agents de l'État de cet objectif de « diversité » et la priorité plus ou moins explicite accordée à la dimension « ethnique » de celle-ci soulève, en France, des difficultés insolubles, tant au plan sociologique qu'au plan juridique.
- Politiques ciblées dans les sociétés multiculturelles : acceptation, négation et substitutions - Franck de Zwart p. 163
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- Les numéros parus - p. 202