Contenu du sommaire : L'Intelligence Artificielle : raison et magie
Revue | Quaderni |
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Numéro | no 105, hiver 2021-2022 |
Titre du numéro | L'Intelligence Artificielle : raison et magie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- « Dis Siri » : dialogue avec l'Intelligence Artificielle - Emmanuel Taïeb p. 5-7
- L'IA, un artefact technologique porteur de promesses d'amélioration et riche de ses zones d'ombre - Thierry Ménissier p. 9-18
- Corps reconfigurés ou corps augmentés ? Techno-imaginaire de la figure du cyborg chez les personnes en situation de handicap - Alexandre Bretel p. 19-34 La figure du cyborg, appartenant pourtant au domaine de la science-fiction, semble de plus en plus répandue dans la communication médiatique au travers de figures sportives, de biotechnologies prothétiques miracle ou de promesses d'augmentations continues. Le discours transhumaniste participe de cette communication pour présenter son agenda biopolitique et se sert de la figure de la personne handicapée comme incorporation de ses idéaux. L'expérience de terrain, la prise en compte du ressenti, du vécu et des aspirations des usagers des dispositifs prothétiques vient remettre en cause cette représentation. D'autres imaginaires, plus proches d'une reconfiguration que d'une augmentation de l'individu prothétisé, gagneraient à être conceptualisés.The figure of the cyborg, although belonging to the field of science fiction, seems to be more and more widespread in media communication through sports figures, miracle prosthetic biotechnologies or promises of continuous increases. The transhumanist discourse uses this communication to present its biopolitical agenda and uses the figure of the disabled person as an incorporation of its ideals. The practical experience, the consideration of the feelings, experiences and aspirations of the users of prosthetic devices challenges this representation. Other imaginary representations, closer to a reconfiguration rather than an enhancement of the prosthetized individual, would benefit from being conceptualized.
- Le rapport magique à l'Intelligence Artificielle, ou comment vivre avec l'aliénation technique - Tyler Reigeluth p. 35-52 Cette contribution considère le thème de l'aliénation technique dans la philosophique politique depuis l'enjeu renouvelé de l'Intelligence Artificielle. Dans un premier temps, il s'agit de proposer une clarification conceptuelle sur ce qu'il faut entendre par « aliénation technique » et pourquoi celle-ci semble insister autant comme leitmotiv de la pensée politique. Il s'agit notamment de suivre une perspective réaliste à partir de laquelle l'aliénation technique serait à la fois une condition et une limite indépassable et constitutive de nos processus de subjectivation. Ensuite, il s'agit de problématiser la question du rapport magique à la technique en montrant que la modernité, plutôt que d'avoir chassé celui-ci, l'a en réalité refoulé dans une « pénombre psychique » où les comportements humains et machiniques s'imitent et se troublent. Enfin, j'esquisse comment le paradigme ludique offre une heuristique pour repenser un rapport magique à la technique qui serait désindexé du régime normatif du travail et permettrait d'envisager une forme d'aliénation plus vivable.This contribution investigates the theme of technical alienation within political philosophy from the standpoint of contemporary Artificial Intelligence. I first provide a conceptual clarification of what is meant by “technical alienation” and why it is such a leitmotiv within political thought. I suggest that a realist perspective can account for technical alienation as both a condition and a limit to our processes of subjectivation. I then problematize the magical relationship to technics by showing that Modernity did not expunge this dimension, but rather that it repressed it with its “psychic penumbra” wherein human and machine behaviors imitate and confound one another. Finally, I sketch out how a certain ludic paradigm can help us entertain a magical relationship to technics that would be unmoored from the normative regime of labor and therefore, perhaps, more livable.
- Sur le néo-animisme technologique à l'ère de l'engouement pour l'Intelligence Artificielle - Fabienne Martin-Juchat p. 53-72 L'engouement actuel pour l'Intelligence Artificielle sous ses formes variées ne s'explique pas uniquement par l'alliance qui s'est nouée entre le capitalisme financier et le développement technologique, ni par la relation qui existe entre l'innovation technologique et l'éco-nomie dite de l'attention. La lecture des anthropologues et des philosophes des techniques qui ont analysé les rapports entre techniques et civilisation apparaît essentielle pour comprendre ce qui se joue culturellement dans le développement actuel des technologies intégrant de l'IA. Si l'engouement est général, c'est qu'une axiologie cohérente se déploie à l'échelle mondiale, inscrite certes dans la continuité des valeurs de la modernité, mais également susceptible de répondre à ce qu'on peut identifier comme un besoin généralisé de dépendance affective à la technologie. Plus précisément, ce besoin de dépendance est devenu mondialement prégnant et saillant, car la matérialité technique, grâce aux récentes innovations, est en train de réussir à associer de façon inédite les valeurs de la modernité compatibles avec celles des religions monothéistes, tout en renouant avec des valeurs animistes qui n'ont jamais disparu.Artificial Intelligence's current success, in its various forms, cannot only be explained by the alliance between financial capitalism and technological development, nor by the relationship between technological innovation and the so-called attention economy. From the viewpoint adopted in this contribution of historical anthropology of technology, it seems insufficient to denounce the risk of submission to techno-determinist logics, themselves conceived as the result of neo-liberal socio-economic dynamics. In this respect, the reading of anthropologists and philosophers of technology who have analyzed the relationship between technology and civilization appears essential to understand what is culturally at stake in the current development of technologies integrating AI. If the craze is general, it is because a coherent axiology is being deployed on a global scale, certainly inscribed in the continuity of the values of modernity, but also likely to respond to what can be identified as a generalized need for affective dependence on technology. More precisely, this need for dependency has become a worldwide and salient issue, because technical materiality, thanks to recent innovations, is succeeding in associating in an unprecedented way the values of modernity compatible with those of the monotheistic religions, while reviving animist values that have never disappeared.
- Jusqu'où l'institution peut-elle être augmentée ? Pour une éthique publique de l'IA - Thierry Ménissier p. 73-88 Cette contribution explore l'hypothèse que l'adoption par les services publics des outils technologiques contemporains informatiques et numériques, des algorithmes et des méga-données qui définissent l'intelligence artificielle (IA), induit une transformation importante du sens de l'institution. L'expertise des machines et la valeur du savoir des mathématiques-informatiques nourrissent la confiance envers l'IA, qui repose sur son efficacité pour assister les tâches d'administration et de gestion publiques. Mais elle entretient également une confusion entre la logique de la performance technique et la doctrine de l'État, à partir de la ressemblance entre des notions pourtant irréductibles les unes aux autres, par exemple entre fiabilité et confiance, entre généralité et universalité, entre objectivité et impartialité. Par le biais des services qu'ils rendent à l'institution et via l'influence qu'ils exercent déjà sur les comportements de ses agents et responsables, les systèmes d'IA acquièrent une action réelle qu'il est nécessaire de préciser et de conceptualiser. Cet article entend y contribuer à partir de l'idée qu'il s'agit d'une forme d'autorité, telle que la philosophie politique l'a interprétée.This contribution explores the hypothesis that the adoption by public services of contemporary computer and digital technological tools, algorithms and mega-data that define artificial intelligence (AI), induces an important transformation of the meaning of the institution. The expertise of machines and the value of mathematical-computational knowledge feeds a form of confidence in AI, which is based on its undeniable effectiveness in assisting public administration and management tasks. But it also maintains a confusion between the logic of technical efficiency and the doctrine of the State, based on the similarity between notions that are irreducible to each other, for example between reliability and trust, between generality and universality, between objectivity and impartiality. Through the services they render to the institution and through the influence they already exert on the behaviors of its agents and managers, AI systems acquire a real action that needs to be specified and conceptualized. This article intends to contribute to this task, starting from the idea that it is a form of authority, as interpreted by political philosophy.
Varia
- La première loi sur la laïcité de l'État au Canada, un événement peu relayé par les médias français - Anne-Hélène Le Cornec Ubertini p. 89-106 Après dix ans de débats à l'Assemblée nationale du Québec, la première loi canadienne sur la laïcité de l'État, a été votée le 16 juin 2019. Malgré son caractère historique, la presse écrite française s'est très peu emparée du sujet. Lorsqu'elle l'a fait, elle a associé cette loi à la loi sur l'immigration votée le même jour, jugé irrationnelles les craintes des défenseurs de la loi et considéré que les nouvelles dépositions légales étaient plus contraignantes que celles de la loi de 1905 en France.After ten years of debates in the National Assembly of Quebec, the first Canadian law on the secularism of the State, was passed on June 16, 2019. Despite its historic nature, the French written press has taken very little possession of the subject. When she did so, she associated this law with the immigration law passed the same day, judged the fears of defenders of the law irrational and considered that the new legal depositions were more binding than those of the law of 1905 in France.
- « Ce sont toujours les mêmes qui participent » : la norme selon Foucault dans les dispositifs participatifs institutionnels - Léa Amand p. 107-124 À partir d'une ethnographie menée en contexte de gouvernance municipale, notre contribution analyse les obstacles à l'inclusion des profils éloignés de la participation au sein des dispositifs participatifs institutionnels. Reprenant la théorie du dispositif selon Foucault articulant les notions de normes, de savoirs et de pouvoir, nous démontrons que la non-maîtrise des savoirs et postures légitimés par la norme et véhiculés par le dispositif participatif est source d'exclusion des rapports de résistance au pouvoir, incarné par les élus et agents de la Ville.Based on an ethnography conducted in a municipal governance context, our contribution examines the obstacles to the inclusion of profiles far from participation within institutional participatory mechanisms. Taking up Foucault's theory of the device, which articulates the notions of norms, knowledge and power, we demonstrate that the lack of mastery of the knowledge and attitudes legitimized by the norm and conveyed by the participatory device is a source of exclusion from the relationships of resistance to power, embodied by the elected officials and agents of the city.
- La première loi sur la laïcité de l'État au Canada, un événement peu relayé par les médias français - Anne-Hélène Le Cornec Ubertini p. 89-106
Livres en revue
- Le « capitalisme de surveillance » et sa critique : Cédric Durand, "Techno-féodalisme. Critique de l'économie numérique". Christophe Massuti, "Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance". Evgueni Morozov, « Capitalism's new Clothes ». Shoshana Zuboff, "L'Âge du capitalisme de surveillance." - David Forest p. 125-129