Contenu du sommaire : Réformes managériales et mobilisations professionnelles
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 34, no 135, 2021 |
Titre du numéro | Réformes managériales et mobilisations professionnelles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 3-4
Dossier : Réformes managériales et mobilisations professionnelles
- Faire charnière entre l'État et les professions. Fabrique des réformes managériales et mobilisations professionnelles - Jérôme Aust, Clémentine Gozlan p. 7-18 Depuis plus de trente ans, les réformes managériales ont restructuré les relations entre l'État et les groupes professionnels. Ces réformes ont fait l'objet de nombreux travaux de sociologie des professions et de l'État ; ils en décrivent les conséquences sur le travail professionnel et en éclairent la genèse. La participation des professionnels à la fabrique des réformes de leur secteur d'activité est cependant un angle mort de cette littérature. En empruntant cette notion à Andrew Abbott, cet article propose de considérer les réformes managériales comme des charnières entre l'État et les professions. Cette perspective renouvelée offre un autre éclairage sur le rôle des professionnels dans l'élaboration et la contestation des réformes afférant à leur secteur d'activité et révèle la pluralité des formes d'investissement professionnel des réformes managériales.For more than thirty years, managerial reforms have restructured the relationship between the state and professional groups. These reforms have been the subject of numerous works in the sociology of professions and the state; they describe their consequences on professional work and shed light on their genesis. However, the participation of professionals in the process of creating reforms represents a blind spot in this literature. Borrowing this notion from Andrew Abbott, this article seeks to consider managerial reforms as hinges between the state and the professions. This renewed perspective sheds new light on the role of professionals in the development of and debate around managerial reforms. It also sheds light on the plurality of forms of professional investment in managerial reforms.
- À la charnière de l'administration et des professions : Luttes de territoire et jeux d'alliance autour du financement hospitalier - Renaud Gay p. 19-45 L'article analyse la conception et les transformations depuis les années 1960 d'une ingénierie financière qui est orientée vers la maîtrise des dépenses hospitalières. Il s'intéresse aux relations d'alliance qui portent ces instruments entre des médecins hospitaliers, des directeurs d'hôpital et des cadres de l'administration sanitaire. Il montre ainsi que ces instruments sont constitués à la charnière des écologies étatique et professionnelle au sein desquelles ils sont investis de différentes significations et appuient des stratégies de revendication ou de protection territoriales. Ces alliances sont appréhendées en distinguant trois séquences historiques qui analysent leur évolution et les changements d'instrument dont elles sont porteuses, d'un prix de journée sophistiqué jusqu'à l'adoption d'une tarification à l'activité.The article analyzes the conception and the transformations of the financing tools that aim to control hospital expenditure since the 1960s. It deals with the alliances supporting these tools between physicians, hospital directors, and administrators at the French Ministry of Health. It considers these tools as a hinge between the state ecology and the professional one. These tools are given different meanings in each ecology, where they contribute to offensive and defensive jurisdictional tactics. The article distinguishes three historical sequences that explain the evolution of these alliances and the related changes of financing tools, from a sophisticated bed-day price to a prospective payment system.
- Les inspecteurs au rapport. Recomposition de l'identité des contrôleurs autour d'un instrument d'action publique (1959-2021) - Marion Demonteil p. 47-72 L'article analyse le processus de différenciation de la fonction d'inspection de l'administration centrale à partir du cas des inspections de la Culture. Inscrit dans la théorie écologique des professions, il met en évidence ce que la professionnalisation des inspecteurs, à l'œuvre dans les années 1990-2000, doit à des luttes internes à l'État. Le rapport d'inspection est ici considéré comme une charnière entre des juridictions tenues par de hauts fonctionnaires dirigeants et des inspecteurs en cours de professionnalisation : ressource politique, il permet aux uns d'attester de la rationalité des orientations données à leurs programmes d'action et de leur indépendance vis-à-vis de considérations extérieures à l'intérêt général ; artefact d'un travail intellectuel, il permet aux autres de s'affirmer comme détenteurs d'un savoir professionnel abstrait, de donner à voir leur capacité d'inférence à travers la déclinaison de diagnostics et préconisations opérationnelles.`np pagenum="048"/bBased on a case study of the inspectorates of the French Ministry of Culture, which are viewed from 1959 to 2021, this article analyzes the process of differentiation used by the central administration's inspection function. Taking advantage of contributions in the form of the theory of linked ecologies, it highlights what the professionalization of inspectors, at work in the years 1990–2000, owes to internal struggles within the political and then professional ecologies. The inspection report is considered here as a hinge between these two ecologies: as a political resource, it allows some to attest to the rationality of the orientations given to their action programs and their independence from considerations outside the general interest; as an artefact of intellectual work, it allows others to assert themselves as holders of abstract professional knowledge and to demonstrate a capacity for inference through the translation of diagnoses of public policies into operational recommendations.
- Une mobilisation réformatrice ? "Sauvons la recherche" et la genèse des réformes de politique scientifique en France - Clémentine Gozlan p. 73-106 En réaction aux coupes massives dans le budget de la recherche française au début du XXIe siècle s'est formé le mouvement « Sauvons la recherche » (SLR). Il émerge en 2004 en dehors des structures syndicales suite à la mobilisation de biologistes de renom qui se questionnent sur l'avenir de leur métier et sur les manières de défendre les intérêts de la science. En articulant sociologie des professions, sociologie des mobilisations et sociologie de l'action publique, cet article décrypte le rôle singulier qu'a joué un mouvement social de chercheurs dans la mise sur agenda des réformes de la recherche au début du XXIe siècle. Fondé sur la collecte d'archives inédites et plus de trente entretiens approfondis avec les scientifiques qui ont participé au mouvement dès son origine, l'article retrace comment SLR a d'abord construit un rapport d'opposition frontale au gouvernement, puis en est venu à participer au Comité d'initiative et de proposition (CIP), qui organise le travail réformateur des États généraux de la recherche en 2004. Il montre que la constitution de cette « charnière », c'est-à-dire au sens d'Andrew Abbott cet espace d'intermédiation entre gouvernement et collectif professionnel, est le produit d'une histoire conflictuelle, de débats et jeux sur les frontières de la profession et sur son rapport au politique. Entre mobilisation protestataire et travail réformateur, le cas dévoile une forme singulière de l'association des professionnels au gouvernement de leur secteur.In response to significant budget cuts at the start of the twenty-first century, the Sauvons la recherche (SLR) movement was formed. Initiated outside the trade union structures, it was born in 2004 as renowned biologists mobilized to question the future of their profession and the ways of defending the interests of science. By articulating the sociology of professions, the sociology of mobilizations, and the sociology of public policy, this article deciphers the unique role that a social movement of researchers played in setting the agenda for research reforms at the start of the twenty-first century. Based on the collection of original archives and more than thirty in-depth interviews with the scientists who participated in the movement from the outset, this article traces how SLR first built a frontal opposition to the government, then came to participate in the CIP—the committee that organizes the reform work of the États généraux de la recherche—in 2004. The article shows that the constitution of this “hinge,” that is to say in Andrew Abbott's sense, the space of intermediation between government and professional collective, is the product of a conflictual history, and of debates and games on the frontiers of the profession and its relation to politics. Between protest mobilization and reformist work, the case study reveals a singular form of the association of professionals in the government of their sector.
- La frontière évaluative de l'État : Usages et résistances à un instrument de gouvernement par la performance de la profession enseignante au Mexique (2008-2019) - Pablo Cussac p. 107-134 Entre 2013 et 2019, la mise en place du Service professionnel enseignant au Mexique, un nouveau système d'évaluation des enseignant·es, a été une tentative de recomposer radicalement les relations entre la profession enseignante et l'État. L'instrument est introduit par une coalition d'acteurs experts proches de l'OCDE qui tentent de professionnaliser les enseignant·es, de constituer en problème public le corporatisme éducatif, et d'y mettre fin à travers des mécanismes de sélection et d'évaluation impersonnels. En suivant les travaux d'Andrew Abbott, nous interprétons la mise en place du Service professionnel enseignant comme une charnière qui différencie et reconfigure les liens entre l'administration et la profession. L'instrument participe ainsi à l'émergence de deux écologies et est, de fait, premier dans la délimitation de leurs frontières et autonomies respectives. L'instrument active cependant des conflits dans ces mondes à présent distingués. En retraçant ces conflits et ces liens renouvelés entre les enseignants et l'administration centrale, l'article montre comment les instruments, et la résistance à ceux-ci, permettent la formation de différentes coalitions d'action publique.From 2013 to 2019, the Teachers' Professional Service was an attempt to radically recompose the relationship between the teaching profession and the Mexican state. This instrument was implemented by a coalition of experts with close ties to the OECD, who tried to professionalize teachers and to problematize and undo the corporatist management of the profession through impersonal recruitment mechanisms and evaluations. Following Andrew Abbott's work, we interpret the Teachers' Professional Service as a hinge both distinguishing and linking the administration and the teaching profession. The instrument thus participates in the emergence of two distinct ecologies. The evaluative reform gives rise to a demarcation in the respective boundaries and autonomies of the state administration and the teaching profession. Simultaneously, the instrument triggers conflicts in these now separated worlds. By retracing these renewed connections and tensions, the article shows how instruments, and resistance to them, shape different policy coalitions.
- Faire charnière entre l'État et les professions. Fabrique des réformes managériales et mobilisations professionnelles - Jérôme Aust, Clémentine Gozlan p. 7-18
Varia
- La santé au travail au secours de l'action syndicale ? Retour sur la « sanitarisation » d'un répertoire d'action militant - Rémy Ponge p. 137-162 De nombreuses explications ont été avancées pour rendre compte de la visibilité croissante des souffrances psychiques du travail (stress, burn-out, risques psychosociaux, etc.) dans l'espace public : « psychologisation » du social, recomposition des maux du travail, construction d'un problème public par des acteurs mobilisés, etc. Cet article s'intéresse au rôle des organisations syndicales et explore la piste d'une « sanitarisation » de l'action syndicale. Il interroge ainsi ce que la place croissante du thème des souffrances du travail dans le discours et les pratiques des organisations syndicales nous dit des transformations contemporaines du syndicalisme et de son rôle dans la politisation des enjeux du monde du travail. Articulant matériaux d'archives et entretiens, nous analysons les pratiques des acteurs en charge des questions de santé au travail au sein des directions des deux principales centrales syndicales françaises, la CFDT et la CGT, des années 1990 à aujourd'hui. Nous montrons que s'il s'est d'abord agi pour les directions syndicales, particulièrement la CGT, d'apporter une réponse à un problème social fortement publicisé, la mise à l'agenda des souffrances au travail est étroitement liée aux rapprochements entre des acteurs des champs syndical et scientifique d'une part et, d'autre part, aux difficultés croissantes des syndicalistes face aux directions d'entreprise. Dans un contexte de faible syndicalisation et de difficile recours aux outils de l'action collective (grèves, arrêts de travail), les directions syndicales tentent, à partir des enjeux de santé au travail, d'aider leurs militant·es à reprendre la main sur des questions classiques touchant au partage du pouvoir dans l'entreprise. Cette dynamique de sanitarisation n'est cependant pas univoque et reste fortement dépendante des enjeux propres au champ syndical et des acteurs qui y interviennent.Several theories have tried to explain the growing visibility of psychological suffering in the workplace (stress, burnout, psychosocial risks, etc.): the “psychologization” of society, the evolution of work and occupational risks, the construction of a public problem, etc. This article looks at the possible “sanitization” of trade union action, i.e., the growing importance of the theme of work-related suffering in the discourse and practices of trade unions. It examines what this says about the current transformations of trade unionism and its role in the politicization of labor issues. We look at the French union directorates' technical advisers in charge of working conditions since the 1990s. We show that the CGT, in particular, primarily wanted to address a highly publicized social problem. Nevertheless, their interest in this subject was also closely linked to their reconciliation with a number of social scientists on the one hand, and to the declining power of trade unions on the other hand. In a context of poor unionization and growing difficulty for collective action (strikes, work stoppages), the trade union leaderships are trying, with occupational health, to help their activists regain control over perennial questions, like the distribution of power in the workplace.
- La santé au travail au secours de l'action syndicale ? Retour sur la « sanitarisation » d'un répertoire d'action militant - Rémy Ponge p. 137-162
Note de lecture
- Jérome Vanessa, "Militer chez les Verts", Paris, Presses de Sciences Po, 2021, 304 p. - Emilien Houard-Vial p. 163-165