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Cet article interroge la manière dont la démocratie a été instaurée en Italie entre 1943 et 1948, dans un double contexte de sortie de guerre et du fascisme. En analysant le cas de l'école, perçue comme un espace clé pour reconstruire la société italienne, il retrace les étapes de la démocratisation, ses enjeux et ses limites. Comprenant qu'une simple défascisation n'était pas suffisante pour transformer en profondeur la société, les Alliés ont proposé de nouveaux idéaux et de nouvelles pratiques au sein de la salle de classe, tout en composant avec les acteurs puissants de la péninsule, dont le Vatican. Est ainsi né un modèle démocratique original qui a servi de matrice à la jeune Italie républicaine.

Quelle place la société française réserve-t-elle aux personnes âgées atteintes de troubles mentaux ? La question court sur tout le 20e siècle. Cet article cherche à y répondre en centrant l'analyse sur les années 1950, moment où le sort de la population âgée devient un enjeu des politiques publiques de l'État providence à la française. À l'aide des outils de la microanalyse et de la sociologie de l'action publique, il interroge un arrangement institutionnel mené, en juillet 1956, au sein de la préfecture de la Seine : celle-ci favorise à partir de cette date le transfert de « vieillards » internés dans les hôpitaux psychiatriques du département vers la maison de retraite de Villers-Cotterêts. En étudiant la mise en place du dispositif, les discussions entre les institutions de soin et d'assistance, les effets de cette initiative sur les populations déplacées et l'ensemble des difficultés que soulève ce bricolage administratif pour les contemporains, cet article fait dialoguer l'histoire de l'action publique locale, de la psychiatrie et celle de la vieillesse. Il cherche ainsi à mieux comprendre les défis posés par la prise en charge d'une population jusqu'alors peu prise en compte par l'État social et rarement étudiée par les historiens.

En croisant les apports des études de genre et des border studies, cet article étudie les conditions de vie des femmes dans les zones rurales à l'extrémité orientale de la frontière turco-syrienne (Haute Jazîra) ainsi que leur capacité d'agentivité, en explorant la mobilité transfrontalière de courte distance. Adoptant une approche décentrée de l'histoire, l'article montre ensuite combien l'analyse de la coopération frontalière pour faire face aux affaires diverses touchant à des femmes permet d'approfondir non seulement nos connaissances sur la manière dont le droit s'incarne, mais également d'appréhender les processus complexes de construction étatique dans un contexte marqué par d'âpres enjeux frontaliers entre la Turquie et la Syrie.

Au début du 20 siècle, la France et l'Espagne justifient leurs interventions au Maroc par la nécessité de mettre un terme à l'« anarchie » qui régnerait dans l'empire chérifien. Il s'agit alors d'aider ce dernier à (re)prendre le contrôle intégral de son territoire. Or, pour ce faire, les deux puissances coloniales s'appuient, à côté de troupes régulières, sur de nombreux groupes armés qui ne sont pas intégrés à l'armée coloniale. Cet article étudie le processus qui, en parallèle de la conquête territoriale, conduit l'autorité centrale à se réserver le monopole de la violence, en intégrant ou en supprimant ces forces auxiliaires.

Au cours de l'été 1945, si les élites politiques et militaires du Japon s'accrochaient officiellement à la poursuite des hostilités et au refus de la reddition inconditionnelle, en coulisse, elles travaillaient à faire face aux conséquences inéluctables de la défaite, et notamment à sauver la lignée impériale de la menace alliée. L'armée de terre et la marine établirent, chacune de leur côté, des plans secrets pour cacher un héritier du lignage de Meiji. Ces plans qui faisaient partie d'une stratégie éventuelle de résistance à l'occupation n'eurent pas à être mis en œuvre du fait de la politique conciliante des Alliés envers la monarchie et l'empereur Hirohito.

Entre la Libération et les années 1970, le souvenir de la Shoah n'aurait trouvé qu'un faible écho en France. C'est ce qu'une première historiographie a établi et c'est contre cette idée que François Azouvi a publié un ouvrage important dans lequel il étudie la présence mémorielle précoce du génocide des Juifs dans la société française. La réédition de ce livre offre l'occasion de revenir sur l'un des récents et clivants débats en histoire du temps présent. Il s'agit de présenter et de contextualiser cette controverse mais aussi de souligner les points communs de ces deux lectures afin de dégager des pistes pouvant contribuer au renouvellement de la discussion sur la « première mémoire » de la Shoah.

Peu d'attention historique a été accordée aux frères et sœurs en tant qu'unités familiales, pendant et après la Shoah. Les historiens ont tendance à considérer les « orphelins de la Shoah » comme des cas individuels. Cet article, établi à partir d'entretiens d'histoire orale, de dossiers sociaux, de papiers privés et d'archives organisationnelles françaises et américaines, utilise une approche microhistorique. À partir de l'expérience de deux sœurs ayant survécu à la Shoah en France et ayant ensuite immigré aux États-Unis, il questionne leur capacité à rester ensemble. L'article affirme que les orphelins ne sont pas aussi seuls que nous le pensions mais qu'il existe d'importantes différences dans la façon dont les frères et sœurs abordent et interagissent avec leur passé. Ainsi une interaction soutenue avec nos sujets de recherche peut-elle enrichir les résultats historiques.

L'année 1968, marquée par une révolte générationnelle dans plusieurs sociétés occidentales, connut aussi des soubresauts dans certains pays socialistes où ils étaient partiellement motivés par d'autres aspirations – essentiellement à plus de liberté. Ainsi, en Pologne, les événements de « mars 68 » constituèrent une césure dans l'histoire de l'après-guerre. Au moment où la diplomatie française cherchait l'ouverture à l'Est en réactivant notamment ses liens traditionnels avec la Pologne, ces troubles du régime polonais mirent à l'épreuve les rapports franco-polonais, mais des facteurs tant intérieurs à la France que dus au contexte international absorbèrent ces turbulences, finalement sans effet majeur sur la suite des relations bilatérales.

L'article interroge le concept de « révolution sexuelle » en observant le cadre discursif du premier mouvement homosexuel du bloc de l'Est dans une dynamique comparative avec le mouvement de Berlin-Ouest au cours des années 1970. Si le mouvement de libération homosexuelle apparaît à l'Ouest dans la continuité d'autres luttes sociales, il cherche en RDA à inscrire son projet émancipateur dans celui du « socialisme réel ». Malgré cette différence de cadres sociaux et politiques dans lesquels les deux mouvements évoluent, ils cherchent tous deux à imposer une discussion sur les homosexualités dans un espace public dont ils se sentent exclus. Cet article souligne l'importance des circulations entre les deux côtés du Mur, et plaide pour une analyse de l'histoire de la RDA qui prenne en compte les pratiques des acteurs.

Des segments du champ académique sont en partie financés par le ministère des Armées et les industries d'armement. Cette tendance s'accélère actuellement en France, dans un contexte de baisse générale des financements de la recherche. Cet article discute des effets de cette militarisation des financements sur les savoirs produits. L'argument général est que cette dynamique contribue à remettre en cause la frontière entre deux savoirs relevant de projets épistémologiques différents : la recherche en sciences humaines et sociales et l'expertise produite traditionnellement dans les think tanks. Nous développons cet argument à partir de deux cas : la recherche étatsunienne et britannique sur les bombardements dits « stratégiques » et la recherche française sur le nucléaire.