Contenu du sommaire : Enquêter à distance : nouvel eldorado ?

Le contact direct, in vivo in situ, avec les situations et les populations enquêtées est la pratique plébiscitée depuis des décennies dans les sciences sociales et humaines. Pour des disciplines comme l'ethnologie il s'agit d'un réquisit, même si des auteurs ont pu proposer des pistes heuristiques malgré une pratique scientifique en bureau « hors sol », exclusive ou non. Cet article précise quelques valeurs ajoutées et inconvénients d'enquêter à distance, par téléphone et, plus récemment, par l'entremise de l'Internet, à partir d'expériences professionnelles sur plusieurs décennies. Avec la distance, la non-ingérence concrète dans la vie matérielle des enquêté·e·s n'élimine pas les possibilités de recueil d'expériences approfondies, voire de confidences intimes. Or, ces informations peuvent être importantes pour mieux comprendre les situations vécues dans le cadre d'une activité professionnelle spécifique, d'un loisir sportif, d'une vie avec maladie, etc.

L'article part d'une comparaison de deux expériences d'observation d'une session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies : alors que la première enquête a lieu in situ, la deuxième se déroule à distance. La comparaison de ces deux terrains permet une mise en perspective réflexive et interroge les effets sur ma position d'enquêtrice, sur le projet de recherche, sur les données collectées, de ce passage à distance d'une enquête d'abord pensée en coprésence. Après une mise en contexte de l'enquête de terrain telle que définie initialement et de la première observation in situ, l'article questionne la situation d'enquête en codistance et en dresse un premier bilan au regard du projet de recherche.

La haute mer, de par son éloignement physique auquel s'ajoutent d'autres formes de distance, présente des défis particuliers pour l'enquête ethnographique. À partir de nos recherches sur la pêche thonière et la conservation de la biodiversité marine dans le Pacifique, nous proposons une réflexion commune sur les méthodes qui nous ont permis de mener une enquête de terrain à distance. Notre approche, multisituée et multiplexe, tire parti du croisement de données collectées hors ligne et en ligne. En revenant sur nos expériences, nous montrons que ce dispositif de recherche permet de retravailler des distances géographiques, sociales et temporelles sans pour autant les annuler, et qu'il contribue à transformer les relations enquêteurs-enquêtés ainsi que le rapport du chercheur à son travail et à son terrain. Si l'ethnographe peut surmonter l'obstacle de la distance physique à son terrain pour mener son enquête, il ne devrait pour autant se satisfaire de la mener exclusivement de loin.

Cet article propose d'explorer des entretiens menés à distance grâce aux fonctionnalités de l'application WhatsApp que sont les vocaux, mais aussi les messages écrits, les appels, etc. Dans une recherche sur les travailleurs et travailleuses de l'aide humanitaire, nous nous sommes heurtée à la distance et nous avons peu à peu utilisé ces entretiens qui nous ont permis de mener des échanges très particuliers, à la fois ici, là-bas, sans interruption, mais de manière diffractée. Leurs conséquences sur les entretiens sont importantes. Elles sont issues de l'outil d'une part et de la posture du chercheur d'autre part.

Cet article propose de revenir sur une expérimentation d'échanges en ligne de dix mois, menée à partir de Facebook Messenger, pour s'adapter au mode de vie d'un enquêté, pratiquant d'ultra-trail. Il illustre le choix d'un outil engendré par une rencontre et une situation inédites, et revient sur les enjeux et les questions liés à ce choix. Il examine par étapes le détournement d'un outil numérique grand public et questionne son potentiel analytique et empirique, en le comparant aux méthodes traditionnelles. Plus largement, l'auteur montre comment cet outil peut renouveler les techniques qualitatives, en s'ajoutant aux techniques classiques de l'entretien et de l'ethnographie. L'article présente également un rapport atypique à l'enquêté qui, à travers cette expérimentation, est amené à donner son avis sur un projet en coconstruction.

À partir d'une enquête menée de façon itérative sur une ancienne mine d'uranium, cet article montre comment la recherche s'est conduite autour des traces laissées par l'exploitation sur le territoire. En combinant trois modalités d'enquête, la démarche méthodologique a eu pour objectif de comprendre l'empreinte laissée dans les mémoires locales par cette industrie en s'intéressant aux transactions informelles à l'œuvre sur le site. La démarche de recueil d'indices menée sur le territoire a mis à distance les principales controverses associées au nucléaire en portant le regard sur les restes issus de l'histoire industrielle. En s'intéressant aux « rebuts de l'histoire » (Ginzburg, 1989) officielle, c'est-à-dire aux déchets laissés sur le territoire et en collectant les pièces de l'intrigue locale, il s'agit de rendre compte des relations sociales nouées sur le site en réunissant un ensemble de preuves issues du rapport entretenu par les protagonistes locaux avec l'exploitation d'uranium.

Les images jouent aujourd'hui un rôle majeur dans la culture et les pratiques numériques, particulièrement dans des contextes d'échanges ordinaires. Afin d'observer comment les images sont produites, appropriées, partagées par les usager·ère·s et comment la sociabilité s'élabore autour de ces productions et interactions, une approche ethno-sémiotique a été expérimentée dans le cadre d'une enquête portant sur les pratiques numériques de fans du groupe de musique Indochine. Cet article vise à interroger les enjeux de cette approche. Pour cela, après avoir explicité les finalités d'une ethnographie des pratiques numériques, une proposition d'approche ethno-sémiotique appliquée à l'analyse des pratiques numériques sera exposée, avant de présenter les choix méthodologiques opérés pour cette étude de cas.

En présentant les opportunités, les limites et les enjeux de l'analyse scientifique du dispositif sociotechnique qu'est le streaming, cet article entend montrer dans quelles mesures et sous quelles conditions il est possible de faire de l'observation et de l'analyse des streams une source de connaissance. Pour ce faire, il revient notamment sur l'exemple d'une enquête sur la pratique du jeu vidéo effectuée sur la plateforme Twitch, en restant attentif aux enjeux éthiques et épistémologiques de l'enquête dans un tel espace numérique.

Dans la perspective de rendre compte du bien-être des collégiens à la sortie du premier confinement de 2020, nous avons proposé une enquête en ligne à des collégiens en utilisant pour les uns, les réseaux sociaux (condition 1), et pour les autres, en collaborant avec les établissements scolaires (condition 2). Au-delà de la thématique étudiée, les résultats ont permis de mettre en saillance des différences entre le nombre de retours, d'une part, et, d'autre part, le taux de complétude et la qualité de renseignement des questions ouvertes entre la première (C1) et la seconde condition (C2), révélant ainsi des biais de sélection et d'autosélection. À partir des 549 réponses recueillies, cet article révèle des biais de participation moindres pour la condition C2, montrant de fait que l'usage social des outils numériques ne se limite pas à leur possession ou non.

Les entretiens par visioconférence ont une mauvaise réputation en sciences sociales, et sont souvent décriés au motif qu'ils auraient des effets négatifs sur la qualité des données et la relation d'enquête (difficultés techniques, barrière émotionnelle, manque d'éléments contextuels à l'entretien, etc.). L'objectif de cet article est de questionner cet a priori en se basant sur une enquête par entretiens menée auprès de femmes candidates à une chirurgie de l'obésité ou opérées. Je montre que, dans ce contexte de recherche, la visio s'est avérée bénéfique puisqu'elle octroie un contrôle plus important aux personnes enquêtées, ce qui a pour effet d'atténuer l'asymétrie dans la relation d'enquête et de favoriser le dévoilement de soi. L'objectif n'est pas tant de promouvoir l'entretien par visio vis-à-vis du face-à-face traditionnel que de se demander dans quels contextes et auprès de quelles populations ce média peut être préférable à la coprésence physique.

Les confinements successifs ont posé la question : comment enquêter à distance ? L'article revient sur cet enjeu à partir de trois expériences d'enquête à distance. Avant même la crise du Covid, l'enquête en ligne s'était imposée comme moyen de mettre de la distance et de poursuivre l'enquête malgré une certaine aversion de l'enquêtrice pour « ses enquêté·e·s ». À la suite des restrictions sanitaires, deux enquêtes ont été mises en place, délégant la production et la collecte des matériaux aux participant·e·s devenu·e·s auto-enquêteur·rice·s. L'article aborde les choix méthodologiques et éthiques qui ont façonné ces dispositifs d'enquête innovants et revient sur ce que la distance fait à la relation d'enquête et aux matériaux recueillis. Bien qu'échouant à documenter les pratiques écologiques routinisées qui étaient l'objet initial de l'enquête, les matériaux recueillis à distance, aussi hétérogènes que disparates, se révèlent heuristiques analysés au prisme de leurs conditions de production.

Les chercheur·euse·s en sciences sociales n'ont pas attendu le déclenchement de la pandémie, au début de l'année 2020, pour conduire des enquêtes en milieu virtuel. Mais en rendant de nombreux terrains physiques inaccessibles, la crise du coronavirus a conduit de nombreux·euses chercheur·euse·s à intégrer des outils numériques dans leurs dispositifs d'enquête, bon gré mal gré. À partir de trois enquêtes en cours, menées dans des environnements professionnels et domestiques et mobilisant des méthodes qualitatives variées, cet article montre la manière dont le déplacement en ligne recompose et recadre, au sens goffmanien du terme, tant les terrains et les relations d'enquête que le contenu et la nature des matériaux récoltés.

Lors du confinement généralisé de la population, mis en place en France en mars-mai 2020 pour faire face à la pandémie de Covid-19, nous avons entrepris une enquête à distance et par téléphone sur les expériences différentiellement vécues de cette mesure sanitaire. Au cours de cette démarche, un collectif de recherche s'est peu à peu constitué autour d'axes scientifiques et éthiques précis, notamment la centralité de l'approche qualitative et l'attention aux différentes formes de domination et à leurs articulations intersectionnelles. En restituant l'histoire de cette enquête, dont les analyses sont en cours, notre proposition met en lumière les questionnements rencontrés au cours d'une recherche inédite et « embarquée », ainsi que leurs implications méthodologiques et éthiques, tout en présentant et interrogeant les solutions construites par le collectif de chercheur·euse·s pour y faire face.

Cette étude exploratoire illustre les défis et les opportunités de l'enquête qualitative à distance sur des sujets sensibles. L'analyse s'appuie sur l'expérience de quatorze chercheur·euse·s ayant vécu la bascule digitale liée à la pandémie du Covid-19 tantôt comme une contrainte, tantôt comme une ressource. À partir d'échanges en quatre focus groups, les participant·e·s relèvent des tensions au cœur de la recherche qualitative à distance : les données récoltées manquent d'informations proxémiques et contextuelles, tout en bénéficiant de plus de profondeur discursive ; l'interaction permet une certaine redistribution du pouvoir, mais s'accompagne d'une perte de contrôle de la part des chercheur·euse·s ; la distance virtuelle favorise l'intégrité et l'autonomie de l'enquêté·e, tout en faisant obstacle à l'empathie et à l'éthique du care ; l'accès facilité et le rapport coût-efficacité rendent la pratique online attractive, au risque de générer de nouvelles inégalités et des analyses superficielles. Ces résultats montrent que l'enquête à distance sur des sujets sensibles est une pratique scientifique paradoxale, capable d'innover comme de dénaturer le processus de recherche.