Contenu du sommaire : Pour une lecture critique des outils en entrepreneuriat

Ce numéro sur les approches critiques a été longtemps désiré dans la revue. Après 13 ans d'existence, il voit enfin le jour. C'est l'occasion pour le comité de rédaction d'Entreprendre & Innover de repenser collectivement ce qui l'anime et de s'interroger sur la dimension critique du positionnement de la revue. Le comité de rédaction est composé de 22 chercheurs et 11 experts professionnels de l'entrepreneuriat et de l'innovation et se réunit 4 fois par an. Tous les membres du comité ont participé à la rédaction collective de cette tribune-manifeste, à travers une procédure d'écriture collaborative1.

Dans cet entretien, Philippe Silberzahn et Dominique Vian, experts et praticiens de l'effectuation, dressent les contours de cette théorie : différences en termes d'approches et d'épistémologie entre effectuation et causation, mais aussi complémentarités et combinaisons de ces approches ; lignes de démarcation avec le bricolage, l'improvisation ou encore le Lean Startup. La place de l'effectuation dans l'apprentissage de l'entrepreneuriat est également abordée, de même que l'utilité, la portée des principes de l'effectuation de façon plus générale pour créer de la nouveauté (Novelty Creation). Philippe et Dominique reviennent enfin sur les critiques dont a fait l'objet cette théorie, évaluent leur pertinence et identifient des éléments qui mériteraient davantage d'investigations.

Cet article présente et analyse une pratique pédagogique innovante qui consiste à demander à des apprenants d'élaborer une méthodologie et un outil d'évaluation de projets de création d'entreprise. L'approche pédagogique utilisée, implique les apprenants dans un processus d'apprentissage à contre-courant de leur conception traditionnelle de l'éducation et les incite à questionner et relativiser la portée des outils de gestion.L'analyse de cette pratique met en évidence des similitudes entre les piliers sur lesquels elle repose et la conception de l'éducation de Paulo Freire.

Cette contribution propose une réflexion sur les effets ambivalents de la pratique du pitch, outil désormais incontournable des formations à l'entrepreneuriat. Elle s'appuie sur un exercice de déconstruction de cette forme de discours entrepreneurial spectaculaire, en interrogeant son pouvoir symbolique. L'analyse croisée d'entretiens, d'observations et d'expériences entre trois chercheurs en entrepreneuriat a conduit à envisager le pitch comme une narration performée, normée et normative, véhiculant un modèle de l'entrepreneur tel qu'il devrait être (« entrepreneur fictif »), et avantageant par là même un certain type de projets. Tout en soulignant les intérêts de la pratique du pitch, elle met en lumière certains effets problématiques, comme l'homogénéisation du discours, et au-delà, la standardisation des pratiques d'accompagnement entrepreneurial qui en découlent.

Corinne Renard, Directrice de la pépinière Eole du Grand Narbonne dans l'Aude, et Claire Raveneaux, responsable du pôle Entreprendre à la CCI du Gard, se sont prêtées au jeu de l'interview croisée sur leur pratique et leurs approches des outils d'accompagnement et de leurs évolutions. Elles ont été interrogées par Marie-Hélène Girbau-Grimoin et Yann Papastratis qui, pour le compte des CCI et CMA de la région Occitanie ont cofondé Pro'créa, le congrès national des acteurs de l'accompagnement entrepreneurial.Corinne Renard et Claire Raveneaux ont en commun, un grand professionnalisme, une longue expérience du métier d'accompagnant et la recherche permanente de la meilleure réponse aux attentes des porteurs de projets. Mais elles diffèrent dans leurs méthodes, liées aux contraintes de leurs organisations : traitement sur mesure pour un petit nombre de projets porteurs d'innovation en pépinière, et approche plus standardisée, du fait de l'important volume de créateurs reçus, en réseau consulaire.Très critiques vis-à-vis des outils qui deviennent le but au lieu de le servir, ou des supports imposés par des considérations étrangères aux besoins des créateurs, les deux praticiennes portent un regard distancié par rapport aux outils qu'elles utilisent et qui, finalement, ne sont que la matérialisation de leur process d'accompagnement.

L'entretien de Corinne Renard et Claire Raveneaux par Marie-Hélène Girbau-Grimoin et Yann Papastratis nous fait rentrer dans le passionnant questionnement de deux accompagnatrices expertes. Il révèle deux grands dilemmes face aux outils d'accompagnement. Mais comment les accompagnateurs fondent-ils un jugement expert face à ces dilemmes ? Qu'est-ce qui constitue leur expertise en matière de choix et manipulation d'outils ? Comment l'acquièrent-ils et peuvent-ils la transférer aux entrepreneurs ? Telles sont les questions que nous nous proposons de développer en nous appuyant sur quelques concepts permettant d'analyser ce qu'est un outil de gestion et en quoi consiste, s'apprend et se transfère l'expertise de mobilisation des outils dans l'accompagnement entrepreneurial.