Contenu du sommaire : Dossier : Les mobilisations autour de l'extractivisme. Circulation et potentiel heuristique d'un concept en voie de globalisation
Revue | Revue internationale de politique comparée |
---|---|
Numéro | vol. 28, no 3-4, 2021 |
Titre du numéro | Dossier : Les mobilisations autour de l'extractivisme. Circulation et potentiel heuristique d'un concept en voie de globalisation |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les mobilisations autour de l'extractivisme. Circulation et potentiel heuristique d'un concept en voie de globalisation - Mathilde Allain, Antoine Maillet p. 7-29 Les activités extractives, au cœur des modes de vie et de l'économie politique contemporains, sont l'objet dans le monde entier d'importantes mobilisations sociales. Pour traiter ensemble les dimensions globales et locales du phénomène, nous proposons d'étendre le concept d'extractivisme au-delà de son contexte latino-américain initial. Une approche comparée multi-scalaire et orientée vers le global permet d'incorporer de manière féconde les leçons de l'écologie politique dans les recherches sur les mobilisations de l'extractivisme, comme le montrent les différents articles de ce numéro. Leur lecture croisée met en exergue plusieurs aspects centraux de ces mobilisations : l'intérêt du concept d'extractivisme pour analyser un processus global, la dimension multi-scalaire des analyses des mobilisations, le décentrement du cadrage environnemental de l'action collective et la relation entre entreprises extractives et mobilisations.At the heart of our lifestyle and contemporary political economy, extractive industries have been the subject of significant social mobilizations in different parts of the world. To deal with the global and local dimensions of the phenomenon, we propose to extend the concept of extractivism beyond its initial Latin American context. We adopt a comparative, multi-scalar, and global-oriented approach, which allows us to incorporate insights from political ecology in order to understand extractivism mobilizations, as shown by the articles gathered in this issue. A comparative reading of these papers highlights several central aspects of this type of social mobilization: the usefulness of the concept of extractivism for analyzing a global process, the multi-scalar dimension of the analysis of social mobilizations, the diversification of the framing of collective action, and the relationship between extractive industries and mobilizations.
- Référendums citoyens contre les projets extractifs en Colombie : la construction de coalitions multisectorielles pour la défense du territoire et des ressources - Julie Massal p. 31-62 La mise en œuvre de référendums « populaires » ou « citoyens » s'opposant à des projets extractifs de diverses ressources (pétrolière, minière ou hydraulique) a pris une ampleur inédite en 2017, en Colombie. Ce mode de consultation est devenu l'un des instruments majeurs de la défense des ressources naturelles et des territoires et débouche sur un rejet massif des projets extractifs. Chaque référendum donne lieu à la constitution d'une ample coalition composite socialement, qui tisse des alliances à diverses échelles. La stratégie d'alliance multi-niveaux depuis un ancrage municipal et la défense d'une légitime participation populaire à la décision sur le modèle de développement, contribuent de façon décisive à l'essor des référendums citoyens. Leur impact politique national est cependant restreint par une série d'obstacles politiques et sociaux.The organization of “popular” or “citizen” referendums against extraction projects of different resources (hydrocarbons, mining resources, or water) reached an unprecedented scale in Colombia in 2017. This kind of consultation has become a very important tool for the defense of natural resources and yields a massive rejection of such extractive projects. Every referendum stimulates the creation of a large and socially heterogeneous coalition, which builds alliances at different levels. The multilevel alliance strategy, starting at the municipal level and based on advocacy for legitimate popular participation in the decision-making process concerning the development model, has played a key role in the rise of such citizen referendums. Their political impact at the national level, however, is constrained by various social and political obstacles.
- The Aratirí open-pit mine project in Uruguay: politics of time, local and national environmental resistance to an extractivist government priority - Germán Bidegain, Martín Freigedo p. 63-91 Les mouvements sociaux influencent significativement les politiques et pratiques de l'industrie extractive au niveau global, grâce à l'activation de réseaux transnationaux. Amplement abordé par la littérature, ce phénomène connait toutefois des évolutions, tant dans les acteurs ciblés que dans les espaces de mobilisation. A partir de deux études de cas en Colombie et au Pérou, on compare la façon dont les organisations sociales choisissent ces acteurs et espaces et l'effet de ces choix sur le rôle de l'Etat. En dépit de la diversification des espaces d'influence vers le global et le secteur privé, notre étude réaffirme la centralité des institutions publiques comme objet ultime des stratégies de plaidoyer émergeant dans les territoires d'extraction.This article shows the importance of the “politics of time” for explaining the success of relatively weak environmental movements against mining projects. Through the analysis of the Aratirí open-pit mining project in Uruguay, the article shows that the politics of time worked in favor of the movement in two ways. First, since Uruguay was a latecomer in the regional open-pit mining context, social actors had important information that propitiated mistrust toward the project and was useful for coordinating actions and generating a common framework against it. Second, different actions of the movement were important in delaying the implementation of the mining project, contributing to its failure in a context of falling international iron ore prices. The empirical analysis is based on secondary data and 19 interviews with social and political actors.
- The prevalence of the State as a target of diversified transnational advocacy strategies: compensating extractive impacts in Peru and Colombia - Ana Carolina Gonzalez Espinosa, Sarita Ruiz Morato, Ximena Warnaars p. 93-124 Contrairement à ce qui peut s'observer en Amérique Latine, les conflits de l'extractivisme demeurent rares au Maroc. Une paix sociale relative prévaut dans de nombreux secteurs primaires. Lorsqu'ils gagnent en intensité, les conflits associés à ce régime d'accumulation restent cadrés, pour l'essentiel, comme des conflits d'extraction qui ne remettent pas en cause la légitimité même d'une utilisation maximale des ressources naturelles. La comparaison de l'exploitation minière avec celle des eaux souterraines (agriculture intensive) amène ainsi à identifier deux préconditions des mobilisations anti-extractivistes. En premier lieu, la polarisation économique suscitée par ces activités doit être suffisamment marquée pour permettre l'émergence d'une identité collective de subalternes (une polarisation observable historiquement dans les mines, et aujourd'hui dans les territoires miniers, mais pas dans l'agriculture). En second lieu, des politiques territoriales de diversification économique doivent être déjà conduites, qui rendent socialement imaginable la perspective d'un développement non-extractiviste (ce qui n'est guère le cas, ni pour les mines, ni pour l'agriculture irriguée). Le dépaysement de la problématique extractive au Maroc invite ainsi à s'interroger sur les préconditions économiques et politiques des mouvements anti-extractivistes, mais aussi sur l'articulation de ces préconditions.Social movements have significantly influenced the policies and practices of the extractive industry at the global level, thanks to the activation of transnational networks. Extensively addressed by the literature, this phenomenon is undergoing considerable changes, both in the actors that are targeted and in the spaces of mobilization. Based on two case studies in Colombia and Peru, we compare the way in which social organizations choose these actors and spaces and the effect of these choices on the role of the state. Despite the diversification of spaces of influence toward the global level and the private sector, our study reaffirms the centrality of public institutions as the ultimate object of advocacy strategies emerging in territories of extraction.
- Extraire la ressource, s'extraire du conflit. Réguler la surexploitation des mines et des eaux souterraines au Maroc - Pierre-Louis Mayaux, Max Rousseau p. 125-153 Contrairement à ce qui peut s'observer en Amérique Latine, les conflits de l'extractivisme demeurent rares au Maroc. Une paix sociale relative prévaut dans de nombreux secteurs primaires. Lorsqu'ils gagnent en intensité, les conflits associés à ce régime d'accumulation restent cadrés, pour l'essentiel, comme des conflits d'extraction qui ne remettent pas en cause la légitimité même d'une utilisation maximale des ressources naturelles. La comparaison de l'exploitation minière avec celle des eaux souterraines (agriculture intensive) amène ainsi à identifier deux préconditions des mobilisations anti-extractivistes. En premier lieu, la polarisation économique suscitée par ces activités doit être suffisamment marquée pour permettre l'émergence d'une identité collective de subalternes (une polarisation observable historiquement dans les mines, et aujourd'hui dans les territoires miniers, mais pas dans l'agriculture). En second lieu, des politiques territoriales de diversification économique doivent être déjà conduites, qui rendent socialement imaginable la perspective d'un développement non-extractiviste (ce qui n'est guère le cas, ni pour les mines, ni pour l'agriculture irriguée). Le dépaysement de la problématique extractive au Maroc invite ainsi à s'interroger sur les préconditions économiques et politiques des mouvements anti-extractivistes, mais aussi sur l'articulation de ces préconditions.Unlike in Latin America, anti-extractivist movements are rare in Morocco. Social peace prevails in many extractive industries. When they do become more acute, the social conflicts generated by this regime of accumulation are still framed, for the most part, as conflicts over the distribution of the benefits and costs of extraction, without questioning the legitimacy of maximum use of natural resources as such. The comparison of the mining industry with groundwater use for irrigation leads us to identify two preconditions for anti-extractivist movements. First, the economic polarization generated by these activities must be sufficiently pronounced to allow for the formation of a collective identity as subalterns (a polarization that was observed historically in mining, and today in broader mining territories, but not in agriculture). Secondly, policies of economic diversification must already be implemented, so as to make the prospect of non-extractivist development socially imaginable by the local population (which is hardly the case either for the mines or for irrigated agriculture). Displacing the political analysis of extractivism from Latin America to Morocco thus raises new questions about the economic and political preconditions of anti-extractivist movements, and about the articulation of these preconditions.
- L'extraction en France est-elle un extractivisme ? L'exemple des conflits sur les hydrocarbures non conventionnels - Sébastien Chailleux p. 155-184 L'article questionne l'intérêt du cadre d'analyse de l'extractivisme latino-américain pour comprendre les conflits autour des projets d'exploration d'hydrocarbures non conventionnels en France entre 2010 et 2017. En s'appuyant sur une analyse de l'action publique et collective, l'article souligne que le cas français démontre une mise en politique de la thématique des hydrocarbures qui diffère des conclusions traditionnelles de la littérature sur l'extractivisme. L'analyse met en avant que ni les rapports de force, ni la mise en récit, ni les choix politiques ne permettent d'avancer que l'exploration des hydrocarbures en France est un exemple d'extractivisme, défini comme un système asymétrique d'échanges, basé sur une exploitation intensive des ressources naturelles, au profit de compagnies transnationales, soutenues par l'appareil étatique et les partis politiques au pouvoir, contre les communautés locales devant faire face aux pollutions. L'échec des hydrocarbures non conventionnels montre au contraire la capacité d'un mouvement social à prendre possession d'un secteur d'action publique.This article examines the analytical frame of Latin American extractivism in order to tackle the conflicts over unconventional oil and gas exploration in France from 2010 to 2017. Based on an analysis of public and collective action, the article underlines that the French case shows a different politicization of oil and gas production from the traditional accounts in the literature on extractivism. Our analysis highlights that neither power relations, nor storytelling, nor political choices allow the French case to be described as an example of extractivism, defined as an asymmetrical system of trade, based on intensive exploitation of natural resources, to the benefit of transnational companies, supported by the state apparatus and the main governing political parties, at the expense of local communities facing the consequences of pollution. The failure of unconventional oil and gas in France shows, on the contrary, the ability of a social movement to take possession of a sector of public policy.